GRANVILLE
  CC 05.03 GRANVILLE TERRE ET MER
   
  SAINT-NICOLAS
         
 

Le village de Saint Nicolas vers 1900, collection LPM CPA 1900

 
 

 

 
 

Histoire de Granville

C. de la Morandière

 

Elle doit son nom à une ancienne chapelle sous l'invocation de saint Nicolas, attestée dès 1490.

 

La formation de la commune

 

Saint-Nicolas-près-Granville obtint le statut de commune créée en 1791 sur le territoire de l’ancienne paroisse de Granville. Il s’y trouvait avant la Révolution française une chapelle Saint-Nicolas, mentionnée dès 1490, et desservie alternativement par les deux curés de Granville. Pendant la période révolutionnaire, elle adopta le nom de Champ-Libre.

 

Le 12 juillet 1858, le Conseil municipal vote le principe du rattachement à Granville d'une partie des communes de Donville et de Saint-Nicolas, mais le décret de rattachement n'intervint que le 4 juin 1859.

 

Jusque-là les limites de Donville se trouvaient à mi-chemin de la vieille route de Coutances (rue Jules-Michelet actuelle) et suivaient la nouvelle route à partir environ du n°15 jusqu'à l'entrée du boulevard Girard-Desprairies ; elles se dirigeaient ensuite vers le Moulin de Bas (actuelle brasserie du Val-ès-Fleurs ; en 2006 l'église évangélique), coupaient la rue Couraye à la hauteur de l'Hôtel d'Angleterre (en 2006, angle rue Couraye et la rue Roger Maris), suivaient une partie de la rue de la Corderie et atteignaient le rivage de la mer un peu avant l'usine à gaz (en 2006 résidence Port Granville). En 1859, les limites des deux communes voisines furent repoussées là où elles... étaient en 1962.

 
         
   
  GRANVILLE
  CC 05.03 GRANVILLE TERRE ET MER
   
  SAINT-NICOLAS HISTOIRE 1/2
         
 

Saint Nicolas vers 1950, collection LPM CPA 1960

 
     
 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845


SAINT-NlCOLAS figurerait un carré régulier si la commune d'Yquelon ne faisait un enhachement dans son angle nord-est : avec cette commune le carré est complet. Indécise du côté de l'est, sa configuration est nettement déterminée par des lignes naturelles des autres côtés, au nord par le Bosc, à l'ouest par la mer, au sud par la Saigue. C'est une commune complète sous le rapport physique et pittoresque : une belle mer, des rochers maritimes et terrestres, une belle plaine et des bois. La côte est d'une beauté grande et sévère : ce sont des falaises de schiste veinées de quartz, presque dénuées de végétation, des récifs aigus et noirs, une mer turbulente. Le Bosc est remarquable par son val encaissé et ses coteaux secs et décharnés. La principale saillie du littoral est la Roche-Gautier, couronnée d'un fort qui croise ses feux avec la batterie Saint-Pair sur le Roc, et où les Vendéens postèrent leur artillerie. Sa partie méridionale porte le nom saxon de Hagueville. Sur ce rocher, Cassini marque une chapelle Saint-Go ou Saint-Gaud : il n'y a pas de chapelle aujourd'hui ; mais il y a la rue Saint-Gaud. Quelques ports ou criques arrondies contrastent sur cette côte avec l'âpreté des falaises par leurs eaux calmes, leur sable fin, et leurs contours purs et gracieux : telle est l'Anse de la Crète et celle de Port-Foulon , tel était le port de la Houle avant les envahissemens de la mer. Cette Houle, ou le vieux Granville, est le principal centre de la population. Maintenant cette côte est sans arbres: Cassini indique des bois assez épais depuis Quéron jusqu'à Roche-Gautier. Les autres lieux remarquables de l'intérieur sont le Manoir, habitation moderne cachée sous de grands arbres, le Logis de Grainville, le Mesnil, vieille maison au flanc du coteau du Bosc, le Rocher, avec son vieux manoir qui élève la tête carrée de sa tourelle-escalier, site pittoresque d'où l'on voit la vallée du Bosc, le clocher d'Yquelon, la mer et ses voiles, le port et ses mâts. Cette commune et son voisinage nous semblent porter plus qu'aucun autre lieu de l'Avranchin l'empreinte du séjour des Saxons ou des Normands dans ses appellations topographiques, dont la plupart sont dérivées des langues scandinaves. Telles sont la Petite et la Grande Houle, ou la vallée, Prestot, ou l'habitation de Presse, Blackmar, ou la mare noire, Grainville et Grentel, qui nous livrent assez clairement le nom propre que nous avons assigné pour radical à Granville. Les communes d'Anctoville, AnschetUivilla, habitation d'Anquetil, Donville, villa d'Odon, Breville, villa de Brée, Quéron , Yquelon, se rattachent à des vocables septentrionaux. Le Theil rappelle une division saxonne du sol, interprété par Cenalis en portiuncula terra. Lihou est complètement saxon; Catteville, Glatigny se rattachent à l'étymologic générale. C'est d'ailleurs sur le littoral que nous retrouvons surtout les vestiges des peuples du nord , des marchands saxons, et des pirates normands : et s'il était permis de concentrer quelque part dans l'Avranchin la population saxonne et de lui donner son Otlinga saxonia, nous la mettrions dans le havre de Granville. D'autres noms de Saint-Nicolas ont une origine latine ou française : Maloué, les Pesrelles, etc. Cassini indique un nom d'une physionomie celtique , Philbec. Les Pesrelles, les Rues , la Rue Malet, parfaitement droite, nous semblent jalonner dans Saint-Nicolas la voie romaine d'Alaunium à Condate. Au Port-Foulon on a trouvé un grand vase en bronze, quelques médailles et surtout une fort rare en bronze de Tetricus fils.

