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Collection LPM CPA 1900 |
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Porcelaine de Valognes Groupe Histoire de l’AFBCDI, Christa Bastian, Mai 2008
Comme M. Hamel évoque dans son livre « 2000 ans de vie dans le canton des Pieux » : en 1760 le Roi Louis XVI avait invité ses sujets à échanger leur vaisselle d'argent contre du papier-monnaie afin de la fondre pour le Trésor. Chaque famille aisée se vit alors dans la nécessité de se tourner vers la vaisselle de terre. Les besoins à satisfaire étaient assez importants et le marché suffisamment vaste pour susciter la création de petites unités régionales de production de faïence semblable à celle que fondèrent, en 1792, quelques riches Valognais soucieux, de surcroît, d'utiliser une main-d'oeuvre inemployée.
La réussite de ces entreprises n'était pas pour autant assurée car il fallait, notamment en Cotentin, qu'elles soient capables d'entrer en concurrence et de surpasser la faïence fine anglaise qui, légalement ou en fraude, venait regarnir les vaisseliers et les buffets.
Après la suppression, en 1784, de l'ancien privilège de la Manufacture Royale de Sèvres de produire de la porcelaine dure, la voie était libre pour une production identique à Valognes.
On a d’abord fait venir du kaolin de St.Yriex près de Limoges. Mais le directeur de la société, Jean-Thomas Michel Le Masson, maître-tourneur de Paris et natif des Pieux, avait découvert un kaolin dans son village et s'en servait pour la production d'une porcelaine dure à Valognes. Après nettoyage ce kaolin était la base pour une belle porcelaine blanche à feu pour un prix de revient très intéressant.
Le Masson acheta les bâtiments de l'ancien Couvent des Cordeliers de Valognes (aujourd'hui disparu) et y installa la manufacture.
Le kaolin des Pieux restait toujours la base de la production, d'abord à Valognes et plus tard à Bayeux et ailleurs en Normandie: Valognes (1792-1812), Caen (1797-1812), Bayeux (1812-1951), Isigny (1839-1845). Les couches du kaolin étaient exploitées à ciel ouvert, pratiquement dans des puits. Peu avant la guerre de 1914 les réserves naturelles de kaolin connues s'épuisent. Après la guerre on chercha d'autres gisement et on en trouva. Mais la proportion de kaolin extrait de l'argile étant trop faible l'exploitation de « la Terre des Pieux » s'acheva en 1928.
Pour la petite histoire:beaucoup plus tard, vers 1984, lors de la construction d'un foyer-résidence pour personnes âgées d'autres poches seront trouvées mais ne seront pas exploitées.
Notre maître Le Masson avait donc installé dans le couvent des Cordeliers la manufacture de Valognes et y fabriquait de la porcelaine dure. Je vous épargne le processus de la préparation de la pâte de porcelaine: il est très long et les différentes pas doivent être minutieusement respecter. Suit le modelage de la pièce de porcelaine, vase, assiette etc. Une fois modelée elle doit sécher à l'air et ce séchage peut prendre plusieurs mois. Ensuite elle subisse une première cuisson. C'est après cette opération que la porcelaine se nomme biscuit. Cette première cuisson dure vingt-quatre heures; le feu très faible au départ est conduit de manière à augmenter progressivement. La cuisson de la porcelaine exige un mode particulier d'enfournement. Les pièces ne sont pas placées à nu dans le four, mais introduites dans des vases ou étuis qu'on nomme cassettes. Dans l'enfournement, l'horizontalité et la verticalité des cassettes sont très soigneusement observées.
Après la première cuisson est appliqué sur le biscuit l'émail, composé de feldspath et de quartz, substances putrescibles qui sont broyées et mises en barbotine. (Barbotine = pâte délayée que l'on emploie pour les pièces qui se fabriquent par coulage) Les pièces à glacer y sont plongées. L'émail consolide le vase et lui donne alors son vernis brillant.
