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Dragey L'église Saint-Médard. Xfigpower — Travail personnel |
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Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845
Concedo Drageium cum ccclcsia cl Poteret et Tisseium et Tisseet et Goott et OOrrfum et Landam et Belleviltam. (Charte du duc Robert).
Les villes ont à peu près la même physionomie ; elles ont aussi a peu près la même histoire. Le village a plus sa physionomie propre et aussi son histoire. Cela est vrai, surtout des villages de ce littoral si beau et si varié , qui forme un des côtés du cadre si bien nuancé et si bien sculpté qui entoure le grand tableau du Mont Saint-Michel. Si, sur ces bords pittoresques, la grande montagne frappe toujours vos yeux, son histoire s'attache à votre pensée et à votre rêverie sur ce sol imprégné de ses souvenirs. Dragey est surtout plein du Mont Saint-Michel : c'est lui qu'on retrouve dans ses plus ancieunes chartes, et les plus grandes images passent sur sou littoral et.dans ses nombreux villages, Obré , Tissey, la Becane, la Lande-Herpe, Potcrel, Belleville, le Bourg, Brion, le Hamel, la Bulaine, la Croix-du-Mès.
Son sol se divise en trois parties, la partie plate ou littorale , le plateau triangulaire au centre duquel est le bourg, et le plateau compris entre le Lerre et le ruisseau de Brion , qui sillonne Dragey, le divisant ainsi en deux plateaux. Un triangle, dont la base est le rivage et dont les côtés sont artificiellement tracés, encadre le territoire de cette commune. Dragey est borné de dunes , et sa partie littorale est coupée , parallèlement au rivage, par un cours d'eau ou tranchée de dessèchement'.
Si les lieux situés au bord de la mer gagnent par cette position en grandeur et en beauté, leurs églises ont aussi quelque chose de plus pittoresque et de plus religieux. L'église de Dragey, qui avait autrefois une flèche, regarde au loin sur la baie, et offre encore au navigateur sa tour de saint Médard, comme point de reconnaissance. A la beauté du site, elle ajoute l'intérêt de l'art et de l'antiquité. Le roman réclame des restes au sud , une côtière au nord en opus spicatum, et la plupart des contreforts; le gothique pur une jolie porte du midi, couronnée d'un triangle, comme celle du SautGautier au Mont Saint-Michel, le bénitier fleurdelisé, la voûte du chœur , hardie dans son unique travée ; le gothique flamboyant ou perpendiculaire révendique la plus grande partie de l'édifice, les trois fenêtres du pignon oriental, celle de l'ouest et celle du midi du chœur, le milieu de la tour avec ses fenêtres simulées et ses belles ouïes traversées de transoms, la tour terminée par un toit cunéiforme, qui a remplacé la flèche, cette partie si rare dans l'Avranchin. Le porche se rapporte sans doute à la fin du xvr siècle; le xvnr a fait le portail et les autres fenêtres; le nôtre a produit cette sacristie d'argile , qui s'est donné une inscription : Initia anni 1811 , comme si elle avait des prétentions à la durée. A l'intérieur on remarquera le bénitier à deux anses , semblable a un grand mortier, les fonts, vasque grossière posée sur cinq colonnettes, et une piscine, insérée dans le mur, objet assez rare, que l'on prétend avoir servi au lavage des linges sacrés, une tombe de 1585 , et celle de « Wcssire Boucart, chevalier de S. Louis , sr de Potrées, colonel de cavalerie, maréchal général des logis des armées du roy, 1730. »
Cette église , quoique ancienne, présente une particularité remarquable : elle n'est pas dans le principal centre de population , dans le bourg , comme on dit ; elle est même isolée et presque sans autre habitation autour d'elle que le presbytère. La localité primitive est donc le bourg, où la tradition place une abbaye de Dragey, sans doute quelque chapelle, où l'on voit encore deux croix romanes sur une seule base , et où l'on retrouve des débris de sépultures. Il y a même lieu de s'étonner que les maisons ne soient pas venues se grouper autour de l'église; car les hommes s'agglomèrent pour des motifs religieux aussi bien que pour des considérations temporelles : si une fontaine , un havre, un pont sont le centre naturel du village, une croix, une chapelle, une église, ces îles de paix sur l'océan du monde, dit le poète, s'entourent d'un cercle de chaumières et de maisons. Comme la violence et la guerre ont toujours mené le monde, la montagne a été le lieu prédestiné à la forteresse et au château, autre principe de l'association. Le plus grand rapprochement de la grève, qui nourrit tout ce littoral, explique sans doute la persistance de la population dans son siége primitif. Le bourg, situé sur la voie romaine , renferme la Ferrière, la Forge , la Provotière, vieille et forte habitation , où la tradition met un souterrain qui allait à Tombelaine. |
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Poterel en 1960 CPA collection LPM |
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Poterel , la principale habitation seigneuriale de Dragey, conserve encore de beaux restes dans les deux tours de son entrée, épaisses et percées de meurtrières , tours modernes toutefois , relativement à la tour octogone de la cour, dans sa salle des Gardes, aux belles boiseries sculptées. Poterel a eu d'illustres seigneurs; il en a eu à la Conquête et à la Croisade de Robert. Toutes ces illustrations se présenteront dans la série chronologique selon laquelle nous disposons nos documens relatifs à Dragey : là se trouvera à la fois l'histoire de l'église , des villages, des fiefs, et quelquefois des champs de cette localité.