 

Suivant quelques archéologues et poêtes, il y aurait sur cette côte un témoin de temps plus antiques encore. Ils admirent dans l'Anse-de-la-Crète, entre Saint-Pair et SaintNicolas , un reste authentique et vénérable de cette forêt qui aurait abrité le Druidisme et aurait été balayée par le déluge de 709. M. Ephrem Houël, dans sa poétique Notice sur le Mont Saint-Michel, nous décrit cet antique enfant de la terre: «  Tronc sec et décharné, presque entièrement couvert de coraux, de polypiers et d'algues marines. » M. Hairby s'est abandonné sur ce sujet à des développements lyriques qui perdraient à passer dans notre langue :

 

 « It is the last oak of the forest, the silent and solitary witness of a great catastrophe, that men have forgotten, and only conjecture now, from local and external evidences. When this old. Ume bleached trunk shall no longer be able to resist the wasting influence of the sea wich has embraced it for more than a thousand years, one of those evidence will have passed away. On this remnant of a tree the sea fowl flaps its wings , and like the raven wich , in the deserts of Saba and Assyria, may be seen Testing on the fragment of a column , the Ocean bird upon bis solitary perch seems placed there to indicate that this sandy waste, now profitless and without a name, once teemed with vegetable life and bore immortal souls upon its lovely and fertile surface

               Where is the famé

Wich the vain glorious mighty of the earth

Scck to eternize '? »

 

Mais cet arbre est bien dépoétisé par une note qui est aux archives de la marine de Granville, signée Cassini :

 

« La longitude de Granville est à 16° de l'Ile-de-Fer, et à 40 de celle de Paris ; la base mesurée sur le terrain depuis la seconde dune en deçà du Bec-de-Champeaux jusqu'au signal qui est dans l'Anse-de-la-Crète, est de 5,751 toises5 pieds 7 pouces. » Le cataclysme de 709 et saint Aubert sont deux souvenirs inséparables. S'il nous est permis de localiser quelque part un miracle du saint évêque, c'est sans doute sur la côte que nous décrivons. « Il serait ennuyeux de raconter tous les miracles de saint Aubert. Je dirai seulement qu'un jour retournant de ses visites il deslivra la coste de Graudville d'un espouvantable dragon qui faisoit de grands desgats dans le païs voisin. Le saint mist son estolle sur ce monstre, et lui commanda de demeurer là immobile , puis il pria Dieu que le flux de la mer montant jusqu'en ce lieu l'estrena de son reflux, ce qui fut faict et jamais il ne fut veu par après »

 

Qu'il y ait eu sur ce littoral une voie et des stations romaines, c'est ce que rendent indubitable les noms topographiques, les tuiles de Donville, et les vestiges antiques de Port-Foulon. C'est vers ce dernier point, dans un vallon, à la Houle, que s'établit une bourgade saxonne à laquelle se mêlèrent les Normands. L'invasion anglaise, au XVeme siècle, ramena sur ces bords ces deux éléments confondus en un corps de nation. La nombreuse population de ce quartier est encore aujourd'hui ce qu'étaient ses ancêtres, des pêcheurs et des marins. Si l'aristocratie granvillaise habite les hauteurs, dans cette houle est entassée la population typique et originale.

