FOLLIGNY
  LE REPAS UNE STATION GALLO-ROMAINE
         
 

Le Repas : une station routière gallo-romaine ?

Par Daniel Levalet

Annales de Normandie 2006

 
         
 

 

 

 

 

 

 

I - LE SITE

1.- Localisation

2. - Topographie

3. - Les découvertes archéologiques

4. - Les traces paysagères


II- LA VOIE ANTIQUE LEGEDIA-COSEDIA

1. - Le tronçon Avranches - Le Repas

2. - Le tronçon Le Repas-Coutances

3. - Hypothèses pour un jalonnement

 

III. - L'EVOLUTION DE L'HABITAT

AUTOUR DU REPAS

1. - Avant l'occupation romaine

2. - Au moyen âge

 
     
 
         
     
         
   
  FOLLIGNY
  CC 33.04 GRANVILLE TERRE ET MER
   
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Folligny Le Repas collection CPA LPM 1900

 
     
 

I - LE SITE


1.- Localisation

 

Le village du Repas est situé à mi-chemin d'Avranches et de Coutances, sur la route départementale RD 35 qui relie ces deux villes, par La Haye- Pesnel et Cérences. Il est également traversé, au sud, par la RD 924, de Villedieu à Granville (Fig. 1). Sur le plan administratif*, Le Repas est rattaché a la commune de Folligny (canton de La Haye-Pesnel), à l'est, et de Saint-Sauveur-la-Pommeraye (canton de Bréhal), à l'ouest, la limite communale suivant le tracé nord-sud de la RD 35. Il est enfin tout proche de la commune de La Meurdraquière, qui le borde, au nord.

 

*Aujourd'hui le Repas est rattaché à Folligny de la communaute de commune Granville, terre et mer

  
 
 

2. - Topographie

 

Le site occupe une sorte de petit plateau s'élevant à 126 mètres NGF au carrefour des routes D 35 et D 924 ; cette dernière voie monte insensiblement depuis le bourg de Folligny, à 1,5 km au sud, et descend tout aussi faiblement vers Le Loreur, au nord. Plusieurs ruisseaux prennent leur source dans les environs immédiats du village, se dirigeant tantôt vers le nord-ouest (le Bidel), tantôt vers le sud-ouest (le ruisseau de Laune) ; au nord, le ruisseau de la rue Denis rejoint le Doucoeur qui a creusé une vallée plus profonde limitant le terroir du village à l'est. La nappe phréatique alimente plusieurs puits à l'intérieur même du village.

 

Le Repas est situé à l'extrémité ouest de la Zone Bocaine, un important synclinal qui s'étend jusqu'à la pointe de Granville : il est constitué de roches dures, comme le poudingue, qui fournit un excellent matériau de construction, dont témoignent nombre de maisons de la région.

 

3. - Les découvertes archéologiques

 

Vers 1835, l'abbé Desroches, alors curé de Folligny, découvrit dans le champ où s'était élevée autrefois la chapelle Saint-Denis, « des pans de murailles sous terre, des tuiles à rebord très rouges, un fragment de marbre blanc... et des tombeaux où il ne restait que de la cendre ». De la céramique (sans doute sigillée d'après les observations) et des monnaies, alors identifiées comme romaines, complétaient la découverte".

 

La microtoponymie ayant gardé le souvenir de l'existence de cette chapelle, au nord-est du village , on peut en déduire qu'existait là, à cette époque, un habitat, ainsi que, peut-être, un cimetière à incinération. Dans les années 1960, des ossements provenant de quelque sépulture d'époque indéterminée auraient été découverts, lors de la construction d'un pavillon, quelques dizaines de mètres plus au sud. En revanche, il ne faut sans doute pas voir dans le toponyme « Le Temple », désignant les parcelles bordant la RD35, à l'est, le souvenir d'un édifice antique; la région a subi, au XVT siècle l'influence de la religion réformée, notamment au Loreur et à Hocquigny , et il ne serait donc pas étonnant qu'un prêche protestant ait existé en bordure d'une route toujours très fréquentée à cette époque. Le nom du Repas atteste bien de la fréquentation du lieu par les voyageurs.

 

 

 Fig. 1 : La situation centrale du Repas, dans le sud du département de la Manche.

 


 

Fig. 2 : La station du Repas d'après les cadastres anciens de Folligny et de Saint-Sauveur-la-Pommeraye. 1 : emplacement de la chapelle Saint-Denis et des découvertes archéologiques. 2a et 2b : angles du quadrilatère dessiné par les limites parcellaires (en tireté, la restitution de la forme). 3 : chemin du champ de foire. 4 : chemin de Brédalle.

 
     

 

4. - Les traces paysagères


L'observation conjointe des plans cadastraux anciens (Folligny, 1825, et Saint-Sauveur-la-Pommeraye, 1827) (Fig. 2) et de la couverture photographique de l'IGN (71-1314/1414 300 038) (Fig. 3), nous a permis de découvrir, tout autour du village, une structure très régulière, de forme quadran- gulaire, alignée sur la RD 35

 
         
 

Ce carré, presque parfait, d'un peu moins de 500 mètres de côté se détache nettement du parcellaire environnant. Sur le terrain, on peut retrouver les traces paysagères qui permettent d'en reconstituer la forme. Les deux angles, nord-ouest et sud-ouest, sont toujours visibles, sous la forme de talus perpendiculaires s'avançant « en coin » dans les champs qui les bordent.

 

Au nord-est, l'emplacement a légèrement « glissé » vers le nord, conséquence probable de la pente qui s'amorce à ce niveau ; le quatrième sommet du quadrilatère est masqué par le tracé de la RD 924, et aura sans doute disparu au XIXe siècle, lors de la construction de la route qui a également bouleversé le parcellaire dans cette partie sud du village.

 

En revanche, à l'ouest, le parcellaire est fortement influencé par cette orthogonalité, tel ce chemin perpendiculaire à la RD 35, dit chemin de Brédalle, qui partage le secteur en deux parties égales.

 

Plusieurs dizaines de mètres de talus parfaitement rectilignes permettent donc de penser que cette structure est la trace d'une fortification liée à la route, puisqu'on considère généralement que la RD 35 a succédé à la liaison antique entre Coutances et Avranches.