Tissé, selon M. Desroches , est un village très-antique, où saint Pair, au vie siècle , fit un miracle en faveur d'une pauvre femme.
En 1029, Robert, dit le Libéral, donna au Mont SaintMichel Dragey, avec les localités énumérées dans sa charte, qui forme notre épigraphe , auxquelles D. Huynes ajoute « Tuolz , la forêt de Bivoye, et le bois de Neiron. »
Un Poterel était à la Conquête : il figure dans la liste alphabétique dite de l'Abbaye de la Bataille : « Pampilion , Poterel, Pekeney. »
Dans le Catalogue des Croisés qui suivirent Robert et Godefroi de Bouillon, on lit le nom de Jean Meurdrac de Poterel, dont les armes étaient « de gueules à un bâton d'or. »
L'année même de la Conquête , ou comme dit la charte: < Eo anno quo gloriosus Guillelmus mare transmeavit, Angliamque sibi Deo comitanie subjugavit,> à Bonneville , fut faite la convention suivante , qui jette quelque lueur sur l'étymologie de Dragey: «Ego Gerbertus de Poterel deprimente me pauperie Deoque inspirante requisivi venerabilem abbatem Rannulfum m ad monachilem ordinem Drogonem quemdam fdium meum recipiet cum mcdietate terre mee de Potercl quam de Mo in liberali servitio tenebam, quodipse libenter concessit. » |
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Dragey les croix CPA collection LPM 1900 |
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Une charte de Saint-Lô, sans date, mais que celui qui la traduit semble rapporter à ces temps , s'exprime ainsi : « Moi Robert comte , craignant l'immensité de mes crimes , je donne aux religieux de ce Mont, un aleu de ma famille, savoir Tissé....' »
L'an 1166 fut faite une charte que signa Rad. de Potterell, avec les seigneurs du voisinage 2.
L'an 1171, Richard, évêque d'Avranches , confirma à l'abbé Robert du Mout l'église de Saint-Médard-de-Dragey, confirmation qu'up autre évêque renouvela un siècle plus tard: en effet, en 1268 fut faite : « Caria de presentationc etc. de Drageio eps. Abr. quodjus patronatus ad nos est. »
Un Rôle de l'Échiquier , de 1180 , mentionne , dans la juridiction de R. Silvain , prévôt d'Avranches, « Rualem de Tissie3. » Un autre, de 1195, le cite encore :« 13l. projurea. »
Au XIIIeme siècle furent faites un grand nombre de chartes, dont malheureusement nous n'avons guères que les titres, relatives à Dragey, à ses vignes, à son four, à ses moulins, sèche nomenclature en apparence, mais qui n'est ni sans poésie, ni sans signification pour qui sent ou connaît le Moyen-Age.
