|
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||
XI. Guillebert est cité comme le onzième abbé de Lessay. Il ne gouverna l'abbaye que pendant quelques années.
XII. Robert II Pasturel, douzième abbé de Lessay, figure dans plusieurs chartes sous les années 1225, 1226, 1232 et 1237. Ce fut pendant qu'il gouvernait l'abbaye, que s'éleva la chapelle de Notre-Dame-de-la-Lande à Lessay, dont l'abbaye avait le patronage.
XIII. Nicolas Ier devint le treizième abbé de Lessay. De son temps, alors qu'il dirigeait l'abbaye, eu l'année 1250, Odon Rigault, archevêque de Rouen, visitant les maisons religieuses de la province de Normandie, fit son entrée dans le diocèse de Coutances, le 6 août, et passa la nuit, à ses frais, à l'abbaye de Saint-Sever. Le 19, il se rendit à Lessay : le procès verbal des visites du prélat, si riche par les documents précieux qu'il contient pour l'histoire intérieure des monastères et pour celle de la discipline, nous offre les détails suivants sur l'abbaye de ce lieu:
Le monastère de Lessay renfermait alors trente six moines; il avait plusieurs prieurés, dans lesquels demeurait un moine seul, ce qui était contraire à la règle. L'archevêque apprit que le monastère avait 1,400 livres de revenus, et que sa dette s'élevait à 450 livres. Il enjoignit à l'abbé de rendre compte de l'état de la maison au moins deux fois l'an, devant quelques membres de la communauté, délégués par elle. La règle était mal observée, principalement sur l'article du jeune et de l'abstinence. En quittant le diocèse, l'archevêque écrivit à l'archidiacre de Coutances, lui signala les abus qu'il avait remarqués dans le cours de sa visite, et lui enjoignit de veiller à l'exécution des ordres qu'il avait donnés.— A cette époque du xine siècle, l'abbaye de Lessay était une des plus riches du diocèse de Coutances.—Le 20, le prélat se rendit à l'abbaye de Blanchelande.
XIV. Onfroy II fut élu quatorzième abbé de Lessay. Il siégeait, dès l'année 1252. Odon Rigaiilt, en Panuéè 1266, renouvela ses visites : le 3 septembre, il fit son entrée à Coutances ; il visita le chapitre, après l'avoir prêché; le 5, il officia et prêcha dans l'église paroissiale de Périers; le 6, il visita l'abbaye de Lessay; il y trouva 51 moines résidants, qui se servaient de chemises, à défaut d'étamine, qu'ils n'avaient pu se procurer depuis long-temps, à cause, disaient-ils, des guerres avec l'Angleterre : Utebantur camisiis pro defeclu estaminarum quas habere non poluerant per multa tempora propter guerram Angliœ, ut dicebant. Ils faisaient l'aumône quatre fois par semaine aux pauvres qui se présentaient à l'abbaye; ils étaient grevés de beaucoup de renies qu'ils devaient à diverses personnes; leurs comptes n'étaient pas réguliers. Odon reconnut, cependant, qu'ils devaient 900 livres, et qu'on leur en devait 320. Depuis long-temps, un clerc séculier était chargé des recettes et des dépenses de l'abbaye: l'archevêque ordonna qu'un moine lui fût adjoint pour vérifier ses comptes, et obtenir un état exact du passif et de l'actif du temporel de la maison, ce qui n'avait point été fait depuis 60 ans.
Odon Rigault était un observateur rigoureux de toutes les règles : il était aussi d'une grande fermeté de caractère. Ce que l'on remarque le plus souvent, dans le Livre des visites de ce prélat, c'est que la clôture des monastères était mal gardée; le jeûne et l'abstinence, prescrits par les règles monacales, mal observés, principalement dans les prieurés; les moines couchaient presque tous sur des matelas, tandis qu'ils devaient coucher sur des paillasses; les comptes étaient partout mal tenus. L'archevêque, pour remédier à cet abus, ordonna que chacun des abbés rendit ses comptes, deux fois l'an, à la communauté; que chacun des employés rendit les siens, une fois le mois, à l'abbé; que les prieurs en fissent autant à leur maison-mère, toutes les fois qu'il serait nécessaire; qu'à cet effet, il y eût, dans toutes les maisons, des registres ouverts pour inscrire, jour par jour, la dépense et la recette; et d'autres pour inscrire les revenus et les dettes. Il donna des ordres pour que chaque maison reçût convenablement les hôtes. Le prélat dit que, dans une de ses visites, il a trouvé des religieux qui ne quittaient le lit que pour aller dire la messe; que, dans une abbaye de femmes, les religieuses buvaient hors du réfectoire et de l'infirmerie; qu'elles avaient des oiseaux, des petits chiens et des écureuils; qu'il prescrivit de faire disparaître ces animaux. En parlant d'un curé, il ajoute : Iufamalus esset de Eugenia parochiana sua, et habuisset ex eapueros (1). Ce registre des visites pastorales de l'archevêque de Rouen est plein de détails intéressants ; mais il offre aussi une des sources les plus authentiques et les plus fécondes, où il soit possible de puiser des faits et des renseignements certains pour l'histoire ecclésiastique et monumentale de la province de Normandie, pendant le xuie siècle.
L'abbé de Lessay obtint une charte conflrrriative de la donation que Nicolas de Meré avait faite a l'abbaye de la dime du moulinée Montecrotel, situé àFeugères, ainsi que de celle d'une terre que Martin Le Marchant tenait de Nicolas de Feugères, et pour laquelle il lui payait cinq boisseaux de froment, le jour Saint-Michel; deux pains et deux poules, le jour de Noël; et vingt œufs, à Pâques (3). Cette charte lui fut octroyée par Richard et Robert de Meré, tous les deux frères du donateur.
XV. Pierre II de Créances figure comme quinzième abbé de Lessay : on le trouve cité dans les années 1271, 1276, 1291 et 1301. Pendant qu'il gouvernait l'abbaye, il obtint de la cour du Roi, en l'année 1276, un arrêt portant que les moines de Lessay n'étaient pas tenus à Vayde d'ost, c'est-à dire aux subsides levés pour les armées du Roi: Vitis carlis monachorum de Exaquio pronuncialum fuit eos ad auxilium exercitus domini Régis non teneri (1).
Notre abbé se plaignit du dommage que son couvent et lui éprouvaient par suite de la vente de la forêt du Plessis, qui faisait partie de celle du Bauptois : il prétendait qu'ils y avaient des droits d'usage, qu'ils tenaient de leur fondateur Turstin Haldup, lesquels consistaient à prendre le bois qui leur était nécessaire pour le chauffage de l'abbaye, ad omnes focos abbatie, ainsi que pour la construction de leurs nouveaux bâtiments ou les réparations à faire aux anciens, et ad omnia ejus edificia nova facienda et vetera reparanda.
