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Carnet Notre-Dame , CPA collection LPM 1900 |
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Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845
Anno D. 14o3 die ijunii vbiil nobilis frater Egidius Oui ion hospitatis sacrœ dormit S. Joannis /?. llierosotymitanl cujus anima requlescat in pace. Amen. (Épitaphe de Gilles Guiton).
Carnet figure un arc dont la courbe, ou la ligne du nord et de l'est, est tracée par la Dierge, et dont la corde , ou la ligne de l'ouest et du sud, est une limite à peu près idéale qui le sépare d'Argouges. Les principaux lieux sont le Margotin, le Manoir, la Vasselée, la Fontaine-au-Loup, la Touche, le Nid-de-Chien.
L'église de Notre-Dame-de-Carnet élève son clocher moscovite sur une colline dont un versant s'incline vers la vallée de la Dierge, et dont l'autre descend vers celle de Nid-de Chien. Cette tour porte cette inscription : « 1751. B. Georges feci; » l'ancien clocher était tombé de vétusté. Un appendice, dit le banc des Guiton, altère la disposition cruciforme de l'église. La tour et la nef constituent la première époque ascendante. La deuxième, de la fin du XVeme siècle , est due à l'archidiacre Jean Guiton, qui fut député à l'absoute de Henri IV, et qui, s'étant brouillé avec son évêque ligueur, Fr. Péricard, se retira à Carnet, où il mourut. Cette époque est représentée par le chœur pentagonal, avec l'écusson des Guiton qui est d'azur à trois angons d'argent, et à la devise: Diex aïe! par les transepts aux fenêtres trilobées, les peintures de la voûte, et le fût de la croix du cimetière. On lit sur la porte du chœur:
C'est Jehan Guiton, seigneur de Carnet Et curé dudit lieu qui m'a fait.
La troisième époque n'est rappelée que par de rares vestiges: deux contreforts, les fonts, les deux calvaires des croix du cimetière, et les autels de granit placés au-devant. Il y a quelques pierres tombales, quelques-unes des de Verdun. Elles rappellent ces trois tombes en cuivre des Guiton , qui étaient devant le maître-autel. Sous celle de droite , le mort était représenté couché sur le dos, une croix sur la poitrine, la tête sur un coussin, un lion sous un pied, et une licorne sous l'autre, avec l'épitaphe précitée. C'était la sépulture de Gilles Guiton , dont nous donnerons l'aventureuse histoire. Celle de gauche était celle de Jehan , l'archidiacre. Le district d'Avranches fit fondre ces tombes. Près du portail, une pierre blanche marquait la sépulture de P. du Homme , curé de Carnet au xvr siècle, surnommé le Bon Curé.
La partie la plus artistique de cette église est la brillante peinture du plafond, qui semble bien contemporaine de Jordaens et de Rubens. On y voit la Nativité, l'Adoration, où l'Afrique est sous la figure d'un roi à la couronne hérissée de pointes, l'Amerique sous celle d'un roi au teint cuivré vêtu à la Péruvienne , l'Europe sous celle d'un roi habillé à l'antique , l'Assomption, la Trinité, l'Ange de la Récompense, et l'Ange de la Punition. Cette peinture est due sans doute à la générosité de l'archidiacre, mort en 1604.
En 1648 , l'église valait 1,200 liv., et 400 en 1798 : il y avait alors neuf prêtres. Un des curés, Julien Nicolle, né à Saint-Laurent-de-Cuves, en 1629, et mort en 1702 vicairegénéral du diocèse, auteur de VHistoire chronologique des Evêques et du Gouvernement politique du diocèse d'Avranches2, a laissé un manuscrit sur les curés de sa paroisse. En voici la série : Alvered3, Almodus Mautaille , vicaire général ; Benoît Le Fevre, chanoine d'Avranches en 1458 ; Enguerrand Michel; Pierre du Homme, dit le Bon Curé; R. Douessey, G. C.audin, mort en 1555 ; Jean Guiton, archidiacre ; de Mathan, conseiller au parlement de Rouen; Liot Masseline, Jean Le Chapelain, Jean Simon, Ch. Le Bourgeois, Jean Tuffin, sr de La Motte-la-Royrie, J. de Thieuville, J. Nicolle , P. Uauguet, N. Guiton, et N. Legros.