 

  

Fig. 3 : Le Repas : IGN (France),

Photothèque Nationale, année 1971.

 
     
 
   
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II- 1 LA VOIE ANTIQUE LEGEDIA-COSEDIA

 

Cet itinéraire qui a déjà été signalé à plusieurs reprises est cité dans la Table de Peutinger, comme partie d'une voie allant de Condate à Coriallo. Son tracé est facilement reconnaissable sur le terrain et jalonne par quelques sites et toponymes caractéristiques.

 

1. - Le tronçon Avranches - Le Repas (fig. 4B)

 
     

 

 
 

La voie quitte Avranches par une cavée en forte déclivité, au nord-est du quartier de l'Hyvernière, puis, côtoyant la rue de la Liberté, franchit la Sée par un gué situé sous l'église Saint-Etienne, toujours visible en période de basses eaux : les trouvailles monétaires faites à cet endroit indiquent suffisamment l'ancienneté du passage. D'autre part, l'ancienneté de la titulature peut suggérer la christianisation précoce d'un lieu de culte préexistant, lié au passage de la rivière.

 

La voie quitte le territoire d'Avranches, au lieu-dit La Chaussée (commune de Ponts), par un tracé sinuant autour de la RD 7, puis, plein nord, parallèlement à la route et à l'ouest de celle-ci. Son profil en long est très régulier, puisque remblais et déblais alternent sur plus de deux kilomètres. La limite communale Saint-Jean-de-Ia-Haize/Chavoy la suit sur plus d'un kilomètre : elle longe alors le Clos-Saint-André, lieu vraisemblable où se tenait, au moyen âge, la foire du même nom qui dépendait du chapitre cathedral d'Avranches.

 

Fig. 4B

 
         
 

Elle arrive alors au pied du Tertre de Neuville, rebord de l'anticlinal Vire-Carolles, où, en à peine un kilomètre, elle passe de 60 à 113 mètres d'altitude". Les constructeurs ont alors aménagé un espace assez large (environ huit mètres) bordé à l'est par une sorte de banquette surélevée (la différence de niveau peut être simplement la conséquence du surcreusement d'un côté) ; à l'endroit où la pente se fait la plus forte, la différence de niveau entre la chaussée et les champs environnants atteint plus de huit mètres. Au sommet de la côte, la voie atteint le lieu-dit les Monts, d'où la vue se dégage sur le promontoire qui porte la ville d'Avranches et sur toute la baie du Mont Saint Michel.

 

Etant donné l'importance de la rupture de pente, il est possible qu'ait existé à cet endroit une structure liée au transport des marchandises. Peu après, aux Grands Monts, un chemin se détache de la voie et rejoint La Haye-Pesnel, par Le Grippon (siège, au moyen âge, d'un château, d'une foire et d'un hôpital) : si l'on observe sa disposition par rapport aux parcelles, qu'il coupe en diagonale, on ne peut attribuer à ce diverticule qu'une datation tardive, sans doute médiévale. A partir de ià, la voie oblique vers ie nord-est et coupe la RD 7, pour éviter la basse vallée de la Braize et ses affluents, mais aussi la zone boisée de la forêt de La Lucerne et la vallée encaissée du Thar : elle est alors suivie par des limites communales sur quatre kilomètres. Son profil en long est très régulier, avec une légère montée de la cote 1 13 à la cote 1 17, qui laisse à l'est la profonde échancrure de la vallée de la Guérinette. La voie rejoint alors le tracé de la RD 573 et passe à 150 mètres de la chapelle du Châtelier (commune de Chavoy). Ce curieux édicule placé sous le vocable de Notre-Dame de Toutes les Vertus, ne date que du XIXe siècle, mais il a remplacé une chapelle plus ancienne, dont subsistent quelques vestiges. Comme il fait toujours l'objet d'un pèlerinage annuel, nous nous demandons s'il n'a pas, lui aussi, gardé le souvenir de quelque édifice cultuel plus ancien. Il est inscrit dans un parcellaire orthogonal adossé à la voie, qui pourrait être la trace d'une enceinte doublée d'un fossé devenue après abandon, et dans la mémoire populaire, une fortification, un châtelier.

 

Se confondant maintenant avec la RD 573 pendant sept kilomètres, la voie passe au Grand Chemin, puis atteint le point haut (136 m), du carrefour de la croix du Perron ; ce microtoponyme est souvent considéré comme l'indice possible de l'existence d'une borne antique ; la présence, en ce point culminant de la voie, d'une croix de carrefour ancienne, irait également en ce sens. La voie change à nouveau de direction", et se dirige, maintenant, vers le nord-ouest. Elle franchit la Braize, qui constitue un obstacle suffisamment important pour avoir nécessité le creusement de deux cavées de part et d'autre, pour éviter une pente trop forte. Malgré cela on constate que le tracé de la voie a connu, au sud, de fortes divagations latérales puisque l'emprise en est très large; au nord, au contraire, la voie se resserre entre deux parois plus abruptes.

 

Au carrefour du Porche (commune de La Mouche), la voie coupe la RD 41, qui conduit de Villedieu au Grand Port (commune de Genêts), et qui est très souvent désignée dans les documents cadastraux par le nom de « chemin montois » ; c'est probablement ce chemin que suivit le duc Guillaume, en 1064, lors de son expédition de Bretagne. Cette voie peut être suivie, loin vers le nord, jusqu'aux environs de Bayeux, et il serait intéressant de voir s'il n'y a pas là un itinéraire plus ancien. Le carrefour est matérialisé par une croix très ancienne et par un restaurant (aujourd'hui fermé) : le toponyme fait penser à un lieu d'accueil des voyageurs autour d'une grande cour, mais le contexte évoque plutôt le moyen âge (comme les toponymes, La Chevalerie et Les Chevaliers qui entourent le carrefour).

