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LE DIDAC’DOC « Le canal et le port de Coutances » Véronique GOULLE Service éducatif des archives départementales de la Manche – Mai 2010 La création du canal de Coutances se situe dans le contexte de développement des moyens de communication et notamment celui de la navigation fluviale par les gouvernements de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.
En 1828, le Conseil Général de la Manche envisage la canalisation de la Soulles jusqu’à Coutances pour pouvoir commercialiser plus facilement la tangue, engrais marins dont l'extraction dans le havre de Regnévile est alors à son apogée.
D’ailleurs ce projet s’inscrit dans la volonté de joindre la Vire à la Sienne jusqu'à Regnéville via la Soulles à partir de Canisy.
Les débuts du canal : l'enthousiasme
Le conseil municipal de Coutances, en novembre 1831, s'interroge sur les frais qu'engendrerait la reconstruction du pont de la Roque: | | |||||||||||
« Le conseil municipal considérant qu’un projet de canalisation de la Soulles depuis le pont de la Roque jusqu’à Coutances, comprenant la reconstruction de ce pont a été proposé précédemment au Conseil Général de la Manche qui a même déjà voté, au nom du département une somme de 20 000 F pour concourir à son exécution, considérant que cette exécution intéresse éminemment non seulement la ville de Coutances, mais encore les communes riveraines de la Soulles et la plupart des autres communes de l'arrondissement et qu'il rentre dans le plan plus général de canalisation qui s'opèrerait au moyen de la jonction de la Soulles à la Vire.
Considérant que le transport de ces mêmes engrais la tangue par le canal projeté, se ferait avec une double et immense économie de temps et d’argent. Considérant que l'accomplissement de ce projet donnerait un essor important aux diverses branches de commerce de l'arrondissement et surtout à celui de la ville de Coutances qui recevrait inévitablement et à des prix moindres qu'aujourd'hui soit du Nord, soit de la Bretagne, des bois de débit, des bois de chauffage, de l'ardoise, du charbon de terre, des vins du midi et une foule d'autres objets et qui trouverait aussi moyen d'écouler ses divers produits et spécialement sa pierre à chaux que des bâtiments nombreux viennent chercher depuis longtemps sur ses côtes ». | ||||||||||||
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Il est bien sûr favorable à cette canalisation, comme il le rappelle encore en 1835: « Considérant que la canalisation de la Soulles ferait de la ville de Coutances un port sur les bords duquel s'établiraient à la fois des dépôts de tangue pour l'agriculture dont une plus forte quantité de ces engrais précieux, ainsi rapproché des cultivateurs augmenteraient et amélioreraient les productions, et des entrepôts de marchandises ou denrées d'un usage ou d'une consommation habituelle tels [sic.] que pierres, ardoises, bois de construction, charbon de terre, vins, eau de vie ... qui rendrait bientôt cet utile établissement, l'entrepôt de tous les besoins industriels de l'arrondissement. » Par cette même délibération, la ville vote une somme de 30 000 F pour hâter la construction du canal. Le Conseil Général avait déjà voté une somme de 20 000 F.
Dans son rapport au préfet, l'ingénieur Dan de la Vauterie décrit le projet du canal : « Ce projet étudié avec beaucoup de soin par M. l'ingénieur Borgognon a pour objet d'établir une communication entre Coutances et la mer et de faire pénétrer dans le pays les diverses denrées que les cabotiers peuvent rapporter en remontant la Sienne jusqu'au Pont de la Roque, et l'objet principal de la canalisation de la Soulles, est le transport en bateau jusqu'à Coutances de ce sablon nommé tangue, qui est employé si efficacement pour l'engrais des terres [...J ».
L'ingénieur Borgognon prévoit la dépense totale du projet à 243 250 F et espère un trafic de 90 000 tonnes de tangue, entre autres marchandises, qui à 0.30 F le tonneau pourrait rapporter 28 200 F par an.
Le canal de Coutances est donc le lit canalisé de la rivière de Soulles, depuis l'aval du pont de Soulles à Coutances jusqu'à la rivière de Sienne en aval du pont de la Roque. | ||||||||||||
Le canal de Coutances (arch. dép. Manche, 3S 1) | ||||||||||||
Les plans et les projets du canal furent approuvés le 31 mars 1834 par le directeur des Ponts et Chaussées et le cahier des charges de la concession fut publié le 31 juillet 1836. La concession12 prévoit dans son article 7 : « Le concessionnaire s'engage à exécuter à ses frais, risques et périls et à terminer dans le délai de deux années, à dater de l'homologation de la présente concession, tous les travaux nécessaires pour canaliser la rivière de Soulle depuis Coutances jusqu'à la rivière de Sienne en aval du pont de la Roque. Il sera tenu de se conformer, dans l'exécution des ouvrages, aux plans et projets approuvés le 31 mars 1834 par le directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines, en retranchant toutefois de ces projets ce qui se rattache à la construction du pont de la Roque qui est maintenant exécuté. Le concessionnaire aura néanmoins la faculté de proposer les modifications dont le projet lui paraîtrait susceptible ; mais ces modifications ne pourront être exécutées qu'après l'approbation préalable de M. le Ministre du commerce et des Travaux Publics. Quelle que soit l'élévation des dépenses effectuées, et quelle qu'en puisse être la cause, le concessionnaire ne pourra s'en prévaloir pour réclamer aucune indemnité », et dans son article 5 : « Tous les terrains destinés à servir d'emplacement au canal, à ses chemins de halage, à ses francs-bords, à ses écluses, ports, gares, bassins, etc., ainsi qu'au rétablissement des communications interrompues et des nouveaux lits des cours d'eau, seront achetés et payés par le concessionnaire. Le concessionnaire est mis aux droits du gouvernement pour en poursuivre, au besoin, l'expropriation, conformément aux lois, dans le cas où il ne pouvait pas conclure des arrangements amiables avec les propriétaires ».
