SAINT-JEAN-DU-CORAIL
  CC 32.12 DU VAL DE SEE
   
  HISTOIRE
         
 
 
     
 

Avranchin monumental et historique

Par Édouard Le Héricher 1865

 

L'Iianam Sti Johannis de dora/lin.

(Nomenclature de 1735.)

 

Cette petite commune est de forme très-irrégulière: c'est en général un pentagone dont deux côtés sont tracés par la rivière du Pas-David; une ligne idéale la limite à l'est; les Monts-Jouy, point culminant du pays, la limitent au nord. Le sol est encore assez boisé pour expliquer le dernier affixe de son nom patronal, Saint-Jean-du-Corail-dcs-Bois, qui le distingue de Saint-Jenn-du-Corail, commune de l'arrondissement de Mortain. Ce nom de Corail vient, à ce qu'on croit, du granit rouge qui se trouve dans le sol de ces. deux communes. Cette petite paroisse, supprimée depuis le commencement de ce siècle et réunie à Saint-Nicolas-des-Bois, vient d'être rétablie. L'église offre une particularité très-remarquable, ce sont des transepts en coin ou triangulaires. Nous n'en connaissons pas d'autre exemple. La construction est à peu près toute de la même époque et ne doit pas remonter bien audelà du XVIIe siècle. Ce qu'elle a de plus ancien , ce sont les pierres angulaires et les ourlets des pignons. Le pignon occidental est surmonté d'un clocheton carré en bois; quelques fenêtres, dont le linteau supérieur est légèrement arqué, appartiennent au xvnl* siècle. Au flanc septentrional est un petit cintre à chambranle ronde. Il y a dans cette église quelques anciennes sculptures qui rappellent une église antérieure: dans une niche élevée à l'extérieur, au levant, se voit un saint de style Moyen-Age ; dans une niche d'un autel latéral est une crucifixion en pierre mutilée, une sainte Barbe sans tour, une -picta qui va disparaître comme indécente. Les peintures dignes de quelque intérêt sont des arabesques rocailles en bleu aux portes qui flanquent le maître-autel et deux devants d'autel en végétation fantastique du xvin° siècle. Il y a des pierres tombales de 1638 et de 1639. La croix du cimetière est carrée et lourde : à l'entrée est le dé et le premier fût d'une autre croix dont le croisillon gît dans des débris. La grange-dîme, qui était située entre l'église et le presbytère, n'existe plus.

 

En 1648, d'après le Pouillé du Diocèse de cette époque, l'église de Saint-Jean-du-Corail, qui avait pour patron le seigneur du lieu , rendait 300 liv.

 

En 1698 la cure valait 300 liv. : la paroisse payait 221 liv. 13 s. 6 d. de taille et renfermait 34 taillables. Les nobles étaient G. et F. Daniel, et J. Le Breton.

 
     
 

Saint-Jean-du-Corail, église Saint-Jean-Baptiste: Xfigpower — Travail personnel

 
     
 

L'église était à la présentation du seigneur.

 

Le logis de Saint-Jean-du-Corail n'a rien de remarquable que son large escalier. Il possède une chapelle où il y a encore une vierge : il a été long-temps dans la famille du Buat.

 

En 1764, cette paroisse , qui faisait partie dela sergenterie du Val-de-Sée, renfermait 20 feux.

 
         
 

Une hauteur de cette commune, d'où l'on jouit d'un horizon immense, s'appelle le Mont-Jouy, et de son sommet l'on voit une montagne qui porte le même nom à une dizaine de lieues de là , le Mont-Joie, près Saint-James , et un autre Mont-Joie de l'arrondissement de Mortain : trois marchepieds du maître de l'Olympe. Au pied d'un de ses versans est un endroit appelé les Deux-Croix : une des croix est de bois, l'autre est de pierre carrée, renflée vers la base avec la légende suivante sur le dé: Dtus, miserere met. On sait que les hauteurs étaient consacrées à Jupiter, et que les Monts Jou, Jouy, Joie sont très-communs. Deric et Sainte-Fois ont prétendu que le Mont Saint-Michel avait porté ce nom de Mont-Jou, Mons Jovis; mais nous n'avons vu cette idée dans aucune des archives du monastère : le Cartulaire, qui en renferme l'histoire la plus authentique, n'en parle pas.

