MONTPINCHON
  CC 49.05 du BOCAGE COUTANCAIS
   
  Montpinchon et sa dépopulation
 

 

 
 

Montpinchon vers 1960, Collection CPA LPM 1960

 

"La dépopulation de la Manche de 1831 à 1931"

Auguste DAVODET, 1934, pages 37 à 39


Un rapport a été demandé par le Préfet à Auguste Davodet sur la dépopulation de la Manche entre 1831 et 1931. Celui-ci a interrogé plusieurs maires dont le maire de Montpinchon.

 

Commune de Montpinchon

 

A quelles causes faut-il attribuer l’effrayant diminution constatée au cours d’un siècle, dans la population de cette belle et importante commune ? Avec une rare franchise, une clarté, une précision, dont on ne saurait lui être trop reconnaissant, ces causes, M. le Maire va nous les faire connaître dans un rapport qui est, sans contredit, l’un des plus importants et des plus intéressants qui nous soient parvenus.

 

Nous ne saurions mieux faire que de donner de ce magistral exposé de nombreux extraits :

 

« Les campagnes se dépeuplent, c’est un fait ! Depuis un siècle, la baisse suit une courbe continue, irrésistible, tragique. En ce qui concerne la commune de Montpinchon, des chiffres feront saisir mieux que toutes les dissertations, la gravité du mal : puisés aux sources officielles, ils sont indiscutables. »

 

Suit un tableau indiquant, pour chacun des recensements opérés de 1831 à 1931, le chiffre de la population qui, de 1936 habitants en 1831, tombe à 796 en 1931.


Commune de Montpinchon
En 1831 1 936 habitants
En 1931 796 habitants
Diminution 1 140 habitants; Soit plus de 60 %

 

Donc en un siècle, ajoute M. le Maire, plus de la moitié de la population, les 6/10° a disparu.

 

D’où vient le mal ?

Quelles en sont les causes ?

 

On a tenté de l’expliquer par la faible natalité, une mortalité infantile trop élevée. Il semble bien que si ces raisons ont joué un rôle dans la dépopulation rurale, elles ne soient ni les seules, ni les plus importantes.

 

Si l’on compare, en effet, le nombre des naissances et des décès pour les deux périodes 1831-1842 et 1921-1932 on constate : Suit un tableau faisant ressortir que dans la première période envisagée on a enregistré : 508 naissances, 412 décès, dont 87 décès d’enfants, soit un excédent de 96 naissances.

 

Remarquons (nous citons encore le rapport de M. le Maire) que le plus fort contingent des décès pour cette première période est fourni par des jeunes gens de 15 à 25 ans. En certaines années, ce nombre atteint des proportions vraiment impressionnantes. La lecture des actes de l’état civil de cette période oblige à conclure qu’une guerre n’eut guère été plus désastreuse. Cette mortalité excessive explique jusqu’à un certain point l’abaissement de la natalité pour une période déterminée ; elle ne saurait justifier à elle seule la baisse constatée.

 

Pour la deuxième période étudiée (1921-1932) on a enregistré 266 naissances, 174 décès dont 25 décès d’enfants. L’excédent des naissances ressort ainsi à 92 unités.

 

Différence pour les deux périodes : 96 –92 = 4 unités.

 

A remarquer, pour la deuxième période, que le chiffre de la mortalité infantile tend vers une diminution sensible : 8 décès pour 6 années. Ce fait tient en grande partie au développement de l’allaitement naturel, la mère nourrissant elle-même de plus en plus son enfant, méthode que l’on ne saurait trop encourager.

 

Si l’on envisage la situation au point de vue actuel, laissant de coté les raisons d’ordre moral, vraisemblablement primordiales, mais tare inéluctable des civilisations avancées, on est obligé de chercher ailleurs les causes du mal.

     

CAUSES MATERIELLES

 

– Pour demeurer dans un pays il faut :

 1° trouver à s’y loger ;

 2° pouvoir y vivre.

 

Or que constatons-nous ?

 

Crise du logement. Par suite du prix extrêmement élevé des matériaux et de la main d’œuvre, nombre de propriétaires d’immeubles ont d’abord transformé en bâtiments d’exploitation les maisons qui jadis abritèrent quantité de familles nombreuses, et, finalement, les ont abandonnées à leur destinée, c’est à dire à la ruine !

