| ||||||||||||
Grand hôtel casino, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
| ||||||||||||
Pendant la guerre de 1914-18, au cours de laquelle seize Carollais sont morts pour la France, la localité servit de refuge, comme pendant la guerre de 1870-71, à des familles fuyant les risques de bombardement, et les constructions de maisons continuèrent, quoique à un rythme ralenti : alors que de 1910 à 1915, 25 nouvelles maisons avaient été construites, 13 le furent de 1915 à 1920 ; après une période troublée par les difficultés monétaires, le développement de la station reprit si activement que de 1920 à 1940 le nombre des maisons passa de 345 à 482 (26), justifiant ainsi la prédiction du Docteur Ad. OLIVIER, qui écrivait, en 1922, dans son opuscule sur Carolles, Granville, Avranches et le Mont-Saint‑Michel
« Carolles est un joli bourg qui prend chaque année de l'extension... Tous les ans on y construit de nouvelles villas. La plage est superbe et absolument sûre pour les enfants. La côte est bordée de splendides falaises, l'arrière ‑pays est merveilleux et se prête à de nombreuses promenades. Aussi le nombre des familles qui viennent y séjourner augmente t’il d rapidement. Que serait ‑ ce si le pays était plus connu ! » (27).
En 1926, un arrêté préfectoral du 24 Mars autorisa la perception d'une taxe de stationnement sur les automobiles stationnant sur le terrain communal de la plage, taxe qui subsiste encore de nos jours.
En Novembre 1928, une tempête causa de graves dégâts au mur de protection ou digue limitant le terrain communal où sont édifiées les cabines.
En 1932, un poste de secours fut créé à la plage et tenu par les Hospitaliers‑Sauveteurs Bretons.
Le 12 Septembre 1934, un tragique accident, dont la cause resta inexpliquée, endeuilla la plage de Carolles : vers 18 heures, alors que de nombreux baigneurs étaient encore dans l'eau, une lame de fond d'une très grande force renversa et entraîna vers le large toutes les personnes se trouvant dans la mer ; si la plupart d'entre elles purent se sauver ou être secourues en temps, on eut cependant à déplorer deux victimes, deux jeunes femmes en villégiature, dont les cadavres, repêchés en mer par le canot de sauvetage, ne purent être ranimés malgré les longs efforts des médecins et des secouristes (28).
Malgré ce pénible accident qui est demeuré unique dans l'histoire des bains de mer à Carolles, la vogue de la plage ne cessa de s'accroître.
La guerre de 1939 provoqua un afflux de population exceptionnel ; non seulement beaucoup de familles d'estivants, notamment les propriétaires de villas, s'installèrent à demeure dans la localité et y passèrent l'hiver 1939‑40, mais encore, en exécution du plan de repliement des populations présumées menacées par les risques de guerre, la Manche étant un a département d'accueil , Carolles reçut un important contingent de a réfugiés évacués de la région de Boulogne‑sur‑Mer.
Puis vinrent les tristes jours de l'occupation allemande ; le littoral ayant été déclaré zône interdite à quiconque n'y était point domicilié, les a baigneurs ne purent venir qu'en usant de mille ruses leur nombre fut très restreint. Un arrêté municipal de Juillet 1941 pris sur l'ordre de la Kreiskommandantur d'Avranches interdit l'accès des plages entre 22 heures et 5 heures et réglementa les bains ; des autorisations spéciales furent exigées pour la pêche, ‑etc... Les troupes allemandes occupèrent le Pignon Butor où furent effectués d'importants travaux militaires. Des mines furent placées en divers endroit Les Allemands enlevèrent nombre de cabines de bains qu'ils utilisaient pour les petits postes installés, çà et là sur les routes Et, en 1943, les bains de mer étaient pratiquement impossibles. | ||||||||||||
| ||||||||||||
Hôtel des falaises, collection CPA LPM | ||||||||||||
La libération de Carolles par les troupes américaines du Général PATTON eut lieu le 31 Juillet 1944, mais ce n'est qu'en 1945 que l'état des voies de communication permit à quelques estivants de revenir ; encore l'existence de champs minés, la destruction presque totale des cabines de bains et la précarité des possibilités d'approvisionnement réduisirent-elles cette année là la reprise des bains de mer à une tentative partielle.