Philippe III, par une charte du mois de juillet 1280, leur donna 15 acres de sa propre forêt, quindecim acras nostri proprii nemoris, sise près de leur bois de.Hupelande, siti juxla nenius dictorum abbatie et convenlus de Hupelande, avec exemption dc3 droils de tiers et danger, c'est-à-dire que le Roi renonçait à prélever le tiers et le dixième du produit de ces bois, libéras et quietas tercio et dangerio; bornées d'un côté par la lande appelée Mont-Càtre, et d'autre par le Noir-Douet : Butantes ex uno capite, ad landam que dicitur de Monte-Castor, et ex alio capite versum locum qui dicitur Niger-Doilellus.
Pierre II mourut le 29 janvier 1311.
XVI. Jean Ier de Créances devint le seizième abbé de Lessay. Les moines de Boxgrave, en l'année 1321, lui promirent obéissance, et lui reconnurent la faculté d'élire leur prieur, conformément aux droits qu'il avait acquis .
XVII. Silvestre fut élu le dix-septième abbé de Lessay. Il établit une société de prières avec les chanoines de Blanchelande. Il confirma la charte de la fondation faite par Turgis, évêque d'Avranches, vers la fin du XIeme siècle, de la charge du doyen du chapitre, et il souscrivit les copies des lettres qui lui furent présentées en original, et qui portaient nomination de Richard de Subligny aux fonctions de doyen: Nos Sylvester abbas conventus sanctm Trtnitatis Exaquii, ipsa originalia cum sigillis verbo ad verbum fideliter hic transcripla diligenter inspeximus et audivimus, sigillum capituli nostri ad hujus veritatis testimonium apponenles.
XVIII. Jean H de Courcé, dix-huitième abbé de Lessajr, obtint, en l'année 1337, de Guillaume de Thieuville, évéque de Coutances, la permission de bâtir une chapelle auxiliaire en la paroisse de Sainte-Opportune de Lessay, afin d'éloigner de son église abbatiale les habitants du bourg qui y assistaient à l'office divin (1). Il mourut en 4352.
XIX. Guillaume II d'Asie succéda comme dix-neuvième abbé de Lessay à Jean de Courcé. Pendant qu'il gouvernait l'abbaye, la guerre qui suivit l'arrestation, h Rouen, de Charles le Mauvais, roi de Navarre, et de plusieurs seigneurs de sa cour, fit sentir ses ravages et ses tristes effets dans le Cotentin. Geoffroy de Harcourt et Philippe de Navarre, frère du Roi, réunirent leurs efforts pour venger l'affront fait à leur maison. Ils reçurent de grands secours du roi d'Angleterre, et ils se fortifièrent dans le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, qui appartenait à Geoffroy de Harcourt. Sous ce redoutable baron, Saint-Sauveur devint une place d'armes importante, d'où H sortait pour fondre, à l'improviste, sur tout ce qu'il croyait tenir au parti de son ennemi. Les Anglais, à qui Geoffroy de Harcourt finit par livrer ce chàteau-fort, couvrirent le pays de deuil et d'horreurs : après avoir détruit en partie l'abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, ils vinrent ravager et incendier celle de Lessay; Guillaume d'Aste eut la douleur d'être témoin de ces scènes de" pillage et de désolation (2).
XX. Guillaume III Bolevin figure comme vingtième abbé de Lessay, dans des actes de3 années 1376, 1379 et 1384. |
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||
|
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||
XXI. Pierre III Le Roy devint le vingt et unième abbé de Lessay, en 1385. Il y avait peu de temps qu'il administrait l'abbaye, quand il obtint le titre d'abbé du Mont-Saint-Michel. Cependant, il sut employer ses courts instants d'administration à faire à l'église d'importantes réparations. Voici ce que dit de cet abbé un historien du Mont-Saint-Michel: « Ce fut un trait d'une haute sagesse aux religieux de'ce Mont d'avoir esleu » Pierre Le Roy qui pour l'erainence de son savoir, la matu» rité de ses conseils, el pour"ses vertus, eust sans contredit •> mérité d'estre appelée le roy des abbez pour les charges où » il a esté eslevé par le souverain pontife, et les employs qui • lui ont esté commis par le roi de France. » Il était docteur en décret, et il avait été d'abord abbé de SaintTaurin d'Evreux.
XXII. Thomas II Le Forestier succéda à Pierre Le Roy, comme vingt-deuxième abbé de Lessay. Il est cité dans des actes de 1387, 1388, 1389 et 1396.
XXIII. Jean III Jemiers, vingt-troisième abbé de Lessay, obtint de Charles VI, roi de France, le 5 décembre 1397, l'usage d'un sceau commun à l'abbé et aux moines. Il .nomma, dans le mois de février 1398, Guillaume, l'un des religieux de sa maison, au prieuré de Boxgrave. Ce prieuré, après être resté long-temps dans la dépendance de l'abbaye de Lessay, eut le sort commun de tous les prieurés étrangers en Angleterre. Fondé dans un temps où ce royaume et Ta Normandie avaient un même souverain, il fut réuni à la couronne d'Angleterre, quand notre province cessa de lui appartenir, ou plutôt quand de longues guerres, entre les deux nations ennemies, ne permirent plus aux rois de France et à ceux d'Angleterre d'avoir des sujets neutres. Le prieuré de Boxgrave fut un des derniers qui conserva la juridiction transmarine.
Jean fut un des abbés qui défendirent, contre les prétentions du chapitre de Coutances, le titre de chanoine que Hugues de Morville avait concédé à l'abbé de Lessay. Il envoya un procureur au Concile de Pise, en l'année 1409.
XXIV. Jean IV Le Roux figure comme vingt-quatrième abbé de Lessay, dons des actes des années 1412 et 1413.
Henri, roi d'Angleterre, devenu maitre de la Normandie, ordonna que tous les biens confisqués sur l'abbaye de Lessay lui fussent rendus, et qu'on célébrât l'office comme à l'ordinaire. Deux ans après, il confirma les religieux de Lessay dans tous leurs droits et toutes leurs franchises.
