LINGREVILLE
  CC 08.06 du canton de MONTMARTIN SUR MER
   
  EGLISE SAINT-MARTIN
         
 

L'église de Lingreville Saint Martin, CPA LPM 1900

 
     
 

Revue monumentale et historique de l’arrondissement de Coutances

Renault, « Annuaire du département de la Manche » 1853 et additif de 1861

 

L'église a la forme d'une croix : on y reconnaît deux styles, le style roman et le style ogival ; elle n'est pas sans intérêt.

 

La nef a subi des reprises. Ses murs cependant ont encore tous les caractères de l'architecture des XI° et XII° siècles. Ainsi, on y remarque des assises de pierres, disposées en arêtes de poisson. Les fenêtres primitives sont longues, étroites et cintrées.

 

Les contreforts qui tapissent les murs ont peu de saillie.

 

Le mur méridional était percé d'une porte cintrée, qui, aujourd'hui, est bouchée.

 

La tour, entre chœur et nef, est massive et quadrangulaire. Suivant la tradition, elle aurait été construite de manière à servir de refuge et de lieu de défense aux habitants, dans des temps de troubles et d'invasions. Je la crois du XII° siècle. Ses fenêtres sont longues et étroites ; aux quatre angles on a placé des gargouilles.

 

La porte occidentale est cintrée, et les pierres de l'archivolte sont taillées et placées symétriquement. Les colonnes qui reçoivent l'arcade cintrée n'ont pour ornement qu'un léger renflement dans leur partie supérieure. Un contrefort peu saillant s'élève au-dessus de cette porte, et on remarque â droite et à gauche une fenêtre étroite et cintrée.

 

Le chœur est du XV° siècle. Son mur absidal est à pans coupés, et les contreforts sont appliqués sur les angles. Les arceaux prismatiques de la voûte semblent faire corps avec les colonnes qui les reçoivent.

 

Les deux chapelles ont été retouchées, et leurs voûtes paraissent avoir été refaites dans le XIV° siècle. Cette partie du transept porte des traces évidentes d'ancienne construction et de remaniement.

 

Les modillons primitifs des chapelles offrent des figures grimaçantes ou des têtes d'animaux, entre autres, une hure de sanglier. Dans un des murs de la chapelle méridionale on remarque une crédence dont l'arcade en accolade dénote la fin du XV° siècle ou le commencement du XVI°.

 

L'autel est dans le genre de ceux qui datent de l'époque de Louis XIV ou de Louis XV. Les colonnes qui l'ornent de chaque côté sont torses, couvertes de grappes et de feuilles de raisin, conduites en spirale. Le font baptismal est pediculé composé. Sa cuve est octogone, et repose sur un fût principal et quatre colonnettes auxiliaires; elle a deux pieds de hauteur. Ce petit monument doit être de la fin du XIII° ou du commencement du XIV° siècle.

 

On lit sur la cloche placée dans la tour l'inscription suivante :

 

L'AN 1808, J'AI ÉTÉ NOMMÉE NICOLASSE HENRIETTE PAR M. FREMIN DE BEAUMONT LÉGISLATEUR ET M. D. JEANNE HENRIETTE LE COURTOIS ÉPOUSE DE M. FREMIN DU MESNIL, ET FAITE REFONDRE PAR LES HABITANTS ; A. T. M. R. VINCENT ET CHARL. DO. LALANDE, ALORS MAIRE ET ADJOINT. BENITE PAR M. MENANT DESSERVANT ALORS DUDIT LIEU....

 

Entre deux cordons on lit :

 

Les Jourdans fondeurs en 1808 .

 

J'ai découvert cachée dans un coin de l'église une pierre portant cette inscription :

 

(Lettres gothiques.)

 

Cy devant demoiselle

Guillemette de Saint Gille en son

Vivant femme de noble homme

maitre Le Coq sieur

De Lingreville la quelle trépassa

Le dernier jour de décembre 1540

Dieu lui fasse pardon. Amen.

