LE MESNIL-GARNIER
  CC 34.07 DU BOCAGE COUTANCAIS
   
  FAMILLE MORANT
         
 

FAMILLE MORANT

Les titres de la famille

Notice généalogique sur la maison de Morant, Chagnaud, Paris - 1907

 

Les Morant ont été seigneurs de nombreuses terres, mais ont porté finalement assez peu de titres.

 

Barons, puis marquis du Mesnil-Garnier par lettres patentes de 1658, barons de Courseulles, puis de Coulonces, voilà les principaux. L'érection en marquisat du Mesnil-Garnier reste la plus emblématique.

 

Thomas Morant, qui mourut en 1621 à Paris en son hôtel de la rue de Jouy, avait acquis en 1600, la seigneurie du Mesnil Garnier, sise en Normandie, non loin du château royal de Gavray

   
         
 

Donnons quelques détails sur cette terre, dont les chevaliers de Morant devaient tirer leur titre de baron puis de marquis. Du XIIe au XIVe siècle, le Mesnil Garnier fut la propriété de la famille de Thieuville ou de Thiéville. Les seigneurs du Mesnil Garnier faisaient, en raison de leur fief du Mancel, le service au château de Gavray (château fort très important, situé sur une colline abrupte) ; il devait, en cas de guerre, garder la mestre porte, les autres portes étant confiées à la garde des seigneurs de Hambrye, de Ver, de Beauchamp, de la Roche-Tesson, etc. En 1327, Guillaume de Thieville, évêque de Coutances était seigneur du Mesnil Garnier ; l'annuaire de la manche (1854) a reproduit un très curieux aveu féodal passé par lui à cette époque.


Au commencement du XVe siècle, le domaine et la seigneurie du Mesnil Garnier passèrent dans d'autres mains, par suite du mariage de Catherine de Thiéville, dame du Mesnil Garnier, avec Olivier de Mauny, baron de Thorigny. Leur fille, Marguerite, épousa Jean Goyon de Matignon, qui devint ainsi seigneur du Mesnil Garnier. En 1477, en était seigneur Allain de Matignon, sire de Villers, Anisy et Thiéville, lequel fut chambellan du roi, grand bailli de Caen et conservateur général de l'Université de cette ville.


La famille de Matignon conservera longtemps cette seigneurie qui, au XVIe siècle, passa aux mains de la famille de Montmorency. Le 27 septembre 1600, ainsi qu'il appert d'un extrait des registres du tabellionage royal de Caen, "Louis de Montmorency, chevalier de l'ordre du roi, bailli et gouverneur pour sa majesté de la ville de Seules, seigneur de Bouteville, et héritier de feue haute et puissante dame de Mondragon, dame du Mesnil Garnier, sa mère", vendit en exécution de deux arrêts du Parlement de Paris, "donné en la Chambre de l'Edit, les 19 mai et 29 aoûts précédents, et passés entre ledit sieur de Bouteville et haute et puissante dame Claude d'Orsonvilliers, veuve de feu messire François de Montmorency, vivant sieur de Hallot", à Thomas Morant, seigneur d'Esterville et de Champrepus, la terre du Mesnil Garnier, "comme elle s'étend et se comporte en les paroisses du Mesnil Garnier, Mesnil Hue, la Trinité, Bourquerolles et ailleurs, en domaine fieffé et non-fieffé, droites, rentes, privilèges, prééminences, présentations de bénéfices, fiefs, bois de haute futaie et taillis...", moyennant un prix de 15.000 écus d'or en principal est de 500 écus de vin.

 
         
 

 La famille de Morant resta propriétaire de cette seigneurie pendant plus d'un siècle. En 1700, elle appartenait encore à Thomas Alexandre Morant, premier président du parlement de Toulouse, arrière-petit-fils de l'acquéreur de 1600, qui fit faire au château d'importantes réparations. Mais en 1714, le Mesnil Garnier était aux mains du receveur général des finances de Caen, Rollée, qui ne le conserva du reste que peu d'années. Car en 1624 furent revendues par décret ledit dit maître Rollée, en la Cour des comptes, aides et finances de Normandie, "les terres et seigneuries du marquisat du Mesnil Garnier et baronnie de Ducé." Elles furent adjugées le 24 janvier à un sieur André, créancier dudit Rollée de la modeste somme de 2.400.000 livres. Mais celui-ci, par suite d'une baisse considérable des espèces, ne se trouva pas en état de consigner le prix de son adjudication et y subrogea, par acte de rétrocession du 22 septembre 1725, "Joseph Bonnier, écuyer seigneur baron de la Mosson, maréchal général des camps et armées du roi, conseiller secrétaire de sa Majesté, maisons et couronne de France et de ses finances, trésorier général des états de la province du Languedoc."

   
         
 

Celui-ci consigna aux mains du receveur des consignations "la somme de 665.000 livres, prix entier de ladite adjudication, au profit commun des terres du Mesnil Garnier, Soulles, Ducé, Chérenée, Le Héron, Pommereu et autres en dépendant "... et, en raison d'une opposition faite par les créanciers dudit sieur Rollée, demanda à la cour des comptes et des finances de Normandie de l'envoyer en possession, propriété et jouissance des terres adjugées," ce qu'il obtint par un arrêt rendu le 28 septembre 1725. Le montant de l'adjudication peut donner une idée de l'importance des terres du Mesnil Garnier et dépendances. Le marquisat du Mesnil Garnier était en 1739, la propriété de messire Michel Dalbert-Dailly, duc de Préquigny, pair de France, par suite de son mariage avec la soeur du baron de la Mosson. En 1756, il était aux mains du duc et de la duchesse de Chaulnes.

