BRETTEVILLE-EN-SAIRE
  CC 16.01 DE LA SAIRE
   
  FRANÇOIS CLAUDE MARIE 1/2
 
 
 
 

 Bretteville en Saire Eglise Saint Germain, Avril 2010 par Ph L

 

FRANÇOIS CLAUDE MARIE

VICOMTE DE BRIQUEVILLE

CHEVALIER DE BRETTEVILLE

 

1761-1796

Par M. Louis LE BLOND

Président Honoraire du Tribunal Civil de Falaise - Membre Correspondant

 
 
 

Naître dans la classe privilégiée de la Noblesse, être l’héritier d’un grand nom et le rejeton d’une famille illustre, pouvoir prétendre aux plus hauts grades dans l’armée, posséder domaines et châteaux, puis, du jour au lendemain, se voir dépouillé de ses prérogatives et de ses titres, n’être plus qu’un ci-devant, s’enfuir à l’étranger et combattre contre sa patrie, connaître les rigueurs de la défaite et subir les misères de la déroute, non sans danger rentrer en France, et, victime de la trahison, venir sous la blouse d’un marchand de bestiaux, se faire massacrer par des balles françaises à quelques lieues du pays dont il avait été le seigneur, telle est, en résumé, la vie fertile en contrastes de François Marie, vicomte de Briqueville, chevalier de Bretteville, dont nous allons conter l’histoire.

 

Héritier d’un grand nom, certes François Marie pouvait s’en vanter, car la famille dont il était issu était une des plus anciennes de la noblesse française. S’il faut en croire de la Heudrie, dans son histoire du Bessin, elle descendrait d’un des Vikings qui avaient accompagné Rollon lors de l’invasion des Normands. En tout cas, dès le XIe siècle, Eudes de Briqueville est qualifié dans les vieilles chartes, de « Seigneur de Laulne et de Briqueville » (Dominus de Alno et Bricavilla). Cet Eudes de Briqueville avait été choisi par le duc Guillaume le Conquérant pour demeurer l’un des conseillers de la Reine Mathilde pendant qu’il allait envahir l’Angleterre. Comme les autres seigneurs normands, Eudes participa aux largesses du duc Guillaume et une branche de sa famille s’établit en Angleterre où elle demeura plusieurs siècles, connue sous son nom patronymique «de Alno» (de Laulne). C’est sous ce nom qu’elle figure, d’ailleurs, dans le «Domesday-Book». La branche aînée de cette famille, tout en continuant de posséder la seigneurie de Laulne s’établit dans le Bessin. Elle y brilla d’un vif éclat. Elle fut connue sous le nom de Briqueville-Colombières et fut surtout célèbre pendant

les guerres de religion, car la plupart de ses membres avaient embrassé la Religion de Calvin.

 

Le plus connu d’entre eux fut François de Briqueville, baron de Colombières, qui, né en 1535, mourut si bravement en défendant Saint-Lô que les troupes catholiques de Matignon avaient encerclé le 25 avril 1574. « La Ville était faible, dit un vieux chroniqueur, mais le coeur de Colombières fut si grand, qu’il ne voulut, oncques, entendre à aucune composition, quelque promesse qu’on lui sçeut faire. Il soutint l’assaut, ayant fait amener et mys à ses deux costés ses deux enfants avec un javelot, l’un âgé de douze ans, l’autre de dix. Il fut atteint d’un coup de harquebuse qui lui donna dans la cervelle, entrant par le côté de l’oeil droit, dont il tomba mort ».

 

Au XVe siècle, un des membres de cette famille, Thomas, seigneur de Briqueville et Laulne, eut pour troisième fils : Jean. Celuici épousa Cécile Picot de Gouberville, fille de Guillaume Picot qui fut tué à Azincourt en 1415.

 

La famille de Gouberville possédait dès le XIIe siècle la seigneurie de Bretteville. Le mariage de Cécile Picot fit entrer cette seigneurie dans la famille de Briqueville qui la conserva jusqu’à la Révolution. Ce fut la branche des Briqueville-Bretteville qui blasonnait « d’argent à six feuilles de chêne de …… 3 – 2 et 1 ».

 

Il serait trop long de suivre, ici, la lignée des seigneurs qui se sont succédé à Bretteville.

 

Disons pourtant que cette branche des Briqueville a fourni, elle aussi, nombre d’officiers distingués aux rois de France, soit dans la Marine, soit dans l’armée. Certains d’entre eux sont demeurés célèbres. Verusmor dans l’annuaire de la Manche de 1846, nous a conté l’histoire de ce Guillaume de Briqueville, sieur de la Vallée, né vers 1559, à Bretteville, troisième fils de Guillaume et de Marie d’Urvie, lieutenant général de la Marine, gentilhomme ordinaire du roi Henri IV, chevalier du Mont Carmel, qui s’en alla fonder en Amérique, dans l’Acadie, plusieurs comptoirs, ainsi qu’au Sénégal et en Gambie, où il fut tué en 1613, dans un combat contre les naturels du pays.

