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Saint-Jean-Le-Thomas CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Le seigneur MONTGOMMERY de SAINT-JEAN-LE-THOMAS, Sa maîtresse Hélène,
D'après La Revue illustrée de Bretagne et d'Anjou paru en 1889 et Guide du voyageur au Mont-Saint-Michel et au Mont-Tombelaine paru en 1856
Saint-Jean-au-bout-de-la-mer ! Quel joli nom et qu'il peint bien la chose ! C'est le bout de la mer, en effet, que ce petit village perdu depuis des siècles au fond de la vallée. La mer n'a jamais été plus loin. Au XIIe siècle, Thomas de Saint-Jean donna au village le nom qu'on lui connaît aujourd'hui, Saint-Jean-le-Thomas, sans doute pour affirmer davantage ses droits de haute et basse et justice sur tout le pays qu'il dominait. Car ce n'étaient pas de petits sires que les seigneurs de Saint-Jean.
Leur château s'élevait, comme une menace, au haut de la côte qui regarde le Mont-Saint-Michel. Lorsqu'on détruisit au XIXe siècle les restes du donjon, le peuple avait encore en mémoire le souvenir de Montgommery. Jetez ce nom terrible aux gens de la côte, à partir de Carolles, ils ne se signe- ront pas, parce qu'ils ne croient plus au diable, mais ils vous diront que le château de Saint-Jean était sa demeure favorite. Trois souterrains partaient de là pour aboutir à divers points. Le plus important était celui de Tombelaine, qui reliait deux forteresses, en se prolongeant au-dessous des grèves. A Tombelaine était l'arsenal du farouche seigneur ; c'était là qu'il fabriquait ses armes redoutables, qu'il battait la monnaie de ses trésors. Le second souterrain avait une issue secrète près de l'église de Saint-Jean, à l'endroit que l'on nomma plus tard la Croix-de-Pierre. Le troisième, enfin, perçait la falaise de Champeaux, et s'avançait dans la terre jusqu'au milieu d'un riant verger, sur les bords d'une petite rivière, où le guerrier venait abreuver ses chevaux. On le voyait ensuite, dit la légende, passer, rapide comme l'éclair, à travers la campagne, escalader les monts, franchir les bois, au gré de sa haquenée blanche, que lui seul pouvait maîtriser. Toutes ses fières cavales, tous les coursiers de ses hommes d'armes étaient ferrés à rebours afin qu'on ne pût reconnaître de quel côté le maître et sa troupe dirigeaient leur marche.
Après ses courses, qui souvent n'étaient que des pillages, il revenait s'enfermer dans son castel de Saint-Jean. Là, dans un appartement secret, loin de tout regard, était cachée la maîtresse de Montgommery, la belle Hélène. Il la nourrissait lui-même ; c'était à ses pieds qu'il passait ses moments de repos. Sous le beau regard d'une femme, le lion devenait agneau. Mais, un jour, il fallut partir pour une expédition lointaine ; il fallut se séparer de son amante. On dit que, pour être plus sûr d'elle, il la conduisit à Tombelaine, et qu'elle mourut de chagrin sur ce rocher où elle finit ensevelie. Les pêcheurs ont observé que, chaque année, le jour et l'heure où l'on dit que trépassa cette fille de châtelaine, quand elle eût perdu de vue, dans la vapeur de l'océan, le vaisseau qui emportait sa vie, une colombe vient le soir sur les genêts de Tombelaine et ne s'envole que le lendemain à l'aurore, rapporte Charles Le Breton qui a recueilli cette légende dans la Gaule poétique de Marchangy.
On dit que ce souterrain qui relie Tombelaine au château de Saint-Jean existe toujours. L'ombre d'Hélène erre souvent dans cette route ignorée. Parfois, la nuit, du haut des grèves, sa voix sort de terre et se mêle, en sanglotant, au bruit des flots.
Quand la tempête remue les vagues, on entend la même voix. Elle est puissante alors, et l'écho du rivage redit comme elle : « Montgommery ! Montgommery ! » Naguère encore, racontent les vieillards, on voyait l'entrée du souterrain dans les ruines de Saint-Jean. Sur la pierre qui l'obstruait à moitié, les jeunes filles allaient déposer une pièce de monnaie. Elles obtenaient, par cet acte, le privilège de faire naître, dans les profondeurs de cette route sous-marine, un murmure confus, une mélodie langoureuse. Si ce bruit était doux et tendre, c'était pour elles un signe certain de leur bonheur en ménage. S'il était triste et lugubre, elles pouvaient verser des larmes.
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Saint-Jean-Le-Thomas CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
D'après une autre légende, Montgommery ne conduisit pas sa maîtresse à Tombelaine. Un vieux serviteur, dont il connaissait la fidélité, fut chargé de nourrir en secret la belle désolée, mais il mourut peu de temps après le départ de son maître. Hélène abandonnée, n'osant élever la voix, vit la mort approcher pas à pas, lentement, avec les angoisses de la faim... A son retour, le sire de Montgommery trouva son cadavre desséché, couvert encore de riches vêtements. Ce squelette orné était affaissé sur le bord de sa couche dans une position suppliante : une de ses mains reposait sur ses lèvres... Hélène en mourant, avait envoyé vers son chevalier sa dernière caresse avec sa dernière pensée. Elle n'était plus ! Mais, toutes les nuits, elle revenait visiter sa chambre et le donjon tout entier. On n'entendait jamais sa voix ; ses gestes, ses signes seuls, semblaient demander Montgommery. Lorsque la grande tour du château fut renversée et qu'il ne resta plus que des ruines, on la vit, silencieuse vers minuit, planer sur les décombres. Une heure durant, elle était plongée dans d'intimes rêveries ; puis soudain elle s'élançait dans les sentiers du bois, elle courait au sommet de la montagne, jusqu'à ce que, lasse de sa marche rapide et fatale, elle tombe fatiguée, toujours au même endroit, sur le gazon de la falaise.
