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Carolles; CPA collection LPM 1900 |
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Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845
LUterœ quibut Oliverus Paganellat habuit ex nos ira gracia terrant nosiram de Karolet.
Carolle est la projection la plus avancée de la chaîne qui limite au nord le bassin de la Sée : c'est un des côtés de la porte de la Baie, et le point d'où la compagnie hollandaise voulait lancer sa digue vers la Bretagne. La Pointede-Carolles est une falaise gigantesque , au devant de laquelle sont jetés des rescifs sauvages et retentissans appelés par Cassini Surlard , dont les flancs sont déchirés par de bizarres excavations, et dont la cime est couronnée par une roche dite Gargantua , d'où la vue est magnifique et immense. Ces parages sont empreints d'un caractère de beauté triste, imposante, austère. Cette falaise, pelée et sauvage, a été creusée par la nature en deux ports , le port du Lud', où s'écoule la rivière de Carolles, et le port du Pignon-Butor, gorge profonde , où le ruisselet du Lequet ou de Crapeu fait naître quelque verdure , et du fond de laquelle la mer apparaît comme un triangle qui va du rivage au ciel. Des] richesses métalliques ont valu à ce massif contrefort le nom de Pignon Butor ou Butte d'or '. La plage, couverte de galets, où déferle la lame courte et dure du ressac , s'appelle la mielle. Sur la falaise est une croix de bois, qu'on voit de loin de la terre et de la mer, dite la Croix-Paquerey. Enfermé de tous côtés dans des lignes naturelles, excepté au sud où une ligne idéale le sépare de Champeaux , Carolles , limité par la mer, le ruisseau de Carolles, et celui de Pignon-Butor, affecte la figure générale d'un parallélogramme.
Plus d'une fois l'idée est venue aux hommes qui considéraient la chose au point de vue économique plutôt qu'au point de vue de la poésie et de l'histoire, de rattacher au continent et de les livrer à l'agriculture ces vastes terrains amphibies, enfermés entre les bras de la Bretagne et de la Normandie , et de jeter des digues entre les pointes par lesquelles elles tendent l'une vers l'autre , c'est-à-dire entre la Chaise et Torin, entre le Bec-d'Andaine et le Pas-aux-Bœufs, entre la Pointe-de-Carolles et Château-Richeux. Le projet de cette dernière jonction remonte à une époque assez éloignée. En 1609 , deux hollandais, Umfroy et Bradley , proposèrent à Sully de construire, à leurs frais, pour la cession de la moitié des terrains enclos, une digue depuis la Pointe-de-Carolles jusqu'à celle de Château-Richeux; le ministre approuva le projet, mais sa retraite, après la mort de Henri iv, empêcha l'exécution de cette entreprise. En 1779, le sieur Quinette fit à peu près la même proposition aux Étais de Bretagne ; mais ce projet, présenté sans garantie par un homme présumé sans talens, n'eut pas de suite.