 
     
 
 
         
   
  GRANVILLE
  CC 05.03 GRANVILLE TERRE ET MER
   
  SAINT-NICOLAS HISTOIRE 2/2
         
 

Saint Nicolas Château de Grainville, collection LPM CPA 1900

 
     
 

Une chapelle dut s'élever à une époque très-reculée au centre de cette bourgade: on en voit des restes dans la chapelle de sainte Geneviève, qui est accolée au presbytère actuel et à la grange décimale. Tel fut l'édifice religieux de la période romane pour Saint-Nicolas, chapelle vicariale annexée à la première des deux cures que les rôles normands et les registres de Coutances assignent à Granville dans le XIIeme et le XIVeme siècle. Elle n'a cependant conservé rien de bien caractérisé, à part une fenestrelle ogivale, qui semble appartenir à la transition.

 

A cette chapelle succéda une église, bâtie plus dans l'intérieur, intermédiaire entre la campagne et le rivage. On voit encore cette simple église, sans transepts et sans tour, dans le parc du château de Grainville. Elle n'a rien qui puisse arrêter le regard de l'archéologue, à part peut-être une fenestrelle trilobée d'une époque indécise : ses statues ont été transportées à l'église récente de Saint-Nicolas. Celle-ci a été bâtie au bord d'une plaine, plus rapprochée de la Houle que l'ancienne, et plus conforme aux besoins d'une population rapidement croissante II n'y a rien à dire de cet édifice d'hier, qui n'a pas de passé , et n'aura guère d'avenir, de cette construction bâtarde, association du type païen et du type oriental, être hybride, dont la lanterne mesquine posée sur une tour raide et nue, dont la blanche et froide nudité, brillantée de dorures, ne manquent pourtant pas d'admirateurs: il faut bien qu'il y ait des admirateurs pour ces maisons, puisqu'il y a des maçons pour les bâtir. Ce malheureux type a envahi la Normandie et une partie de cette Bretagne, pourtant si fidèle à la tradition1.  La chapelle de Saint-Nicolas était une chapelle vicariale de la première cure de Granville, et c'est parce que Saint-Nicolas était une partie intégrante de cette cure que nous avons cité l'article du Livre Blanc dans notre épigraphe. A quelle époque l'église paroissiale fut-elle bâtie ? Pour décider cette question, à défaut de documents écrits, il n'y a que le monument lui-même , et nous avons vu qu'il n'a pas de caractère nettement accusé : on peut toutefois fixer le XIVeme ou le XVeme siècle. Dans le milieu du siècle dernier, cette église était une succursale, et dépendait d'une des deux cures de Granville et de son patron particulier. « L'église succursale, dit Expilly, est à une demi-lieue de la ville pour la commodité des habitants de la campagne. Elle est sous l'invocation de saint Nicolas. Ces deux églises sont desservies par deux curés, l'une pour la première portion, à la nomination de M. d'Argouges, et l'autre pour la seconde portion, à la nomination de M. Le Mercier de Grandville, comme seigneur et patron du lieu. Ces bénéfices valent environ 1,500 liv. chacun. Les curés desservent les deux églises, chacun leur semaine, à l'alternative. Leurs presbytères sont au village de la Houle, à environ un quart de lieue de la ville , afin qu'ils soient à portée de la ville et de la campagne.... Les curés ont aussi chacun un vicaire à Saint-Nicolas et qui y résident »

 

Mais ce n'est que dans le siècle dernier que la succursale a été érigée en église paroissiale. Le Pouillé du diocèse, imprimé en 1648, ne mentionne pas de paroisse Saint-Nicolas; mais elle figure comme paroisse dans un dénombrement de l'élection de Coutances de 1765

 
     
 

Saint Nicolas l'église paroissiale, collection LPM CPA 1960

 
   
 

