SAINT-SAUVEUR-LE-VICOMTE
  CC 39.13 DE LA VALLEE DE L'OUVE
   
  L'HOTELLERIE AU XIIeme SIECLE
     
 

Le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, CPA collection LPM 1900

 
     
 

L'HOTELLERIE DE SAINT-SAUVEUR-LE-VICOMTE AU XIIeme SIECLE. 

 

L'origine des institutions charitables et les développements qu'elles prirent pendant les premiers siècles de l'Eglise sont aujourd'hui bien connues, grâce surtout aux recherches de notre savant compatriote M. l'abbé Tollemer, qui en a tracé l'histoire d'après les canons des conciles et les écrits des pères, dans un livre, malheureusement trop peu répandu, quoi qu'il en existe deux éditions, la première sous le titre : De quelques œuvres de miséricorde, dans les premiers siècles du christianisme.., (Valognes, 1853; in-12 de XI, 802 et XII pages) ; et la seconde sous ce titre : Des origines de la charité catholique, ou de l’état de la misère et de l’ assistance chez les chrétiens pendant les premiers siècles de f Eglise (Paris, 1863, in-8" de VII et 600 pages). L'esprit des vieilles institutions charitables s'est perpétué jusqu’à nos jours ; mais les formes de l'assistance chrétienne ont varié suivant les temps et les pays.

 

Au XIIeme et au XIIIeme siècle, quand la société féodale et religieuse eut reçu la plus parfaite organisation que le moyen âge ait connue les établissements charitables prirent en France de merveilleux développements. Ceux qui remontaient à des époques plus ou moins reculées furent transformés. Beaucoup furent alors fondés et dotés pour la première fois. En ce qui touche la Basse Normandie nous manquons de renseignements précis sur les institutions de charité qui ont pu et dû fonctionner avant le XIIeme siècle. Le soin de pourvoir aux besoins des pauvres et des malades était sans doute laissé en grande partie à l'initiative individuelle, secondée par le clergé séculier et plus encore par le clergé régulier. Le XIIeme siècle vit s'élever près des villes et dans les campagnes un assez grand nombre de maisons où trouvâient un asile les malheureux atteints de la lèpre. Ces établissements d'un genre particulier étaient ce qu'on appelait des léproseries ou maladeries ; ils ont subsisté, au moins nominalement, jusqu'au règne de Louis XIV. 

 

Les Hôtels-Dieu, dans lesquels s'exerçaient tous les modes de la charité chrétienne ne paraissent dater, chez nous, que du commencement du XIIIeme siècle. C'est à cette époque que remontent les deux établissements de ce genre les plus considérables que le diocèse de Coutances ait possédés au moyen âge, celui de Coutances et celui de Saint-Lô. La création de l'un et de l'autre est due, pour la meilleure part, à l'un de nos plus illustres évêques , Hugues de Morville , qui occupa le siège épiscopal pendant une trentaine d'années, de 1207 à 1238. Un essai antérieur s'était produit dans le diocèse de Coutances, au siècle précédent. Une sorte d'hôtel Dieu avait été fondé à Saint-Sauveur le Vicomte, et quoique cette maison n'ait eu, selon toute apparence, qu'une existence éphémère, elle mérite d'être signalée. Nous la connaissons par deux chartes originales que notre savant archiviste départemental, M. Dolbet, a bien voulu nous communiquer en 1887 et qui font partie d'un dossier de l'abbaye de Saint-Sauveur conservé aux Archives de la Manche. 

 

La première charte est émanée de la fondatrice, Léticie, dame de Saint- Sauveur, veuve de Jourdain Taisson. Elle déclare donner et concéder en perpétuelle aumône à la maison de saint Thomas le martyr une masure de terre avec un courtillage (un emplacement à bâtir avec les dépendances), le tout situé au village ou bourg de Saint-Sauveur, près des maisons des foulons, libre et affranchi de tous droits seigneuriaux. Elle accorde à l'hôtelier qui gardera l'hôtellerie et qui prendra soin des malades toute espèce de droits d'usage dans le village et dans le bois de Saint-Sauveur. Le dit hôtelier pouvait faire moudre son blé en franchise au moulin seigneurial ; il y pouvait aussi faire préparer le grain qu'il employait pour fabriquer sa bière ; il lui était permis de prendre en forêt le bois nécessaire pour son chauffage et pour la couverture de sa maison. D'autres bienfaiteurs concoururent à doter l'hôtellerie : la charte indique les morceaux de terre qui furent donnés par plusieurs vassaux de Léticie, tels que Pierre de Mont-Cérisi, Roger Botier, Robert Fossart et Herbert de Mairi. Ce dernier aumôna une pièce de terre que Guillaume fils d'Osouf tenait à Liesville. L'acte qui contient toutes ces donations fut passé solennellement en présence de Tévêque de Coutanees, des abbés de Saint-Sauveur et de Saint-Lô, d'un prêtre nommé Payen, qui était sans doute le curé de Saint-Sauveur, de l’archidiacre de Cotentin, et de deux fils de la fondatrice, Roger le vicomte et Jourdain. Une charte de Guillaume, évêque de Coutanees , énumère et confirme les donations comprises dans la charte de la fondatrice. Nous devons seulement faire remarquer le titre sous lequel y est désigné le chef de la maison charitable : c'est le garde de rhôtellerie (custos hospitalariâe). Les chartes qui viennent d'être analysées ne sont point datées ; mais il est facile de suppléer au silence des notaires. Les deux actes ont été dressés pendant le veuvage de Léticie, dont' le mari mourut en 1178, et pendant l'épiscopat de Guillaume de Tournebu, qui gouverna l'église de Coutances depuis 1179 jusqu'aux environs de l'année 1200. C'est donc au dernier quart du XIIeme siècle qu'il convient de rapporter la fondation de l'hôtellerie de Saint-Sauveur. 

 

Cet établissement ne paraît pas avoir prospéré ; nous n'en trouvons plus la moindre trace au XIIIeme siècle. II n'est peut-être pas téméraire de conjecturer que les biens en furent réunis à l'aumônerie de l'abbaye de Saint-Sauveur. Un détail mérite de fixer l'attention. L'hôtellerie de Saint-Sauveur avait été mise sous le patronage de saint Thomas le martyr, c'est-à-dire de Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, massacré le 29 décembre 1170 par plusieurs barons de la cour de Henri II, roi d'Angleterre. On sait de quelle vénération la mémoire de Thomas Becket fut immédiatement entourée dans tous les pays de la chrétienté. La Normandie se distingua par son empressement à honorer d'un culte public le malheureux archevêque de Cantorbéry. Le choix qu'on fit de son nom à Saint-Sauveur pour l'imposer à l'hôtellerie en est un nouveau témoignage. Nous en connaissions déjà un exemple non moins significatif, fourni par l'histoire ecclésiastique de Saint-Lô. Une église nouvellement édifiée dans cette ville fut dédiée le 28 juillet 1174 en l'honneur du saint martyr, Thomas, archevêque de Cantorbéry.

 

Léopold Delisle.1880