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Le bourg de Chalandrey dans les années 50 d’après Gérard Doublet
En 1950, Chalandrey compte 434 habitants. Dans son bourg animé résonne le bruit des marteaux sur l’enclume, des sabots des chevaux et des cris des charretiers (peu de gens ont une automobile), des rires des écoliers en récréation, de la scierie qui débite des tas de planches, du tintement des cloches de l’église (sonnées à la main trois fois par jour, par la famille Rault) qui rappelle aux habitants éloignés dans les champs qu’il est « l’heure de la soupe » ou, parfois, qu’une âme a quitté ce monde, des « sonnettes » des cyclistes car on se déplace surtout à vélo. L’artisanat, le commerce, l’agriculture font vivre les habitants. Il y a des commis de ferme loués à l’année, des journaliers, des cantonniers, des facteurs et des couturières.
Il y a trois cafés, quatre épiciers, un boulanger, deux charrons, un boucher, un mécanicien-électricien, un marchand de tissus, un maréchal-ferrant, un charpentier-scieur, un sabotier (qui coupe aussi les cheveux le samedi soir).
Le café est toujours associé à un autre commerce. Au centre du bourg, celui de Mme Béchet, qui avec sa fille Blanche, tient aussi épicerie ; toutes les deux, très bonnes couturières également, confectionnent pour les dames de belles toilettes pour les cérémonies. On y vient chercher le journal « Ouest-France » et « la Gazette ». Chaque matin, le chien de Victor Dallain se présente et rapporte le journal entre ses dents à son maître !
Henri Levallois est le boulanger et tient aussi un café. Toujours en « maillot de corps », il fait jusqu’à six fournées de pain chaque jour, des pains allant jusqu’à douze livres, que les gamins ont des difficultés à ramener à la maison. Avec son épouse, ils livrent le pain jusqu’aux confins de la commune.
Le troisième café est celui de Mme Bailleul qui est aussi épicière.
Dans ces cafés, mangent le midi, les enfants Gazengel, Waffelman et Fardin dont les maisons sont trop éloignées de l’école.
Le dimanche après la messe, la presque totalité des hommes ayant assisté à l’office se retrouve au café pour discuter. Et l’on se doit d’entrer dans les trois cafés !
Auguste Aubert et son fils Roger sont charrons. De leur atelier sortent charrettes, tombereaux, vachères que Mme Aubert peint toujours en bleu. Il faut les voir cercler les roues de bois au bord du lavoir communal ! Un spectacle que ne manquent jamais petits et grands. Ils recerclent aussi les tonneaux car dans chaque maison, on boit du cidre. Ils ont aussi la pénible tâche de fabriquer les cercueils : la mort fait partie de la vie ! (on veille les morts à leur domicile et on se souvient que l’on a porté untel en terre). Albert François est l’autre charron au Pont d’Oir.
Hubert Hamon est boucher. Il s’est installé dans une aile de la maison appartenant à Victor Jouenne. Il a son abattoir à la sortie du bourg. Il est passionné de football et fait l’arbitre à l’occasion. Son épouse Denise tiendra une épicerie-café à la fermeture de la boucherie jusqu’en 1991.
René Lepley est mécanicien-électricien. Il excelle dans la mécanique, vend des vélos de la marque « Griffon ». Très nerveux, il ne supporte pas la contradiction ! Sur la façade de son atelier, il a peint sa devise « bien faire et laisser dire ». Comme il a l’habitude de trouver un sobriquet aux gens, on l’appelle « la mise au poil » sans doute parce qu’il est d’une précision suisse pour régler les moteurs !
Victor Dallain, alias « Ariès » (surnommé ainsi par René Lepley de la marque des bleus de travail qu’il vend) est marchand de tissus et de vêtements ; c’est un exemple de réussite. Il fait des tournées en campagne avec son camion.
Pierre Coulon est le maréchal-ferrant ; il est nouveau venu dans la commune. Tous ont aidé à la construction de sa maréchalerie à la sortie du bourg en direction d’Isigny.
François Leroy est sabotier. C’est la belle époque du sabot ! Il en fabrique tellement qu’il emploie un ouvrier à l’année. Les sabots multicolores des écoliers sont bien alignés dans le couloir de l’école. Tout Chalandrey marche en sabots ! Le sabotier est aussi coiffeur le samedi soir et les veilles de fêtes. A l’époque du Tour de France, il quitte son atelier pour écouter l’arrivée de l’étape commentée par Georges Briquet. Mme Leroy tient aussi épicerie-tabac. Elle vend aussi des plaques pour les vélos ainsi que des cartes de pêche.
Le père Béchet et son fils Eugène sont charpentiers-couvreurs. Vers leur scierie convergent les « diables » tirés par deux ou trois chevaux et auxquels sont amarrées de grosses billes de bois qui seront débitées en poutres ou en planches selon les demandes.