XXV. Guillaume IV de Guéhébert succéda à Jean Le Roux, comme vingl-cinquième abbé de Lessay. Il appartenait à l'ancienne et noble famille de Thieuville, qui déjà avait donné deux abbesses à Caen, et deux évêques, l'un à Avranches et l'autre à Coutances. Cette famille possédait alors la seigneurie de Guéhébert, entre Coutances et Hambye, et elle y avait sa résideuce. On le trouve cité dans un acte de 1423. Il prêta serment au Roi, le 8 août 1430. Il acheva, dans l'église de son monastère, des réparations importantes, commencées depuis près de quarante ans, et alors que Pierre Le Roy administrait l'abbaye. Il donna, pour orner le chœur, un candélabre en cuivre, sur lequel était gravé son nom. Il résigna ses fonctions, quelques années avant sa mort qui arriva dans le mois d'avril 1447. Il fut inhumé près de la chapelle Saint-Pierre, où sa statue se voyait sur son tombeau. Sa famille portait d'argent à deux bandes de gueules accompagnées de sept coquilles de même.
XXVI. Eustache de Ver, admis à la profession monacale la veille de Noël de l'an 1432, devint le vingt-sixième abbé de Lessay, à la suite de la retraite de Guillaume de Guéhébert. Il prêta serment à Charles VII, en 1450, et le renouvela à Louis XI, le 9 décembre 1461. Il assista aux séances de l'échiquier, en l'année 1474, et mourut le 14 juillet 1478. D'après le nécrologe de Saint-Sauveur, Eustache de Ver fut inhumé dans la chapelle Sainte-Croix.
XXVII. Gerold Rustain succéda, comme vingt-septième abbé de Lessay, à Eustache de Ver, et mourut peu de temps après.
XXVIII. Raoul Piroust est cité comme le vingt-huitième abbé du monastère de Lessay.—Rien ne nous est parvenu sur l'administration de ces deux abbés.
XXIX. Jean V Vaslin, protonotaire apostolique, devint le vingt-neuvième abbé de Lessay. Il figure comme tel, depuis 1484 jusqu'en 1504 : ce fut en sa faveur que cette maison fut mise en commende. C'est à son époque que commença la période de décadence de la vie claustrale, et c'est à lui que commence, à Lessay, la série des abbés commendataires, ces grands seigneurs qui trop souvent n'eurent de sacerdotal que leur titre d'abbé, et qui trop souvent aussi disputèrent aux religieux la faible part qui leur était laissée dans le revenu du monastère.
XXX. Guerin II Lattre, prieur de Saint-Germain-sur-Ay, fut nommé trentième abbé de Lessay. Il obtint aussi de Louis XII l'abbaye du Mont-Saint-Michel, et jouit ainsi à la fois des revenus de deux monastères. Il passa sans rien faire ni dans l'un ni dans l'autre
XXXI. Nicolas II Jeroesme, religieux élevé dans le monastère de Lessay, loci alumnus, en devint le trente-et-unième abbé, en l'année 1514. Obligé de poursuivre un procès commencé, avant son entrée en fonctions, contre le chapitre de Coulances, il obtint, le 22 août 1519, une sentence qui, malgré la résistance et les prétentions du chapitre, maintint l'abbé de Lessay dans sa dignité de chanoine de l'église de Coulances, avec droit à une prébende. La sentence porte anssi que labbé de Lessay s'acquittera des devoirs de sa charge, dans son ordre et suivant son grade, sans que personne puisse s'y opposer, et qu'il jouira de toutes les immunités et libertés attachées à sa dignité; qu'il lui sera permis de porter l'aumusse dans le chœur, et que les chanoines lui restitueront les fruits qu'ils avaient indûment perçus. Cette sentence rendue par le juge de Lessay, tn foro exaquiensi damnati fucrvttt, fut confirmée par le parlement de Rouen, le 6 juin 1520, a senatu rothomagensi sententia confirma ta fuit.
Pendant que Nicolas Jeroesme gouvernait le monastère, le désordre devint si grand dans les abbayes et les prieurés du Cotentin et du Bessin, qu'ordre fut donné à la cour des Grands Jours, qui se tint à Coutances, d'y remédier, c'est-à-dire de pourveoir aux églises, aux monastères, aux hospitaux, tant sur le faict du service divin, entretenement des saincis • décrets, discipline régulière, que sur les ruines, decadences, désolations des églises et des maisons qui y appar» tenoient. » On ne saurait croire, en effet, à quel degré le désordre en était venu dans les abbayes ainsi que dans les prieurés donnés en commende à des séculiers, à des laïques, à des hommes de guerre, qui, ne se souciant que des revenus, y laissaient d'ailleurs tout à l'abandon, au temporel comme au spirituel.
L'abbé de Lessay, inquiet de voir augmenter le nombre des pauvres qui se présentaient à l'abbaye pour obtenir l'aumône, s'adressa à la justice, afin de faire régler les aumônes que le monastère serait obligé de faire. L'abbaye, disait-il, n'est tenue qu'à la prière, d'après ses titres de fondation; cependant, elle ne prétend pas se dispenser défaire l'aumône; elle la fait généreusement, et quelquefois même au-delà de ses moyens; mais il y a nécessité de prescrire des limites contre les exigences toujours croissantes des pauvres. Un arrêt de la cour des Grands Jours, rendu à Bayeux, au mois de décembre 1540, régla ainsi qu'il suit les aumônes de l'abbaye de Lessay:
Le jour saint Biaise, il y avait une distribution générale de pain blanc et de pain bis, avec une aumône de 40 sous le jeudi absolu (I). Tous les jours, après le diner des religieux, il y avait distribution de pain et de viande. Le jeudi gras, chaque paroissien de Sainte-Opportune recevait un pied de lard carré, et les paroissiens d'Orval touchaient trente livres par an. Ces aumônes se faisaient sans diminution de celles données aux religieux mendiants, de l'hospitalité accordée aux passants, et de l'assistance quotidienne des pauvres du voisinage.
Les aumônes que les religieux distribuaient ainsi à la porte de leurs couvents leur conciliaient la faveur et la reconnaissance des pauvres : mais cette charité, honorable dans son principe, n'atteignait pas son but, ef n'exerçait d'ailleurs aucune influence sur le travail et la moralité des populations. D'autres institutions ont remplacé ces aumônes dans nos villes : elles ont pour but de moraliser les pauvres qui les reçoivent-, elles changent les aumônes en travail qu'elles procurent avec zèle et intelligence, et elles savent, dans la distribution des secours, respecter la délicatesse des sentiments de ceux qui les reçoivent. *
Nicolas Jeroesme mourut le 11 janvier 1559. On croit qu'il fut enterré dans le chœur, du côté gauche.