 

De 1768 à 1789, il appartint à "messire Sébastien de Poilvilain, comte de Cresnay, seigneur marquis du Mesnil Garnier, Ducé, la Trinité, Saint-Thual et autres seigneuries, maître de camp de cavalerie, guidons des gens d'armes de la garde ordinaire du roi ". Devenu propriété nationale en 1789, le Mesnil Garnier fut acheté par la famille Cambioso de Gênes. En 1828, le général vicomte de Bonnemains acquit le domaine du Mesnil Garnier, et le comte de Semallé, celui de Ducé. Les autres fiefs avaient été morcelés et vendus pendant la révolution. Le Mesnil Garnier est aujourd'hui la propriété de Monsieur Jules Tétrel, conseiller général de la Manche qui a eu l'obligeance de nous fournir de très intéressants renseignements et de nous faire de curieuses communications de pièces et titres en sa possession.


Revenons à l'acquéreur de 1600. Thomas Morant avait fait, aussitôt après son acquisition, construire sur cette terre un superbe château, "l'un des plus considérables de la généralité de Caen, et qui lui coûta plus de 500.000 livres." Bâti dans une vallée, entouré d'étangs et de futaies, le château du Mesnil Garnier comprenait un corps principal, avec avant-corps élevé et surmonté d'un dôme ; aux extrémités, deux pavillons d'une hauteur de 40 m environ, rappelant l'architecture d'un des pavillons du château de Blois ; puis des ailes en retour d'équerre. Le tout occupant une superficie de 8.000 m carrés était entouré de fossés larges et profonds, creusés dans le roc et remplis d'eau.


Devant le pavillon central, un pont en pierre avait été jeté sur les douves larges de 20 m, mais, il n'en occupait que les deux tiers de la largeur ; un pont-levis et les meurtrières percées dans les murailles assuraient la défense du château en temps de guerre. En face du pont, un large espace séparait le château des colombiers, entre lesquels s'élevait la grille d'entrée dont les piliers sont encore intacts. Enfin, autour d'un rond-point, se dressaient des chênes séculaires et une magnifique avenue de hêtres aujourd'hui abattue. Cinq autres avenues donnaient accès au château, d'où dépendaient plusieurs belles futaies. Non loin de là était la splendide forêt de Gavray.


Parfaitement conservé, il est presque identique au pavillon de gauche du château de Blois. Les appartements étaient ornés de superbes boiseries en chêne et chacun avait un parquet différent d'un remarquable travail. Les murs du château ont été rasés à la hauteur du premier cordon de granit au-dessus du sol, ce qui permet encore de se rendre compte de la construction édifiée par Thomas Morant. Un document permet aussi d'en apprécier l'importance : la vente des matériaux de démolition qui, en raison du mauvais état des routes en 1795, ne devaient avoir que peu de valeur, a produit 75.000 livres. Avec les débris de la démolition, on éleva au milieu de l'enceinte du château une habitation moderne sans style ni caractère.

 

Combien est regrettable la destruction du vieux château, destruction imputable aux Cambioso et non, comme le dit l'Annuaire de la Manche, aux comtes de Cresnay ! Que de souvenirs historiques ont ainsi disparu à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe ! À 800 m du château était un couvent de Dominicains, qui avait été construit en 1619 par Thomas Morant et qui, lui aussi n'existe plus. Il avait été édifié avec les pierres provenant des fonds des douves et avec des blocs de granit amenés de carrières éloignées. Autour d'une cour intérieure s'étendait un cloître en granit avec voûte en plein centre, qui supporte le premier étage. La révolution détruisit une partie du couvent : le surplus existait encore il y a vingt ans en bon état. Mais son dernier propriétaire par une bizarre idée que peut seule expliquer son état maladif avait ordonné dans son testament de tous raser, et cette condition insensée a malheureusement été trop fidèlement exécutée.


Dans ce couvent avaient été enterrés plusieurs membres de la famille de Morant, notamment Thomas, 2e du nom et en 1785, la marquise de Morant. C'était le lieu de dépôt des titres et archives de la famille. À gauche du couvent se trouvait l'église, abattue lors de la révolution. La tour seule avait été respectée :, mais, en 1868, elle aussi a été démolie. Un caveau creusé sous cette tour servait à la sépulture des moines, dont les tombes furent bouleversées en 1793. Le tableau qui ornait le maître-autel et qui a parait-il une valeur artistique est maintenant dans l'église du Mesnil Amand. L'église paroissiale du Mesnil Garnier est également ornée d'autels finement sculptés provenant de l'ancienne église du couvent des Dominicains. Ainsi, de ce splendide ensemble que constituaient le château et le couvent avec son église, il ne reste plus debout qu'un des pavillons du vieux château, abritant de sa masse encore imposante le castel moderne. Les douves, les colombiers, les murs arasés, les chaussées des trois étangs, voilà avec ce pavillon, les seuls vestiges des anciennes constructions seigneuriales qui avaient une si véritable grandeur !