VILLEDIEU-LES-POELES
  CC 35.09 INTERCOM DU BASSIN DE VILLEDIEU
   
 

HISTOIRE  -1/3

     
 

VIlledieu les poëles, collection CPA LPM 1900

 
         
 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845

 

Vittam Dei commendatariam latti

dotatam ; ibidem viget tribunal.

  (mbhiuahis, Topog. Oalliw).

 

LA commune de Villedieu n'a , pour ainsi dire, d'autres limites que la ville et la banlieue : c'est un triangle resserré entre la Sienne et des voies, riante et fraîche vallée qui contraste avec l'aspect sombre de la ville à laquelle, au • premier coup-d'œil, on serait loin de donner son beau nom. Toutefois, Villedieu est la localité la plus origiuale de l'arrondissement, après le Mont Saint-Michel, celle où le passé a le plus laissé son empreinte, soit dans les hommes, soit dans les constructions.

 

Vaste atelier, où l'on n'entend que le bruit du marteau sur l'enclume, et le sifflement du la fonte dans ses canaux, où mugissent les fournaises, graves Cyclopum officines , où la machine harmonise son travail et son bruit avec le travail et le bruit de l'homme , Villedieu dispense encore , depuis le xir siècle , au ménage sa brillante cuivrerie , à l'église ses encensoirs, ses croix et ses chandeliers , aux clochers leurs voix d'airain , au batteur en grange son crible et ses sas; sa population laborieuse, loyale et fraternelle, se soutient encore par l'association charitable, comme au temps de ses statuts donnés par Charles v. Descendant des hommes groupés autour de la Commanderie belliqueuse, l'homme de Villedieu aime la guerre et les armes, dont il se sert avec autant de courage qu'il met d'habileté à les faire. Enfant de son travail, loin de toute aristocratie, l'ouvrier de Villedieu s'est formé un caractère démocratique qui l'a distingué dans la Révolution. Enfin, l'homme de Villedieu, ou , pour l'appeler de son sobriquet, le Sourdin, parle encore plus qu'ailleurs ce patois, précieux débris de notre vieille langue. Sa ville, où cependant la civilisation moderne fait rayonner huit grandes routes, a conservé sa physionomie antique : sur les ruines du château primitif, voilà sa belle église brodée; voici sous ce coteau abrupte la chapelle de la Commanderie, voici son vieux Poutde-Pierre et son corps-de-garde ; partout ce sont de vieilles maisons noircies par le temps et la fournaise, et des rues aux vieux noms, et des porches, et des hôtelleries, et tous ces restes du passé que nous allons essayer de décrire, avant d'en retracer l'histoire.

 
         
 

Villedieu se divise en trois parties, le quartier du Pont-de-Pierre, celui du Pont-Chignon, celui du Bourg-d'Envie, ainsi nommé, dit Toustain de Billy, à cause de son agréable position Villedieu a eu une enceinte murée: « Fortifiée et emparée. » Plusieurs lieux ont gardé leurs noms du Moyen-Age, le Paradis, la rue des Mezeaux, la ruelle au Mière, le Bieu, la Cour-d'Enfer. La ville avait trois portes, celle du Pont-de-Pierre , dont on a abattu récemment le corps-de-garde, celle du Bourg-d'Envie dont on voit encore les arrachements, celle du Pont-Chignon, sur un terrain d'alluvion dans lequel on trouve beaucoup de débris. Dans cette enceinte se sont élevés plusieurs monuments, les uns encore debout, les autres disparus, un château, une église, une commanderie. Un quatrième quartier extra-muros, s'appelle le Bourg-l'Abbesse, parce qu'il appartenait à l'abbesse de Saint-Désir-de-Lisieux.

 

Il a dû exister un château à Villedieu: la tradition a gardé le souvenir d'un château appelé Boucan , érigé au milieu des marécages de la Sienne. Toustain de Billy et les deux historiens ont appelé ce lieu primitif d'un nom qui ne peut-être qu'une fantaisie, Siennestre, de l'expression: « ad Siennam existere. »

 

Collection CPA LPM 1900

 
       
 

On croit que ce château occupait l'emplacement de l'église actuelle : Toustain de Billy dit même que tout annonce qu'elle fut bâtie avec les matériaux du château Boucan.Tout porte à croire qu'une église a été bâtie à Villedieu dans la période romane, les uns disent par le Conquérant, les autres par Henri i" ; un vestige de l'architecture de cette époque existe encore : ce sont deux contreforts en moyen appareil, appliqués contre la façade occidentale. L'auteur * d'un mémoire sur cette église a regardé comme un reste de ces temps les modillons de la nef: mais l'ensemble de l'édifies appartient à la fin du xv et au commencement du xvi' siècle. Cette église est une des trois plus belles de l'arrondissement, à part celle du Mont Saint-Michel. Quoique bâtie en granit, elle est remarquablement sculptée : les ouïes et les fenêtres de la tour, les balustres, les claires-voies sont remarquables comme sculptures, ainsi que les fenêtres du midi et les ornements du chevet où l'on remarque des singes et des oiseaux d'une excessive impudence. Une chronique du XVeme siècle rapporte que les armes de France décoraient un côté de la tour, tandis que les léopards se voyaient à l'occident. Il est probable que l'historien, confondant l'église romane et l'église gothique, a associé des attributs qui ne convenaient qu'à chacune d'elles. La troisième zone de l'église, par exemple , le sommet de la tour, est postérieure à l'incendie de 1634; la porte à accolades, qui s'ouvre dans la nef est de 1638. Les deux objets les plus remarquables de l'ornementation intérieure sont un tableau à compartiments, l'adoration du Saint-Sacrement, qui associe la naïveté du MoyenAge avec les fantaisies du style rocaille : ensuite la chaire, peu élégante dans sa forme , mais brodée de bonnes sculptures. Les patrons les plus honorés de cette localité industrielle, sont saint Jean-Baptiste, patron des mégissiers ; saint Éloi, patron des forgerons; sainte Anne, patronne des poêliers; saint Hubert, patron des chaudronniers; sainte Barbe, patronne des fondeurs de cloches. Les majors des confréries ou gardes ont une place privilégiée dans les chapelles de leur patron. La fête du sacre est célébrée dans cette église avec une pompe qui attire un grand concours de peuple. Elle se célébrait au Moyen-Age de la manière dramatique propre aux Mystères, c'est-à-dire avec une action et des personnages.

