SUBLIGNY
  CC 33.15 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  FAITS HISTORIQUES
     
 
 
 

Subligny, collection CPA LPM 1900

 
 

 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845

 

Li sire de Solignie,

 

Cette commune figure généralement un arc dont le chemin d'Avranches à Gavray ou côté oriental représente la corde et dont la Broise dessine la courbe: elle est traversée par la route d'Avranches à Coutances. C'est un sol accidenté au sud et à l'ouest, et ses mouvemens sont indiqués par les noms topographiques, les deux hameaux des Monts, les Bas Monts, la Rochelle , la Paluelle avec sa vieille habitation attribuée aux Anglais, le Rocher, le Rocher-Cavigny, le Rocheri Galt. Christ., loin. x. Instr. — 2 M. Stapleton, tom. 11, p. 54o, et tom. i, p. 11. — 3 Vautier.

 

Boucan auprès de sa bruyère hantée par les esprits, la Vaucelle, près du Tertre-de-Neuville, le Perron, terre seigneuriale, les Vignes, souvenir du vignoble de la Luzerne, une Herpe, ce nom commun dans l'Avranchin, l'expression romane de la herse. Il y a plusieurs croix de pierre, celle du moulin dont l'antique base est soutenue par un des modules du fût, celle du Chapitre qui rappelle les droits de dîmes du Chapitre d'Avranches en Subligny; il y a un fief, la Brehoulière, qui associe son nom saxon au souvenir des Arondel qui le possédèrent, enfin il y a une Moinerie, propriété de l'abbaye de la Luzerne.

 

L'église de Subligny n'a qu'un transept. Sa partie la plus monumentale est son portail roman à deux colonnes, dont les chapiteaux sont insculptés d'une espèce de fleur de lis. L'archivolte intérieure a été refaite en 1736. Au seuil, à l'extérieur, est une tombe sur laquelle on lit: Cy gist Symon Le Roy de l'an 1615 pries Dieu pour lu y. » La maçonnerie de ce pignon est en blocage serré; le tympan est plus moderne. A cette partie primitive, sans doute contemporaine des Subligny de la Conquête, il faut associer les fonts, cuve ronde, ciselée de cintres et de dents de loup, un autel en pierre qui sert de socle dans la chapelle latérale, la croix du cimetière, fût rond, enfoncé dans une pierre en forme de cercueil, et deux statues reléguées dans la sacristie. Vient ensuite la tour avec sa voûte dont les nervures, qui sortent du mur, rappellent le XIIIeme ou le XIVeme siècle, et dont les ouïes ont un caractère tout roman et semblent avoir été encastrées et exhaussées dans cette construction en grandes dalles bien jointes qui dut couronner ce clocher au XIVeme siècle. Le reste est à peu près contemporain. Un caractère de cet édifice, un de ceux qui attestent le mieux l'antiquité de nos églises et les remplissent des plus graves pensées, c'est le grand nombre de ses tombes, qui fait du chœur pour ainsi dire un caveau ou un cimetière. Beaucoup sont usées par le temps ou mutilées par les hommes. La plus curieuse est une dalle sculptée en entaille d'une effigie de prélat, avec la chevelure sacerdotale, la chasuble antique, les mains jointes : c'est sans doute un Subligny, ou un des curés réguliers, du temps où cette église appartenait à la Luzerne. La tombe voisine, qui a été grattée, semble avoir dû porter une effigie analogue. Il y en a plusieurs du xvr siècle: une est de 1509; une autre offre cette épitaphe: « Lan mil cinq cens icy gist Robin Arondel. » Il y a une autre sépulture d'un Arondel. Sur une autre on lit: « Lan M. C. cens tresse fut inhumé... » Il y a deux tombes des Le Goubé, sieurs du Perron, village de Subligny, dont une de 1591.

