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Saint-Lô rue Carnot. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
La Manche Numéro spécial Supplément au numéro du 28 août 1926 de l'Illustration économique et financière Publication : Paris 1926 | ||||||||||||
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SAINT-LO
Quand on arrive à Saint-Lô par le chemin de fer, la ville apparaît d'abord sur un haut promontoire encerclé de remparts et de tours trapues, vestiges de fortifications moyenâgeuses, surmonté des deux flèches élégantes de la cathédrale. Une jolie rivière, la Vire, serpente au pied de falaises verdoyantes et boisées, parfois hérissées de rocs abrupts.
Le poète local Louis Beuve a comparé la vieille cité à un gigantesque vaisseau de haut bord, dont les mâts seraient les tours de la cathédrale, amarré au bord du petit fleuve que remontaient jadis les pirates normands, nos ancêtres.
L'entrée actuelle par une vieille gare, transportée de Caen à Saint-Lô en 1862, à laquelle fait suite une voie sans horizon, menant au pont de Vire et à la rue Torteron, principale artère de la ville, ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Une nouvelle gare s'élève, d'un style heureux et d'amples proportions, devant laquelle s'étendra une vaste place faisant face aux rampes étagées et au jardin public des Beaux-Regards.
Une artistique passerelle sera lancée sur la Vire, dans l'axe même de la gare, cependant que le vieux pont, resté la voie principale, sera considérablement élargi.
Pittoresque, riche en monuments et en souvenirs, dotée de belles places, toujours très vivante, notre ville aura ainsi l'accès engageant et agréable qu'elle mérite.
Son premier nom, Briovère, de Briva, pont et Vera, rivière, rappelait qu'à l'époque celtique, une piste, unissant Bayeux, capitale des Bajocasses, et Coutances, capitale des Unelles, traversait la Vire près du « quai à langue » actuel. L'appellation de Saint-Lô lui fut donnée sous le règne de Charlemagne, en souvenir de Lô ou Laud, élu évêque, de Coutances en 368 et dont le souvenir était demeuré populaire. | ||||||||||||
Saint-Lô rue Torteron. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Pendant la Révolution, la ville prit le nom de « Rocher de la Liberté ».
Comme celui de la plupart des villes normandes, le passé de Saint-Lô a été tragiquement agité par les invasions scandinaves, par les luttes entre les prétendants aux couronnes d'Angleterre et de Normandie, par les invasions anglaises, par les guerres de religion.
Dans le tumulte belliqueux du Moyen Age, il y eut des accalmies heureuses pendant les règnes de Charlemagne, de Guillaume le Conquérant et de son fils Henri, de Philippe-Auguste.
En 1203, la reddition du château de Saint-Lô au roi de France ouvrit une période mémorable. Philippe-Auguste fit réparer les remparts ; l'hôpital fut fondé ; l'industrie des frocs, serges et droguets, patronnée et réglementée par l'évêque Hugues de Morville, prit un grand essor.
Sur cette industrie qui devait, avec des alternatives de prospérité et de gêne, subsister presque jusqu'à nos jours, nous citerons seulement deux témoignages remarquables, formulés à quatre siècles d'intervalle : En 1346, le roi Edouard III d'Angleterre, ayant débarqué à Cherbourg, s'empara de Saint-Lô, et le mit à sac : « Nul homme vivant ne peut penser ny croire, écrivit Froissard, le grand avoir qui fut là gaigné et la grande foison de draps qu'ils y trouvaient ».
Le même roi, s'ébahissant devant la ville, la trouvait « plus grande que Nicole » (Il voulait dire Lincoln, et le chroniqueur avait certainement mal compris).
En 1752, l'Etat de la France, dressé par ordre royal, disait à propos de Saint-Lô :
« Le plus considérable commerce de Saint-Lô et des environs est la manufacture des serges qui se débitent à Caen, Rouen, Paris... Elles sont fabriquées de laine du Cotentin, où le ver se met rarement. Le nombre des ouvriers employés à la fabrique des serges est au moins de 2.000. Les cuirs de Saint-Lô sont aussi d'un grand débit, leur principal usage est de servir au-dessus des souliers et c'est pour cela que le nom propre de ces cuirs, qui sont de vache, est celui d'empeigne. Les beurres, les bestiaux engraissés, les chapons, les poules grasses y sont une dernière espèce de commerce qui est plus à la portée du peuple et lui sert à payer les impôts dont il est chargé. » | ||||||||||||
Saint-Lô rue Torteron. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Serges et coutils ont cessé d'être un élément de la prospérité de Saint-Lô. La transformation des cultures et de l'élevage, et par suite la raréfaction des matières premières, lin et laine, dans nos contrées, le développement du machinisme, la centralisation des moyens perfectionnés dans de grandes maisons puissamment outillées, à proximité de la houille ou des chutes d'eau, ont précipité le déclin de beaucoup de petites villes de caractère semi-rural. Mais Saint-Lô n'a point périclité. Son activité a évolué. La ville a seulement modifié sa physionomie.
Elle comptait 10.718 habitants au recensement de 1926, en augmentation de 400 si l'on considère seulement la population civile.
L'état sanitaire, déjà très bon, s'améliorera encore par l'établissement de services d'eau et d'égouts, en cours d'exécution.