 

Au XVIIe siècle ce fut Anthoine de Briqueville qui, devenu capitaine de frégate, se fit, en 1614, capitaine de corsaires. Il avait fait construire, à Bretteville même, un navire qu’il fit armer à Cherbourg de 10 canons et 60 hommes d’équipage et qui parvint dans ses courses sur mer à faire des captures importantes de bâtiments ennemis, jusqu’au jour où il fut tué d’un boulet, au large de l’embouchure de la Somme, lors d’un combat avec un bateau anglais qu’il parvint à couler. Après de pompeuses funérailles, dont l’honora la ville du Havre, il fut enterré dans l’église de Bretteville le 27 juillet 1674.

 

Dans l’armée, citons Guillaume de Briqueville, né en 1612 à Bretteville, qui mourut à Landrecies en 1636 blessé, au service du roi, d’un coup de pistolet et qui fut inhumé à l’abbaye de Marolles ; Jean-Baptiste de Briqueville, capitaine au régiment de Maillebois, qui mourut à 21 ans d’une blessure reçue au siège de Lille le 30 octobre 1709; François de Briqueville qui fut blessé à mort, au combat de Tournay, contre les Anglais, le 11 septembre 1709.

 
     
 
 
         
   

BRETTEVILLE-EN-SAIRE
  CC 16.01 DE LA SAIRE
   
  FRANÇOIS CLAUDE MARIE 2/2
         
 

 Bretteville en Saire Eglise, CPA LPM collection 1900

 

Le château de Bretteville était au XVIIIe siècle un édifice « bâti à la romaine » nous dit Verusmor, entre la colline et la mer. Il avait remplacé le vieux château-fort de Jean de Briqueville et s’ornait de panaches de pierre sculptés dont plusieurs se voient encore aux piliers d’entrée de certaines fermes du pays.

Ses bâtiments et sa chapelle s’entouraient d’un petit bois, au-delà duquel s’étendaient les terres de la seigneurie en labours ou herbages.

 

Ce château dans le dernier quart du XVIIIe siècle abritait à la fois trois générations.

 

C’était d’abord Guillaume-Anthoine de Briqueville, qui, né à Bretteville le 1er août 1690 de Jean et de Jeanne de Fontaine, avait épousé Madeleine de la Motte-Grimouville ; chevalier de Saint-Louis, ce vieux seigneur mourut, âgé de 85 ans, le 9 novembre 1775.

 

Son tombeau se voit encore dans le cimetière, au chevet de l’église. L’inscription, maintenant effacée, gravée sur la pierre tombale, nous apprenait que sa femme était morte en 1747 ; que, de son mariage, étaient issus six enfants et, qu’enfin, il avait expressément exigé d’être enterré à cet endroit, afin de n’être désagréable à personne : « Ne noceret hic sepeliri voluit ».

 

De ses deux fils, l’aîné, Claude-Marie, né à Bretteville le 11 avril 1724, devint, après la mort de son père, seigneur de Bretteville.

 

Le deuxième, Bon-Chrétien, était né en 1727. Il était entré dans la Marine et devint chef d’escadre des armées navales du roi. Il était chevalier de Saint-Louis et Marquis de Briqueville, et ne se maria point.

 

Claude-Marie avait épousé Catherine de Thiboutot. Il était entré dans l’armée et fut un officier de grande bravoure ainsi que l’indiquent ses états de services.

 

Il prit part, en effet, à la campagne de Flandre en 1744, à la campagne d’Italie en 1745, du Rhin en 1757, d’Alsace en 1758. Nous le trouvons participant à la défense de Cherbourg lors de la descente des Anglais en 1758. De 1759 à 1762, il combat en Allemagne et dans le Boulonnais. Il fut deux fois blessé : d’abord au combat du Tridon, puis à Rosback où il perdit son lieutenant, son cornette, un maréchal des logis et 27 hommes de sa compagnie.

 

De son mariage lui naquirent deux fils. Le premier fut François-Guillaume, né le 7 décembre 1752, qui mourut à 18 ans le 20 mai 1770. D’une note jointe à son acte de décès, il résulte que son inhumation n’eut lieu qu’après visite du procureur du roi, sa mort ayant eu lieu « inopinément », ce qui paraîtrait indiquer qu’il périt de mort violente.

 

Le second de ses fils fut François-Marie.