 

Quoiqu'il en soit, c'est une chose remarquable que l'Avranchin renferme tant de Monts-Joie, quatre dans une distance de dix lieues, Mont-Joie dans l'arrondissement de Mortain, MontJouy en Saint-Jean-du-Corail, Mont-Joie à Noirpalu, Mont-Joie près de Saint-James.

 
 
         
 

Tout ce quartier était une forêt, que Stapleton désigne sous le nom de foresta de l'Avranchin2: les localités limitrophes en ont conservé le souvenir dans leurs noms, SaintNicolas-des-Bois, Saint-Jean-du-Corail-des-Bois, la ChaiseBaudouin et la Trinité dont le nom est dans les chartes , Sancta Trinitas de Bosco Baldoini3. En Saint-Nicolas est encore le bois de ce nom et le Bois-de-César : Saint-Martin-desBois et Saint-Aubin-des-Bois appartiennent encore à cette contrée forestière. Généralement élevée, comme étant le faîte de séparation des bassins de la Sienne et de la Sée, elle a dû être un des principaux sanctuaires du druidisme et un des principaux points d'observation et de campement des Romains: la Pilière en la Trinité, le Bois-de-César en Saint-Nicolas peuvent être cités comme le souvenir ou symbole de ces deux époques.

 

Le nom, le site de cette commune, et ces détails conduisent naturellement à la terminologie forestière de l'Avranchin , c'està-dire aux noms qui se rattachent à l'idée de bois.

 

Les Brousses, les Broussettes, d'où est resté Broussailles, sont très-communes dans l'arrondissement d'Avranches: on trouve la Broussettière dans le Petit-Celland. En Braffais se trouvent les Essarts, broussailles, d'où le verbe Essarter'. Le Bosc, le nom latin de bois, Boscus, dont est resté bosquet et bocage, subsiste dans la rivière du Bosc à Granville. La Haie, la Haize, l'ancienne Haia2, est très-commun dans l'arrondissement et se retrouve dans toute la Normandie et le nord de l'Europe. La Hayère en Brecey, et peut-être la Huilerie et la Hallière, d'où viendrait Hallier, se rattachent probablement à la même racine. Les Plessis, bois fermé, en latin Plessia, sont très-communs3. Le Plant, Plantis ou Défoul, est le nom qu'on donne dans l'Avranchin à l'enclos planté qui entoure la maison 4. Le Taillis, le Taillais, qui se trouve à Yquelon, est un nom très-commun et il est resté dans la langue générale. Le Bailliveau , le Baillivel en SaintPlanchers, la Garenne en Hocquigny sont aussi restés. Le Breuil, bois taillis a disparu': il est resté dans les noms propres, dans son dérivé brouiller: il est sous la forme de Breil.cn la Mouche. Les Verdières rappellent les vertes forêts2. Les Touches sont peut-être plus usitésdans l'A vranchin qu'ailleurs, surtout dans le canton de Saint-James. Autour de la Touche- Villeberge , se trouvent la Touche-Picot, LandeTouche 3, la Touche-de-Jouet, la Touche-Gâté. — De ce nom qui signifie bois derrière une habitation, sont dérivés les Latouche, les Destouche, du Touchet, etc.

 

Ces études de terminologie topographique nous semblent avoir beaucoup de charmes, parce qu'il y a une union intime entre le génie philologique et le génie poétique5, et une grande utilité, parce qu'elles doivent redonner à la langue générale tous les élémens quelle a perdus. A un point de vue plus élevé, la philologie, c'est-à-dire la recherche des apports de plusieurs langues dans une langue, est un des plus puissans agens de la fusion des peuples : la langue est le lien le plus fort de la fraternité. L'archéologie, en montrant le mélange des langues dans le passé, prépare leur fusion dans l'avenir.