 

La voie continue ensuite à une altitude moyenne de 1 30 mètres environ, passe à La Butte, où la limite communale de La Mouche suit un chemin perpendiculaire au tracé, puis descend vers la rivière du Thar par une forte cavée située au sud-ouest du village Barré et légèrement décalée par rapport à la route actuelle, elle atteint la RD 309, puis disparaît ; elle n'est plus alors visible que sous la forme de limites de parcelles. La voie monte ensuite la colline qui porte l'agglomération de La Haye-Pesnel, en l'évitant à l'est, puis redescend aussitôt : elle s'infléchit vers le nord pour franchir un affluent du Thar, le ruisseau du Nélet, et une zone aujourd'hui marécageuse d'une centaine de mètres de largeur. À cet endroit se situe la fortification de terre connue sous le nom de Château-Ganne. Décrite par les antiquaires du XIXe siècle, elle se présente aujourd'hui sous la forme d'une levée de terre semi-circulaire s'étendant sur cent cinquante mètres environ, dont la corde est la RD 7 qui a coupé la forme initiale de l'ouvrage ; à l'est de cette route, le Nélet coule, en contrebas. Cette fortification est associée à la famille Paisnel qui a fourni l'affixe du nom de la localité. Mais, outre le fait que le terme de Ganne est souvent associé à des ouvrages jalonnant les itinéraires antiques, plusieurs autres éléments nous font douter de l'origine médiévale de ce retranchement. Tout d'abord l'étude de la disposition du parcellaire ancien montre, qu'au début du XIXe siècle, l'ouvrage se continuait au-delà du Nélet et affectait une forme fermé ; c'est la construction de la route qui a fait disparaître toute la partie est ; sans doute, à ce moment, le Néiet, qui coulait originellement beaucoup plus à l'est, a retrouvé une ligne de plus grande pente, et est venu longer la route.

 
         
 

D'autre part, le cadastre napoléonien indique clairement que l'ouvrage était quadrangulaire et non circulaire (c'est l'érosion due aux travaux de toute sorte qui a masqué sa forme, mais un angle droit est toujours parfaitement visible à l'intérieur, au nord-est). De plus, la largeur du talus avoisine les quinze mètres, dans sa partie sommitale, ce qui dépasse les dimensions généralement observées sur les enceintes de terre médiévales de cette partie de la Normandie. Enfin, la fortification s'inscrit, de part et d'autre du ruisseau dans un parcellaire orthogonal, qui s'adosse également à la voie (Fig, 5) et dans lequel on peut retrouver des modules de 150 m de côté environ. Nous sommes donc conduits à nous demander s'il ne faut pas mettre le Château- Ganne en liaison directe avec la voie, et à l'attribuer à la période antique. La vallée du Thar (dont le Nélet est un affluent) était au moyen âge, la limite des diocèses d'Avranches et de Coutances, et elle est supposée avoir repris le tracé de la frontière entre les civitates des Abrincates et des Unelles : peut-on alors y voir une fortification liée au franchissement par la voie de cette frontière ?

 

 

Fig. 5 : Le Château-Ganne.

a : l'enceinte quadrangulaire.

b : la voie antique.

 

 
         
 

Après le site du Château-Ganne, la voie se poursuit vers le nord-ouest : elle est visible sous la forme d'une légère dépression dans le champ situé en contrebas de la voie ferrée, puis sa trace n'est conservée que par des haies ou des limites de parcelles. Elle traverse le village aux Français et rejoint la RD 35, au niveau du village Duval (commune de Hocquigny). L'inflexion du tracé que l'on observe à cet endroit, se comprend mieux si l'on vient de Coutances.

 
         
 

En effet, la poursuite de la voie en ligne droite l'amènerait directement au confluent du Thar et de plusieurs petits affluents dans une zone toujours très marécageuse (lieu-dit La Planche, par exemple), ce qu'elle peut éviter par un tracé plus oriental. À partir de Hocquigny, la voie, parfaitement rectiligne, et suivie sur près de quatre kilomètres par les limites administratives, se confond avec la RD 35, jusqu'aux abords de Cérences. Après le bourg de Folligny, première agglomération traversée depuis le départ d'Avranches, notre itinéraire atteint le point culminant de 126 m au carrefour qui marque l'arrivée au village du Repas : nous sommes à environ 18 km du Gué Saint-Etienne.

 

 

Voie au niveau du carrefour de la Croix Potier, commune de Cérences.

 
         
   
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II- 2 LA VOIE ANTIQUE LEGEDIA-COSEDIA

 

Cet itinéraire qui a déjà été signalé à plusieurs reprises est cité dans la Table de Peutinger, comme partie d'une voie allant de Condate à Coriallo. Son tracé est facilement reconnaissable sur le terrain et jalonne par quelques sites et toponymes caractéristiques.

 

2. - Le tronçon Le Repas-Coutances (fig. 4A)

 
     

 

 
 

La voie file maintenant nord-nord-est, sur près de 10 km : c'est le « chemin chaussé» des chartes du moyen âge18. Quatre kilomètres plus loin, elle traverse le village du Loreur : l'église qui a donné son nom à la commune, se situe, comme celle de Folligny, en bordure de route, le long d'un chemin perpendiculaire suivi par une limite communale (RD 101).

 

La voie descend maintenant sensiblement, passant de la cote 1 16 à la cote 72 à la Croix au Potier (commune de Cérences) : au lieu-dit La Boulaye, elle suit une ligne qui lui permet d'éviter plusieurs petits cours d'eau, dont les affluents du ruisseau d'Équilbec, dans le bois de Buron, à l'est. Après être passée à proximité de l'église et du manoir isolés de l'ancienne paroisse de Bourey, elle arrive au carrefour de la Croix au Potier. Matérialisé par une croix de pierre très ancienne, dont la position avancée par rapport au fossé est remarquable, il marque aussi le point de départ d'un diverticule conduisant au bourg de Cérences dont le développement ne paraît pas antérieur au moyen âge. Quant à la voie, elle continue toute droite, prenant la forme d'un chemin bien entretenu, large de six mètres cinquante qui mène au village de la Paronne. Un peu plus bas, elle y croise un autre chemin qui suit, à distance, le cours du ruisseau de la Chaussée. Ce chemin qui, plus à l'est, franchit la Sienne au Gué Saint-Nicolas, à Cérences, semble joindre, sur une longue distance (environ 85 km), la région de Bayeux, à celle de Granville : il évite toutes les villes (notamment Coutances et Saint-Lô) et sert souvent d'assise aux limites communales : nous sommes tentés d'y voir un itinéraire préromain de long parcours joignant le Bessin à la Baie du Mont Saint- Michel.

