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Jullouville route de Granville, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
Marius DUJARDIN Histoire des Bains de Mer à Jullouville (1954)
Au début du XIXe siècle, 'la rivière Le Thar sortait de la Mare de Bouillon, à l'angle sud‑ouest, sous les Bréholles (et non à l'angle nord-ouest comme aujourd'hui), et, après quelques sinuosités dans les sables, tournait brusquement de l'ouest vers le nord et coulait parallèlement à la mer (un peu à l'est de la Route Nationale actuelle) jusqu'au Pont-Bleu où elle rejoignait son lit actuel ; les marécages et les lagunes rendaient cette région très insalubre, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure. Avec le temps, des travaux d'amélioration furent entrepris et le cours du Thar modifié ; mais la limite: entre les communes de Bouillon et de Saint‑Pair continua à suivre l'ancien lit du Thar .
Dès 1845, LE H'ÉRICHER, contemplant la vaste étendue de mielle entre le Pignon‑Butor et l'embouchure du Thar, écrivait : Après les beaux travaux qui ont couvert de bois de pins les 120.000 hectares de dunes du Golfe de Gascogne et fixé le sol des landes, on pourrait bien fertiliser de vastes espaces sablonneux comme ceux du bord de la Baie du Mont Saint‑Michel... A voir l'élévation du prix des terres, le mouvement des défrichements, l'élan qui emporte les villes dans les campagnes, on peut légitimement rêver l'époque où des bois verdoieront sur ces arènes (L’arène terrée est la partie du rivage intermédiaire entre le sable de la mielle et la terre franche.) légères et mireront leurs têtes dans les flots de notre océan en mariant leur voix à celle de la mer... .
Moins de quarante ans après que furent écrites ces lignes prophétiques, un habitant d'Avranches, M. JULLOU, et son gendre, M. DUPUY, se rendirent acquéreurs d'une quarantaine d'hectares de terrain en nature de mielles , entre la mare de Bouillon et la mer, sur le territoire des communes de Saint‑Pair et de Bouillon, et en firent apport à une société civile constituée lé 24 août 1881, en l'étude de Maître Lemoine ‑Le Chesnay, notaire à Sartilly, en vue du lotissement des terrains et de l'établissement d'une station balnéaire appelée JULLOUVILLE du nom d'un des fondateurs. Un plan d'ensemble des lots et des avenues, à créer pour les desservir fut établi, ainsi qu'un cahier des charges stipulant les conditions régissant la vente des parcelles ; les créateurs surent voir grand et fixèrent la largeur des avenues à douze mètres pour les deux avenues transversales de Carolles à Saint‑Pair et de Bouillon à Kairon et pour les trois avenues perpendiculaires à la mer, et à 7 mètres pour les autres voies. (En juillet 1887, M. Edmond LEMOINE‑LECHESNAY disait à une réunion de notre Société : JULLOUVILLE, où quelques hardis pionniers, séduits par la beauté et la grandeur du site, ont entrepris. d'aider la nature dans son enfantement et de renouveler les miraculeuses transformations opérées à Cabourg il y a une trentaine d'années... Pour quoi, puisque la nature est sans contredit plus belle à Jullouville, puisque la plage est unique, ne verrions nous, pas affluer sur notre littoral un grande quantité de baigneurs préférant une villégiature modeste et saine à l'étalage énervant et dispendieux des plages de luxe ? | ||||||||||||
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L’avenue du casino, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
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...En me promenant dans les larges avenues de Jullouville, je vois poindre les haies de verdure et des petits bouquets de pins qui formeront bientôt un abri contre la chaleur.
L'encadrement du tableau est magique : quand on se promène au crépuscule dans ce dédale d'avenues, au pied de cet amphithéâtre de collines qui se détachent sur la ligne bleue du ciel, on se croit au pays des rêves... Gravissant le coteau voisin à la clarté de la lune rêveuse au-dessus du lac, on a sous les yeux un paysage suisse en miniature et, à l'horizon, la mer avec une ligne de côtes éclairées par des phares.
Les propriétaires des constructions ou terrains de Jullouville formèrent, le 13 août 1894, une association syndicale qui fut reconnue d'utilité publique par décret du 4 novembre 1895 et définitivement approuvée par arrêté préfectoral du 20 novembre 1895. Ses statuts prévoient les alignements, l'écoulement des eaux, les mesures d'hygiène, la surveillance des propriétés et tous intérêts collectifs. .