XXXII. Arthur de Cossé, de la maison de Brissac, fut le trente-deuxième abbé de Lessay. Il en était abbé commendataire, lorsque Charles IX monta sur le trône. Le Boi ne tarda pas a le nommer évôque de Coutances, et ensuite abbé du Mont-Saint-Michel. Il fut aussi aumônier de François, duc d'Anjou, frère du Boi.
Si l'on en croit quelques auteurs, Arthur de Cossé, fils naturel de Charles de Cossé, maréchal de France, n'aurait pas été un modèle de vertu, et les moines qu'il gouverna lui auraient reproché des mœurs très-suspectes. D'autres écrivains, et parmi eux Belleforest, sou contemporain , le représentent comme un prélat dont la conduite fui toujours vertueuse, comme une victime des guerres de religion qui, pendant de trop longues années, désolèrent et ruinèrent le pays. Les moines de Lessay, comme ceux des autres abbayes, s'enfuirent devant la persécution, abandonnant leur monastère à la fureur des protestants et au pillage des troupes que commandait Montgommery.—Arthur de Cossé mourut le 7 octobre 1587.
XXXIII. Lancelot de Matignon devient le trente-troisième abbé de Lessay. Henri III, voulant récompenser Jacques de Matignon, qui alors montrait dans la Guyenne un grand zèle pour son service, nomma abbé de Lessay et èveque de Coutances l'un de ses fils, Lancelot de Matignon, seigneur de Louray, déjà abbé de Cherbourg : mais la mort vint le surprendre, peu de mois après, le 1er janvier 1588. L'abbaye resta sans abbé pendant plu3 de trente ans. Durant cet interrègne , les religieux furent rappelés â la primitive observance des règles de leur ordre; mais bientôt ils reprirent leur vie relâchée.
XXXIV. Jean VI Rombault est le trente-quatrième abbé de Lessay : il prit, en l'année 1620, possession de l'abbaye, en qualité d'abbé commendataire.
XXXV. Léonor Ier de Matignon, connu dans le monde sous le nom de baron de Saint-Lo, fils de Charles de Matignon et de la princesse Eléonore d'Orléans-Longueville, cousine germaine de Henri IV, fut le trente-cinquième abbé de Lessay. Lorsqu'il fut nommé commendataire de cette abbaye, en 1622, il n'avait pas encore 21 ans. Il fut pronju à l'évêché de Coutances, au mois de juillet 1625 : sacré évêque le 9 octobre 1633, il assista comme tel à-Saint-Germain-en-Laye, à la cérémonie du baptême du dauphin, depuis Louis XIV, et prit part aux délibérations des assemblées générales du clergé de France. Il sortit peu de son diocèse, et fit de l'abbaye de Lessay sa demeure la plus ordinaire, parce que le palais épiscopal tombait en ruines, et ne présentait qu'un asile dangereux. Transféré, en 1646, de l'évêché de Coutances à celui de Lisieux, beaucoup plus riche, il s'en démit en 1676. et mourut à Paris, le.14 février 1680.
XXXVI. Léonor II de Matignon, neveu du précédent, lui succéda au mois d'avril 1680, et fut le trente-sixième abbé de Lessay. — Voulant établir dans son abbaye la réforme monastique, il y fit venir des religieux de Cormeilles: cette mesure n'eut point de succès; les nouveaux religieux suivirent les tristes exemples de ceux auxquels on les avait substitués. L'abbaye continuant d'être en proie à la licence et au dérèglement des mœurs, l'abbé y appela des religieux de la congrégation de Saint-Maur. Jean Biré, sous-prieur de Saint-Etienne de Caen, y fut envoyé, en l'année 4706, avec dom Forestier, dom François de Bure, dom Pierre Gibert, de Saint-Vigor de Bayeux, et dom Malortis, de Saint-Ouen de Rouen. Le prieur de Saint-Etienne était venu à Lessay visiter l'abbaye, et paraissait avoir tout disposé pour obtenir un plein succès; mais les religieux de Cormeilles avaient fait avec leur abbé, M. de Matignon, un traité auquel, avant tout, on aurait dû songer à les faire renoncer. Ils reçurent avec déférence M. de Matignon, qui leur amenait les cinq religieux réformés; mais, quand il fut parti, ils se ravisèrent, reprirent courage et changèrent de résolution. « Les anciens de Lessay, dit le prieur dom Chevillard, se voyant déchargés de Monseigneur de Lisieux, qui les avoit fait trembler, étant allés au conseil de leurs amis, s'aperçurent bientôt qu'ils avoient eu peur, là où il n'y avoit pas sujet de craindre. Ils reprirent le superius à leur tour, et se mirent sur un pied de maître, rencoignèrent » nos cinq confrères dans la maison abbatiale toute délabrée, fermèrent toutes les portes, excepté celles de l'église, où ils leur accordoient à peine la liberté d'aller prier Dieu, » seulement pendant le jour. Nos confrères n'avoient ni pain, ni cidre pour vivre, ni bois pour se chauffer, en sorte qu'ils » se tirèrent les uns après les autres comme ils purent d'une » si méchante hôtellerie, et qu'il n'y resta plus que le père » Biré et le père Forestier. Celui-ci n'y demeura pas non plus » long-temps, car il mourut de misère bientôt après, et le père Biré resta seul
Les supérieurs de la congrégation de Saint-Maur, mécontents d'une pareille conduite envers leurs frères, obtinrent du Grand-Conseil un arrêt qui donnait commission au lieutenantgénéral à Coutances de se rendre à Lessay, pour y établir d'autorité les religieux réformés que le prieur de SaintEtienne y avait conduits. Les anciens moines les mirent en possession des lieux réguliers et leur cédèrent la place, moyennant une pension de 500 livres, faite à chacun d'eux.
L'abbé de Lessay, Léonor II de Matignon, mourut évéque de Lisieux, le 14 juillet 1714.
XXXVII. Léonor III de Matignon, neveu de Léonor II, déjà prieur du Plessis-Grimoult, succéda à son oncle, le 15 août 1714, et fut le trente-septième abbé de Lessay, le septième des abbés commendataires. Il fui nommé évéque de Coutances, le 8 janvier 1721, et mourut le 20 mars 1757.