 

Fig. 4A

 

Fig. 4A: Les jalonnements de la voie (A: section Le Repas-Coutances, B : section Avranches-Le Repas). LL : lieues comptées à partir d'Avranches (Legedia). LC : lieues comptées à partir de Coutances (Cosedia). Les chiffres romains correspondent à la métrique de 2 625 m. La zone pointillée représente la frontière entre la cité des Unelles et celle des Abrincates.

 
         
 

Après la Paronne, la voie aborde donc une zone plus difficile : la vallée marécageuse et inondable du ruisseau de la Chaussée. Aujourd'hui, c'est une levée de terre de quatre mètres de large qui permet au chemin de franchir cet obstacle : un tel dispositif devait exister à l'époque romaine. Puis la voie atteint les hauteurs des Monts de Guelle. par un léger coude tangent aux courbes de niveau, qui lui permet de passer de la cote 23 à la cote 60. À hauteur du village de l'Ecorcherie, le tracé est celui de la RD 98 : il amorce de nouveau un changement de direction, vers le nord-est, traverse le hameau du Clos, puis, en suivant un chemin creux assez étroit, descend vers le village de la Paumerie, dans la vallée de la Sienne : sur ce parcours, la voie est appelée « chemin de Guelle ».

 

Ce nom désigne plusieurs habitats dispersés sur environ 6 km22, l'éponyme étant situé, semble-t-il, à l'ouest de la voie, face au carrefour de la Violette (D 35 et D 236). Ce toponyme récurrent peut avoir désigné un centre d'habitat aujourd'hui disparu.

 
         
 

Le franchissement de cette rivière est certainement l'endroit qui a posé le plus de problèmes aux ingénieurs romains. La Sienne est large d'une quinzaine de mètres, mais en période de crue, elle peut s'étaler dans son lit majeur sur une centaine de mètres. On peut, aujourd'hui, atteindre le hameau de la Paumerie, depuis la rive droite, par une magnifique allée bordée d'arbres qui domine les champs alentour : elle est large de 6,50 m et longée par deux énormes fossés, profonds de plus de deux mètres en certains endroits. Mais elle n'est pas dans l'axe de la voie antique, et surtout elle n'existe pas sur le plan cadastral de 1827.

 

 

Chapelle Saint Laurent, Quettreville-sur-Sienne

 
         
 

En revanche, un bombement prononcé situé dans les champs, à l'est de l'allée, pourrait représenter la trace de la voie : il est bien dans l'axe et conduit à un endroit de la rivière, où le courant est plus faible et semble donc plus propice au franchissement par un gué, en période de basses eaux. Il n'est, d'autre part, pas impossible, que plusieurs gués aient pu être utilisés, selon les périodes de l'année : le site du Moulin de Guelle, à quelques dizaines de mètres plus à l'est est un autre candidat possible. Enfin, la configuration de la berge nord, beaucoup plus haute, nous conduit à envisager aussi la possibilité du franchissement par un ouvrage d'art, fût-il en bois.

 

Ce franchissement a-t-il pu générer un habitat ? Aucune découverte archéologique n'a été faite en ce sens. La mention ancienne de poteries romaines au lieu-dit L'Épinay, non loin de là, sur la rive gauche" , s'est avérée être une erreur, l'auteur ayant confondu Cérences et le Repas. En revanche, on note la présence à quelques dizaines de mètres à l'ouest de la voie, en bordure de rivière mais à l'abri des crues, d'une ancienne chapelle, placée sous le vocable de Saint-Laurent. Ce bâtiment rectangulaire de 9,80 mètres sur 7,20 mètres environ a subi de nombreuses modifications, en particulier la perte de ses deux pignons, et la construction d'une toiture à quatre pans, qui ont modifié son aspect extérieur. Mais le plan de l'édifice n'a pas dû, lui, subir de grands changements : la présence, le long du mur est, d'un contrefort intimement lié à la maçonnerie du mur, ainsi que la trace d'un second, symétrique, de l'autre côté du grand arc, semble prouver que l'édifice est un modèle à nef unique depuis les XIe-XIIe siècles. En effet, un examen attentif des maçonneries révèle plusieurs éléments très intéressants sur le plan chronologique. On remarque, tout d'abord, que l'opus spicatum a été abondamment utilisé et on note, d'autre part, la grande diversité des matériaux utilisés, surtout des éléments de réemploi : les chaînages d'angle sont en pierre calcaire à grain fin (pierre de Caen ou de Montmartin), et également en calcaire coquillier de Sainteny.

 

Ces derniers éléments sont en grande partie des fragments de sarcophages, comme ce morceau de douze centimètres d'épaisseur réutilisé dans le piédroit nord du grand arc oriental. Ce dernier large de 2,23 m et haut de 3,30 m environ est d'une conception particulièrement soignée : le maître d'œuvre a, en effet, alterné les claveaux en calcaire à grains fin et en calcaire coquillier, créant un appareil bicolore qui rappelle l'utilisation faite, en d'autres endroits, de la brique. Enfin on note la présence, dans les maçonneries de nombreuses pierres rubéfiées et au moins d'un fragment de tuile. Ainsi, ce bâtiment dont l'aspect est très archaïque, a manifestement succédé à un autre plus ancien.

 

 
 

La situation isolée, le vocable précoce, la possibilité d'un cimetière à sarcophages dans les environs, plaident en faveur d'une tradition de lieu de culte en rapport avec le passage du gué" . Une prospection archéologique plus fine serait évidemment nécessaire" , mais à une dizaine de kilomètres du Repas, et à peu près autant de Coutances, et en un site difficile pour les véhicules, l'existence, en ce lieu, d'un habitat couplé à un sanctuaire serait donc très logique.