De l'autre côté de la plaine, en face de l'église paroissiale, est un lien qui porte le nom de Couvent. Là fut un couvent de Cordeliers, que les persécutions des Anglais chassèrent de leur monastère dont on voit encore les ruines à Chausey, dans un site admirable pour la contemplation et la poésie. Nous dirons leur histoire au chapitre consacré à cet archipel. En arrivant à Granville, les Cordeliers reçurent l'hospitalité dans une maison où les logea pendant trois ans un bourgeois nommé Le Pigeon. En 1546, les dames d'Estouteville, Jacqueline et Adrienne, leur donnèrent un terrain sur la route de Villedieu. En 1547, le couvent fut consacré par le suffragant Pierre Pinchon. L'habitation, assez bien conservée, a cette apparence de confort et de riante propreté qu'on remarque dans les couvents modernes, et qui rappelle par contraste la physionomie austère et ascétique des cloîtres du Moyen-Age. Le couvent formait un carré, qui a perdu un de ses côtés, celui que formait l'église, aujourd'hui complètement dispanre , à part un antéportique où l'on voit encore un bénitier. Elle a été détruite quelque temps après la Révolution. Dans la période révolutionnaire, on y célébrait les Décades. On y voyait les armes des d'Estouteville et celles des d'Argouges, seigneurs de Granville, avec leur Fée dans le cimier. Au centre du carré étaient un parterre et des gazons : un cloître régnait sur les quatre faces. Avec leur couvent, les Cordeliers possédaient de la terre : une note de D. Le Roy nous apprend qu'en 1578, les Cordeliers de Chausey possédaient dix-sept vergées de terre dans la paroisse de Granville. Expilly donne des détails intéressants sur ces religieux: A l'extrémité de la campagne de Saint-Nicolas est un petit couvent de Cordeliers-Réformés, assez beau. Leur maison, le jardin et les bois forment une solitude agréable. Ces religieux étaient autrefois dans les lies de Chausey, d'où ils furent chassés par les Anglais: ayant été reçus par les habitants de Granville, avec tout l'accueil qu'ils pouvaient souhaiter, ils en ont conservé beaucoup de reconnaissance, et font tous les ans une procession solennelle à l'église de Granville. Ils y chantent la grand'messe paroissiale et y font un sermon sur la prière. Le clergé de Granville va les recevoir hors de la porte de la ville où l'on a soin de faire un reposoir, et les reconduit jusqu'au même reposoir. »

 

Avant la Révolution, Granville ne comprenait que la ville, ou l'espace ceint de remparts. Le Roc, le port, une partie de la rue des Juifs, les rues Couraye et Herel appartenaient à Saint-Nicolas. Ces terrains ne furent réunis à Granville qu'en 1790, par un décret de la Constituante. Saint-Nicolas présentait alors et présente encore le double caractère de commune rurale et urbaine. Si on réunissait en commune l'agglomération d'habitations qui s'appelle Granville, on formerait la ville la plus populeuse de l'arrondissement, un groupe de douze mille habitants.

 
 

 
 

Saint Nicolas plage d'Hacqueville, collection LPM CPA 1900

 
     
 

Le fief de Hagueville était une propriété du Mont SaintMichel. Il est cité dans un manuscrit du XIVeme siècle : la maison de Hugues de Hacqueville lui devait onze sous manceaux : « 11 sol. cenom. super masuram filii Hagoiris de Hacque ville . » L'abbé André de Laure acquit ce fief en l196 d'après cette notule de D. Le Roy: « Acquisition du fief et seigneurie de Hagueville en la paroisse de Granville. » D'ailleurs dès 1172 le seigneur du fief de Granville était vavasseur de l'abbaye : « Hug. de Grandvill va», de feudo de Grandvill '. » Aux Assises d'Avranches de 1216 Robert de Granville, à celles de 1223 et 25 Hugues de Granville assistèrent comme jurés de l'abbaje ; en 1264 Raoul de Granville était un de ses chevaliers. Une charte du XIVeme siècle mentionne le port de la Houle:

 

« Hervé de la Fresnaye guarde au scel des obligations de la vicomté d'Avranches... noble homme Henri de Folignie escuyer... avoir pris un poisson appelé esturion en port et terre de la Houle as metes de leur baronnie de S. Paer... disant que il avoit pris pour et au nom de madame de la Mouche et que a elle appartenoit pour raeson de son fieu de haubert quelle tient des diz religieux par foi et hommage as metes de leur dicte baronnie... 1374 »

 

Dans une de ces habitations qui s'abritent sous les bouquets d'arbres épars dans la plaine de Saint-Nicolas, du côté de la mer, au Manoir, vécut un de ces hommes, que l'on s'étonne de trouver si rarement dans ce pays instruit et pittoresque de l'Avranchin, un naturaliste, M. de Beaucoudray, qui, sans avoir beaucoup écrit, a laissé des souvenirs scientifiques consignés par M. de Caumont dans V Annuaire Normand. Il s'était surtout adonné à la botanique, cette étude si saine à l'âme et au corps, et à la Flore si variée de ce littoral, qu'il avait explorée sur le sol et sous les eaux. Il avait signalé dans cette station des végétaux rares, VIxia bulbocodium , VErica vagans ', VErodium ou Geranium malacoïdes: le Musée d'Avranches possède une collection de polypiers coralligènes flexibles recueillis par lui sur ces rivages. C'est là qu'il associa souvent ses recherches a celles du savant qui a créé toute la science dans notre département , l'histoire proprement dite et l'histoire naturelle , M. de Gerville.

 
   
 
 
 

Saint Nicolas, collection LPM CPA 1900