 

L'église de Notre-Dame-de-Subligny fut donnée à la Luzerne à la fin du XIV siècle. G., évêque de Coutances, en confirma la donation en 1187. Plus tard, elle revint au seigneur. En 1648, elle rendait 400 liv.; en 1698, elle n'en rendait que 300 et avait deux prêtres: le gentilhomme était G. de Homilly

 

Cette paroisse et ses localités sont souvent citées dans les chartes. Hasculphe de Subligny donna en 1143 à la Luzerne: « In Suligneio vineam de Toi et dominium meum circa vineam et masuram Ran. de Montibus. » Une confirmation de 1210 mentionne Vaucelle: « Ex dono Agnetis filie Joh. de Sulligneio x sol. cen. apud Vaucellama. » Le Mès de la Boulaie est cité dans une charte de 1250, « Le Mes de la Boelaie in limite parochiœ de Sulignie et de Olivo » : il fut l'objet d'une contestation entre le Chapitre d'Avranches et la Luzerne.

 

Mais la grande gloire de Subligny est d'avoir été le berceau d'une famille qui donna un chef à la Conquête, cité dans le Roman de Rou, et un autre à la Croisade de Robert, un évêque au siége d'Avranches, d'illustres seigneurs à la Normandie, à l'Angleterre et à la Bretagne, aux abbayes de Montmorel et de la Luzerne, des fondateurs et des bienfaiteurs. Toutefois il est assez difficile de localiser l'habitation de cette famille. M. de Gerville, et après lui M. Le Prévost, ont soupçonné que le Châtelier pourrait bien en être l'emplacement. Éloigné de l'église de Subligny d'environ trois kilomètres, situé dans une autre paroisse, le Châtelier, sur lequel d'ailleurs la tradition, que nous avons interrogée, est à peu près muette, ne remplit pas les conditions du manoir des seigneurs locaux. C'est au village même de Subligny, près de l'église, qu'il faut chercher l'habitation seigneuriale; c'est là qu'elle était en effet : c'est sur le terrain du jardin du presbytère, dans lequel on trouve encore des murs épais et solides, qu'était cette habitation, et le nom de Manet que porte le terrain ne laisse pas de doute sur le lieu du berceau des Subligny.

 

Toutefois il n'est pas étonnant que l'habitation des Subligny ait disparu et avec elle son souvenir: cette famille tomba en quenouille sous le règne de Philippe-Auguste, et il n'y eut plus que la branche anglaise et celle de Bretagne. Après le Subligny de la Conquête, nous trouvons un G. de Subligny sur la liste de la Croisade de Robert. A la fin du XIeme siècle, Alfred de Suleiniest cité dans une charte du comté de Chester. Au commencement du XIeme siècle, le seigneur de Subligny était Othoere ou Otoèle, mentionné dans une charte de la Luzerne; son fils fut Hasculphe qui épousa Denise d'Avranches. Hasculphe est célèbre comme fondateur de cette abbaye. Il fut aidé dans cette œuvre par son frère, Richard de Subligny, évêque d'Avranches, de 1142 à 1153, qui fit nommer abbé du Mont Saint-Michel Richard de La Mouche, et qui, à cause de cette nomination contestée, entreprit le voyage d'Italie, dans lequel il fut pris par des voleurs et jeté dans un château où il mourut. Hasculphe eut un fils, Gilbert, dit d'Avranches, à cause de sa mère, qui se noya en escortant le vaisseau du roi en Angleterre en 1170. Le neveu de Hasculphe, Jean de Subligny, fonda en 1180 l'abbaye de Montmorel. Il avait deux frères qui l'aidèrent à doter cette maison, et un fils nommé Hasculphe qui ajoula une église à celles qu'avait données sou père. Lesceline du Grippon, fille du premier Hasculphe3, par son mariage avec Foulques Paynel, porta dans cette maison une partie des biens des Subligny. Nais la seigneurie resta au fiis du dernier Hasculphe, cousin de Lesceline: il s'appelait Jean, et il est mentionné dans le Livre de l'Echiquier: « J. de Soligncio unum militent et ad servicium suum tres milites. » La seigneurie passa aux d'Argouges : à la bataille de Bouvines figure Raoul d'Argouges, seigneur de Soulligny, à cause de son mariage avec une sœur de Jean de Subligny. Dans le XVIeme siècle, la seigneurie du Grippon, dont Subligny faisait partie, était aux Le Marchant Elisabeth Le Marchant épousa le marquis de Bcthune vers 1720. On a de ce seigneur, comme pièces locales, une délégation pour le baptême des cloches, la fondation de l'école, etc. Des Bethune, Subligny passa aux Boisgelin qui le possédèrent jusqu'à la Révolution. L'église porte encore la bande armoriaîe.

