GRATOT
  CC 09.07 COUTANCES MER ET BOCAGE
   
  MANOIRS SEIGNEURS ET TOMBEAUX
         
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MEMOIRES DE LA

SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU COTENTIN

E.-A. PIGEON. 1898

GRATOT Ses Manoirs, ses Seigneurs et leurs Tombeaux.

 

Le mot Gratot vint d'un nom d'homme et signifie la demeure de Guérard. C'est ce que nous apprend le Livre-Noir de la cathédrale de Coutances, qui, en 1251, latinise Gratot en « Guerardlot. » Une charte de l'abbaye de la Lucerne, de 1255, est plus explicite encore, car elle donne le nom du seigneur et de son fief : « Carta Guerardi de Guerartot mililis. » Le mot saxon ot, tot ou thot signifie, en effet, demeure ou famille. Cette localité de Gratot peut donc remonter aux premiers ducs Normands. Après les Guérard nous voyons apparaître les Clarenbold et les Creuly, auxquels PhilippeAuguste enleva le fief de Gratot, pour avoir favorisé la cause de Jean-Sans-Terre. Au XIIIe siècle viennent les d'Argouges, qui, pendant près de six siècles, posséderont la seigneurie de Gratot.

 

La généalogie des d'Argouges, du XIIe au XVe siècle, est assez compliquée. Elle forma deux branches principales qui donnèrent leur nom à deux paroisses, l'une dans l'Avranchin, l'autre dans le Dessin. La première forme une agglomération importante, une commune de 12 à 1,300 habitants, dans le canton de Saint-James ; la seconde, fort petite, a été réunie à Mosles, canton de Trévières, et compte à peine 400 âmes. De quelle branche sont sortis les premiers Argouges de Gratot ? Les historiens ne sont pas d'accord. A partir du XVe siècle, des documents positifs nous les représentent comme originaires de l'Avranchin : « En 1419, dit Vaultier, » p. 133, les enfants d'Henri d'Argouges, au pays d'Avranches, » qualifiés de rebelles du roi d'Angleterre, furent dépouillés de » leurs biens dans la vicomte d'Avranches et leurs fiefs furent » donnés à Gilbert de Harsal, écuyer. »

 

Cependant la famille dépouillée désirait rentrer dans ses anciens domaines et : « Le 4 mai 1424, Jean d'Argouges, seigneur d'Ar» gouges, de Jautée et autres lieux, fils de Philippe et de Rollande, » dame de Ronthon, épousa Vicente de Harsal, fille de Gilbert et » de Guillemette Biote. Il eut la terre de Granville, entra au service du roi d'Angleterre et s'oublia jusqu'à vendre le port de » Granville au sénéchal d'Escale qui, dégoûté de celui de Genêts où » les navires et les marchands de sa nation étaient continuellement » exposés aux surprises de la garnison du Mont Saint-Michel et des » partisans qui couraient le pays, y fit construire un fort. Cette » action antifrançaise anima les Carlistes contre le seigneur d'Ar» gouges, au point que l'an 1440, le fougueux partisan Jean de » Guiton envoya un détachement prendre, piller et même brûler » son manoir de Ronthon. Celle terrible expédition fut la source » de plusieurs rixes, d'une longue haine et de bien des procès en" tre les deux familles; mais Messire Jean de Langeac qui, en sa " qualité d'évêque d'Avranches et de maître des requêtes au Con» seil du roi, réunissait les autorités royales et ecclésiastiques, s'en » servit pour les réconcilier par le double mariage de Jean d'Ar» gouges avec Françoise de Guilon, en 1526, et celui de Vincent » de Guilon avec Hollande d'Argouges, en 1528. » (Paroisses et fiefs portant le nom d'Argouges).