Ce lieu s'appelle encore aujourd'hui le Ruet à la Blonde. Le ruisseau mêlait son murmure aux soupirs de la jeune fille. Quand elle avait trempé ses lèvres à cette eau courante, elle poussait un cri lugubre. Un autre cri plus élevé lui répondait de la mer, et l'on voyait tout à coup, produite par l'écume des vagues et sortant des flots frémissants, une légion de blanches ombres, jeunes comme Hélène. Etait-ce le réveil des victimes de Montgommery ou des femmes qu'il avait aimées ? On ne sait. La légende dit seulement qu'elles étaient belles. Toutes ensemble, elles escaladaient la montagne et se dirigeaient à pas lents vers le château délaissé. Elles faisaient entendre alors un chant confus, qui n'était pas de la terre. Un instant, les vieilles ruines semblaient frissonner sous les accents plaintifs de ce chœur étrange : elles se taisaient et semblaient écouter si leurs accords avaient su réveiller un écho. Rien ne répondait. C'était un silence à faire peur. Alors les ombres reprenaient tout en pleurs le chemin de la mer : une vague, en se brisant, les enroulait dans son sein...
Enfin, dans le pays, on vous racontera une dernière légende : elle se rapporte à la destruction du château. Un jour, il y a bien longtemps, plusieurs vaisseaux arrivèrent dans la baie. La mer, en se retirant avec sa vitesse ordinaire, les laissa tous à sec au milieu des sables. Quel dessein leur avait fait tenter ce périlleux voyage ? On l'ignorait encore. Le sire de Montgommery,qui les voyait du haut de son donjon, partageait l'étonnement de ses hommes d'armes, lorsqu'on aperçut, sortant de ces vaisseaux étrangers, une armée de guerriers inconnus. Le soleil miroitait sur leur armure de fer, ils étaient prêts pour un assaut. On les vit s'élancer en bel ordre à travers la grève ; une minute après avoir touché le rivage, ils étaient sous les murs de la forteresse.
Le baron allait être victime d'une surprise ; il voulut toutefois se défendre, ce fut en vain. Ses compagnons tombèrent à ses côtés, les uns après les autres, frappés des traits ennemis. Mieux alors valait capituler que de prolonger une défense inutile. Ce fut sa pensée et son désir. Hélas ! les assiégeants n'avaient qu'un cri, et depuis deux heures, ils le proféraient sans cesse : « Destruction et mort ! » Montgommery voulut sauver ses biens. Il jeta son or et tout ce qu'il avait de précieux dans le puits si profond du château. Au même instant, le donjon s'écroula, et le châtelain lui-même fut enseveli dans les décombres.
On a fouillé à loisir les pierres massives qui recouvraient tant de mystères. Elles ne se sont pas entrouvertes pour ne pas laisser s'envoler tous les beaux sequins d'or, tous les précieux joyaux qu'elles cachaient aux regards des profanes. On n'a pas aperçu non plus l'ombre vengeresse de Montgommery se dresser menaçante au sommet du puits découvert. Ainsi passe la gloire du monde ! De ce puissant seigneur qui fut l'effroi de la contrée, il ne reste plus qu'un souvenir légendaire. Certains historiens font dériver le nom Tombelaine de Tumba Helenae (Tombe d'Hélène). Celle dont la légende prétend qu'elle fut la maîtresse du seigneur Montgommery, aurait été la nièce d'un roi de la Petite-Bretagne.
Mais en 1669, Louis XIV ordonna la démolition des fortifications. Etait-ce à l'instigation du gouverneur du Mont-Saint-Michel, ou bien parce que Tombelaine servait de retraite à des corsaires ? Les historiens ne sont pas d'accord à ce sujet. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de destruction est depuis longtemps consommée, « et si, dit M. Le Héricher, sur la nappe brillante des fleuves ou de la mer, le Mont-Saint-Michel se dresse comme un vaisseau dans l'orgueil de sa mâture et l'ampleur de ses voiles, Tombelaine apparaît triste et honteux comme un vaisseau rasé ».
Tombelaine a fait peu de bruit dans l'histoire. Au XIIe siècle, l'abbé Bernard y bâtit une chapelle, avec des cellules alentour. Au XVe siècle, les Anglais entourèrent Tombelaine de murailles : on en voit encore quelques vestiges, ainsi que les ruines de tours et de tourelles. Le château, qui commandait le roc et tout le pays, était sur le monticule la Folie. En 1450, après la bataille de Formigny, qui mit fin à la domination anglaise en Normandie, le connétable de Richemont s'empara de Tombelaine, qui dès lors n'a pas cessé d'appartenir à la France. En 1592, cette forteresse, qui était aux Ligueurs, se soumit au pouvoir royal par capitulation. | ||||||||||||