SAINT-JEAN-LE-THOMAS
  CC 04.10 GRANVILLE TERRE & MER
   
  HISTOIRE 1/2
         
 

Saint-Jean-Le-Thomas CPA collection LPM 1900

 
     
 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845

 

Turrcm S. Juhannis.

 (robbbt Do Mort).

 

Une montagne, un vallon, une grève représentent le triple aspèct de cette commune: un carré, dont la mer forme le seul côté naturel, en représente le plan. Sa montagne, nue et morne, semble un mur coupé à pic, dont les bois, dits sous Coutances, égaient la sévérité : son littoral est une grève blanche ou une dune verdoyante; sa vallée , riche en arbres fruitiers, représente bien la « plantureuse Normandie. » Le bourg forme une longue rue parallèle à la vallée. Le Bingard, la Hoguelle, Lancessurie, Groussey sont les principaux villages.

 

Attaché aux flancs de cette montagne, exista anciennement un village du nom de Saint-Jean , appelé par D. Huynes, « Saint-Jean-au-bout-de la-mer, » qui fut donné au Mont Saint-Michel par Guillaume-Longue-Épée, en 917. Plus tard un chef de famille, nommé Thomas , y ajouta son nom, celui-là même qui, en 1117, bâtit le château , dont on voit les ruines pittoresques sur un contrefort de la montagne: c'était ce Thomas dont nous avons raconté les dévastations dans l'histoire du Mont Saint-Michel. Un reste de donjon, revêtu de petit appareil, au coin d'une enceinte carrée, un pilier rond, une chapelle transformée en écurie', voilà ce qui reste du château de Saint-Jean. Par sa position et ses restes, il ressemble à cette forteresse saxonne de Coningsburgh , d'Ivanhoe, ressemblance à laquelle ajoute encore le nom saxon de Hoguelle, qui s'applique au nord de la montagne. Pour le grandiose associé au charme des détails , Saint-Jean est le premier point de vue de l'Avranchin , et nous ne savons rien que puisse demander à la nature cette villa , suspendue entre la cime du Mont et le clocher du village. Une description ne ferait qu'attester notre impuissance : nous aimons mieux dire les observations d'hommes distingués, dont l'ensemble peut peindre ce lieu sous ses divers aspects.

 

« En 1818 , dit M. de Gerville, M. Cotman et moi nous examinâmes l'emplacement du château de Saint-Jean.... Sur les anciennes fondations on avait élevé de nouvelles constructions , parmi lesquelles on distingue les restes d'une chapelle. Au midi, l'accès était très-difficile; mais au nord, il était commandé de i"ort près, et je ne crois pas que même , avant l'invention de la poudra , il eût pu arrêter long-temps l'ennemi '. »« J'ai visité, dit M. de Caumont, les Aines pittoresques du château de Saint-Jean... Cette forteresse assise sur un des caps adossés à la chaîne granitique... offre encore trois enceintes... L'ancien donjon qui dominait la vaste plaine... la vue pouvait s'étendre aux rivages de la Bretagne. J'en ai dessiné un croquis2. » Voilà pour l'archéologie. Voici pour le pittoresque : M. Fulgence Girard appelle « le vallon de St-Jeanle-Thomas, terrain frais et substantiel; M. Haiiby parle de ses sentiers ombragés, et de la grandeur de son point de vue : « We proceeded to S. Jean-le-Thomas aloug shaded lancs... AVe obtained many beautiful vievvs of the sea, Mont S. Michel, le point of Cancale, etc.; » une autre plume esquisse ainsi le paysage: « Un cap élevé et escarpé au pied duquel la Manche roule ses flots... Que le voyageur s'asseie sur les pierres des ruines... il verra Avranches assise sur sa montagne verdoyante , le Mont qui montre sa gigantesque Merveille, Tombelaine, Cancale, les embouchures des trois rivières, de nombreuses voiles de pêcheurs... à ses pieds la mer , la grève , le bourg de Saint-Jean et sa modeste église, les sentiers qui serpentent autour du rocher... »

 
     
 

Saint-Jean-Le-Thomas CPA collection LPM 1900

 
     
 

Ces lieux n'offrent pas plus de charme à l'amateur dn pittoresque qu'à l'antiquaire : les plus grandes figures habitent ces ruines, et l'histoire de leur temps, et l'image de leur civilisation apparaissent dans la série des événemens et des hommes qui se rattachent à cette localité.