 

L'acte de la vente du rocher de Granville aux Anglais, en 1439, confirme ce qui vient d'être dit : « Par devant Jean Perrée, labelion » juré au siege de St Pair, fut présent haut et puissant seigneur » Thomas, sire Descalle... lequel recogneut et confessa de sa bonne " volonté et sans nul perforcement, avoir pris en fief et par hom" mage à fin d'héritage, de noble homme Jean d'Argouges, ecuyer, » seigneur de Gratot et de Granville, pour porter tous et tels droits » comme le dit écuyer a ou peut avoir en la roche, montagne et » circuit de la dite roche de Granville, auquel lieu est assise l'église » parrochiale de N. D. de Granville, avec le droit de grevage tant » d'un côté que de l'autre, autant que la roche se pourporte et jus» qu'au pont ; et fut fait en faisant par icelui seigneurau dit écuyer » et à ses hoirs, pour un chapel de roses vermeilles par chacun an » de rente à la fête St Jean Baptiste, avec les dits foi et hommage et » ses droits seigneuriaux : reserve au dit écuyer de presenter à la » dite église et de quatre perches de terre en ladite montagne. » (M. Follain, Recherches historiques sur Granville), et Apud Guérin, (Acta Stoe ecclesioe Abrincensis).

 

Bien que l'acte cite Jean d'Argouges comme possesseur de Gratot et de Granville, sans parler de ses autres fiefs, il n'habita guère Gratot, soit que cette demeure fut inhabitable ou à peu près en ruines, car Montfaux, en 1466, ne trouve aucun noble à Gratot et cite simplement Jean d'Argouges, dans le manoir de Jautée, à Argouges, près de Saint-James, et ce Jean est le seul qu'il indique de ce nom dans tout le territoire qui représente aujourd'hui le département do la Manche. Mais cet état dura peu de temps, car dans la fin de celte même moitié du XVe siècle nous voyons un d'Argouges à Gratot, comme le prouve les tombeaux de l'église. Ce premier seigneur, connudans cette fin de siècle, fut Philippe d'Argouges, seigneur de Gratot et de Ronthon. C'est lui qui refit le château et une partie considérable de l'église. Philippe eut un fils de Marguerite de la Champagne, qui fut Jean, époux de Viucente de Harsal, puis de Charlotte de Carbonnel de Cérences. A Jean succéda Gilles, qui fut lui-même le père de Pierre d'Argouges.

 

En 1599, Jean-Jacques de Mesmes, chevalier seigneur de Roissy, nommé par le roi commissaire pour le regallement des tailles, la réforme dos abus commis aux finances et l'usurpation des titres de noblesse, n'indique pas de seigneurs d'Argouges à Gratot. Où habitaienl-ils ? Probablement à Ranes, dans la vicomté d'Argentan. Ce fut Jean d'Argouges qui succéda à son père Philippe dans le château neuf de Gratot.

 

Etienne d'Aligre, sieur de la Rivière, en 1634, retrouve les d'Argouges dans le manoir de Gratot. Il donne même une généalogie de huit seigneurs, six pour Gratot et deux pour Ranes.

 

Parmi les d'Argouges qui nous intéressent, il cite Pierre I, Pierre II, Gilles, Jacques, Louis et Charles. Témoin cette note : « Vu les » titres présentés par Louis d'Argouges, sieur de Gratot, et pour » Henri, Jacques et Jean ses frères, enfants de Charles. Le dit Louis, " de la paroise de Gratot, Henri et Nicolas, de la paroisse de Ranes, » vicomté d'Argentan, et dame Guillonne Epichon, veuve de Louis » d'Argouges, de la paroisse de Gouville, élection de Coutances. » Les sieurs Charles et Louis, enfants de Jacques, fils Gilles, fils » Pierre, fils autre Pierre d'Argouges, écuyers, jouiront. »

 

Charaillard, en 1660, nomme encore Louis d'Argouges sieur de Gratot et Michel d'Argouges à Gouville.

 

Plusieurs de ces seigneurs dorment dans le choeur de Gratot, dont nous allons donner le texte des pierres tumulaires qui peuvent encore être lues.