 

La situation particulière du hameau de la Paumerie dont les bâtiments sont resserrés en bordure de voie et à la limite de la zone inondable en serait un autre indice. Quoiqu'il en soit l'importance stratégique de ce gué a perduré suffisamment longtemps, pour que chaque paroisse voisine veuille s'en assurer le contrôle : ainsi les limites de Cérences, Quettreville- sur-Sienne, Trelly et le Mesnil-Aubert se rejoignent à l'emplacement du gué (Fig. 6)

 

Après la Sienne, la voie retrouve le tracé de la RD 35, longe le manoir et l'église de l'ancienne paroisse de Saint-Louet, situés à 450 m au bout d'un chemin perpendiculaire à la route. Dans la maçonnerie de l'ancienne église, nous avons également retrouvé de très gros (et indubitables) fragments de sarcophages en calcaire de Sainteny 

 

Fig. 6 : Le gué sur la Sienne.

 
         
 

Ces éléments sont-ils liés à la proximité de la chapelle Saint-Laurent de Quettreville ? En tous cas, nous avons sans doute là, la trace de la christianisation précoce d'un ancien domaine rural gallo-romain. Peu après, la voie infléchit de nouveau sa direction, cette fois-ci vers le nord. À partir du carrefour de la France, le tracé est repris jusqu'aux abords de Coutances, par la RD 235.


La voie joue alors les « montagnes russes », puisqu'elle devra franchir successivement trois vallées correspondant à des affluents de rive gauche de la Sienne (la Vanne et les ruisseaux de Beaudebec et de Malfiance) ; la toponymie en porte trace, telle la Butte, sur la commune de Saussey. Pour atténuer la pente, les ingénieurs ont parfaitement aménagé le relief, creusant plusieurs cavées, notamment aux abords des Ponts de Monceaux (communes de Quettreville-sur-Sienne et de Saussey), et surtout à la Butte, où la voie, qui n'a plus que 5,50 m de large, est littéralement taillée dans la roche, dominée à l'ouest par une paroi verticale de 5 m de hauteur, à certains endroits" . Là où le relief le permet, la voie s'étale : 9,50 m de largeur au Bourg Neuf (commune de Contrières), 12 m après la Planche Bourdon, sur le ruisseau de Beaudebec, 12 m également en montant vers Bretteville (commune de Saussey), où des monnaies romaines ont été découvertes en 1828" . A la Pagetterie (commune de Saussey), la route actuelle se détache légèrement de la voie toujours visible, à l'est, sous forme de limites parcellaires.

 

Enfin, au sud de Coutances, la voie qui forme limite communale entre Saussey et Orval maintient toujours une largeur de dix mètres. Peu avant de rejoindre la RD 2, elle plonge vers la Soulles, entre le Grand et le Petit Clivonnet (commune de Saint-Pierre-de-Coutances), en étant interrompue par la ligne de chemin de fer Lison-Lamballe. Tout au long de ce second tronçon, la voie ne traverse aucun lieu habité depuis le bourg du Loreur : bien au contraire, tous les villages sont situés à quelque distance de la voie, au bout d'un chemin qui s'y raccorde de façon plus ou moins orthogonale. En plus des anciens villages de Bourey et de Saint-Louet, déjà mentionnés, il s'agit, du sud au nord, de Trelly (à 1 100 m de la voie), Contrières (875 m) et Saussey (600 m). Plusieurs de ces toponymes évoquent donc sans doute d'autres domaines ruraux qui auraient pu se développer de chaque côté de la voie, la distance entre le site de l'église actuelle et la voie étant compatible avec ce que l'on sait de l'importance des propriétés de cette époque

 
     
 
 
         
   
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Le Loreur Eglise CPA collection LPM 1960

 
     
 

II-  3 LA VOIE ANTIQUE LEGEDIA-COSEDIA

 

Cet itinéraire qui a déjà été signalé à plusieurs reprises est cité dans la Table de Peutinger, comme partie d'une voie allant de Condate à Coriallo. Son tracé est facilement reconnaissable sur le terrain et jalonne par quelques sites et toponymes caractéristiques.

 

3. - Hypothèses pour un jalonnement

 

Le tracé de la voie antique a donc été reconnu sur la totalité de son parcours, ce qui représente environ 42 kilomètres. Il obéit aux critères généralement reconnus : répulsion pour les zones humides (vallée du Thar), recherche des têtes de vallée (la Braize), évitement des obstacles (vallée de la Gué- rinette) et atténuation des pentes quand cela est nécessaire ( la Butte).

 

La rectitude de certains tronçons, les aménagements du relief et la largeur importante de la voie, conservée en certains points, permettent de penser que nous sommes en présence d'une via publica. D'autre part, les observations de terrain (en particulier les inflexions du tracé) nous permettent d'affirmer, que le tracé a été pensé et conçu, en venant du nord, donc de Cosedia vers Legedia. Est-il possible, maintenant, de retrouver sur le terrain, des indices qui permettraient de retrouver l'emplacement des bornes ? On sait ce genre d'exercice très périlleux, quand aucune de ces bornes n'a été retrouvée en place.

 

La Table de Peutinger indiquant le chiffre de XIX comme distance entre les deux villes, on en a logiquement déduit qu'elle ne pouvait avoir été mesurée qu'en lieues (environ 42,2 km), puisqu'en milles (environ 28,1 km), la distance serait plus courte que celle existant à vol d'oiseau. D'autre part, la Table décrivant l'itinéraire de Legedia vers Cosedia, il est logique de penser que les distances ont été calculées à partir d'Avranches : reste le problème du point origine. Nous pensons l'avoir trouvé au gué Saint-Etienne, sur la Sée (commune de Ponts). Outre le fait qu'il existe là une église ancienne, on peut noter que le gué a suscité un phénomène de « patte d'oie », puisque s'en détache aussi une autre voie se dirigeant vers le nord-est, mais se dédoublant peu après, une partie vers Lisieux, l'autre vers Vieux . Le passage du gué pourrait donc avoir été utilisé comme « caput viae » pour ces trois voies Ceci posé, peut-on trouver le long de la voie quelques points remarquables qui pourraient suggérer l'existence de bornes ? Au départ de Saint-Etienne, trois limites communales viennent buter sur la voie, respectivement à la première lieue (limite Saint-Jean-de-la-Haize/Ponts), à la deuxième (limite Saint-Jean-de-la-Haize/Subligny) et à la troisième (limite Saint-Jcan/Lc Luot). La sixième lieue serait à proximité immédiate du Château-Ganne, et la septième sur le territoire de la commune d'Hocquigny, là où la voie amorce un changement de direction et où deux limites communales viennent se raccorder à la voie, à 200 mètres de distance l'une de l'autre. Enfin Le Repas se situerait à la huitième lieue. Mais au-delà aucune coïncidence ne peut être retrouvée sauf à décaler nos mesures.