« Ego Nicholaus de Claquerel vendidi S. Michaeli..... super feodum quod teneo in parrochia S. Medardi4. — Vineam meam quam habebam apud Drageium in Abrincasino. 1240 5. — Car ta de W. de Villiers de vinea de Drage. 1240. — Misse pro furno de Drage. — Cyrographum de molendino de Tisseel inter nos et W. de Verduno. — Donatio Sibille Kelei Frestelou de dimidia acra tore. 1231.— Caria Dyonisie la Sibile de Dragey 1258. — Littera venditionis Vict. de laBullaine deDragede Canturatue. 1291.
Une charte de 1245 fait mention de Radulfe deObrée, et de Thomas de Belleville. Vauquelin pilla les biens de Si-Michel à Poterel.
On trouve sur un vieux parchemin du Mont de curieux détails sur le vin de Dragey: « Apud Drageium...' 1° vi". xfr. x. s. pro xxix pipis vini miss, per receptorem dicti loci tempore vindemie precium pipe InI fr. x s.... Item x f. x s. pro apportatione vinorum de Drageio precium pipe V s. etc.'
Une charte du XIVeme siècle des archives de Saint-Lo relate un différend entre les gens de Dragey et le Mont : «... Comme contens ou descort fust meu entre le commun des gens de la ville de Drage dune part et le couvent du Mont S. Michel dautre sur ce que les diz de Drage sestoient doluz a la court que les diz relig. indeuement et de nouvel se efforchoient davoir cognoissansse des mesures en ladite proisse qui est es metes de lour baronnie de Gênez et de faire signer lour mesures pour lour volonte.... 1330. > |
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En 1380 , le Mont acquit le fief de Poterel.
En 1648, l'église de Dragey rendait 300 liv. ; en 1698, 500 liv.; il y avait alors quatre prêtres; la taille était de 1336 liv., et le chiffre des taillables 36. Les personnes nobles étaient J. et L. Herault, Esther de Campront, veuve du sieur de Cantilly, Louis de Cautilly. Cantilly est un fief situé à la fois en Dragey et en Bacilly. Les Cantilly sont cités dans les Rôles de l'Échiquier: « Walt, de Cantillie, -> et dans le Cartulaire.
En 1765, Dragey comptait 100 feux.
Vers 1808 , les Anglais débarquèrent sur la côte et s'avancèrent jusqu'à Poterel. Une frégate anglaise parut dans la baie, courant des bordées sur la côté de Cancale. Elle mit à la mer deux embarcations qui, montées par une cinquantaine d'hommes, vinrent sous les rochers de Saint-Jean. Il n'y eut ni paysans ni douaniers à donner l'alarme : les Anglais débarquèrent et s'avancèrent jusqu'à Poterel, qu'habitait M. Brakman, un des rares débris du corps des Suisses écrasé au 10 août. Là ils prirent des vivres et restèrent pendant plusieurs heures. Cependant leur débarquement avait été signalé, le tocsin sonnait aux clochers voisins, les paysans couraient aux armes. Les Anglais firent leur retraite et échangèrent avec les paysans quelques coups de fusil. Il était temps qu'ils arrivassent à la crique de Saint-Jean où étaient leurs embarcations : elles étaient presque échouées et ils eurent de la peine à les renflouer. Cependant ils rallièrent la frégate qui ne tarda pas à disparaître.
Drey, comme nous l'avons dit à Mesnil-Drey, latinisé en Mesnilum Drogoms, est la contraction de Drogo, qui a dû passer par la forme intermédiaire de Dragey. Ce dernier mot doit signifier l'habitation de Drogon , Drogoneium, Drogeium, Drageium. Il est à remarquer que ce nom est assez commun dans les chartes de cette localité; il est dans deux que nous avons citées. Il entre dans la composition de plusieurs mots topographiques: Mesoil-Drey, Moidrey, Drocourt, Drouville, Dragueville, Dromesnil.
Sur le rivage de Dragey on trouve le Roseau des Sables, le Liseron soldanelle, l'Euphorbe maritime. M. de Gcrville indique' dans cette commune l'orpin rouge, qui y a été trouvé par M. d'Isigny, d'ailleurs assez commun dans l'Avranchin, l'Épiairc d'Allemagne que nous trouvons à Vains. M. Bataille y a trouvé le Berberis, l'Adenaire pourpier, la Berle à feuilles étroites. |
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Dragey CPA collection LPM 1900 |
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