Les travaux commencèrent officiellement le 10 avril 1837. La concession a été accordée aux sieurs Polonceau et Colin qui étaient aussi concessionnaires du canal Vire-Taute, puis elle passa aux sieurs Mosselman et Lemaire en 1838. Celle-ci avait été accordée par ordonnance royale du 13 juillet 1836 pour 49 ans, à compter du jour de la mise en service. Le canal est officiellement ouvert au public le 28 juillet 1840 (arrêté préfectoral). […]
Description du canal
Le canal est long de 5 462 mètres et présente un dénivelé de 9.60 m racheté par quatre écluses à sas situées sur la commune d'Orval : le moulin de Gruel, le moulin de la sauvagère, la maison éclusière des Moulins et le moulin de la Roque, cette dernière écluse servant de bassin de retenue dans l'intervalle des marées. La section des écluses est de 4.20 m, la longueur des sas est de 23.10 m et le tirant d'eau sur les buses est de 1.20 m. Les écluses sont construites sur des dérivations artificielles. La profondeur d'eau minimum est de 1.10 m et la profondeur moyenne.et de 1.50 m. Le chemin de halage fait 3 mètres de large et est sur la berge de la rive droite. | ||||||||||||
Des gabares à fond plat, de 11 à 18 m de long, de 3.50 m de large, 0.65 à 0.85 mètre de hauteur et pouvant jauger de 8 à 15 tonneaux, voire de 20 tonneaux, peuvent l’emprunter.
Voici ce que dit le rapport de l'ingénieur du département en 1839: « Cependant le canal de Coutances au Pont de la Roque lui aussi s'achève et presque aussi vite que le nôtre [Vire-Taute]; il va doter les contrées qui l'avoisinent des avantages qui nous sont acquis ; qui ne sait qu'au pont de la Roque on compte par 2 ou 3 milliers les charrettes qui vont chaque jour chercher l'engrais de mer. Là, le trajet par eau étant de beaucoup plus court que sur le canal de Vire et Taute, le prix sera probablement aussi moins élevé que chez nous. On nous assure que les concessionnaires de ces deux canaux, sentant avec raison que le péage devait être leur principale affaire et non la vente de la tangue avec un bénéfice quelconque, en ont établi les prix au plus bas possible (le tonneau de tangue ou 1 000 kg pesant à Coutances 1F 40 c ; à St-Lô 2F 50 c). Or les nouvelles méthodes de culture, si elles recommandent les instruments aratoires perfectionnés, insistent bien plus fortement encore et avec raison sur la nécessité des engrais, sans lesquels point de récoltes; et l’on sait quel cas nos agronomes font de la tangue.
Honneur à tous ces hommes de talent qui, en nous ouvrant de nouveaux débouchés, accroissent nos ressources !
Honneur aussi à MM. Mosselman et Lemaire qui savent entreprendre et achever des travaux devant lesquels notre incurie native et notre somnolence habituelle nous auraient peut-être fait reculer longtemps si ce n'est même indéfiniment ».
Les tangues prises sur le port de la Soulles seront livrées aux cultivateurs par la compagnie des canaux de la Manche au comptant à 80 centimes le mètre cube, à terme à 90 centimes le mètre cube. En 1843, néanmoins, les travaux du canal ne sont pas finis, ce qui empêche la réception définitive des travaux. Et à vrai dire, ce canal ne sera jamais vraiment achevé, notamment en ce qui concerne les écluses. De même en 1845, la place du port de Coutances n'est pas encore faite. D'ailleurs le Conseil Général de la Manche explique que le commerce est peu considérable sur le canal, car la navigation sur la Sienne du pont de la Roque à Regnéville n'a lieu qu'au moyen des marées. En fait, seule la première partie du canal est faite, il reste à canaliser la Sienne jusqu’à Regnéville, but du canal. | ||||||||||||
Le canal de Coutances (arch. dép. Manche) | | |||||||||||