 

Du tronc normand de cette famille se détachèrent deux branches, celle d'Angleterre, qui s'est ramifiée dans les comtés de Cornwal, Devon et Sommerset, celle de Bretagne, qui se forma à la fin du xne siècle par le mariage d'un Subligny avec l'héritière du comté de Dol, seigneur puissant dont le nom figure honorablement dans les histoires de Bretagne.

 

Les armes des Subligny etaient parti d'argent et de gueules a deux rays d'argent de l'un en l'autre. Les Subligny d'Angleterre portaient écartelé d'argent et de gueules. Il y a quelques différences dans les sceaux de la branche de Bretagne.

 

Au souvenir des Subligny, cette commune associe celui des Arondel. Le fief de la Breboulière , dont un des devoirs était de transporter les meules du moulin de Subligny, entre deux soleils, portait naguère encore sur sa cheminée l'écusson ciselé d'arondes ou hirondelles, armes parlantes de la famille, et l'église renferme les tombes de deux de ses membres. Cette famille a été fort illustre en Angleterre, où elle existe encore dans les Arundel de Wardour, et, selon les auteurs des Recherches sur le Domesday, elle est certainement sortie de l'Avranchin. Nous ne croyons pas que d'autre localité que Subligny puisse revendiquer l'honneur d'avoir été le berceau des seigneurs qui étaient, même avant la Conquête, en Angleterre, où ils avaient leur château du temps du roi Edouard: « Castrum Harundel T. R. E. reddebat de qaodam molcnd. xi sol. » et qui furent représentés à la Conquête par Roger d'Arundel. Leurs descendans existent encore dans l'Avranchin, et possèdent encore la Breboulière. A Subligny est né Thomas Masure , docteur en Sorbonne. Le nom de Subligny a reçu de Cenalis une étymologie poétisée dans l'épitaphequ'il fit sur l'éveque Richard de Subligny, ab allusione nominis:

 

Petra tegit tignum, lignum premit ossa liichardi:

     Fchx <iute nutto mens premilur tumulo.

 

Mais, outre qu'il est peu vraisemblable qu'une localité ait pu tirer son nom des bois à une époque où tout le pays était comme une vaste forêt, le mot lignum n'a jamais eu la signification de bois, même dans la latinité romane '. Ensuite, pour donner l'étymologie d'un mot, il faut remonter à ses formes les plus originelles. Or, comme on peut le voir dans toutes nos citations anciennes, laforme du nom paroissial est Solignie, Sulinei, SuLUneium, Sulignie, etc. Ce mot doit se résoudre comme ses analogues, Folligny, Martigny, Parigny, Rulfigny, etc., en un nom d'homme, Sollin ou Sullin, qui est aussi la racine des nombreux Solignac et Soligny.

 

La commune de Subligny joua un grand rôle local dans la Révolution : elle était le centre de la chouannerie, dans ce canton. Le poste des chouans, leur mâquis ou leur placis était près de la Vaucelle et du Tertre de Neuville, dans le fourré de bois que traversait l'ancienne route. Subligny ne fut pas le théâtre d'affaires importantes, mais c'est de là que partirent deux expéditions dont on a gardé le souvenir. L'une alla attaquer la caserne de la gendarmerie, au centre même de la Haye-Pesnel, et ne put la forcer, quoiqu'elle ne fût défendue que par un gendarme qui, des fenêtres, tua un grand nombre d’assaillants, et fut enfin tué à son tour. L'autre partit la nuit, et arriva le matin à Saint-Aubin-des-Préaux. Le curé constitutionnel fut arraché de l'autel, conduit dans le cimetière et tué. Plusieurs des héros de ces guerres vivent encore ou sont morts récemment : on cite les noms de Bras-de-Fer, de Monte-au-Ciel, de Lantimèche, et tandis que Granville avait son héroïne républicaine, appelée de son nom la Vigoureuse, qui se faisait tuer sur les remparts, Subligny avait sa chouanne, qui s'appelait de son nom de guerre la Capitaine.

 
     

 

 

Subligny, Église Notre-Dame Xfigpower — Travail personnel