 

D’autres, les petites bourses, n’étant pas en état d’acquérir ni de réparer, ont quitté le pays. C’est ainsi que plus d’une douzaine de villages ont disparu de l’atlas cadastral. Et rien n’est plus triste que ces ruines, envahies par les ronces, et qui font songer à certaines parties du front !

 

Conséquence ; on a pu assister, à certaines ‘Saint-Michel’, à l’exode de 20, 30 et  jusqu’à 50 personnes, perdues à tout jamais pour la commune

 

L’église et le presbytère en 1907

Collection CPA LPM 1900

Une autre cause de la dépopulation rurale, et non la moindre, réside dans la quasi-impossibilité pour les jeunes gens de se créer une situation à la campagne.

 

Jadis, le domestique agricole gagnait peu. Cependant, au retour de son service militaire (et on ne servait pas qu’un an !), il trouvait le moyen de se ‘monter’ sur une petite terre, travaillant chez lui un jour ou deux dans la semaine, le reste du temps ‘en journée’, la femme élevait les enfants, s’occupait du ménage, soignait les bestiaux.

 

A la longue, il agrandissait son exploitation et, souvent, finissait bon fermier, à moins que, suprême récompense de ses efforts, il ne terminât sa carrière propriétaire d’un coin de terre. On peinait ferme, mais le succès était au bout ! Quel levier puissant pour un terrien et un Normand ! Aujourd’hui, la chose n’est plus possible ! La somme nécessaire à l’installation d’une exploitation agricole est telle que la majorité des jeunes gens s’en fortune personnelle n’y tente même pas ! ils devront se contenter de demeurer domestiques ou journaliers à perpétuité, et renoncer à être un jour eux-mêmes chefs d’exploitation, encore moins propriétaires, la grosse propriété absorbant la petite !

 

Que font alors ces jeunes, espoir des populations rurales ?

 

Ils vont chercher à la ville ce que la campagne leur refuse. Et ils s’y décident d’autant plus facilement qu’ils sont plus intelligents et plus énergiques : c’est un fait qu’on ne saurait nier. Encore même conviendrait-il d’ajouter que la situation devient précaire pour ceux qui trop âgés ou plus hésitants, sont restés à la terre.

 

 
 

Montpinchon vers 1930 Collection CPA LPM 1900

 

Montpinchon vers 1930 Collection CPA LPM 1900


 
 

Le développement intense de la machine sévit aussi durement à la campagne qu’ailleurs. D’un autre coté, l’abandon de la culture pour l’élevage a puissamment contribué à réduire la main d’œuvre agricole : telle ferme qui occupait jadis 10, 12, 15 travailleurs, n’en emploie plus que 3,4 ou 5 ! Faucheuses, râteaux mécaniques, faneuses, en attendant la botteleuse, ont tué la main d’œuvre.

 

Les petits métiers – leur disparition –Quand à la petite industrie, elle a subi le même sort : ceux que l’on était convenu d’appeler « les petits métiers » ont disparu.

 

Le moyen de lutter contre la grande usine, contre la grande firme supérieurement outillées, richement pourvues ?

 

Il y a beau temps que les rouets ne tournent plus et que les villages ne retentissent plus du bruit sec, mais combien pittoresque, des vieux métiers à tisser !

 

Les artisans sont allés, comme leurs camarades cultivateurs, s’enfermer dans les villes. Ont-ils eu raison ? A cette question maintes fois posée, la réponse est venue toujours pareille : « il faut vivre ! »

 

On a parlé, pour enrayer l’exode rural, d’augmenter le confort, de multiplier les distractions, cinémas, jeux, etc. C’est mal connaître le véritable homme de la terre, en particulier l’homme de la terre normande. Essentiellement pratique, il n’a cure de tout cela ! Son idéal est ailleurs ! Le jour où le rural aura la conviction, sinon la certitude de pouvoir se faire à la campagne une situation sûre, « profitable » comme il dit, et surtout s’il peut espérer se trouver un jour maître d’un coin de terre bien à lui, où il sera chez lui, ce jour-là, il restera à la campagne, y fondera un foyer, y élèvera une famille : les agents recenseurs constateront alors une sérieuse augmentation du chiffre de la population ; de descendante, la courbe redeviendra ascendante : aux législateurs d’aviser ! »