Après cette étape les pièces sont remises au four pour vingt-quatre heures à feu doux d'abord puis poussé à 1.200 ou 1.500 degrés. Les couleurs s'appliquent sur l'émail et exigent une troisième cuisson qui dure de deux à trois heures.
Après la cessation du feu, la chaleur acquise est conservée le plus longtemps possible; le refroidissement est lent: des ruptures seraient le résultat d'un changement brusque de température. Le défournement n'a lieu qu'après un refroidissement complet, c'est-à-dire après plusieurs jours.
Le respect de ce processus assurait une très bonne qualité de la porcelaine de Valognes. La succession de Le Masson, mort à quarante ans a été reprise par M. Pelouze, excellent chimiste, mais qui n'était pas capable de maintenir la productivité commerciale.
Les sociétaires vendirent la manufacture à M. Joachim Langlois, haut placé dans l'administration et dans le monde des affaires de Caen quoique qu’il ne soit pas technicien. Il eu la sagesse d'aller s'initier à la fabrication de la porcelaine à Sèvres où il passa plusieurs mois avant de s'installer à Valognes en juillet 1802. Il avait des dons artistiques, transmis à sa fille aînée, Agathe. Plus tard, à Bayeux, Sophie et Jenny attacheront leur nom au décor dit « fleur de pommier ». Lui-même et sa seconde épouse peignaient. On s'adonnait au dessin et à la peinture, chez lui, en famille, ce qui ne l'empêchera pas d'embaucher des artistes comme Camus, qui avait dü travailler à Sèvres, Zwinger venu de Chantilly, Moreau, le statuaire venu de Limoges, et un certain Fontaines, qui était probablement un valognais, formé sur place.
La manufacture de Valognes prospérait, occupant plus qu'une centaine de personnes. Les pièces décorées, qui jusqu'alors n'avaient été produites qu'en assez petit nombre, n'avaient rien à envier à celles de centres plus renommés, et il faut reconnaître à Joachim Langlois le mérite de cette orientation artistique, plus motivée sans doute par ses goûts personnels que par souci de rentabilité. Jusqu'en 1802, la pâte avait une couleur grisâtre, celles des porcelaines courantes qu'étaient les assiettes, les plats, et les pots à faire bouillir. Langlois en utilisa une moins réfractaire, plus blanche, et plus translucide, qui demandait davantage de préparation et dont il avait réussi à extraire le fer. Cette porcelaine-là est d'un blanc un peu laiteux.
Après l'euphorie des débuts toutes les manufactures de porcelaine en France ont éprouvé des difficultés financières. Après dix ans d’existence la manufacture de Valognes a été liquidée en juin 1812.
M Langlois ne découragea pas. Il racheta une partie du matériel pour le transférer à Bayeux, sa ville natale, et s'y installa dans l'ancien monastère des Bénédictines.
Avant de poursuivre sur Bayeux je voudrais encore parler des décors et des objets de la manufacture de Valognes.
Le décor le plus connu étant en barbeau (barbeau=plante à fleur bleue, bleuet), a été exécuté dans presque toutes les manufactures de porcelaine au début du XIXème siècle.
Les marques portées sont le plus souvent en brun rouge « Me de Valognes » ainsi que fréquemment un « V » a été gravé directement avec l'ongle au dos dans la pâte.
Les pièces principales de service étaient très souvent ornées de cordons de perles, on trouve des becs de cafetières en forme de chevaux marins, des bouchons de couvercle en dauphins, des centaines de mercures. On voit aussi des têtes de style grec, romain, vue de face ou de profil.
Différents décors aussi: des polychromes, des arabesques en or, des méandres grecs où les ors mats et brunis sont artistiquement combinés sur des blancs réservés. Des petits paysages d'une grande finesse d'exécution représentant une basse-cour en camaïeu pourpre ou gris, sujets de chasse fort bien traités. On peut dire que toutes les porcelaines de Valognes ont les formes Empire. Les tasses sont celles dites « carrées », les cordons de perles en relief, blancs ou dorés se rencontrent sur un grand nombre de pièces.
C'est très difficile de reconnaître la porcelaine de Valognes. |
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