Sur la falaise de Carolles, et à la fois en Saint-Michel, dans une position forte et isolée, défendue de deux côtés par la mer , et des autres par une vallée, se voient les lignes bien caractérisées d'un campement : ce lieu porte le nom significatif des Châtelliers, nom pluriel qui s'explique par un double camp , qui figure assez bien un trapèze accolé d'un arc de cercle , un camp principal, et un camp de refuge. L'enceinte trapézoïde est tracée par le rebord de la falaise abrupte et profonde, rehaussé d'un fossé, et par trois lignes de levées de terre, couvertes d'ajoncs , empierrées à la base, d'une largeur générale de quatre mètres, d'une hauteur de deux mètres en-dedans et de trois mètres en-dehors, dimensions amoindries, telles que les ont faites le temps, la nature et l'homme. Le côté le plus long, celui de l'est, mesure environ 250 mètres , les deux autres 200. L'angle aigu du trapèze se forme au sud , à la pointe où se trouve le corps-de-garde de Saint-Michel. On reconnaît encore l'emplacement de deux portes. Au point de vue militaire , la position est admirable, et il y a peu d'observatoires aussi heureusement situés : elle domine la terre et la mer , depuis Avranches jusqu'à Chausey, depuis la côte de Bretagne jusqu'au-delà de la lande de Beuvais. Mais quel est le peuple qui a élevé ces lignes? D'un côté vous trouvez les noms scandinaves, le Hamelet, la Hoguelle sur cette falaise , de l'autre les noms latins, le Leud , les Châtelliers , le Trait-de-Neron '. Sans doute les Romains , dont la voie passait sur cette ligne, ont établi là un camp, un speculum, le plus avantageux de tout le littoral, et le nom de Châtelliers atteste leur établissement dans cette position. Ensuite les raisons qui firent choisir cette position aux Romains, et en outre l'avantage d'un établissement tout fait, amenèrent les Saxons et les Normands dans ce poste retranché qui convenait à tous leurs intérêts'.
Un souvenir chrétien est près de ces restes païens ou barbares : sur cette falaise , des débris marquent la place d'une de ces chapelles, si religieusement assises sur les côtes de Normandie et de Bretagne, la chapelle de saint Clément, indiquée sur d'anciennes cartes. Le botaniste trouve sur ces falaises sèches et pelées la Neottia spiralù, la Scilla autumnalis, et au Pignon-Butor, le Silène penché, et YEuphorbia paralias. sier. Un bénitier ressemble à une italienne. La chaire porte cette inscription : « Dedit Jourdan rect. de Corolles. Fecit D. Fillastre de Lolif. 1803. » En 1648, l'église de Saint-Vigor-deCarolles rendait 600 l. et était à la présentation du seigneur. En 1698, elle valait 600 liv. Outre le curé il y avait trois prêtres; 120 taillables payaient 426 liv.; le gentilhomme était Hervé de La Perrière; plus tard ce furent les Gallien. Dans un acte de 1158, inséré au Cartular're du Mont, figure comme témoin Rob. Ac Carolles, et dans un de 1223 Rob. de Charoles. Aux Assises de 1225 , Nicolas de Carolles fut témoin avec d'autres seigneurs. La citation ci-dessous, de 1400, mentionne le sieur de Carolles.
L'église de Carolles est d'une grande simplicité: c'est une espèce de longue chapelle. Excepté la jolie croix ronde du cimetière, elle n'offre rien d'ancien. La nef a été faite en 1750. Le porche ogival latéral est plus ancien. Les arcs-doubleaux de la nef s'encorbellent sur des angelots d'un style grosde yàrun, de Crapoull et de Blvie, forêts disparues qui embellissaient ces hauteurs déjà si belles. Le Trait de Néron, où est la Croix de Néron, qui est auprès du Trait-de-Carolles, dans une petite plaine, ne doit signifier qu'un Trait de dime. Toutefois, il est probable que le bois de Néron a tiré son nom d'un romain, comme les bois de César, etc. Voici les expressions du Cartulaire: « Sylvam que dicitar Bivia cum sylvutis quibusdam aspieienlibus ad eam scitiect Crapout et Neirun. » Un évêque d'Avranches, J. de Vienne, obtint de l'abbé du Mont la permission de chasser dans le bois de Néron. Dans d'autres titres, ce terrain est appelé Terre et Fief: P. d'Angey, fière de N., abbé de la Luzerne, reconnut une dette envers le Mont pour des acres de la terre de Néron. Une charte de Saint-Lo, citée par M. Desroches, dit que Jehan Dancey, de Carolles, vend une rente • sur un verg. ass. au fieu de Néron. I3j8.