 

La première est celle qui se trouve encastrée dans la muraille du sanctuaire, du côté de l'Evangile, vers le nord. L'encadrement est un rectangle renfermant une ogive doucinée et ornée de choux frisés. La pointe de l'arc douciné se ramifie jusqu'au sommet d'une frise et s'épanouit en formant une fleur de forme crucifère. L'ogive repose sur deux pilastres surmontés de clochetons qui atteignent, comme la fleur panachée, la frise dont nous avons parlé. L'espace laissé libre, entre l'ogive et les clochetons, est rempli par une suite d'ouvertures trilobées d'un effet riche et fort gracieux. Dans l'intérieur de cet encadrement qui s'appuie sur une autre frise ornée de feuilles rampantes, on voit une Vierge debout. A sa droite est une dame à genoux et suppliante ; à gauche un chevalier dans la même position et portant des éperons à la chaussure. Sur la tète de ce seigneur, on lit en caractères gothiques :

 

Au dessus de la dame, sur le côté opposé, se trouve l'inscription suivante :

 

Quelle était cette Marguerite de la Champagne? M. Renault, dans sa Revue monumentale de l'arrondissement de Coutances, à l'article Gratot, a lu vicomtesse, au lieu du mot Marguerite et après « Dame de » il a cru voir : La Rondehaye. Or, à La Rondehaye, il n'y a jamais eu de vicomtesse ni de dame de la Champagne. Nous croyons au contraire que celle demoiselle était fille du seigneur de la Champagne, en Plomb, près d'Avranches, car au siècle suivant, dans l'aveu de Robert Cenalis, évêque d'Avranches, rendu au roi François Ier, ou cite un des descendants de Marguerite, Jacques d'Argouges, demeurant à Plomb, clans le château de la Champagne. Il figure aussi parmi les nobles qui restèrent catholiques.

 

La paroisse du Homméel possède également un fief et jadis un ancien manoir, dit de la Champagne, dont un des possesseurs devint plus tard seigneur de Gratot .

 

Quant à Philippe d'Argougcs, seigneur de Granville et de Jautée, il fut le père de Jean qui vendit la terre de Granville ou le roc de Liliou aux Anglais, en 1439. Dort-il à Gratot sous une de ces pierres où les inscriptions sont devenues illisibles, ou dans l'église d'Argouges, près de Saint-James, nous l'ignorons. Mais nous savons que ces seigneurs habitaient tour à tour leurs châteaux de Jautée, de Roulhon et de Gratot.

 

Dans la nef de l'église de Gratot se trouve, toujours au nord, un autre encadrement, mais plus simple que celui du choeur. Dans la partie supérieure on voit, à droite, un personnage nimbé et debout. Peut-être Noire-Seigneur ou la Sainte Vierge. Devant ce personnage, à gauche, se tiennent également debout deux autres figures, l'une grande et l'autre plus petite. C'est sans doute saint Charles, le patron de Charlotte, qui la présente à la Sainte Vierge. Des deux côtés de ce groupe, on aperçoit huit écussons, quatre pour l'époux et quatre pour la dame, pour indiquer à chacun d'eux leurs quatre degrés de noblesse. Au centre des personnages existe un phylactère et une sorte de vase qui a aussi son symbole. Dans la partie inférieure de l'encadrement et au-dessous du groupe, on lit ce qui suit :

 

Dans le milieu du choeur est une grande lame sépulcrale d'une remarquable beauté. Comme l'encadrement de Marguerite de la Champagne, elle renferme deux ogives guillochées à l'intérieur et à l'extra dos des crochets ou choux frisés. Ces ogives reposent sur trois pilastres dont les clochetons fleuris s'élèvent très haut pour supporter la frise qui fait le couronnement de la laine. Les panaches des arcs doticinés s'élèvent à la même hauteur, en formant un triple épanouissement en forme de croix. Les quatre espaces laissés entre ces clochetons, au-dessous des ogives, sont remplis par des grillages rectangulaires formés de barreaux en saillie sur des creux. Ils sont d'un bon effet et rappellent le style perpendiculaire des Anglais. Sur ces barres, on a gravé quatre écussons. A gauche, celui des d'Argouges qui représente un écartelé d'or et d'azur à trois quintes feuilles de gueules 2. 1. ; puis un parti des d'Argouges et de Aux Epaules qui sont d'or à la fleur de lis de gueules ; à droite les armes de Aux Epaules et un autre parti de Aux Epaules et un chevronné.