 

L'église renferme plusieurs pierres tombales appartenant a des familles anciennes du pays. Je n'ai pu en lire les inscriptions qui sont couvertes par les bancs. — Mais M. Le Comte, juge-de-paix du canton de Montmartin-sur-Mer, et qui est né à Lingreville, m'a dit qu'on lisait sur les pierres les noms de Ruallem, Bisson et Le Coq. M. Le Comte appartient à l'ancienne famille Le Coq, qui s'allia à celle non moins ancienne de Ruallem.

 

On voit dans le cimetière la partie supérieure d'une croix qui offre l'image du Christ. Cette croix pourrait bien dater de la fin du XIV° siècle.

 

On y remarque aussi deux pierres tumulaires, dont les inscriptions sont complètement effacées. Les murs du cimetière ont environ deux pieds d'épaisseur, et leur maçonnerie est soignée ; il semble qu'on ait voulu faire de ces murs une enceinte fortifiée.

 

Quelque temps après que j'eus visité l'église de Lingreville, on trouva en creusant une fosse dans le cimetière, une pierre de forme quadrangulaire qui contenait encore des fragments d'ossements humains. Cette pierre, mesurée à l'intérieur, offre 2 mètres 15 centimètres de longueur, 43 centimètres de profondeur ; 64 de largeur à l'une de ses extrémités et 33 à l'autre. La partie la plus large était celle où reposait la tête. On pense que ce tombeau doit remonter à une époque reculée, et que le cimetière doit encore en renfermer de semblables.

 

L'église de Lingreville est sous le vocable de saint Martin. Elle dépendait de l'archidiaconé de la chrétienté et du doyenné de Cérences, et payait 30 livres de décime.

 

La paroisse avait deux curés, el la dîme se partageait en deux portions. L'une s'appelait la grande portion et l'autre la petite. L'abbaye du Mont-Saint-Michel avait le patronage de la grande portion : Patronus ecclesie, dit le Livre blanc, pro majore portione est abbas sancti Michaelis in periculo maris. C'était Jeanne de Saint-Plancher qui, en 1242 ou 1248, lui avait donné ce droit de patronage. Elle lui donna aussi son manoir de Lingreville, manerium de Lingrevilla. Dans le cours du XVI° siècle, l'église appartenait encore à l'abbaye du Mont-Saint-Michel.

 

On regardait souvent les donations faites aux églises comme n'ayant de force qu'autant qu'elles étaient reçues et ratifiées par l'évêque. Aussi le mercredi d'après la Pentecôte de l'an 1252, Jean d'Essey, évêque de Coutances, reçut-il la donation faite à l'abbé et aux religieux du Mont-Saint-Michel, en 1248, par noble dame Jeanne de Saint-Planchers, du patronage de Lingreville, après avoir bien et dûment examiné les droits de cette dame, et vu que Saint-Pair et Lingreville lui appartenaient par droit de successions qui lui étaient échues pendant son veuvage. Alors l'évêque reconnut l'abbé et les religieux du Mont-Saint-Michel pour les véritables patrons de Lingreville.

 

Le prieur du Rocher de Mortain avait dans le cours du XIV° siècle le patronage de la petite portion de l'église de Lingreville : Prior de Rocheyo de Mortaignio, dit encore le Livre blanc, est patronus de Lingrevilla pro minore portione.

 

Plusieurs chartes du XI° siècle prouvent que la dime de l'église de Lingreville appartenait alors au comte Robert de Mortain. Il en donna la moitié aux moines de Saint-Martin ; car, dans le cartulaire de Marmoutier on trouve la note suivante : Sciendum quoque quod Robertus cornes Moritonii donavit monachis S. Martini dimidiam ecclesiam Lingrevillœ... .cum tota décima fratris sui in prœfata villa sili.

 

Le même prince, par une autre charte, vidimée en 1330 par Philippe de Valois, roi de France, fonda dans sa ville, au château de Mortain, un chapitre de chanoines. Il lui donna la dime du moulin de Lingreville, et decimam molendini de Lingrevilla.