 

C'est alors que si l'on prend comme point de départ la limite communale au lieu-dit le Prieuré (commune de Folligny), on retrouve un nouveau jalonnement (toujours en lieues).

 

Après une lieue, on trouve la limite sud de la commune du Loreur, et à deux lieues, le site même de l'église du Loreur; à cinq lieues au lieu-dit le Clos aux Moines, prés du chemin qui donne accès au manoir de Quelle, la voie amorce à nouveau un changement de direction , et le gué sur la Sienne serait environ à six lieues. Dans la dernière partie du tracé, deux autres em- placements peuvent être déterminés : au carrefour de la France, la RD 35 oblique vers Quettreville, mais plusieurs chemins ou limites parcellaires viennent s'y rejoindre, dont l'une suivie par une limite communale (septième lieue) ; enfin, la voie pénètre dans le territoire urbain antique de Coutances, au carrefour entre la RD 235 et la RD 437 (limite communale de Saint- Pierre-de-Coutances)'4, à dix lieues du Prieuré.

 
         
 

Tout se passe donc comme si l'on avait deux jalonnements différents, l'un, venant du sud, et l'autre du nord, et se rencontrant au niveau de la frontière entre les deux civitates35. Ce schéma renforce notre hypothèse de l'origine antique de la fortification du Château Ganne. Mais il est également possible d'identifier un autre jalonnement, avec une métrique différente, qui prend appui, au nord et au sud, sur les limites communales d'Avranches et de Coutances. Ces deux villes ont pour particularité de « projeter » leur territoire de l'autre côté du fleuve qui coule à leur pied : ces têtes de pont, qui avaient évidemment pour but, à une certaine époque, de surveiller et de contrôler le passage des gués, sont de faible superficie, et ne s'étendent que sur quelques centaines de mètres le long de la voie, sur la rive droite de la Sée, d'une part, et sur la rive gauche de la Soulles, d'autre part. Or, on peut imaginer que leurs limites se sont fixées sur quelque élément remarquable de la voie, comme une borne, par exemple. En partant de ce constat, nous avons cherché si certains points remarquables pouvaient se retrouver sur le tracé à intervalles réguliers : et, c'est alors qu'à équidistance de 2 625 mètres, apparaissent, le carrefour de la chapelle du Châtelier (commune de Saint-Jean-de- la-Haize), le Château Ganne, ou le hameau de la Paumerie, peu avant le gué sur la Sienne. Mais surtout, cette métrique explique la position particulière des villages que nous avons évoqués plus haut : c'est le cas de Saussey, de Contrières, et, peut-être (mais dans une moindre mesure) de Trelly, mais surtout de Folligny, du Loreur, et de Bourey, qui sont bien séparés par cette même distance (Fig. 7). Certes, ce n'est pas une valeur communément admise de la lieue, mais G. Chevallier n'excluant pas qu'il y ait pu y avoir des variantes locales, il serait intéressant de voir si cette métrique inédite se retrouve dans d'autres régions.

 

 

Fig. 7 : La métrique de 2 625 m et l'emplacement des villages autour du Repas.


 
         
 

Il est à noter que, dans un cas comme dans l'autre, les sites qui semblaient si caractéristiques de la présence d'une borne (La Croix du Perron et la Croix au Potier) se révèlent négatifs !

 

Nos observations nous conduisent donc à postuler l'existence de deux jalonnement différents correspondant, peut-être, à deux périodes d'utilisation de la voie.

 
         
   
  FOLLIGNY
  CC 33.04 GRANVILLE TERRE ET MER
   
  LE REPAS UNE STATION GALLO-ROMAINE  -5/6
         
 

Cérences eglise CPA collection LPM 1900

 
     
 

III. 1- L'EVOLUTION DE L'HABITAT AUTOUR DU REPAS

 

1. Avant l'occupation romaine

 

L'archéologie ne nous renseigne guère sur l'occupation du sol à cette époque ; la toponymie n'est pas d'un plus grand secours, puisque François de Beaurepaire n'identifie que trois noms de lieux d'origine prélatine, au nord-est, le long de la Sienne (Cérences, Ver et Gavray) . Si i'cnvironnement paraît très forestier au début du moyen âge (cf. infra), rien ne prouve que cela était déjà le cas aux époques précédentes^.

 

Une autre méthode est l'archéologie du paysage : l'observation fine de l'environnement bocager permet de repérer des traces paysagères, en discordance avec le réseau viaire actuel. Ainsi, parallèlement, à la voie antique, on peut repérer un autre tracé, beaucoup plus sinueux, à l'est de la RD 35. On peut le suivre d'Hocquigny, jusqu'aux abords de Cérences ; preuve de son ancienneté, il est suivi en plusieurs endroits par les limites communales, notamment entre La Meurdraquière et Le Loreur. Sur le plan cadastral de Folligny, il est nommé « rue des vallées » : c'est un chemin de cinq à sept mètres de large, très bien entretenu, que certains habitants appellent toujours « la route royale ». Comme la voie antique a tenu son rôle jusqu'à aujourd'hui, on pourrait voir dans ce chemin d'une certaine importance, un itinéraire pré-romain délaissé au profit d'un tracé plus recti ligne ? Ou bien alors ne s'agit-il que d'une voie locale d'époque romaine, desservant les habitats et doublant la voie principale40.