 

Pourquoi Claude-Marie, cet officier d’un si rare mérite, eut-il la malencontreuse idée de tirer profit à la fois de l’Epée et de la charrue ?

 

La fortune des Briqueville était, en apparence du moins, considérable. Outre la terre de Bretteville qu’ils faisaient valoir, Claude-Marie et Bon-Chrétien avaient, en effet, hérité des biens de leur oncle, Claude Grimouville, frère de leur mère.

 

Pour sa part, Claude-Marie avait reçu la seigneurie de Pont-Roger, avec son château et ses domaines qui comprenaient les fermes de la Cour du Bois, Hottot, la Poissonnière et Saint Jean des Champs. Ce château de Pont-Roger, avec sa cour d’honneur, ses  avenues, son colombier, ses fermes et ses bois, était situé près de Granville. Malheureusement, ces propriétés faisaient l’objet des  revendications de la part des moines du Mont Saint-Michel. Des procédures, longues et fort onéreuses, s’éternisaient à leur sujet, devant le bailliage d’Avranches, et, pour défendre ses droits, Claude-Marie dut continuer ces procédures que la Révolution trouva encore pendantes et qui d’ailleurs restèrent sans solution. D’autre part, comme la plupart des familles nobles, la famille de Briqueville, pour tenir son rang, menait un train de vie hors de proportion avec ses revenus. Et, par ailleurs, écrit un auteur, si on ajoute les dépenses excessives auxquelles entraînaient l’établissement des fils de famille, l’achat de leurs charges dans l’armée ou la mraine, les avances que nécessitaient l’équipement des compagnies ou des navires qu’ils commandaient, les paiements irréguliers des soldes, tout cela constituait des charges exorbitantes auxquelles, malgré la rareté du numéraire, il fallait pourtant faire face.

 

Les premiers symptômes de la gêne apparaissent dans la famille de Briqueville dès l’année 1745. Guillaume-Anthoine avait, à cette époque, à pourvoir à l’établissement de Claude-Marie et de Bon-Chrétien. Il dut, pour y parvenir, faire appel à son beau-frère, Claude de Grimouville. Il lui emprunta cette année-là 2.000 livres, en amortissement de cent livres de rente sur la dot de sa femme.

 

En 1747, nouvelle demande de six mille livres en amortissement de 300 livres sur la même dot. En 1748 nouvel emprunt au même de 2.700 livres pour que Claude-Marie puisse payer un achat de chevaux.

 

En 1750, Claude-Marie, de son côté, se verra obligé d’emprunter 8.000 livres et, moyennant constitution d’une rente viagère de 2.000 livres, il empruntera encore en 1757, aux frères Lorin, la somme considérable de 20.000 livres.

 

Ce fut alors que Claude-Marie, pour faire face au paiement de ces rentes ou rembourser ses créanciers, s’avisa qu’il y pourrait parvenir en se livrant au défrichement et à la mise en valeur de terres incultes qui, dépendant du domaine royal, se trouvaient alors à vendre. Il acquit donc du Roi, la concession des landes de Lessay, moyennant une rente foncière de 300 livres, mais avec l’obligation de les défricher dans le délai de deux ans.

 

C’était là une opération irréalisable. Et, chose à peine croyable, Claude-Marie n’avait même pas pris la peine de visiter le terrement de milliers d’hectares qu’il inféodait de la sorte. Il se fut vite rendu compte que cette lande était incultivable, composée, dans sa majeure partie, d’un sous-sol rocheux et imperméable, avec, en surface, une mince couche de terre où poussait une herbe rase et, ailleurs, de terrains humides et bourbeux sur lesquels les populations des paroisses voisines, laissaient paître en liberté leurs moutons et leurs oies. Une fois envoyé en possession, Claude-Marie chercha à tirer parti de son acquisiton. Mais, pour commencer les travaux, il était totalement dépourvu d’argent. Il lui fallut donc recourir à des emprunts nouveaux et dut s’adresser à des bailleurs de fonds qui se révélèrent, par la suite, n’être que des aigrefins.

 

D’autre part, il se vit en butte aux réclamations et aux procès que lui intentèrent, à la fois, les seigneurs et les habitants bordiers de ces landes, revendiquant, les uns, des droits de propriété, les autres des droits d’usage sur des étendues parfois considérables, si bien, qu’au lieu d’être profitable comme Claude-Marie l’espérait, cette inféodation qui devait lui assurer la prospérité, ne fit que précipiter la détresse de la famille et l’amener aux extrêmes limites de la gêne.

 

Ce fut au milieu de ces difficultés pécuniaires que fut élevé François-Marie de Briqueville et, peut-être ne furent-elles pas sans influer sur son caractère.