 

Au-dessous des armes du seigneur, dans l'ogive gauche, est un chevalier qui repose sa tète sur un coussin orné de housses. Il est vêtu d'une cotte, avec cuissards, jambières, genouillières et l'épée au côté, ses mains sont jointes sur la poitrine. Dans l'autre ogive est une dame reposant, comme le chevalier, sur un coussin brodé. Elle porte une robe flottante, recouverte en partie d'un long manfondateau ; sa tète est couverte d'un voile et ses mains, dans l'attitude de la prière. Sous ses pieds est un animal qui n'est plus visible, sans doute un chien, symbole de la fidélité et sous les sobrets à la poulaine du chevalier, probablement un lion pour marquer la force. Au dessous d'une bande formée d'une suite de quadrilobes commence cette inscription :

 

Pierre d'Argouges et damoiselle Marie Aux Epaules eurent une fille, Marguerite d'Argouges, qui épousa Jacques Payen, et un fils, Jehan d'Argouges, qui reçut du roi François Ier la terre de Gaure, en Colentin, pour avoir découvert à temps la trahison du connétable Charles de Bourbon.

 

La seigneurie de Gratot fut érigée en marquisat, au XVIIe siècle, en faveur de Louis d'Argouges. L'intendant Foucault nous apprend qu'il acheta le château de la Rivière, dans la paroisse de Saint-Frémond, sur la Vire, et que cette belle habitation rapportait alors 10,000 livres. M. d'Argouges de Ronthon, frère du marquis, fut un des derniers seigneurs qui habitèrent le château de la Rivière, dont les belles ruines existent encore.(M. de Gerville, Châteaux de SaintLo, page 289).

 

Ce marquis, frère de M. de Ronlhon (canton de Sartilly), était Jean-Antoine d'Argouges, dernier seigneur de cette famille ayant occupé le château de Gratot au siècle dernier.

 

Aux seigneurs d'Argouges succéda Luc-Marie du Homméel, chevalier et patron de Gratot, Montcarville, Nicorps, Brainville et autres lieux. Chamillard, en 1660, classe les du Homméel parmi l'ancienne noblesse du Cotentin, et nous les montre à Coutances, à la Vendelée et à Sartilly. Il fut remplacé par Guillaume Douessey, conseiller au Parlement de Normandie. Le propriétaire, au commencement de ce siècle, fut M. Quesnel d'Hectot, et présentement ce beau fief appartient à Mlle Quesnel de la Morinière. Ce château, aujourd'hui incomplet et demandant de nombreuses réparations, rappelle encore les beaux castels de l'époque féodale. Nolin, dans une notice qu'accompagne sa carte de Normandie, nous apprend « qu'on y vivait très noblement, au temps des seigneurs d'Argouges. »

 

Ce curieux château possède un large fossé plein d'eau, un pont qui ne se lève plus, un large baile ou sont les écuries et les remises; au nord est la maison seigneuriale. On y remarque une jolie tour encorbellée sur ses angles, couronnée d'une galerie à jour au bas de la toiture cunéiforme. Une autre tour ronde renferme un bel escalier en pierre qui va des caves au grenier ; elle est accompagnée d'un petit tourillon qui conduisait à un observatoire pour ie guet.

 

Le reste rappelle l'époque de Mansard et n'a rien de bien remarquable. L'ancienne entrée était au couchant. On y voit une porte au cintre surbaissé, surmontée de machicoulis et d'une petite tour d'observation, mais aujourd'hui à l'état de ruine. Cette porte fut abandonnée lorsqu'on construisit les écuries qui rendirent dès lors le passage impossible aux voitures.