 

À l'époque romaine, on construit, sans doute très tôt, la liaison directe entre Legedia et Cosedia. Même si la distance entre les deux villes est relativement courte, on peut néanmoins imaginer que le besoin s'est fait sentir d'un établissement offrant à mi-distance une halte pour les voyageurs. Le site du Repas, à 1 8 km du gué Saint-Étienne et à 22 km environ de Coutan- ces, peut donc représenter cette station routière ayant eu le rôle d'une mutatio. Nous avons peu d'exemples de ce type de structure en Basse-Normandie : la fouille la plus récente concerne la station de Manneville-la-Pipard (Calvados), où les archéologues n'ont découvert que des bâtiments utilitaires le long de la voie, sans trace d'élément défensif.

 

Or, ce qui frappe au Repas, c'est cette forme orthogonale, qui peut faire penser à une fortification ayant entouré les installations routières. Nous avons pu identifier, récemment, un type d'installations assez semblable, au sud de l'Avranchin, sur le prolongement de la même voie vers Rennes. Mais, c'est en Angleterre, que deux exemples de sites très comparables au Repas ont été observés. À Iping (Sussex), la route Silchester-Colchester coupe en deux une station dont une partie est entourée par une limite bien visible sur les photos aériennes.

 

Encore plus nette, est la comparaison avec le site de Man du es s edit m (Mancetter, Warwickshire), station fortifiée sur la voie romaine dite Watling Street : là aussi, une forme parfaitement quadrangulaire entoure le site. En Angleterre, les archéologues datent plutôt ce type de site de la période de la conquête romaine : cela supposerait alors une contemporanéité avec la construction de la voie.

 

En l'absence d'élément chronologique il est difficile d'aller plus loin. Si station il y eut sur le site du Repas, ne fut-ce qu'une simple halte, ou bien sa situation centrale a-t-eiie pu amener le développement d'une activité plus commerciale ? Il existe, à 500 mètres à l'est du Repas, un immense terrain qui a servi de champ de foire pendant des centaines d'années . Mentionnées dès le XIIIe siècle, ces foires sont appelées « foires de Folligny ». Le Repas ayant sans doute disparu très tôt en tant qu'entité administrative organisée, c'est la paroisse voisine de Folligny qui a récupéré l'activité commerciale. Mais le site est tout proche du Repas, et les foires lui sont liées de toute évidence : on peut encore suivre, dans le paysage, la trace du chemin qui menait directement du village au champ de foire. On peut donc penser que l'origine de cette activité d'échanges est très ancienne et il est alors tentant d'imaginer, qu'à l'époque romaine, le site du Repas ait été une agglomération secondaire organisée avec temple et entrepôts.

 
         
 

La voie peut-elle avoir généré d'autres habitats ? L'étude du paysage permet de retrouver certaines grandes lignes organisant un parcellaire géométrique s'appuyant sur la voie, en particulier à l'ouest et à l'est de Folligny (Fig. 8).

 

C'est peut-être le cas également de deux axes, suivis aujourd'hui en partie par des routes, mais légèrement décalés par rapport à la direction de la voie, qui se croisent à l'est de Folligny, à la Croix Châtel : la RD 207 nord- sud, à trois kilomètres environ, et la RD 369, qui vient buter sur la voie antique au lieu-dit le Montier et qui est appelée « ancienne route de Villedieu à Granville » sur le plan de 1 825.

 

Fig. 8 : Traces possibles

de cadastration autour du Repas.

 
         
 

Enfin, à l'est du champ de foire, isolés dans la campagne, le Logis d'Équilly et l'église Sainte-Anne s'inscrivent dans une structure rectangulaire parallèle au tracé antique. Prenant appui, à l'ouest sur la vallée du Dou- coeur, elle est limitée, à l'est, par un imposant talus de deux à trois mètres de hauteur, longé par un chemin de près d'un kilomètre ; cette limite orientale se situant à 2 200 m environ de la voie (Fig. 8). Dans son état actuel, le château ne paraît pas remonter au-delà des XV!c-XV!!e siècles, mais outre deux curieuses statues anthropomorphes de granite, incluses dans le mur d'enceinte méridional, la mention de découvertes archéologiques faites il y a quelques années et ayant amené la mise au jour de poteries et d'un sarcophage nous laissent à penser que l'occupation humaine d'Équilly est beaucoup plus ancienne. Quoi qu'il en soit le toponyme est d'origine gallo-romaine, et on pourrait voir dans ce parcellaire organisé la trace d'un domaine rural contemporain de la voie.

 

Quant aux autres toponymes qui lui sont associés (Folligny, Hocquigny, Bourey), ils paraissent dériver d'anthroponymes germaniques et désigner des domaines de création tardive. En revanche la voie est toujours active au moment de la christianisation : la création des églises de Folligny et du Loreur, en bordure immédiate, l'atteste, ainsi que les dédicaces à saint Martin des églises de La Meurdraquière et de Contrières.

 

La mention d'un chemin de Brédalle partant du Repas vers l'ouest peut également faire penser que la colonisation Scandinave, attestée dans la région de Granville, ait atteint le secteur : le lieu-dit Brédalle sur la commune de Saint-Sauveur-la-Pommerayc (devenu la Berdalle, sur les cartes IGN), n'est qu'à trois kilomètres des deux toponymes caractéristiques de Filbecq et de Blacquemar, en Saint-Planchers.

 

L'habitat du Repas a-t-il pu être à l'origine de la création d'une paroisse ? Les historiens du XIXe siècle l'ont affirmé, mais sans convaincre. La dédicace à saint Denis de la chapelle est un bien maigre indice, puisque l'on considère généralement ce vocable comme tardif. Situé de part et d'autre de la via publica, Le Repas faisait-il partie du domaine de l'ancienne abbaye de Saint-Pair, que le duc Richard II donne au Mont Saint-Michel,, vers; 1077- 1026,49 alors que la limite orientale de ce domaine est le tracé de cette même voie ? Ou bien n'est-il plus déjà qu'une simple halte pour les voyageurs ? Toutes ces questions ne font que souligner l'importance qu'aurait une intervention archéologique dans tout ce secteur.