Grâce à ces mesures prévoyantes, la nouvelle localité prit un essor rapide. Auprès d'un petit casino (avec cercle et petits chevaux, et salle de théâtre) s'élevèrent des villas, quelques hôtels dont le plus ancien fut l'hôtel CHEVALLIER (actuellement Hôtel des Pins), et ensuite quelques boutiques et magasins. Un service de voitures publiques relia Jullouville à' Granville. | ||||||||||||
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Jullouville Courses de chevaux organisées annuellement sur la plage, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
Dès 1898, un bureau du télégraphe fut installé à l'hôtel Chevallier ; un bureau de poste fut ouvert en 1912 et le téléphone introduit en 1914.
L'affluence des baigneurs incita les maires de Bouillon et de Saint‑Pair à prendre des arrêtés de police en mars 1896 pour fixer les conditions des bains ; l'article 7 prévoit que les personnes qui se présenteront nues hors de l'eau seront poursuivies devant les tribunaux compétents. Des courses de chevaux organisées annuellement sur la plage, des expositions de peinture pour les artistes locaux, contribuèrent à la renommée de Jullouville, dont le développement fut favorisé par l'ouverture, en 1908, du chemin de fer de Granville à Avranches.
Au lendemain de la guerre de 1914‑18, une transformation du casino permit l'édification de l'Hôtel du Casino qui, avec ses 30 chambres et ses salles de bains, devint le plus confortable du littoral avranchin. | ||||||||||||
L’hôtel du casino, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
Le fait que la limite administrative entre Bouillon et Saint.‑Pair partageait Jullouville en deux fractions entraînait maintes complications ; une enquête, faite en 1934, montra que Jullouville avait sur Bouillon 46 maisons et 107 habitants et sur Saint‑Pair 99 maisons et 63 habitants ; après de longues négociations, le projet présenté par le Conseil Municipal de Bouillon fut approuvé par le Conseil d'Etat et un décret du 5 août 1935 mit fin à cette anomalie et assura l'unité des stations balnéaires de Jullouville et de Kairon en substituant à la délimitation antérieure la rive nord de la Mare et du Thar jusqu'au Pont‑Bleu, puis le chemin 1 C 71 jusqu'à la mer .
La guerre de 1939 amena à Jullouville un nombre important de réfugiés du Nord, puis, en juin 1940, la réquisition de l'Hôtel du Casino par les Allemands, puis, de juin à novembre 1944, le repli dans cet hôtel des hôpitaux de Saint‑Lô et de Granville. Les Américains installèrent, en août 1944, le quartier général du Général EISENHOWER au Château de la Mare (le Général étant personnellement logé à Montgommery à Saint‑Jean‑le‑Thomas) ; le Q. G. fut transféré. à Versailles en novembre 1944. Jusqu'en 1946, l'Hôtel du Casino fut occupé par les services de l'U.N.R.R.A. (United Nations Relief Réhabilitation Administration). | ||||||||||||
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L’hôtel Chevalier, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
En avril 1946, le recensement constata la présence à Jullouville de 395 habitants (contre 40 en 1891) occupant 130 maisons, soit près de la moitié de la population de la commune de Bouillon ; en outre, la plus grande partie des 334 villas vacantes recensées dans la commune étaient sises à Jullouville
Il est â remarquer que, contrairement â ce qui s'est passé à Carolles, le centre communal de Bouillon (dont dépend Jullouville) est resté purement rural et ne participe nullement â la vie de la station balnéaire, bien que sa distance de la mer , ne soit guère supérieure â celle qui sépare le bourg de Carolles de sa plage ; la population agglomérée au Hamel , de Bouillon a constamment diminué jusqu'en 1921 et reste stable depuis lors avec seulement 74 habitants
Depuis 1946, la station balnéaire de Jullouville n'a pas.cessé de s'accroître, tant vers le nord dans la direction de Kairon • que vers le sud où l'on peut prévoir que, dans :un. avenir proche, les agglomérations de Jullouville et d'Edénville . se rejoindront et formeront, avec les villas de Carolles‑Plage une suite continue de chalets et 'de villas en bordure 'de la vaste et superbe plage qui s'étend du Pignon‑Butor à l'embouchure du Thar. | ||||||||||||