Le monastère de Lessay avait déjà été obligé de faire fixer les aumônes qu'il aurait à faire ; mais les abus se renouvelant sans cesse, il se vit forcé de réduire ses aumônes quotidiennes à trois jours de la semaine, et de-les supprimer tout-à-fait pendant trois mois de l'année. Ce règlement ne diminua pas les abus; on vit quelquefois plus de mille pauvres attendre à la porte de l'abbaye la distribution des aumônes; souvent la maison fut menacée de pillage et d'incendie. Les personnes chargées de la distribution , ordinairement maltraitées dans l'exercice de leurs fonctions, faillirent perdre la vie, dans les • années 1687, 1709 et 1718. Il devint nécessaire d'employer la force publique, afin de les protéger et de prévenir toute tentative de meurtre. On vit des fainéants et des gens sans aveu venir fixer leur domicile auprès de l'abbaye, et des hommes dans l'aisance accourir avec leurs femmes, leurs familles et leurs domestiques, et prendre part aux distributions comme à une redevance à laquelle ils avaient droit. Alors, l'abbaye, qui ne pouvait continuer de faire l'aumône à une pareille multitude de mendiants, sans être forcée de supprimer les aumônes légitimes, réclama du parlement de Rouen un arrêt qui fixât ses obligations et les droits des pauvres. Elle proposa de porter la quotité des aumônes à 1,500 livres en argent, ou mille boisseaux d'orge, qui donneraient 70,000 portions de pain d'une livre chacune. L'abbaye s'engageait à faire remettre ces aumônes aux curés des paroisses où elle possédait des biens, afin qu'ils en fissent la répartition entre leurs pauvres, suivant les besoins de chacun.
Le parlement éleva la somme à distribuer à 1,100 boisseaux d'orge, pesant 62 livres le boisseau. Il accorda, en outre, en faveur des pauvres de la paroisse de Sainte-Opportune, 100 boisseaux, afin de remplacer le pied de lard en carré qui leur était dû, et il maintint les 30 fivres de rente dues aux pauvres d'Orval. La répartition fut faite comme il suit: |
||||||||||||
Sainte-Opportune 34 Créances 140 Angoville-sur-Ay 80 Gcffosses 33 Mobec 33 Gerville 29 Surville 13 Baudreville 13 Glaligny 10 Saint-ifartin-du-MesnU S Appevillle 48 Le Plessis 14 Claids 14 Bretteville-sur-Ay. 20 Sotteyasl 7 Pirou 65 Varenguebec 0 Coigny 9 La Haye-du-Puits 1" Oml 25 Montcbaton 12 Feugères 23 Arganchy 23 Martragny 7 Anneville-en-Saire 18 Ourville 36 Omonville-la-Foliot 12 Saint-Symphorien 5 1/2 Tourvilie 9 1/* Yeslv 91 LaFeuillie 67 |
||||||||||||
En tout 1,226 boisseaux, c'est-à-dire 26 de plus que le règlement : ce qui provient d'une erreur de calcul en faveur des pauvres. L'abbaye devait Taire porter ces aumônes à jour Qxe, au domicile des curés. L'arrêt enjoignait à ceux-ci de f8ire cuire le pain de leurs paroissiens qui, pour cause de pauvreté ou de maladie, seraient empêchés de le cuire eux-mêmes. Le boisseau d'orge était de 24 pots, mesure de Lessay, et estimé alors \ fr. 50 &. Ces aumônes, en fixant le boisseau d'orge, terme moyen, à 5 fr., représenteraient, aujourd'hui, une valeur de plus de 6,000 fr. L'abbaye continuait d'être obligée à faire des aumônes de circonstance et à exercer l'hospitalité.
XXXVIII. Jean-Ignace de La Ville succéda, en 1757,comme trente-huitième abbé de Lessay, à Léonor III de Matignon. Il fut évêque inpartibus de Tricomie, et il avait été élu,membre de l'Académie française en 1746. Après quarante années de services utiles rendus à son pays, dans d'importantes négociations diplomatiques, on créa pour lui la place de Directeur des affaires étrangères, qui lui donnait rang immédiatement après le ministre. Il mourut, à Versailles, le 15 avril 1774.
XXXIX. Raimond de Mrfort-Léobard, archevêque de Besançon , fut le trente-neuvième et dernier abbé de Lessay. Il était encore abbé commendataire, quand la tourmente révolutionnaire emporta son abbaye et tous les autres établissements religieux. Alors, quatre bénédictins, sous la conduite de l'un d'eux, qui prenait le titre de prieur, dom Costard, dom Foucher, dom Lefevre et dom Wollard, formaient toute la population du monastère de Lessay, dans lequel, comme dans presque toutes les abbayes d'hommes, il s'était introduit beaucoup de relâchement. Aussi, ces religieux, dans le pays, ne paraissent-ils avoir laissé aucun souvenir. Ils ne se livraient ni aux études sérieuses, ni aux recherches historiques, si, du moins, nous en jugeons par l'absence complète d'ouvrages ou de manuscrits sortis de leurs mains. La source des vertus austères était même tarie pour eux.
L'Assemblée constituante prononça l'abolition des vœux monastiques et la suppression des congrégations religieuses. Aujourd'hui que ces faits sont loin de nous, et que les esprits sages sont sans haine comme sans regrets pour les ordres monastiques, il faut convenir que la plupart de ces maisons religieuses avaient justifié d'avance les rigueurs qui les atteignirent. A ces mœurs sévères, à cette discipline ecclésiastique, à celle science profonde qui avaient illustré ces maisons, dans les premiers siècles de leur vie, avaient succédé des jours de relâchement et d'oisiveté. On ne voyait plus sortir des abbayes ces grands travaux de l'esprit et de l'intelligence, qui, jadis, avaient occupé leurs religieux infatigables, et avaient rendu tant d'importants services aux sciences et à l'histoire. Le clergé, surtout celui des campagnes, avait peu de sympathie pour les moines, et le peuple leur conservait peu de respect. Des établissements où, de nos jours, la vie serait purement contemplative, et où les nommes ne rendraient aucun service à la société, seraient bientôt frappés de mort. Si nous voyons certains établissements , ceux des Trappistes , entre autres, exciter de l'intérêt et mériter les sympathies des populations, c'est que les hommes qui s'y consacrent à la vie religieuse, s'y livrent aussi avec ardeur et intelligence à des travaux agricoles; qu'ils défrichent des terres incultes , font progresser l'agriculture, et paient ainsi leur dette à la société et au bienêtre de la commune patrie.
Les revenus présumés de l'abbaye de Lessay, alors qu'arrivèrent les mauvais jours de la Révolution, étaient évalués à 80,000 livres, qui se partageaient entre l'abbé, le prieur et les religieux. L'abbé, dont la part pouvait être de 50,000 livres, payait 600 florins d'or à la cour de Borne, pour ses provisions. L'abbaye payait 1,908 livres 11 sous 6 deniers de décimes, et le chiffre de celles payées par les églises qui lui appartenaient s'élevait à une somme de plus de 3,000 livres.
