LA LUCERNE D'OUTRE MER

  CC 33.07 GRANVILLE, TERRE ET MER
   
  HISTOIRE
     
 

CPA collection LPM 1900

 
     
 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845

 

Toiam terram cum deeimis tam de genestit quant de bladis

et nemore quas habetis in parrochia de Lucerna.

     (Bulle du pape Innocent).

 

Nous arrivâmes au monastère.

C'est un séjour plein de charmes.

Il est situé clans le vallon paisible du Tbar, au milieu d'une enceinte de bois et de collines.

     (M. Gai.ly Kxicnr).

 

LA grande commune de la Luzerne, qui s'étend du Tannu à Saint-Pierre-Langers, ressemble, pour le plan , à une feuille à deux lobes, échancrée au pétiole. Le Thar découpe de ses sinuosités le rebord supérieur ou du nord; le rebord inférieur ou la ligne du sud est une limite très-brisée dans laquelle la projection de Champcervon forme une échancrure, et sur laquelle la rivière d'Allemagne ou du PontVigour, contourne en partie le lobe occidental; le lobe oriental n'a pas de limites bien naturelles. Cette commune reçoit on caractère remarquable de ses bois qui forment le massif le plus étendu de l'arrondissement, et qui expliquent encore aujourd'hui son nom. En effet, la Luzerne ou la Lucerne' paraît tirer son nom des bois, lucus, qui couvrent sa surface et que la religion avait sanctifiés. Elle est traversée vers la moitié., du nord au sud, par une ancienne voie de la Haye à Sartilly, sur la ligne de laquelle on trouve des noms significatifs, le Perroux, le Castrel, la Perruche, le Pavé - Bcsnard. Parmi les autres noms qui évoquent des souvenirs et des images ou fout naître des hypothèses, on remarque le Grand et le Petit-Mesnil, les Réages, le Blancdoué, la Mare-Croisée, la Porte - Roussel et la Porte, les Rochettes et la Rocherie, le Ruet, la Planche et les Ponts. Les bois qui couvrent la lisière du nord-ouest portent le nom de Taillis. Au centre du grand massif qui touche à l'Abbaye se trouvent les Holidières. Le bois de Courbefosse a disparu, et sou nom ne semble même pas être resté dans la mémoire des habitans.

 

L'église de la Luzerne n'a ni transepts ni portail occidental. C'est un édifice fait à quatre principales époques. L'église romane est attestée par les reliefs , cordons, contreforts , porche, et par un pan de maçonnerie vers le bas de la nef. On remarque la large saillie dans laquelle s'ouvrait au midi une porte romane, faite à une époque où très-souvent l'ouverture latérale était la seule entrée.

     

On dirait que ce porche a été détruit par un incendie , dont ses restes portent CBCore les traces. Au XII ou au XIVeme siècle se rapportent des membres assez élégans, une porte septentrionale, aujourd'hui bouchée et enfoncée dans le sol, les deux fenêtres de l'orient, unique specimen, dans l'arrondissement , d'une double baie dans le mur droit du clrceur. L'élégance de ces parties semble se ressentir du voisinage de l'abbaye. Au xve siècle appartiennent le grand arc central et une jolie piscine. La tour, qui est presque détachée du flanc du chœur , et dont la base est ancienne, deux chaires, dont une de l'abbé dela Luzerne, avec ses deux crosses fleuries aux côtés, portant un entablement, et son accoudoir posé sur deux tètes d'aigles, deux confessionnaux au fronton ouvert, une dalle tombale dont l'écusson a été gratté, le Christ du Jubé, qui porte la date de 1037 , qu'il faut sans doute modifier en 1637, telles sont les parties qui appartiennent à la qnatrième époque, c'est à-dire au XIVeme et au XVeme siècle.

 

L'église Notre-Dame.