La tradition rapporte à une haute antiquité la fondation de la première église de Carnet . Un livret de la confrérie de Sainte-Anne, établie dans cette paroisse, consacre, en la précisant , cette tradition. Le caractère naïf des idées et du style indique le degré de croyance qu'il faut accorder à ses assertions, d'ailleurs sans autorités. « Vers la fin du ve siècle, les évèques d'Avranches arborèrent la croix dans la partie du diocèse qu'on nomme encore à présent l'Avranchin. Un des premiers oratoires bâti dans ce quartier fut l'église paroissiale de Carnet, sous l'invocation de la Vierge, qu'ils nommèrent N.-D.-du-Cœur-Net, pour deux raisons : la première, pour faire concevoir à ces peuples une haute idée de la sainteté de la mère de Dieu, qui a toujours eu cet avantage d'avoir toujours conservé son cœur net en tous les états de sa vie ; la seconde , pour faire concevoir à ces mêmes peuples que s'ils voulaient conserver leur cœur net, qu'il (sic) fallait avoir recours à N.-D.-des-Cœurs-Nets, et qui obtient la netteté du cœur à ceux qui l'invoquent.
« Premièrement, on bâtit sous l'invocation de la Vierge un petit oratoire qui était situé où est à présent la nef de l'église, contre icelui un autre plus petit à Sainte-Anne environ le lieu où est à présent la chaire. Par après, la dévotion s'accroissant, on fut obligé d'accroître l'église et on avança le grand autel jusqu'environ le lieu où est le Crucifix. Au même temps, on plaça l'image de Sainte-Anne sur un petit autel qui fut érigé proche l'autel de la paroisse, dédié à la Vierge , au côté de I'épître. Par après, le lieu étant encore trop petit pour contenir les peuples, on continua l'église, et on plaça le grand-autel environ le haut du chœur, et pour lors les images de Sainte-Anne et de la Sainte Vierge furent placées sur un même autel. L'an 1619 , la piété du seigneur y ajouta les deux chapelles qui font les ailes de l'église, et, en 1653 , le même seigneur a fait accroître l'église vers le Sancta Sanctorum, en l'état où elle est à présent. »
« L'an 1493 , Louis de Bourbon , évêque d'Avranches, réconcilia l'église , profanée par les membres de la Confrérie qui avaient coutume de dîner ensemble, le jour de la Vierge, daus la nef, d'où il arriva qu'après avoir bu , ils la profanèrent. Ce prélat défendit, sous peine d'excommunication', de faire pareilles assemblées dans l'église. Cette ancienne confrérie fut, avec ses revenus, réunie à celle du Rosaire, en 1521. Pierre du Homme , surnommé le Bon Curé , logea la cour ëpiscopale. »
En 1685, Louis de Verdun , seigneur de Cormeray, assisté de Jacques de Verdun, seigneur de La Crenne, abjura le calvinisme dans cette église, et fut relevé de l'excommunication par J. Nicolle, vicaire général et curé.
Dans sa liste des doyens d'Avranches, le Gallia cite un chanoine de Carnet, le vingt-quatrième doyen, Charles Le Bourgeois, licencié en théologie, de la paroisse de Carnet, doyen par la nomination de Louis-le-Grand. Nommé en 1656, il résigna ses fonctions l'année suivante.
Le Manoir et le Margotin sont les principales habitations féodales de cette commune.
M. Guiton de La Villeberge décrit ainsi, dans un article manuscrit, l'habitation de ses ancêtres:
« Le vieux château des Guiton se voit encore dans la commune de Carnet; ses tours démantelées sont bientôt au niveau du sol; la mieux conservée, celle de l'angle méridional de la Motte, est revêtue en pierres de moyen appareil. Toutes ces ruines dominent un coteau dont la base est baignée par un vaste étang, lequel est contigu à une grande levée, vulgairement appelée la Haye-de-Terre. Au-dessous est le vieux moulin du manoir. Sa'chapelle est encore un pèlerinage très-fréquenté: elle est dédiée à sainte Barbe. L'autel est composé de trois pierres superposées dont deux forment un prisme servant de base à la table. Les ornemens sont, au-dessus des ouvertures et de la façade, des animaux monstrueux, des personnages grotesques et autres bizarreries. Dans les chapiteaux de ses portes on voit deux écussons sculptés aux armes des Guiton qui sont d'azur à trois carsèques ou angons d'argent. »
La tradition croit que Saint-Louis visita cette chapelle, lorsqu'il marchait contre la Haye-Pesnel avec Auvray-le Géant. Comme sainte Barbe préserve de la tempête, ainsi que l'atteste cette inscription de la chapelle: L'oracle a dit : tanque ce temple durera, Barbe de tempête Carnet préservera
On -croit que partant pour la Terre - Sainte, il se recommanda à sainte Barbe et lui envoya son écusson. Les vitraux de cette chapelle appartiennent au xve ou au xvT siècle. Il y a beaucoup de fleurs de lis ou d'angons.
