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La Lucerne , collection CPA LPM 1900 | |||||||||||
Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845
A l'extrémité d'une ellipse de coteaux élevés et boisés, baignés par deux rivières murmurantes, le Thar et le Tharnet, au milieu de riantes prairies, repose , dans une attitude calme et méditative, l'abbaye de la Luzerne. La grace de la nature, la beauté de l'art, la solennité de l'histoire s'unissent pour produire une impression profonde et religieuse, et évoquer des souvenirs de science, de prière et de poésie. D'un autre côté, cette nature vivante et mystérieuse a aussi son inspiration sensuelle et païenne, et l'on pense à ces peintures que faisaient , en ces lieux, des moines d'une époque éprise de la muse antique: Saxa jucundam sonuârc carmen. Omnibus ptaudit tua sylva ramis; H'omen et pulchrum Dryades puettic Cortice seribimt.
Mordis exultant juga summa, pratum Floribus ridet, geminique rivl Lympha decurrens recreat jocose Murmure vatles.
Les curieux, les touristes, les poètes, les archéologues qui viennent voir l'Avranchin visitent la Luzerne: c'est sa plus belle abbaye après le Mont Saint-Michel. Une touriste et un archéologue nous fourniront l'une le paysage, l'autre la description scientifique du monastère. Miss Costello peint ainsi ces environs:
« Througli a beautiful wood , wîth banks covered with heath-bells and yellow and purples flowers in exquisite profusion, we continued aur way; road it could not be called, for it was a mere hollow scooped apparently by the torrents winch in winter probable rush along this rocky bed. A fuie square tower still remains a beautiful object amongst the surronnding wood... A pretty lake now fills up a space in front, beside which a moder n house îs built, and the remnants of walls and arches and tombs aie scattered about amongst the grass and weeds that grow over them. We left this romantic and picturesque retreat. »
Un savant archéologue qui visita tous les monumens de la Normandie pour voir s'il était vrai qu'elle renfermait des baies en pointe du xr siècle, et qui n'y trouva de style ogival constant que pour la fin du xir, W. Gally Knight décrivit l'abbaye de la Luzerne dans laquelle il trouva un nouvel argument en faveur de son idée qui est l'opinion générale des archéologues français. Sa description servira de base à la nôtre:
« L'église est demeurée intacte. Elle porte les caractères de l'ancien style de transition. Les arcades qui bordent la nef sont obtuses; celles qui supportent la tour ont une pointe plus aiguë. Les arcades de la nef reposent sur des piliers carrés. L'édifice est surmonté d'une voûte en pierre. Les arceaux transversaux sont ronds, les arceaux diagonaux sont garnis de moulures. Les fenêtres sont circulaires. Le grand portail occidental revèt.la même forme; il est déeoré de moulures normandes et flanqué de piliers avec des chapiteaux de même style. Au-dessus du portail se trouve une fenêtre en pointe surmontée de trois retraits également en pointe, ornée de moulures dentelées. L'extrémité orientale est carrée et on y voit une grande fenêtre eu pointe; il est assez probable que cette partie de l'édifice est en entier une reconstruction. Dans la tour, les fenêtres sont longues, étroites et en lancettes. Le sommet de la tour date d'une époque moins ancienne que la base. » Telle est la sévère description du savant Gally Knight, qui retrouverait aujourd'hui la vieille abbaye, avec de nouvelles plaies faites par le temps et leshommes, et pourrait dire , avec miss Costello: « Les piliers massifs ne supportent plus les arcades qui se posaient sur eux dans ses jours de gloire, lorsque cette abbaye était l'orgueil du pays: » et avec M. Hairby: « Ces murs sacrés ont été renversés pour faire des pierres à bâtir : une maison moderne forme une union mal assortie avec ces vénérables souvenirs d'antiquité que l'on voudrait voir debout seuls dans leur gloire. »
Toutefois l'église n'est pas l'unique objet digne d'intérêt. Il y a encore des restes d'autres parties qui rappellent plus vivement encore peut-être la vie du monastère, ce petit monde au milieu du monde, où étaient représentées la religion, la science, l'art, l'agriculture, la diplomatie. Les bâtimens claustraux nous [font assister aux scènes de la vie intime du religieux. Nous retrouvons encore des vestiges du cloître, du dortoir , du réfectoire , de l'abbatiale et de ses dépendances.