 
 

 

 
 

Hocquigny église CPA collection LPM 1900

 
         
   
  FOLLIGNY
  CC 33.04 GRANVILLE TERRE ET MER
   
  LE REPAS UNE STATION GALLO-ROMAINE  -6/6
         
 

Folligny église dessin de Ducourtioux

 
         
 

III. 2- L'EVOLUTION DE L'HABITAT AUTOUR DU REPAS

 

2. - Au moyen âge

 

Au tournant du second millénaire, la région est essentiellement forestière : les toponymes évoquent tous des défrichements intenses à partir des XIIC-XIIIC siècles (Fig. 9). À l'est, entre la Sienne et l'Airou, c'est le « plateau des mesnils » : du Mesnil-Rogues à Sourdeval-les-Bois, l'habitat est extrêmement diffus, avec de nombreux hameaux suffixes en -ière ou -erie, caractéristiques de cette période. À l'ouest, du Mesnil-Drey à Hudimesnil on retrouve également un environnement marqué par les défrichements et les créations de paroisses tardives, telles La Beslière, ou celles nommées du saint titulaire de l'église (Saint-Ursin, Saint-Jean-des-Champs, Saint-Aubin- des-Préaux, etc.). Les pèlerinages au Mont-Saint-Michel, sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle redonnent un regain d'activité au Repas : un hôpital pour les pèlerins (Saint-Jacques) est même créé, à la fin du XIIe siècle50. Mais ce n'est manifestement pas suffisant pour assurer la viabilité administrative du village, et l'hôpital est bientôt réuni à celui, voisin, de La Haye-Pesnel.

 

Le grand mouvement de défrichement marque la fixation définitive des limites paroissiales : la création de la paroisse Saint-Sauveur-de-la-Pomme- raye coupe le village du Repas en deux, la limite s'alignant naturellement sur la voie antique. Puis La Beslière, Le Mesnil-Drey, La Meurdraquièrc deviennent autonomes : le territoire de Folligny, qui devait être originellement beaucoup plus vaste est considérablement réduit5' : mais en récupérant les foires, Folligny devient l'héritier de la vocation commerciale sans doute séculaire du Repas".

 
         
 

 

Fig. 9 : Les environs du Repas à l'époque médiévale. 1 : Toponymes en -acum.

2 : Toponymes en -ville. 3 : Toponymes évoquant les défrichements médiévaux.

4 : Emplacements des foires médiévales. 5 : Voies supposées d'époque médiévale.

 
         
 

C'est sans doute à cause de l'importance de ces foires, que celui qui les contrôle, fait construire son château à proximité. Au sud-est du champ de foire, au lieu-dit le Viverot, nous avons retrouvé le site d'une fortification de terre médiévale (Fig. 10) : signalée par E. Le Héricher dès 1840" , elle avait échappé à l'attention des historiens depuis. Entourée par deux ruisseaux qui se jettent dans le Doucoeur, elle se présente sous la forme d'une enceinte ovalaire de cinquante mètres de diamètre environ ; seule la moitié nord de l'ouvrage est bien conservée, la construction d'un pavillon ayant fait disparaître la partie sud dans les années 197055.

 

Qui étaient les seigneurs qui contrôlaient ce secteur ? Les chartes nous parlent abondamment de cette famille Murdrac (ou Meurdrac) toute puissante aux XIIe-XIir siècles. C'est Henri Murdrac, alors seigneur de Folligny, qui fonde l'hôpital Saint-Jacques du Repas56 ; c'est cette même famille qui donne son nom à la paroisse voisine de La Meurdraquière57. 11 est donc vraisemblable de voir dans l'enceinte du Viverot le siège de la seigneurie des Murdrac. Plus tard, sans doute au XVIe siècle, ils se feront construire le Manoir tout près de là ; ils contrôlaient sans doute également le moulin, situé un peu plus au nord, sur le Doucoeur.

 

Tout autour du Repas, on peut enfin découvrir un certain nombre de chemins dont l'orientation diffère totalement de l'organisation antique : ils pourraient être mis en relation avec le trafic généré par les foires (Fig. 9).

 
         
 

Ainsi, un chemin constitué de deux branches parallèles part du Repas pour se diriger vers le sud-ouest : visible sur 7 à 8 km, il se dirige vers la région de Saint-Pair-sur-Mer. Sur le cadastre de Saint-Sauveur-la-Pommeraye, il est appelé « chemin Rieux ». Or une charte de 1263 nous parle d'un « cheminum qui vocatur Rool, qui ducit de Spina as Frogiers apud repastum », plus loin, sur la commune de La Beslière ; une seconde charte de 1246 évoque « que- minum qui ducit do Repast ad mare » . Nous avons bien là la trace d'itinéraires médiévaux certainement liés aux activités marchandes. Un second chemin venant de Gavray, passant par le Pavé d'Airou, rejoint le carrefour du Repas par un curieux tracé « en sifflet » : il se retrouve alors dans le prolongement du précédent et pourrait lui être contemporain. D'autres chemins ne font, eux, que desservir la campagne environnante

 

 

Fig. 10 : Le site du Viverot. a : l'enceinte,

b : le champ de foire, c : l'étang.

 
     
 

Les foires perdureront jusqu'à la fin du XXe siècle : elles ont alors lieu le jour de la Saint-Barnabe, et dans les années 20, elles rassemblent encore « 600 chevaux et 3 000 bovins » . Elles ont aujourd'hui pratiquement disparu, mais, tous les ans, au mois de juin, des maraîchers de la côte ouest du Cotentin viennent encore vendre des légumes sur le site, perpétuation d'une tradition certainement millénaire.

 

La tradition d'accueil des voyageurs persiste également aujourd'hui, puisqu'à une date relativement récente, trois restaurants étaient toujours ouverts dans le village. Mais l'axe Granville-Villedieu a pris le relais de la voie antique quant à l'intensité du trafic, retrouvant par là même des liens très anciens entre le Repas et la mer.

 

Après avoir identifié précédemment  Plan cadastral de Folligny, 1 825, section A dite de la Croix Rosselin.) une station routière au sud d'Avranches, nous venons de montrer, qu'un second relais pouvait exister, au nord de la cité, le long de la voie de Coutances. Nous espérons attirer ainsi l'attention sur un type de sites fréquent de l'autre côté de la Manche, qu'une observation fine du terrain devrait permettre de retrouver également en Normandie, même si l'Histoire n'en a pas gardé le nom.

 

Daniel LEVALET