 

La Commanderie était située dans une presqu'île dont un canal, nommé le Bieu, a fait une île, qui s'appelle l'Ile-Bilheust. Un coteau escarpé la domine, couvert d'un bois appelé Bois-del'Hôpital. Il ne reste plus de l'ancienne Commanderie qu'un seul témoin, la chapelle Saint-Biaise, défigurée par les mutilations. La maison actuelle représente l'emplacement de la Commanderie. A un kilomètre de la ville, sur une ancienne voie pavée qui conduit à Alontbray, est la chapelle Saint-Etienne, dont l'origine remonte à l'époque romane. A peu de distance étaient les fourches patibulaires : « En cette Commanderie, il y a un lieu patibulaire sur le grand chemin de Villedieu à Caen , au bout du champ de la chapelle Saint-Etienne , pour l'exécution des sentences criminelles'. » Ce champ sert aujourd'hui de cimetière. On y remarque deux tombes, l'une couverte d'une table bronzée , ciselée en bosse d'une courte inscription et de cinq croix , celle du colonel Pitel ; l'autre celle de M. Simon Duparc, chapelain de l'hospice, mort en 1838: * La reconnaissance publique, en élevant ce monument, a » voulu honorer sa mémoire comme prêtre, instituteur et » citoyen. »

 

La première mention historique que l'on trouve de cette localité est celle qu'en fait Guillaume de Jumiége, qui dit que Henri Ier" donna à l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem la terre qui fut appelée Villedieu : « Quamdam terram in pago Abrincatensi , in auâ Mi servi Christi vicum , quem Villam Dei vacant, maximis privilegiis, regid munificentiâ munitum œdificaverunt. »

 
     
 

Villedieu les Poëles, CPA Collection LPM 1900

 
     
 

Ces dernières expressions donnent lieu de penser que dèslors Villedieu était riche et fortifié. C'est quelque temps après la donation royale, en 1170, que Toustain de Billy place la fondation de la première maison qu'il appelle l'Abbaye du SaintHôpital et ensuite Commanderie. « En 1170, l'ordre des frères de Saint-Jean-de-Jérusalem y fonda une abbaye connue sous le nom de Saint-Hôpital ; elle cessa d'être habitée, lorsque ses revenus furent abandonnés à un commandeur qui devint seigneur temporel et spirituel. On voit encore aujourd'hui les ruines de cette abbaye ou commanderie , et notamment une chapelle de la plus haute antiquité, dédiée à saint Biaise '. » Mais on a une copie d'une charte de Richard i'r qui ratifia cette donation à Spire en l'année 119/i. Cet acte souvent invoqué par les commandeurs dans leurs papiers terriers, fut confirmé par Philippe-le-Bel et ses successeurs. Les commandeurs avaient à Villedieu une officialité: aussi Merrian, qui écrivait sa Topographia Galliœ, en 1657, dit-if, commendatariam lautè dotalam; ibidem viget tribunal. En, 1198 , Henri n exempta la commanderie de Villedieu d'une somme de h liv. qu'elle devait à la taille de la ville de Coutances et du bourg de St-Pair: « In quietancia Hospital. de hoibz suis de Villa Di »

 

Depping dit que Henri Ier confirma aux frères hospitaliers de Villedieu, aux environs d'Avranches, la jouissance des droits qu'ils percevaient sur les marchés de Villedieu et Saultchevreuil , en commun avec l'abbaye de Notre-Dame-de-Lisieux.

 

Un titre, que l'on dit de 1050, mentionne le Pont-dePierre sous le nom de « Pontem de Saltchevrot. »

 

Dans ce XIeme siècle, l'état religieux de Villedieu était ainsi réglé: « Eccl. de Villa Dei nostre diocesis fratres per hospitalarios S. Joli. Jerosolimitani deservitur. Episcopus Const. visilat in dicta eccl. et procurationem percipit per fratres hospùalarios dictos. »

 

L'importance de Villedieu date de la fin de ce siècle : la catastrophe de 1157, qui détruisit la Lande-d'Airou , attira autour de la Commanderie l'industrie qui faisait la spécialité de ce dernier lieu. Aussi une charte de 1186, en faveur de la Luzerne, contient un don de blé « ad mensuram de Villa Dei »

 

En 1183, R. de Grisey donna à la Commanderie son corps à la vie et à la mort avec tous ses biens... Le don fut fait dans la chapelle Saint-Biaise, devant le frère Bernard, alors gardien de cet hôpital.

 

En 1250, Odon Rigault, venant de Saint-Sever, arriva à Villedieu qui dépendait de Saultchevreuil, et qu'il appelle « Villa Dei de Saltu Câpre. C'est là qu'il reçut la curieuse réclamation de N. de Hostreham, un des plus intéressants épisodes de ses visites et un document précieux pour le droit canon.

 
     
 

 

Villedieu les Poëles, CPA Collection LPM 1900