A en juger par ses restes, c'était une belle chose que ce cloître roman, aux lignes pures et sévères, avec ses arcades basses ,.ses grands siéges de pierre offerts à la méditation, ses dalles sépulcrales, adossé à la nef romane, s'unissant à l'église par l'esprit comme par l'architecture. Voici ce qu'il en reste: des piliers cryptiques, une quadruple niche à statues, la naissance reployée des arceaux qui abritaieut la promenade et la rêverie , de beaux siéges de pierre, des cintres ornés de fretics crénelées, et de larges chapiteaux. Les faces s'appuyaient à l'église ou au dortoir, ou à une galerie ajourée qui conduisait au transept du midi. Dans ce cloître mystérieux, nous voyons passer les Prémontrés, silencieux et courbés, avec leurs manteaux et leurs chapeaux blancs, pleins des souvenirs du monde ou des espérances du ciel, et nous évoquons cette existence muette et mystérieuse , si étrange vue de notre monde de liberté , d'expansion et d'oubli.
Du dortoir, il reste encore un mur très-remarquable, percé de treize charmantes baies romanes, d'un, dessin simple et pur. Au-dessous sont les restes du réfectoire. Il y avait, à l'angle, un pavillon , en granit bleu , dans lequel était encastré un écusson à deux étoiles et une fleur de lis , flanqué d'une mitre et d'une crosse. C'était une construction du siècle dernier.
L'abbatiale est une maison bourgeoise de la même époque. Au-delà d'un étang, « a pretly little lake » sont les caves, la boulangerie, etc.; plus loin l'hôtellerie, maison antique , la ferme, le moulin. Bien que la nature semble belle et bonne, dans cette vallée, elle avait été puissamment maîtrisée par fe main de l'homme. L'eau du Thar, amenée par des canaux, faisait mouvoir le moulin , et remplissait des bassins et des viviers. Un religieux, procureur de cette abbaye en 1766, dit que le dernier abbé entreprit de dessécher un marais , de détourner une rivière , de pratiquer des canaux souterrains , d'aplanir une montagne. Si l'industrie moderne a détruit, elle a aussi édifié, et c'est certainement une belle œuvre que cet acqueduc de plus de trente arches qui s'élance du coteau vers la basilique.
Les ruines de la Luzerne inspirent, comme toutes les ruines belles et antiques, une foule de réflexions et de sentimens parmi lesquels domine celui de cette tristesse qui s'attache à tout ce qui a vécu. Toutefois, cette impression est calme et résignée, quand elle est produite par des ruines.qu'a faites le temps, cette fatalité de toutes les choses ; elle est douloureuse en présence des ruines faites par les hommes, parce qu'elles portent l'empreinte de la violence brutale, et ressemblent à un attentat contre une belle chose morte avant le temps. La mort, quand la vie a parcouru sa période , peut affliger , mais elle n'indigne pas. En outre le temps sait faire les ruines: il a son art, sa couleur, sa poésie : l'homme ne donne aux siennes d'autre signification que sa barbarie. Toutes ces impressions se réunissent en une profonde douleur, lorsqu'on pense que les ruines, comme celles de la Luzerne l n'auront même pas leur durée de ruines, que chaque jour on enlevera une pierre, que l'avide et insensible industrie appropriera à l'utile et au réel ce qui était fait pour le beau et ne parlait que de l'idéaL Il n'y avait qu'un moyen , peut-être, de sauver la Luzerne; c'était de créer une paroisse , une annexe dont la basilique aurait été l'église, création qu'eussent permise l'étendue de la commune et la possibilité d'y rattacher des villages voisins'. Au milieu de ces ruines est venu habiter un artiste célèbrei, un de ces hommes qui, seuls avec les antiquaires et les poètes, aiment et comprennent encore les vieux monumens qui couvrent en nombre prodigieux le sol glorieux de la France , et qui sont pour la province ses sources de science et d'art. | |||||||||||
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