Déclaré chef-lieu de préfecture en 1800, Saint-Lô doit une animation particulière aux administrations et aux services départementaux dont il est le siège. S'il n'a plus ni filatures, ni fonderie de cuivre, il possède encore une usine à papier. Il a surtout développé son commerce. | ||||||||||||
Saint-Lô une foire. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Saint-Lô est l'un des plus importants marchés agricoles et le premier marché à beurres de France.
Ses neuf foires annuelles attirent une affluence considérable de bestiaux pour l'herbage, de taureaux et de chevaux.
Pour les bovins et les chevaux, la Manche est aujourd'hui le premier département naisseur de France (c'est-à-dire le département fournissant le plus de produits, très recherchés, qui acquièrent souvent, dans d'autres régions, leur complet développement).
Toutes les foires de Saint-Lô sont précédées d'une montre s'ouvrant la veille vers dix heures du matin. Il y a quelque vingt-cinq ans, ces montres étaient réservées à « l'exposition » (à la « montre ») des meilleurs animaux amenés aux foires et dont la vente s'effectuait le lendemain. A présent, par une irrésistible évolution, les montres sont plus importantes que les foires mêmes. On y opère régulièrement toutes les transactions commerciales possibles.
Un grand nombre d'animaux de boucherie se tient, à proximité de la gare, sur la « Place des Alluvions », tous les mardis.
Ce marché est l'un des mieux approvisionnés de la région. On y vend aussi, de plus en plus, des vaches « amouillantes » (prêtes à faire veau).
Par décret de Napoléon Ier, Saint-Lô fut doté, en 1808, d'un dépôt d'étalons, qui est devenu, avec celui du Pin, le plus important de France.
Notre ville est aussi le siège d'un dépôt de remonte. Il en est résulté des encouragements suivis à l'élevage du cheval, spécialement du cheval de demi-sang, s'adaptant à la fois à la selle et au trait.
D'autre part, la recherche active des bovins de race normande a amené nos sociétés agricoles à pratiquer une sélection sévère pour obtenir des sujets possédant des qualités lactifères et beurrières tout en restant éminemment aptes à l'engraissement. | ||||||||||||
Saint-Lô une foire. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
On peut voir le plein épanouissement de nos belles races bovine, ovine et porcine et des produits de basse-cour, dans le grand concours organisé chaque année (depuis 1922) sur le Champ-de-Mars, à la fin de septembre ou au début d'octobre, par la Société départementale d'agriculture, en coïncidence avec le Concours de poulinières « suitées » (suivies de leur poulain) et « non suitées », installé à l'ancien haras.
C'est un des plus beaux spectacles agricoles de France et du monde. Il se complète par un concours laitier et beurrier, par des concours spéciaux de produits agricoles et d'animaux de basse-cour et par une splendide exposition de machines agricoles.
Il attire une affluence énorme de visiteurs de toutes les régions de France et de divers pays étrangers, notamment des deux Amériques.
Digne de sa vieille réputation, l'Hôtellerie Saint-Loise assure à tous une confortable réception.
Nous ne saurions trop recommander nos marchés, nos foires et nos concours à tous ceux qui veulent bien nous rendre visite. Mais nous les engageons aussi, très instamment, pour leur plaisir intellectuel, à remonter dans l'histoire du vieux Saint-Lô, en allant voir la Maison-Dieu (XVe siècle), l'église Notre-Dame et sa chaire extérieure si originale (XIIIe, XIVe et XVe siècles), le square des Beaux-Regards et les Remparts, la statue de la Laitière Normande, par A. Le Duc, et celle du Poilu de la Victoire, par E. Grisard, et aussi le Haras incomparable.
Qu'ils visitent également le Musée qui possède, entre autres pièces rares, un Corot (Homère et les Bergers) et huit panneaux de tapisserie représentant les Amours de Gombaut et de Macée, sujet fameux dont il est question dans l'Avare de Molière, l'église Sainte-Croix et son portail roman du XIIe siècle, le bel Hôtel de Ville, sa riche bibliothèque et son célèbre « marbre de Vieux » portant une précieuse inscription gallo-romaine du IIIeme siècle de notre ère, etc., etc.
Patrie d'Octave Feuillet, romancier illustre, qui fut membre de l'Académie française, et de Le Verrier, que l'un de ses émules appela « le géant de l'astronomie moderne », Saint-Lô s'enorgueillit encore, avec sa Société d'archéologie et d'histoire naturelle, son Ecole normale d'instituteurs et ses nombreux établissements d'instruction, d'être un centre intellectuel où se forme l'élite des générations cotentinaises.
Offrant par elle-même beaucoup d'intérêt, notre ville devient aussi un centre touristique fréquenté entre Cherbourg et Caen ou Cherbourg et Coutances et Avranches-Granville le Mont-Saint-Michel. Dans ses alentours, les excursions se complètent par des visites aux sites du Ham et de la Chapelle-sur-Vire, aux châteaux de Torigny, de Canisy, du Mesnil-Amey et de Balleroy, à l'abbaye de Cerisy-la-Forêt, aux ruines de Hambye, aux marchés de Carentan, de Périers, de Percy et de Villedieu-les-Poêles.
On ne connaîtra bien la plantureuse Basse-Normandie et son joyau le Cotentin, que si l'on s'est arrêté à Saint-Lô, ville pittoresque dans un beau site, centre agricole des plus florissants, qui se développe, se pare et s'embellit un peu plus chaque année.
Emile ENAULT, Maire de Saint-Lô, Conseiller d'arrondissement. | ||||||||||||
Saint-Lô conseil municipal vers 1910. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||