C'est à cette commune où est leur manoir que nous rattacherons nos documens sur la famille distinguée des Guiton , dont les noms se trouvent souvent mêlés à l'histoire générale, comme celui du fameux maire de La Rochelle, et sans cesse à l'histoire locale avec un.caractère aventureux et romanesque. « Cette famille est alliée en Bretagne à celles des Couvran, Romilly, fiudes-, Iïallay, La Haie Saint-Hilaire, et Hay de Retumières, et l'un de ses membres a été élevé , sous la Restauration , à la dignité de vicomte'. »
Bien que ce nom ne soit pas sur les Listes de la Conquête, il est probable que les Guiton descendent du Guyton de la Conquête qui fonda, dans la fin du x r siècle, la paroisse de son nom, aujourd'hui Wyton, dans le Devonshire.
Robert Guiton fut du nombre des nobles qui accompagnèrent le duc Robert en Palestine, l'an 1096.
Radulfus Guiton est mentionné dans les Rôles de l'Échiquier pour l'année 1173, et un Guiton est signalé dans ces Rôles comme passant en Angleterre vers ce temps2. Des Guiton figurent de pair avec les Paynel dans plusieurs chartes du Mont. Dans une on lit: « D. Joh. Guyton en 1192 , » dans d'autres : « Raoul Guiton , 1218. »
L'Inventaire des chartes du Mont contient: « Carta Midi. de Carnet de duobus quarteriis frumenti 1232. »
Guillaume et Raoul Guiton firent une donation à Montmorel en 1254.
W. Guiton, en 1280 , signe une charte du Mont.
Pour ce XIIIeme siècle on a la mention de Rob. de Carnet, mentionné au Nécrologe du Mont avec sa mère Alexandrine.
En 1346, Raoul Guiton était capitaine de Saint-James.
Gilles Guiton, chevalier de Rhodes, combattit à la bataille de Nicopolis en 1398, et eut une existence romanesque et aventureuse. Sa veuve, Marie Iscra « se disant damoiselle des pays et royaumes de Hongrie » reçut du roi d'Angleterre, en 1419 « expédition du don de son douaire sur les héritages de défunt frère Gilles de Guitot, de la garde de Jean dit Bâtard de Carnet, leur fils sous âge, nato illicito cohitu. »
Anne, mère de Robert de Carnet, figure pour le XIVeme siècle au Nécrologe du Mont.
En 1378, Jean Guiton était à la montre de Montebourg; son frère Raoul épousa, en 1388, Gujllemette-ès-Épaules.
Jean Guiton, son fils, un des défenseurs du Mont SaintMichel contre les Anglais, fut un chef de partisans, dont les exploits atténuèrent les déprédations.
Son fils Jean, sr de Carnet, épousa une Le Charpentier.
En 1498 Jehan Guiton « sieur de Quernct et de Haye-deTerre' » maria son fils Gilles Guiton , Sr des Biards avec Catherine Doessey, lequel se distingua à la bataille de Ravenne.
Thomas Guiton, dont nous avons raconté la tragique histoire, fut le dernier Guiton de la branche de Carnet. La branche de La Villeberge, dont fut M. de G uiton, capitaine-général des côtes de l'A vranchin vers 17 30, est représentée par M. G uiton de La Villeberge, savant distingué, dont les principaux travaux sont : la Notice sur Charuel, Notice sur la baronnie des Biards, Recherches sur l'origine de l'Ogive, etc., et qui, mettant sa science et ses documens au service des autres, a contribué aux Châteaux de M. de Gerville pour l'Avranchin, à l'Histoire de M. Desroches, et, s'il nous est permis de nous citer, à YAvranchin Monumental et Historique.
Deux histoires serviront à orner et à compléter cette esquisse , celle du frère Gilles Guiton et celle de Jean Guiton: la première offre un intérêt romanesque, la seconde peint l'état de la Normandie pendant l'occupation anglaise et la vie d'un condottière de cette époque.