Notre épigraphe nous apprend que le Mont avait une propriété dans Carolles. Il avait encore le moulin et l'étang mentionnés dans l'Inventaire des Titres : « Littera stagni et molendini de Karoles. Pierre Le Roy établit, vers 1400, le droit qu'avait son monastère de prendre les esturgeons à Carolles: « L'an 1400, entre les moines et le sieur de Carolles, fut passé appointement par lequel il fut dict qu'un esturgeon pris sur la grève serait rendu par ledict sieur aux moines.... plusieurs débats pour la prise des oiseaux gentilz dans la terre et grève de Carolles avec l'évêque d'Avranches et le sieur de La Roche-Tesson... »
Le manoir de Carolles, situé au Hamelet, a laissé pour vestiges un colombier et pour témoins d'énormes châtaigniers séculaires.
Le nom de Carolles semble être ce nom de Cari, Carolus, des peuples germaniques et s'expliquer, comme presque tous les autres vocables terriens, par un nom propre.
De cette falaise, on se plaît a contempler la campagne , soit que l'été l'ait rendue luxuriante de végétation et touffue comme une forêt, soit que l'hiver l'ait dépouillée, et que l'on voie les toits poindre sur le fond brnn des champs, et la mer tantôt solitaire, tantôt parsemée de barques huîtrières de Cancale et de Granville. L'imagination historique appelle aussi dans ces belles eaux les flottes de France et d'Angleterre, convoitant ou défendant la Bretagne et la Normandie. Froissart a admirablement décrit une de ces expéditions, la flotte du duc de Lancastre qui, venant des îles normandes et allant à Frest, passait à la vue des côtes de Normandie : « Si eurent beau temps et bon vent, car ce fut au mois de mai, qui fait bel et joli et qu'il vente à point. Et s'en vinrent côtoyant les îles de Wfcque et de Grenesie , et tant qu'on les veoit tout à plein de Normandie , car ils étoient plus de deux cents voiles tout d'une vue. Si étoit grande beauté de voir ces galères courir par mer... » Froissart les compare a une volée de faucons voyageurs « qui ont grand faim et désir de repaître. Pourquoi, disaient les Anglais, n'allons-nous pas voir les ports de Normandie? Là sont chevaliers qui nous recueilleroient et combattroient. »
C'est à la hauteur de Carolles qu'il faut localiser un combat naval qui eut lieu en 1703, entre les Français et les Anglais , raconté par Masseville dans son Histoire de Normandie, et qui se passa , dit-il, entre le Mont Saint-Michel et Granville: « Les ennemis qui perdoient des places et des batailles tâchèrent de se dédommager sur la mer. Ceux de l'île de Gersey leur firent sçavoir qu'ils avoient vû sur notre côte une flotte de quarante-quatre vaisseaux ou barques marchandes, que l'on disoit chargées de vin , d'eau-de-vie, de savon et de goudron, et qu'elles n'étoient escortées que par trois frégates, de dix-huit, de douze et de huit canons. Sur cet avis les Anglois envoyèrent Une escadre de huit vaisseaux de guerre, qui portoient plus de quatre cents canons. Accompagnez de deux demi-galères, de deux brûlots et de deux corsaires de Guernesay, ils attaquèrent nos gens entre Granville et le Mont Saint-Michel. Le chevalier de Tourouvre qui commandoit nos trois frégates, se défendit autant qu'il lui fut possible et bien plus long-temps qu'on n'avoit lieu de l'espérer; mais enfin cette grande inégalité l'obligea à brûler sa frégate et à se retirer à terre sans avoir perdu aucun homme de son équipage. La seconde frégate fut aussi brûlée et la troisième fut prise. Six de nos vaisseaux se retirèrent à Granville; plusieurs s'échouèreut et l'on sauva une partie de leur charge : les ennemis en prirent quatorze et ils y perdirent une demi-galère, un brûlot et une barque armée. La joye que les ennemis eurent de cet avantage fut aussitôt traversée et rabattue par les pertes qui leur arrivèrent '. » |
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Carolles la vallée du Lude; CPA collection LPM 1900 |
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