     

Il y a dans le cimetière deux tables de marbre posées sur quatre bases de granit: ce vide sous la table a quelque chose de pénible à voir : ces tombes n'abritent pas leurs morts. Elles portent le nom de deux Carbonnel de Canisy, l'une d'Emmanuel, écuyer de l'empereur Napoléon, l'autre de Claude, maréchal-de-camp. Celle-ci offre cette inscription : Filii et Filia optimo patri pax, honos et gloria. Le cimetière renferme encore une croix d'uu fût monolithique de plus de cinq mètres, et un de ces ifs antiques et énormes', qui survivent à ces constructions romanes dont ils furent les contemporains, également beaux pour le naturaliste et l'antiquaire :

 

« On aimait à voir le gros if qui ne végétait plus que par son écorce, les pommiers du presbytère ,

le haut gazon , les peupliers, l'ormeau des morts et les buis et les petites croix de consolation

et de grace. Au milieu des paisibles monumens, le temple villageois élevait sa tour surmontée

de l'emblème rustique de la vigilance. »

 

L'église de Notre-Dame-de-la-Luzerne était à la présentation du seigneur. En 1522, elle paya 9 liv.  En 1648, elle rendait 500 liv. En 1698, la cure valait 600 liv.; il y avait trois prêtres; la taille était de 1,097 liv., et le nombre des taillables de 200. En 1765, la Luzerne, de la sergenterie de Heraul, comptait 206 feux.

 

Un seigneur de la Luzerne, Thomas, était à la Croisade du duc Robert : ses armes étaient d'azur à un fer de moulin d'or, à cinq coquilles de gueules sur le fer du moulin. Un titre de 1347 porte le nom de Amaury de la Luzerne. Son fils Guillaume figura parmi les 119 du Mont Saint-Michel. Il portait les mêmes armes. Il eu t un fils, appelé Jean, lequel épousa Jeanne de Ver, qui fit hommage à Louis XI de sa seigneurie de la Luzerne. Son petit-fils, Gilles, épousa une dame de Percy dont il eut un fils appelé Jean. Celui-ci n'eut qu'une fille appelée Gabrielle. Nous croyons que c'est par elle que la Luzerne passa aux La Paluelle, dont les armes sont d'azur à trois molettes d'éperon d'argent avec la devise: « Milii gloria talcar. » Le fameux Bricqueville, tué dans le siége de Saint-Lo, avait épousé une dame de la Luzerne. Toutefois il n'y avait pas de nobles de ce nom en 1698, car nous lisons dans la Statistique de M. Foucault que les gentilshommes à la Luzerne étaient alors Louis et Robert Guyon. Les La Paluelle de la Luzerne ont fourni un casuiste et un jurisconsulte distingués , André de La Paluelle , curé de Clinchamp, seigneur de la Luzerne, qui publia, en 1710, à Caen, sa Résolution des Cas de Conscience, et un autre de La Paluelle, seigneur de la Luzerne, syndic du diocèse de Coutances, qui dédia un Traité des Bénéfices à l'êvéque Leoménie de Brienne. Le dernier La Paluelle de Saint-James ne laissa qu'une fille qui épousa en 1687 Gaspar de Carbonnel de Canisy. Les divers fiefs des La Paluelle passèrent à cette famille, et c'est un de ses membres qui possède aujourd'hui le château de la Luzerne , édifice moderne, auquel ses deux tours rondes donnent cependant une physionomie ancienne , et qui a succédé à deux autres châteaux. A peu de distance est la tour du télégraphe, singulier rapprochement fécond en réflexions, comme toutes les manifestations de la vie moderne mises en contraste avec celles de la vie du passé. Ces deux monumens inspirèrent une boutade de mauvaise humeur à une dame anglaise qui se plut à décrire l'histoire et la scenery de l'Avranchin: « Hearing of a château and being yet novices in the meaning attached to the term, thinking of course only of ruined castles of old re- nown, we were much disappointed to find , after mouting a steep lane, a remarkably ugly moder n house belonging to the comte de Canisy, and were little less edified by being shown a telegraph, the pride of the district. »