En 1419, quand le roi d'Angleterre partageait à ses officiers la Normandie, comme son illustre ancêtre avait partagé à ses barons la terre des Saxons, une étrangère se présenta devant le bailli du Cotentin et lui remit cet écrit:
« Nous frère Gilles de Guiton chevalier de Rhodes, etc. , comme es pays et royaume de Hongrie, en combatant soubs la charge de monseigneur de Naillac nostre grand maistre, fusmes navrés et bourdés, et par suite nous en la personne de Marie Yscra ayons par la volonté et patience de Dieu engendré naturellement un fils nommé Jehan de Carnet auquel nous meus de bonne affection et vraye amour naturelle et paternelle et voulant garder en cette partie l'honneur de nous et de nostre lignaige, et que après nostre mort et trespas le dit Jehan de Carnet ne soit déshérité, mais tieigne toute sa vie tel estat comme à lui doibt appartenir pour descharger nostre conscience et accomplir les voyes de juste et loyale satisfaction avons donné et octroyé dès maintenant à nostre dit fils par pur et loyal don irrévocable tout nostre fieu et hébergement de la Pomentière séant en ceste seignerie de Carnet ainsi que se comporte pour en jouir et faire sa volonté en quelque lieu estat habit prospérité ou condition que il soit, en telle manière que lui venu en âge il en puisse entrer en l'hommage du seigneur de Carnet nostre chier ncpveu; fait au mois d'apvril treize jours après Pasque, l'an mil cccc et trois. »
Jean Guiton s'était renfermé avec les seigneurs bretons et normands dans le Mont Saint-Michel pour le défendre contre les Anglais, et s'était fait remarquer parmi cette brave élite qui conserva sur ce rocher la bannière de la France; mais il commit tant d'excès dans la guerre, comme chef de partisans , qu'il fallut que Charles vn lui donnât des lettres de grace en souvenir de ses services:
« Charles, etc., faisons savoir nous avoir reçu humbles supplications de notre ami Jean Guiton, d'autant que ledit suppliant dès son jeune âge nous a toujours servi au fait de nos guerres tant sous la charge de notre aimé cousin le sieur d'Estouteville, que autres chefs de guerres, et encontre nos anciens ennemis et adversaires les Anglais et exposé son corps en plusieurs périls aux dépends et frais du sien et pour que cedit suppliant s'est trouvé a plusieurs siéges, voyages et rencontres, tant de jours que de nuit, esquellcs souventes fois se sont faites plusieurs détrousses, batteries, mutillations, et dont aucunes fois mort s'en est ensuit,... en plusieurs lieux où ont été faites plusieurs détrousses sur plusieurs manières de gens, tant d'église que d'autres, et a à iceux ôté or et argent, bagues, chevaux et par-dessus nos saufs conduits et dont ledit suppliant avait sa part, et fait tant en campagne que seul plusieurs autres détrousseries, pilleries, rançonnemens et batteries dont aucuns les sires d'Argouges à présent s'efforcent de le tenir en grande immolation... il nous plaît lui impartir icelle. Voulant miséricorde préférer à rigueur de justice, audit suppliant avons pardonné... réservé tous sacriléges, boutemens de feu, forcemens de femmes, et meurthe d'aguet-à-pens, ci l'avons restitué à sa bonne fame... Donné à Bourges1447. »
Dans cette commune est l'ancien fief, ou comme dit un manuscrit de Rennes, le Donjon de Margotin , appelé, dans le contrat de R. de Verdun avec Jehenne Guiton en 1468 , « le Manoir ou demesne du Margotin », dont le fief de Carnet était suzerain , avec le tiers d'une livre de poivre pour hommage. Il est célèbre pour avoir logé le connétable de Richemont en 1425, lorsqu'il vint assiéger Saint-James. Il fut apporté en dot à Jean Guiton en 1429 par Perrine de La Croisille. Ce fief fut donné à Savigny par P. de Saint-Hilaire au xne siècle : « P. de S. Ililario gave to the abbey of Savigny land in Margotin,lying betweentheroadofS. James and Cogle...»
En 1678, un des descendans du Taillefer qui entonna à Hastings le chant de Roland, Charles Taillefer, sr du Plantis, mourut à Carnet chez René de Verdun , sr du Margotin.
La métairie de Nid-de-Chien fut léguée aux pauvres par Ch. L. Le Bourgeois , patron de Carnet et de Vains, granddoyen d'Avranches en 1679.
Le nom de Carnet semble être celtique, et se rattacher à cette famille des Camac, Carnouet, de Bretagne, des Carnutes du pays Chartrain, des Carneville3, aux Carneillede Normandie, Karn signifiant pierre. Toutefois l'expression de Carneville, Quernevilla, semble faire de ce radical un nom d'homme, Carne ou Querne , ce qui le ferait rentrer dans la règle générale. |
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