D'après le Livre blanc de l'abbaye de Lessay, l'abbé et son couvent avaient le patronage des églises et le droit de présentation aux cures dont suivent les noms:
Dans le doyenné de la Chrétienté, les églises d'Orval et de Montchaton; ,
Dans celui de Périers, les églises de Créances, Feugères, Pirou, Geffosses, la Feuillie, et Saint-Sauveur-Lendelin pour une partie -,
Dans le doyenné du Bauptois, les églises de Prélot, Appeville, Sainte-Suzanne, Coigny, du Plessis et de Beuzeville;
Dans celui de la Haye-du-Puils, les églises de la Haye-duPuits, Mobec, Bretteville, Angoville, Sainte-Opportune, Glaligny, Gerville, Vesly et Saint-Patrice-de-Claids;
Dans le doyenné de Saint-Sauveur-le-Vicomte, les églises de Varenguebec, Baudreville, Omonville-la-Foliot et Surville;
Dans celui de Barneville, les églises de Saint-Jean-de-la Bivière, de Saint-Georges-de-la-Rivière, de Portbail, de SaintLo-d'Ourville et de Saint-Martin-du-Mesnil;
Dans le doyenné de Valognes, les églises d'Auraeville et du Vicel;
Dans celui de Saire, l'église d'Anneville;
Dans le doyenné des Pieux, l'église de Sottevast;
Dans le diocèse de Bayeux, les églises de Vaussicux, de Coisnières aujourd'hui Anctoville, d'Arganchy et de Martragny;
Dans le doyenné des Iles, in decanatu insularum, l'église de Saint-Martin-de-Grouville, à Jersey (1).
L'abbaye avait aussi les prieurés d'Orval, de Pirou, de Portbail, de Barneville, d'Avarrevitle, de Bolleville, de SaintHerbland dans le doyenné des Pieux, in decanatu de Podiis; de Saint-Ermeland, dans le doyenné du Bauptois, in decanatu de Bauptesio; et de Saint-Marlin-de-1'If, dont les religieux devaient sonner la cloche de leur chapelle, tous les soirs, à la chute du jour, pour inviter à l'hospitalité les voyageurs égarés dans les bois. Jusqu'à la fin du xive siècle, elle eut le prieuré de Boxgrave, en Angleterre.
Le tableau des paroisses du diocèse, dressé en l'année 4 665, indique plusieurs changements dans la liste des patrons présentateurs de chaque cure, telle que la donnait le Livre blanc de l'abbaye. Ainsi, le patronage était devenu laïque et appartenait au seigneur, dans les paroisses de Montchaton, Coigny, Beuzeville, Saint-Palrice-de-Claids, Aumeville et Soltevast; l'abbaye avait obtenu le patronage des églises de Varengucbec et de Bricquebosq.
La maison abbatiale et celle des religieux subsistent encore dans un état parfait de conservation. Elles sont contiguës à l'église et placées au nord. Leur construction, qui m'a paru remonter aux dernières années du xvue siècle, offre la forme d'un triangle. Ces bâtiments ne se composent que d'un rez-dechaussée et d'un étage supérieur. Au surplus, je n'ai pa s visité leur intérieur, qui, sans doute, a été approprié aux besoins et aux exigences d'une maison particulière. |
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||
|
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||
Liste des abbés de Lessay Article de Mr Renault 1880
I. Roger Ier, religieux de l'abbaye du Bec, est regardé comme le premier abbé de Lessay. Suivant un ancien catalogue des abbés de ce monastère, on pourrait penser que Ranulf, frère de Turslin, aurait obtenu cette dignité, parce que non seulement il dirigea les travaux de la construction primitive de cette maison, mais parce qu'il y réunit jusqu'à 70 moines. Cependant, celte contradiction n'est qu'apparente, et peut facilement se concilier. L'un des chefs de la maison pouvait être le frère du fondateur, chargé du soin qu'exigeait un établissement naissant, tandis qu'un religieux, venu d'un monastère célèbre, y enseignait et y mettait en pratique le régime cénobitique. Aussi , l'historien Robert-du-Mont cite-t-il Roger comme ayant été le premier abbé de Lessay. On lisait son nom dans la réponse que les moines de cette maison Tirent aux lettres que les religieuses de Caen envoyèrent aux abbayes, afin de leur annoncer la mort de Matbilde, première abbesse de l'abbaye de Sainte-Trinité, fondée en cette ville par la reine Mathilde, alors que son mari, Guillaume le Conquérant, fondait celle de Sainte-Etienne, dans la même ville.
D'après les manuscrits de l'abbaye du Bec, Roger vint assister, à son lit de mort, le vénérable Helluin, abbé de ce monastère : il était présent à l'élection de Guillaume de Montfort, quand il succéda au célèbre Anselme comme abbé du Bec. On le voit encore figurer, au mois de février 1093, aux funérailles de Geoffroy de Monlbray, évéque de Coutances, qu'il était venu visiter, pendant sa maladie.
Roger reçut les vœux d'Emma, fille de Turstin, fondateur de l'abbaye, et veuve depuis 30 ans : « Après la mort d'Ernauld, » son mari, elle se retira chez Eudes, son frère, sénéchal du » duc de Normandie, qui, par ses richesses et sa puissance, » tenait le premier rang, dans le Cotentin, parmi les seigneurs • du pays. Elle vécut honnêtement dans le veuvage, pendant » trente ans, soit chez son frère, soit chez quelques autres de » ses amis. Par sa chasteté, sa douceur et ses autres bonnes qualités, elle mérita beaucoup de louanges. Vers la fin de sa carrière, elle quitta l'habit séculier, et reçut avec beaucoup de dévotion le voile sacré de la main de Roger, abbé de Sainte-Trinité de Lessay Ce fait se passa en l'année 1094.
On fixe l'époque de la mort de Roger au mois de juin de celte même année. Cependant, quelques écrivains prétendent que, le jour de Noël 1095, il reçut d'Eudes au Capel une charte confirmative de l'abbaye de Lessay; aussi, trouve-t-on ailleurs sa mort fixée au 3 février 1106.
II. Robert du Mont indique Geoffroy comme second abbé de Lessay, et Guérin Ier est cité comme le troisième abbé. Ces deux moines sortaient de la vénérable abbaye du Bec, ce foyer de lumières, ce centre d'études, qui, pendant les Xieme et XIIeme siècles, éclaira de ses rayons et peupla de ses élèves la Normandie, la France et l'Angleterre, et ranima, jusque dans les parties les plus reculées de l'Italie, le flambeau des études ecclésiastiques et littéraires.