 

Quant à L'église qui renferme les curieux tombeaux que nous venons de décrire, elle n'a rien de bien intéressant. Le chevet est éclairé par une jolie fenêtre divisée par un meneau et surmontée d'un tympan au coeur ondulé, qui rappelle une des fenêtres du clocher de Saint-Pierre de Coutances. La tour élancée et terminée par une toiture eu forme de coin aigu, couvre à sa base un porche assez élégant. L'entrée est ornée de quadrilobes creusés dans la pierre et l'ensemble est d'un bon effet. Dans l'intérieur, au bas de la nef, sont les fonts fort curieux. C'est une cuve polygonale reposant sur cinq petits pilastres chapités. Chaque face de la cuve offre des rectangles encadrant des ogives trilobées, deux sur chaque face. Quatre de ces faces présentent alternativement deux écussons, aujourd'hui frustes et suspendus aux trilobes par des lanières disposées en sautoir. Un ancienne inscription existe sur une des faces, mais ne peut être lue.

 

Dans le cimetière on voit le rétable de l'autel du XVe siècle, mais bien mutilé. Il représente le Christ en croix, pleuré par la Sainte Vierge et saint Jean.. Ils sont debout ; mais plus rapprochés de la croix, on remarque deux personnages à genoux, qui prient ; à droite est un chevalier avec ses éperons, à gauche une dame. Ils rappellent probablement Pierre d'Argouges et Damoiselle Aux Espaules.

 

M. Benoit, receveur des finances, a dessiné tous ces sujets et pense, avec raison, qu'ils furent exécutés par les ouvriers qui travaillèrent à l'église Saint-Pierre de Coutances. Nous avons déjà remarqué la ressemblance qui existe entre la fenêtre du chevet de l'église de Gratot avec les grandes ouvertures du clocher eoulançais. Il en est de même pour toutes les moulures des ogives, des bases des pilastres, des frises et des clochetons. A Gratot, on n'avait pas toujours à sa disposition dés sculpteurs et on profita de la présence des artistes qui se trouvaient dans la cité épiscopale.

 

En finissant celle notice sur les objets d'art de Gratot, nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot sur le manoir de Chanteloup et de l'ermitage de Saint-Gerbold. Le manoir est à un petit kilomètre de l'église, en revenant sur la route de Coutances, et à la jonclion d'un petit chemin vicinal qui traverse la grande route. Au fond d'une ancienne avenue, on aperçoit ses grandes portes voutées et cintrées, ses fenêtres à meneaux croisés et, en s'approchant, on distingue à gauche une grosse tour carrée percée de meurtrières. Elle renferme un escalier monumental avec guérite ou échauguette intérieure pour observer l'ennemi et tirer dessus au besoin. Dans la cour, l'aspect du manoir n'est pas moins intéressant. On y remarque encore une belle tour ronde, avec escalier, des fenêtres à croisillons et arcs doucinés, le tout en granit. Dans les chambres existe une cheminée, avec colonnes en pierre, surmontée d'un écusson fruste. Chamillard cite les de Chanteloup parmi les nobles qui avaient justifié leurs quatre degrés, et nous les montre établis dans les élections de Coutances, de Carentan et de Mortain. Ils portent tous : « D'argent, au loup de sable accompagné de huit tourteaux d'azur, posés en orle 3, 2, 2 et 1. »

 

D'Aligre donne ainsi la généalogie de ces seigneurs : « Vu lés » titres présentés par René et Jean de Chantelou, écuyers, pour » eux, Charles et Louis, enfants du dit Jean, de la paroisse de » Gratot. Lesdits René et Jean, fils Jacques, fils Julien, fils Pierre, » écuyers, jouiront. »

 

Il est probable que le château fut construit par Pierre de Chanteloup qui vivait au commencement du XVIe siècle. En 1666, Chamillard nous montre les Chanteloup à Gouville.

