LE BUAT (ISIGNY LE BUAT)
  CC 25.02 AVRANCHES MONT-SAINT-MICHEL
 

 

  LEGENDE DU PETIT DU BUAT
     
 
 
 

 Le Buat ancien château CC collection LPM 1900

 
 

Légende du Petit du Buat

(Ch. Guérin et Hip. Sauvage - Mesnil Thébault août 1885)

 

Le Buat est une commune de quatre cents habitants, du canton d’Isigny. Chose digne de remarque, une seule et même famille s’est transmise de père en fils le château et la terre seigneuriale de cette paroisse. L’exemple est unique dans tout l’ancien comté de Mortain, et c’est à peine si dans la France entière on trouverait une vingtaine de cas semblables. L’histoire cite Raoul du Buat au nombre des chevaliers renommés en Normandie sous Guillaume le Conquérant en 1050.

 

Pourtant, à cette époque indéterminée mais pas trop éloignée puisque le souvenir s’en est conservé jusqu’à nous avec des détails d’une certaine précision, un enlèvement d’enfant faillit interrompre brusquement la lignée des du Buat. C’était probablement quelque temps avant la Révolution. Voici la légende :

 

Un du Buat, seigneur de la commune de ce nom, laissait en mourant une veuve et pour unique héritier direct un fils âgé de moins de quatre ans. La santé robuste de l’enfant, qui faisait présager un homme fort et un solide soldat, contraria les visées d’un perfide parent qui eut préféré voir en l’orphelin un être malingre, chétif, dont l’héritage lui eut paru assuré. La ruse seule pouvait lui faire atteindre le but de ses convoitises ; il n’hésita pas à y recourir, ses scrupules ne l’embarrassant guère. Un jour que le petit châtelain se trouvait seul par hasard derrière un épais massif d’arbres, deux hommes qui l’épiaient depuis quelques jours le saisirent, lui mirent la main sur la bouche et le transportèrent à marche forcée jusqu’au fond de la Basse-Bretagne. Arrivés là en cinq jours de voyage, ils déposèrent vers minuit l’enfant près du pont-levis d’un important château et se retirèrent sans avoir été aperçus.

 

Le lendemain matin, les hommes d’armes du seigneur breton trouvèrent endormi sur un tas de fougères sèches, le petit du Buat. On l’entoure, on le réveille, on le questionne mais l’enfant, dépaysé, effrayé d’ailleurs de voir autant d’empressement autour de lui et rien que des figures inconnues, ne sait répondre que par ses cris et par ses larmes à des paroles dites dans une langue qu’il ne comprend pas. L’enfant est conduit au seigneur du lieu qui ne peut en obtenir davantage car lui aussi ne parle que le breton. Mais la châtelaine survient, attirée par le bruit ; elle voit qu’il y a mieux à faire, elle emmène le pauvre enfant trouvé, le fait réchauffer devant un bon feu, lui donne à manger, lui parle doucement en breton, puis en français, car son éducation a été soignée. Bientôt la figure bouleversée de l’orphelin, à qui cette femme rappelle sa mère, reprend un peu d’assurance.

•          Comment t’appelles-tu ? lui dit la châtelaine.

•          Du Buat, répond l’enfant.

•          D’où es-tu ?

•          Du Buat, ajoute-t-il encore.

•          D’où viens-tu ?

 

Du Buat est toujours sa réponse, qui resta une véritable énigme pour tous.

 

Sans plus d’examen, le seigneur breton ordonna que l’enfant soit élevé au château, pour y servir plus tard comme domestique.

 

Pendant ce temps, la mère, la veuve du seigneur du Buat, folle de désespoir, avait mis en réquisition tous les hommes dont elle pouvait disposer. Les longues douves voisines de son manoir (elles existent encore et avaient naguère plus de trois cents mètres de longueur), furent fouillées en tous sens et même mises à sec ; buissons, fossés, ravins, tout fut visité, sondé, inutilement. De fidèles émissaires parcoururent la contrée dans toutes les directions ; toutes choses qui n’eurent d’autre résultat que d’attirer l’attention sur la conduite un peu équivoque dans ces circonstances des ravisseurs de l’enfant.

 

Douze ou treize ans se passèrent.

 

L’unique rejeton des du Buat, devenu un robuste et intelligent adolescent, remplissait, sous le surnom de du Buat, qu’il s’était innocemment donné, le rôle de palefrenier ou valet des chevaux chez le seigneur breton, en qui il voyait surtout un bienfaiteur, car bien des fois les circonstances de son arrivée au château lui avaient été racontées par les autres serviteurs. Il ne demandait donc pas mieux que de répondre par sa reconnaissance aux bons soins dont avait été entourée sa jeunesse.

 

Son humble condition ne l’humiliait pas car jamais la pensée qu’il pouvait être le fils d’un gentilhomme n’avait même effleuré son esprit.

 

Or, un soir, un étameur ambulant, un grilloux, comme on dit encore à Vengeons et à Montjoie, les deux communes qui fournissaient le plus de ces demi-chaudronniers nomades, un étameur donc, originaire de notre Basse-Normandie et qui connaissait à fond toute sa région natale, vint offrir ses services et demander l’hospitalité au château breton. Le nom de du Buat, plusieurs fois prononcé devant lui, attira son attention. Il parcourait de temps à autre la contrée d’Isigny, il connaissait le bourg du Buat et son castel, aussi bien que les communes environnantes : un grilloux fait du chemin et passe bien des échaliers chaque année ; il ne mange jamais deux jours de suite la soupe dans la même maison. Le souvenir de la disparition inexplicable et demeurée inexpliquée du jeune enfant des seigneurs du Buat lui revint alors en mémoire ; il demanda des explications et l’un des vieux serviteurs lui raconta tout ce qu’il savait et que nous connaissons déjà. Pendant le récit, l’émotion de l’honnête étameur devint visible. –« C’est bien lui, répétait-il, le doute n’est pas possible » ; et à la fin de l’histoire, il demanda à être introduit auprès des châtelains. Avec l’assurance que donne à l’homme de la plus humble condition la certitude d’avoir une importante et bonne nouvelle à apprendre, il dit l’enlèvement de l’enfant, rapt qui remontait à plusieurs années, il rappela l’impression produite dans tout le pays, il raconta les recherches vaines qui furent faites.

 

Du Buat, votre valet, conclut-il, est, comme vous, de noble origine ; comme vous, il est riche et seigneur de sa paroisse ; sa mère, qui n’est pas encore consolée, le cherche toujours. Le jour où vous lui avez donné asile, il vous a dit vrai : il s’appelle du Buat, il est né au Buat, il venait du Buat ; c’est l’unique héritier des seigneurs de cette paroisse qui est du diocèse d’Avranches. Dieu soit loué ! Le ravisseur de l’orphelin sera trompé dans ses espérances.

 

Peu après cette révélation, le jeune valet noble et les envoyés du seigneur breton, dirigés par le brave étameur, arrivaient au Buat ; la mère infortunée douta quelques instants d’un bonheur qu’elle n’espérait plus ; mais à la ressemblance des traits du visage, le rapprochement des dates et bientôt l’aveu même du criminel parent, convainquirent la châtelaine du Buat qu’elle avait réellement retrouvé son fils.

 

Des relations d’amitié s’établirent naturellement entre le château et le manoir normand et quelques années plus tard le chevalier du Buat épousait une des filles de ses anciens bienfaiteurs.