Guillaume d'Ansleville confirma à l'abbaye de Lessay la donation qu'un de ses ancêtres lui avait faite des églises d'Anneville et du Vicel, et il lui donna le patronage de celle de Saint-Léger d'Anneville; pour cette donation, il reçut de l'abbé dix marcs d'argent, afin de payer la rançon de Geoffroy, son fils, fait prisonnier dans son voyage à la terre sainte: Adredimendum filium meum de ea captivitate qua captus erat.
Cette donation fut faite, l'an 1106, en présence et du consentement d'Hadewise, femme du donateur. Elle comprenait l'église et toute la maison d'Anquetil, qui demeurait près le cimetière, et dans laquelle devait toujours habiter un serviteur de l'église, affranchi de tout service : Tolam et domum Anschitilli qui manebat juxta cimiterium in qua domo débet semper manere servitor ejusdem ecclesie quietus ab omni servicio. Le donateur la déposa sur l'autel de l'église de L’abbaye, L'abbé et 6on couvent, outre les dix marcs d'argent, accordèrent encore à Guillaume, à sa femme, et à leurs fils; la société de leur maison, societalem loci.
III. Guérin Ier succéda à Geoffroy, comme abbé du monastère.
Robert de Prétot ou encore de Peretol, et Béatrix, sa femme, donnèrent en aumône perpétuelle, in elemosina perpétua, à l'église de Sainte-Trinité de Lessay, l'église de Saint-Pierre de Prétot avec ses dîmes et ses aumônes. Ils lui Tirent celte donation, le jour où leur Gis Geoffroy prit l'habit monacal dans la maison de Lessay : In die quo ibi filius ejusdem Gaufridus habitum religionis accepit. Robert donna encore à l'abbaye la terre AHodierne et celle d'Onfroy Thalevent , terrant Hodierne et terratn Hunfridi Thalevent; et, afin de donner plus d'éclat à cette libéralité, il déposa sa charte de concession sur l'autel de la Sainte-Trinité.
IV. Robert Ier, moine de l'abbaye de Saint-Etienne de Caen, fut le quatrième abbé du monastère de Lessay. Guillaume, fils de Guillaume d'Ansleville, confirma à Robert la donation que son père avait faite à l'abbaye de Lessay; et it reçut de l'abbé cent sous de Rouen et un palefroi, pour prix de sa confirmation. L'homme riche qui faisait une donation aux moines obtenait souvent de leur reconnaissance des chevaux pour lui-même, ou pour sa femme, quelquefois même pour ses enfants. Geoffroy d'Ansleville, sans doute un des descendants de Guillaume, confirma, en l'année 1439, les donations faites par ses ancêtres à l'abbaye de Lessay, et y ajouta même le don d'une chapelle qu'il avait près de la rivière de Saire, quœ est juxta fluvium Sarœ.
V. Raoul, aussi moine de Caen, est inscrit sur les listes comme le cinquième abbé: on le trouve cité dans plusieurs chartes, et notamment dans une que Roger d'Aubigny, fils de Guillaume, octroya à l'abbaye. Ce seigneur, pour le salut de son âme et de celle de ses parents, donna au monastère de Lessay la dime avec des droits de foire et de marché, à Aubigoy et Saint-Christophe; à Marchésieux, un jardinier avec les terres qu'il tenait, unttm hortulamm cum Ma terra quant tenel. Les témoins de cet acte furent le vicomte Eudes, Richard de Cérences, Richard de la Lande, Robert, chapelain d'Eudon; Roger Laboii, Roger Delpedrun, Roger Dapifer, Néel, fils d'Osmond de Feugères, etc., etc.
Raoul reçut la donation que lui firent Godefroy du Ruisson, de Dumo, et Raoul, son fils, de l'église de Saint-Martin de Grouville, à Jersey, le jour où sa femme Emma fut inhumée dans le cimetière de l'abbaye, c'est-à-dire le 8 des calendes du mois d'août (25 juillet) 1149.
Richard de la Haye-du-Puits lui donna dix sous pour l'entretien du luminaire dans l'église de l'abbaye. Roger de Méautis, qui fut aussi un des bienfaiteurs de ce monastère, lui concéda, entre autres choses, 300 anguilles à prendre dans sa pêcherie.
Raoul souscrivit la charte par laquelle Richard de Bohon, évêque de Coutances, abandonna, en l'année 1152, à l'abbaye de Lessay, l'église de Saint-Syraphorien.
VI. Roger, deuxième du nom, moine de Caen, fut élu sixième abbé de Lessay. Il transigea, en l'année 1157, en présence de Robert, évêque de Lincoln, sur quelques droits qu'avait son abbaye dans le diocèse de Lincoln, en Angleterre. Dans le même temps, il obtint de Richard de Bohon la confirmation de ce que l'évôque Algare, son prédécesseur, avait donné à l'abbaye.— Il présenta à l'évèque de Lincoln un de ses moines Guillaume de Planlicarde, pour la paroisse de Karleton.— Le 1er novembre 1164, il termina avec l'évèque de Coutances un différend qu'ils avaient pour la dime du moulin de Saint-Sauveur : Cum Bicardo Conslansiensi Iransegit super décima molendini Sancti Salvaloris, 1 novembris HQi.
VII. Pierre, premier du nom, succéda à Roger comme septième abbé de Lessay: ce fut sous son administration, au mois de septembre 1178, qu'eut lieu la dédicace de l'église de l'abbaye. Généralement, les cathédrales, les églises des abbayes, étaient consacrées avant d'être terminées : celle de Lessay, au contraire, le fut plus d'un siècle après sa fondation, sans qu'on puisse expliquer la cause de ce long intervalle. Rotrou , archevêque de Rouen , présida à cette cérémonie, assisté de Richard de Bohon, évêque de Coutances: voulant consacrer la mémoire de ce fait important, Rotrou octroya à Pierre une charte conflrmalive de toutes les concessions que l'abbaye avait précédemment obtenues.
Pierre, abbé de Lessay, et son couvent abandonnèrent les droits qu'ils avaient sur l'église de Saint-Symphorien, près la Haye-du-Puits. Cet abandon fut consenti dans le chapitre de l'abbaye , en présence de Richard, évêque de Coutances, d'Herbert, abbé de Grestain; de Philippe, Jean et Guillaume, archidiacres de Coutances; de Richard de la Haye, de Guillaume d'Orval, de Robert de Prétot, de Richard Avenel, de Richard de Glatigny, et de Renaud du Maisnil. Les religieux firent aussi l'abandon de la dime, des deniers de rente, et du manoir de Cambridge, de Cambringeham : Richard leur donna, en échange, la dime de quatre livres, qu'il avait à Lincoln, sur le fief de l'évêque , et promit de les leur échanger en Normandie, s'il était nécessaire.
