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Saint-Lô, le haras. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
La Manche Numéro spécial Supplément au numéro du 28 août 1926 de l'Illustration économique et financière Publication : Paris 1926 | ||||||||||||
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Je fus désigné, un soir de printemps, pour faire dans L'Illustration Economique et Financière, un article sur la race chevaline dans la Manche.
Pour éclairer ma lanterne, une âme pitoyable me communiqua les numéros spéciaux de l'Ille-et-Vilaine et du Calvados, où de savants collègues m'avaient précédé dans la carrière.
C'est ainsi que je pus admirer les photographies des plus beaux spécimens bovins d'Ille-et-Vilaine, représentés par... le « taureau normand appartenant à M. Renault » et... « une bonne vache normande ».
C'est ainsi que le Calvados nous était représenté comme « tributaire des grands centres de production comme la Manche et l'Orne » pour l'achat chez les naisseurs des poulains, taureaux et génisses dont il a besoin.
C'est ainsi qu'on nous faisait admirer, avec raison certes, l'étalon trotteur Intermède, du haras du Pin (Orne), avec sa descendance prestigieuse. Intermède est petit-fils de Fuchsia (né dans la Manche) et de James-Watt par Phaéton, né, lui aussi, dans notre département.
- Messieurs mes voisins, ma tâche est terminée. Grâces vous en soient rendues ! Par vos soins, se trouve soulignée l'importance, la « prépotence » dans l'élevage, du département de la Manche, berceau de la Race.
Saint-Lô, le haras. CPA collection LPM 1900 Et cependant, il faut écrire ; je l'ai promis. Voici la chose : Sans remonter au déluge, constatons seulement que la période révolutionnaire avec ses réquisitions successives avait en partie détruit notre vieille race chevaline et que ce fut de l'an VIII à l'an X que furent tentés les premiers efforts de reconstitution. Puis, en 1806 et le 4 juillet, un décret impérial réorganisait les haras et créait le dépôt d'étalons de Saint-Lô. Inscrivons cette date dans les jours fastes de notre histoire hippique.
L'influence du dépôt d'étalons sur l'élevage de la Manche se fait particulièrement sentir depuis la loi réorganisatrice de 1874 et va grandissant pour atteindre son apogée (quant aux étalons employés, aux juments saillies et à l'importance des concours) pendant les années qui ont précédé la dernière guerre.
Si, comme on l'a dit, un des plus beaux fleurons de la couronne de l'anglo-normand est constitué par son trotteur, c'est encore sur la Manche qu'il faut en reporter l'honneur. Car les premiers géniteurs qu'on a appelé les grands chefs de file sont presque tous nés chez nous.
Ce sont : 1° Conquérant, né en 1858 chez M. Lafosse, à Saint-Côme-du-Mont ; 2° Normand, né en 1860 chez M. Touzard, à Mont-martin-en-Graignes ; 3° Phaéton, né en 1871 chez M. Lécuyer, à Saint-André-de-Bohon ; 4° Tigris, né en 1875 chez M. Allix Courbov, à Saint-Côme-du-Mont ; 5° Fuchsia, né en 1883 chez M. Gosselin, à Saint-Côme-du-Mont.
Saint-Lô, le haras. CPA collection LPM 1900 Les qualités des juments ne le cédèrent en rien à celles des mâles. Rappelons seulement que c'est encore à St-Côme-du-Mont que naquit la célèbre Elisa, mère de Conquérant, ancêtre de Fuchsia, qui, a dit M. Ollivier, ancien inspecteur général des haras, « restera légendaire en raison de ses allures, qu'il a transmises à une époque où la race anglo-normande accentua son évolution vers les courses au trot ».
Au reste, pour fixer les lecteurs sur notre élevage chevalin, disons que 80 à 85 % de étalons de demi-sang achetés à Caen par l'administration des haras, sont nés dans la Manche, qui marche, de très loin, en tête des départements français pour les primes aux naisseurs de chevaux achetés par la remonte
Ajoutons enfin que le Concours central de Paris permet, chaque année, la constatation du même fait : la très grande majorité des demi-sang primés sont originaires de ce département.
En 1924 : 1° Carrossiers et Selle : 51 présentés, 32 primés, 30 originaires de la Manche ; 2° Cobs : 26 présentés, 22 primés, 25 originaires de la Manche ; En 1925 : 1° Etalons demi-sang normands : 43 primés, 32 de la circonscription de Saint-Lô ; 2° Etalons cobs : 31 primés, 26 de la circonscription de Saint-Lô ; 3° Pouliches demi-sang normandes : 32 primées, 18 de la circonscription de Saint-Lô ; Pouliches cobs : 3 primées, 3 de la circonscription de Saint-Lô ; 4° Poulinières demi-sang normandes : 58 primées, 28 de la circonscription de Saint-Lô ; 5° Poulinières cobs : 3 primées, 3 de la circonscription de Saint-Lô.
Arrêtons-nous... par discrétion.
Et voici présentés, orgueilleusement peut-être, aux lecteurs de ce numéro, les produits de notre laboratoire qui s'appelle le dépôt d'étalons de Saint-Lô, nous devrions dire les dépôts, car, comme pour le Testament, il y a l'ancien et le nouveau ; l'ancien, qui composait jadis une partie de l'abbaye de St-Lô, est encore utilisé aujourd'hui ; le nouveau, construit il y a plus de quarante ans déjà aux portes de la ville, est, de l'avis de tous, un établissement modèle. Avec ses murs tapissés de roses au printemps, ses massifs fleuris, ses vertes pelouses et ses larges pistes, il a vraiment grand air. Chaque matin, les promenades au signal du boutteselle, chaque soir les attelages à deux, quatre ou six chevaux (parmi les 350 de l'effectif) lui donnent vie et gaîté.
Saint-Lô, le haras. CPA collection LPM 1900 Messieurs les étrangers, entrez dans la maison ! J'ai ouï dire que ces établissements, approximativement évalués, vers 1910, à 3 millions, en représentent 15 à 20 aujourd'hui. Peuh ! tout juste ce que vaut, en somme, le gagnant de la course pour le Couronnement, à Epsom, Solario, à Sir John Rutherford, auquel, dit-on, l'agha Khan en a offert cent mille livres. De ce creuses sont sortis de bons chevaux d'artillerie, de taille moyenne, osseux, que la Hague a fait naître, des animaux plus légers et plus fins, bêtes de selle dont l'Avranchin s'honore, des trotteurs de qualité, des pouliches génitrices d'étalons auxquels le Cotentin a donné la charpente avec la ligne, la force avec le sang.
Ma mission est achevée. Me pardonnera-t-on ce naïf dithyrambe des choses de chez nous. Je l'espère, car nombre d'hommes de cheval sont aussi des contemplatifs, des rêveurs et des poètes. Ils se souviendront de ces vers de Musset qu'une personnalité hippique distinguée me rappelait naguère : Passant, qui que tu sois, si ton coeur sait aimer,
Docteur vétérinaire E. MANOURY, Directeur intérimaire des Services vétérinaires de la Manche.
La Manceliere. CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||