Constant Fourré et son épouse tiennent une épicerie près de l’église et aussi la cabine téléphonique. Ce sont des « gens d’église » qui apprennent aux enfants de chœur à répondre la messe en latin. Mme Fourré et sa sœur Virginie Autun communient chaque matin. Le couple a eu une voiture à la belle époque et aime à rappeler qu’« ils faisaient bien du trente à l’heure ! »
Parfois, un pauvre hère s’arrête dans le bourg et aussitôt une nuée de gosses l’entoure. C’est Duval, le couvreur en chaume ; il est simple d’esprit et raconte qu’il invente des machines volantes. Les enfants l’écoutent émerveillés. Dans la campagne, il refait toutes les toitures en paille et c’est un orfèvre en la matière.
En 1950, l’école se tient toujours dans les baraquements à l’emplacement de l’ancienne, détruite à la libération. Il y a deux classes : celle des petits avec Mlle Lechevalier ; Mlle Diserbeau est l’institutrice des grands, des certificats d’étude et de l’examen d’entrée en 6ème quand elle juge un élève capable de continuer ses études.
Puis la mairie jouxte l’école à l’extrémité des baraquements. Le secrétaire de la mairie est M. Marie, un ancien gendarme, dont tout le monde admire l’écriture. Il assure aussi le secrétariat de Vezins.
Félix Lesénéchal est un maire apprécié de tous ; c’est un homme de contact, à la belle prestance, toujours la main droite dans sa poche, le buste relevé, le verbe haut. On l’appelle familièrement « Félix Potin » ! Il a l’esprit d’entreprise et a investi dans le matériel agricole. Avec son « grand travail » (la batteuse), il va de ferme en ferme battre le grain. Chaque jour, pendant le temps des battages, les agriculteurs, la fourche sur l’épaule, s’en vont à la « corvée de mécanique » dans une des fermes du village.
Dans une exploitation modeste en une demi-journée tout est battu ; à la ferme de La Cour, cela dure deux jours. Il faut jeter les gerbes sur la tablette, botteler la paille et la tasser en barge, monter à dos d’homme les lourds sacs de grain au grenier. Les « verseurs » de cidre (les enfants souvent) ne chôment pas ! et les repas qui suivent sont souvent très animés. Dans chaque place, on mange presque toujours de l’oie cuite dans le four de la ferme, avec des pommes de terre. Délicieux ! mais à la longue, on en a un peu marre de la pirote (c’est ainsi qu’on appelle l’oie dans le Sud Manche) ! On se lance des défis ! Un grand costaud qui habite aux confins de la commune fait le pari de ramener chez lui, sur son dos, un sac de blé sans le poser par terre ! A lui le sac s’il réussit ! et tous de lui emboîter le pas !
Le curé est l’abbé Cyrille Confiant. Il officie aussi à Vezins, (un dimanche, la petite messe dans une des communes et l’autre dimanche la grande). C’est un homme tyrannique qui apostrophe ses ouailles le dimanche en chaire ! Le mardi, il y a catéchisme à midi à la sortie de l’école. Il faut savoir ses litanies, sans dévier d’un seul mot, sinon gare ! Les gens voient alors passer la cohorte des punis se dirigeant vers le presbytère en disant « Tiens en voilà qui vont encore garder les poules au curé » ! et, agenouillés le long du mur pendant que Cyrille déjeune de bon appétit, ils relisent leur leçon. Ils sont alors libérés pour retourner à l’école à 14 h . Et comme l’instruction religieuse est aussi très importante pour les parents, on ne les plaint pas à la maison !
Le facteur est une figure très importante et toujours attendue. C’est le messager qui apporte la lettre porteuse de nouvelles. Très peu de gens possèdent le téléphone : on s’écrit ! Il apporte le journal, les colis, paie les mandats, fait une petite course en passant au chef -lieu de canton. Par tous les temps, à vélo, par des chemins « mal aisés », il assure sa tournée, il a baptisé le village de la Mauditière, la « Maudite boue ». Les jours de neige, il fait sa tournée à pied, enveloppé dans sa pèlerine ; il y a toujours une place à table pour le facteur lorsqu’il se présente à l’heure du repas. C’est aussi l’occasion d’apprendre à travers lui « ce qui se passe » dans le pays !
Le facteur est Bernard Gautier ; il habite Pain d’Avaine ; il a fière allure dans son uniforme bleu à liséré rouge, coiffé de son képi marqué des lettres PTT. L’été, il porte la tenue « coloniale » kaki et est coiffé d’un superbe canotier à la cocarde tricolore. Lorsqu’il est en congé, il est remplacé par Marcel Dodeman de Montgothier. Toujours affable, de bonne humeur, il est intérimaire et ne porte pas la tenue.
Comme rien n’est jamais parfait dans le meilleur des villages, l’harmonie en ces années 50 est troublée par un « corbeau ». Ce dernier qui signe ses lettres par un « j’en rigole et la joyeuse » essaie de dresser les personnes plus ou moins influentes les unes contre les autres ; c’est un membre de la municipalité. Trahi par une phrase qu’il employait très souvent dans ses conversations, il sera démasqué en pleine séance de conseil municipal, jugé et condamné à une amende, laquelle servira à améliorer un bâtiment communal. |
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