VIII. Thomas Ier, moine de Caen, devint le huitième abbé de Lessay. Il assista, au mois de février 1185, à la dédicace de l'abbaye de Blanchelande, qui avait pour fondateurs Richard de la Haye et Mathilde de Vernon, sa femme. Il obtint du pape Urbain III plusieurs bulles, qui accordaient au monastère des privilèges et des immunités, au nombre desquels figure le droit de ne pouvoir, sous aucun prétexte, être condamné à l'amende: In altéra, inler immunitates et privilégia quibus cœnobium décorât, nul la omnino quacumque ratione aut colore pecuniaria mullari pœna decernit.
En l'année 1492, Thomas convint avec Guillaume de Pirou que l'église de Pirou, qui devait être desservie par trois moines, dont la réunion avait donné naissance à un prieuré, ne le serait plus à l'avenir que par un seul.
La même année, il s'éleva une contestation entre les religieux de Lessay et ceux de Blanchelande, au sujet des droits que les uns et les autres prétendaient exercer sur l'église de Cambridge, en Angleterre, super ecclesiam de Cambrigeham. L'évêque de Coutances, Guillaume de Tournebu, termina le différend, et adjugea l'église à l'abbaye de Blanchelande, qui céda à Lessay le patronage de l'église de Beuzeville-en-Bauptois. La décision de l'évôque fut rendue à Coutances, apud Comtantiam, le jour de la Sainte-Croix, tn festo exaltationis sanctœ Crucis, en présence de Richard Duport et de plusieurs autres témoins, et pluribus aliis, l'an du seigneur 1492, anno domini m" c° xc° secundo.
IX. Onfroy Ier est cité comme neuvième abbé de Lessay. Les abbayes de Blanchelande et de Lessay, en l'année 1202, se disputèrent les dimes de l'église de SaintGeorges-en-Bauptois. Vivien, évèque de Coutances, et Hugues Nereth, archidiacre, furent pris pour arbitres et pour juges. Bs décidèrent que Blanchelande aurait l'église de SaintGeorges, avec tout ce qui lui appartenait -, qu'elle la tiendrait de l'abbaye de Lessay à ferme perpétuelle, et lui paierait sept livres d'Anjou, une moitié au synode d'octobre et l'autre au synode de Pâques, avec réserve pour l'abbaye de Lessay de deux gerbes de dime et de toutes les dimes de la forêt du Plessis. Cet accord fut fait dans le chapitre de Coutances.
L'abbé de Lessay eut une autre difficulté avec l'abbaye de Saint-Taurin d'Evreux, pour les dimes de son domaine de Pères, qu'elle possédait dans la paroisse Saint-Etienne de Minières. Il transigea sur cette difficulté, l'an 1206.
X. Guillaume Ier devint le dixième abbé de Lessay. Nicolas de Laigle, doyen d'Avranches, réclama certains droits contre l'abbé du Mont-Saint-Michel, si mieux n'aimoit le couvent du Mont-Saint-Michel lui payer une somme de neuf livres monnoie d'usage de rente annuelle. La difficulté fut soumise au jugement de Hugues de Morville, évèque de Coutances, et de Guillaume, abbé de Lessay : les deux arbitres, du consentement de Guillaume Ptolom, évèque d'Avranches, adjugèrent à Nicolas de Laigle les neuf livres de rente qu'il demandait.
Hugues de Morville, en l'année 1208, confirma aux religieux de Lessay la dime de Sainte-Opportune. En 1222,- il leur donna une charte, par laquelle il disposait qu'à l'avenir les abbés de Lessay seraient chanoines de l'église de Coutances, et jouiraient des mêmes droits que les autres chanoines. 11 voulut encore que, si l'abbé de Lessay était présent, il eût sa stalle dans le chœur et sa voix au chapitre, pour les affaire^ relatives à l'église; il lui refusa, cependant, le droit d'élection.
A titre de bénéfice, il lui donna l'église d'Orval, sous la réserve de tous les droits de l'évéquc et de ceux des archidiacres.
Le chapitre ne manqua pas de s'élever plusieurs fois contre ces privilèges; mais ses réclamations furent toujours rejetées. L'abbé de Lessay resta en possession de tous les droits et honneurs attachés à sa nouvelle dignité, et ses successeurs en ont joui jusqu'à la révolution. En retour de ces avantages, Guillaume et ses religieux abandonnèrent à l'évèque le patronage des églises de Montchaton, Saint-Sauveur-Lendelin, Omonville, Ouville, Orval, Laulne et Heugueville. Ils lui en donnèrent la disposition entière, requérant ledit evesque d'en disposer de quelque manière que ce soit, à davantage du chapitre et de leur couvent. L'évèque accepta cette concession; mais il laissa aux religieux deux gerbes de la dime de Montchaton, la troisième restant au curé, sauf dix-huit quartiers d'avoine, neuf de froment et neuf d'orge, qui leur appartenaient, huit livres tournois sur Saint- Sauveur, avec une pension de 71 sols sur Omonville et toutes les gerbes d'Orval. Il les déchargea de l'obligation de loger, en leur maison d'Orval, le curé et les religieux; et leur concéda cet autre avantage qu'à l'avenir le curé n'aurait que le tiers des offrandes de l'autel et la cinquième gerbe, comme c'était l'ancienne coutume. Quant aux deux églises de Laulne et d'Heugueville, l'évèque en disposa entièrement en faveur du chapitre.
Guillaume, qui, à cause de ses infirmités, sentait qu'il ne pouvait plus gouverner l'abbaye, sollicita lui-même qu'on lui choisit un successeur. Voici la demande que, vers l'an 1220, il adressa au roi Philippe-Auguste:
« A son très-excellent seigneur Philippe, illustre roi des » Français, par la grâce de Dieu, Guillaume, abbé de Lessay, » aussi par la grâce de Dieu, salut et prières en J.-C.: » —Puisqu'un navire, lancé au milieu de la mer, ne peut facile» ment et sans danger naviguer, s'il n'est dirigé par un pilote, « je demande à Votre Excellence, les larmes aux yeux, que, » par respect pour la Sainte Trinité, en l'honneur de laquelle » fut fondée notre église, vous permettiez à notre chapitre de » Lessay de choisir un autre abbé, à cause de mon insuffisance; « car, tant sont grandes mes infirmités, que je ne puis pour» voir aux besoins de notre maison, comme il convient. » |
||||||||||||
Lessay, CPA collection LPM 1900 |
||||||||||||