 

A un kilomètre du manoir de Chanteloup, en se dirigeant vers le nord par le petit chemin vicinal qui coupe la grande route, on aperçoit l'ermitage de Saint-Gerbold, au milieu d'une petite prairie. Elle était jadis entourée de muraille et formait tout le domaine du reclus. La chapelle, qui lui servait d'habitation, s'annonce par une tour à toiture conique, avec une petite galerie à la naissance de la couverture. On y monte par un escalier en pierre renfermé dans une tourelle encorbellée et accolée, vers le nord, à la tour. Cette tour renferme deux chambres où logeait l'ermite. Au bas du clocher se trouvait jadis un porche, situé à l'ouest, comme à l'église de Gratot, et au fond de la chapelle existait une fenêtre ogivale. Quand cette chapelle fut convertie en ermitage, la fenêtre orientale fut fermée, et on fit une porte en dessous, mais sans aucun caractère artistique. La porte ogivale sous la tour fut également bouchée, et le porche servit de vestibule ou de sacristie à l'ermite. La chapelle éclairée par de petites baies ogivales fut divisée en deux parlies par un mur de refend, avec une porte latérale et une ouverture dans le mur. Au bas de cette ouverture était l'autel de l'ermite et le peuple qui assistait à la messe, dans la partie située à l'orient, pouvait le voir célébrer les saints mystères. Ce petit monastère est en mauvais état et mériterait une main amie qui saurait le conserver. C'est un de ces rares monuments de réclusion religieuse qui existent encore.

 

Dans ce curieux réduit vécut, au XVIIe siècle, un ermite poète et moraliste, connu sous le nom de frère Gilles de Saint-Joseph. Il composa un ouvrage en vers intitulé : « La trompette de l'Union », dédié à Louis d'Argouges, le premier marquis de Gratot, cité par Chamillard en 1666. Dans ce petit livre, devenu fort rare, on lit ces quatre rimes qu'on pourrait redire de nos jours, comme au temps de l'auteur :

 

Aujourd'hui nous voyons, faute de police,

Qu'à dix ans, les enfants sont plus pernicieux

Et, pour faire le mal, ont plus d'artifice,

Qu'on en avait à trente ans, au temps de nos ayeux.

 

Que penserait, ce laudator temporis acti, s'il vivait encore? Hélas ! chaque siècle à ses misères, ses faiblesses et ses vertus. En finissant, nous donnons la liste des d'Argouges depuis le commencement du XVe siècle :

 

1° Philippe d'Argouges dont nous connaissons l'inscription de 1418 ;

2° Jean Ier d'Argouges, qui vendit Granville aux Anglais, en 1439 ;

3° Pierre Ier, qu'on voit sur la grande pierre tombale, au milieu du choeur ;

4° Jean II. — Il avait un tombeau du côté de l'Evangile, en terre cuite et émaillée. Cette pierre remarquable a été détruite pour construire une mauvaise sacristie. Quelques débris de cette sépulture existent encore au bas du grand autel. Les autres morceaux ont été distribués aux amateurs ;

5° Pierre II. — Sur une pierre de Caen, on lit encore ce reste d'inscription : Cy gist noble homme Pier... d'Arg Dieu lui fasse pardon. Pater nr. Are ma. ;

6° Pierre III. — Sa pierre tombale est complètement fruste ;

7° Gilles d'Argouges. — On ne sait quel tombeau lui attribuer parmi les pierres illisibles ;

8" Jacques d'Argouges. — Son tombeau est inconnu, comme le précédent ;

9° Louis d'Argouges est le premier marquis de Gratot et le seigneur auquel l'ermite saint Gerbold adressa ses poésies. Nous avons cru lire son nom sur une pierre écrite en caractères romains ;

10° Jean-Antoine d'Argouges ; nous ignorons le lieu de sa sépulture.

 

Nous ne pouvons non plus indiquer la pierre de Luc-Marie du Homméel qui portait : d'argent au sautoir d'azur ; ni la tombe de Guillaume Douessey. Quant à celle de M. Quesnel d'Heclot, elle est dans le cimetière de Gratot, près de la grande croix.

 

E.-A. PIGEON.