 

Les annalistes du Mont, spécialement D. Le Roy et I). Huynes , nous apprennent qu'en 917 le duc Guillaume, fils de Rollon , et Robert Ier, après lui, donnèrent à Saint-Michel « la seigneurie de S.-Jean-sur-Ia-Mer et ses dépendances, c'est-à-dire Dragey, Poterel, Tissel, Goolt, Obre, la forêt de Bivoye avec les bois de Neron, etc.1 » M. Desroches remarque que, dans la charte de donation, les paroisses de l'Avranchin données alors sont appelées viltulas, tandis que celle de Saint-Jean est appelée villa, et qu'il n'est point fait mention d'autre église que de celle de Saint-Jean , avec ses vignes, ses prés et son moulin. Le même auteur dit qu'un titre fort remarquable du xe siècle prouve qu'alors SaintJean était renommé parmi les localités de l'Avranchin. Au commencement du xir siècle , Saint-Jean passa, par usurpation , à des seigneurs, dont un donna l'affixe au nom primitif. En effet, l'an 1117, un « certain seignenr, nommé Thomas de S.-Jean , s'empara injustement des baronnies de S. -Pair et de Genêts, et de plusieurs routes et droits appartenant au monastère. » Le Cartulaire, auquel nous renvoyons pour cette histoire intéressante, appelle ses frères Jean et Roger.

 

Dans le XIeme siècle exista un seigneur de Saint-Jean , personnage important, si l'on en juge par les nombreuses souscriptions qu'on a de lui dans les chartes de ce temps: Badulfus de S. Johanne était feudataire du Mont pour la moitié de la paroisse de Saint-Jean , selon les termes du Cartulaire, dans le détail des usurpations de son fils: « Thomas de S. Johanne detinet 20 sol. guos suus pater Radulfus reddebat per singulos annos pro mcdietate S. Johannis. » Loi aussi avait dépouillé Saint-Michel : « Radidftis de S. Johanne tollit S. Michaeli quatuor salinas et terram Serlcmis. » En Wh, il signa la charte de la Perrelle , puis celle du Luot, et celle de Poterel '; en 1066, il en signa une autre avec le duc Guillaume et Mathilde. Le Cartulaire nomme ses trois fils, Thomas, Jean et Roger. Un Saint-Jean était à la Conquête : « de S. Johan et de Brehal, » dit Wace dans son dénombrement2. On doit croire que c'était Raoul ,quoique le Pairage de Collins appelle Guillaume de Saint-Jean le guerrier de la Conquête , où il eut la direction des engins et des charriots. Il présida au débarquement, et fit porter sur le rivage trois châteaux de bois tout prêts » à assoir. » H est, nous le répétons, très-probable qu'il s'agit de notre Raoul. Des trois fils de Raoul, Jean , Roger , Thomas, celui-ci fut le plus célèbre : il ajouta son nom à celui de sa paroisse. A Tinchebray, en 1106 , il fit un château de blocus, comme dit Ord. Vital : « Ibi Th. de S. Johanne mm multis e<luitibus et peditibus ad arcendos castrenses castellum constituit. » Lui et son frère Roger avaient défendu vigoureusement le château de la Motte-Gautier. Il semble que ces fonctions d'ingénieurs, on « enginieurs, » étaient héréditaires dans cette famille. En 1112, Thomas figurait a la fondation de Savigny. En 1121, il apparaît, avec son caractère violent et ses déprédations, dans le Cartulaire du Mont Saint- Michel dont nous avons traduit le récit en partie *; c'est alors qu'il bâtit le château de Saint-Jean , sans doute la réédificaiion de celui de son père, et celui dont nous admirons les débris aujourd'hui. Ce château ne subsista pas long-temps, puisque Henri rr, d'après un contemporain, « ex integra fecit turrem S. Johannis juxta Montent S. Michaelis an. 1135 '. »

 
     
 

Saint-Jean-Le-Thomas CPA collection LPM 1900