Par contre, dès 1946, l'afflux des baigneurs fut considérable, d'autant plus que beaucoup de stations de bains de mer avaient été complètement dévastées par la guerre, tandis que Carolles avait eu la grande chance de voir ses dommages de guerre limités à des bris de clôtures, à l'enlèvement des cabines et au pillage de quelques villas.
Nous voici arrivés à l'époque contemporaine ; si les constructions de nouvelles villas sont ralenties par les hauts prix, elles n'en continuent pas moins, à Carolles même et surtout dans la zone de dunes comprise entre Edenville et Jullouville. Les baigneurs viennent nombreux, et une nouvelle catégorie, celle des campeurs , constitue depuis cinq ans un appoint de plus en plus important.
Plusieurs Colonies de Vacances , notamment celle de la Commune du Pecq installée dans l'ancien a Hôtel du Casino contribuent pendant les mois d'été à renforcer l'animation de la plage où plusieurs professeurs de culture physique installent des attractions pour les jeunes gens et les enfants.
Tous ceux qui, pendant l'été 1953, sont venus à Carolles ont pu constater la prospérité de ses bains de mer : la vogue dont jouit cette station. balnéaire semble devoir s'accroître encore dans les années prochaines quand se réaliseront les projets de réaménagement de la plage et les autres améliorations envisagées par la Municipalité.
Au cours du rapide exposé que nous venons de faire; nous nous sommes essentiellement attaché aux bains de mer ; objets de notre étude, mais il importe de rappeler que, concurremment avec l'afflux des baigneur. 9, Carolles a bénéficié depuis quelque 90 ans de l'attrait exercé par ses sites pittoresques sur les artistes peintres et sculpteurs ; nombre d'entre eux y ont fait des séjours prolongés ou même y ont établi leur résidence, et' leurs oeuvres ont largement contribué à faire connaître et apprécier cette région de l'Avranchin.
Nous nous bornerons aujourd'hui à citer les noms des plus connus de ces artistes, en vous invitant à vous reporter pour le détail aux articles publiés dans la Revue de notre Société, notamment en 1882, en 1886 et en 1.939 (29).
C'est le sculpteur jules BLANCHARD dont les élégantes figures ornent à Paris l'Hôtel de Ville et le Grand Palais qui fut le premier artiste à s'installer à Carolles en faisant construire en 1863, sur la Hogue de la Fossé, la villa aujourd'hui dénommée La Hocque, où résident maintenant ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. | ||||||||||||
Arrivée à la plage, collection CPA LPM 1950 | ||||||||||||
| ||||||||||||
Hôtel de la plage, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
La grande publication entreprise par le Touring‑Club de France pour faire connaître les Sites et Monuments de France ne consacre que quelques brèves lignes aux plages de l'Avranchin L'insuffisance de la plage de Granville a fait naître dans les environs de petites stations balnéaires modestes, mais très fréquentées pendant la belle saison... Saint‑Pair, à.3 kilomètres, est une jolie plage entre deux ruisseaux, le Thar et la Saigue . Jullouville, 3 km.. plus loin, et Carolles, 4 km. au-delà, ont pris une assez grande importance encore que les communications ne soient pas très faciles.
Mais quoique encore peu connue, la station balnéaire de Carolles ne cessait de croître ; de nombreuses villas furent construites tant autour du bourg que dans toute la partie nord de la commune, notamment à la plage, sur la falaise du Pignon‑Butor, et de part et d'autre de la route de Carolles à Granville ; des commerçants ouvrirent quelques boutiques.
La maison de mercerie Michel Poittevin, 16, rue de la .Constitution, à Avranches. non seulement ouvrit une succursale à Carolles, mais encore fit imprimer chez Letréguilly, un Almanach du Baigneur sur là Plage de Carolles, dont la troisième édition parut en 1896. C'était un opuscule de 20 pages, dont deux blanches pour les annotations personnelles ; on y trouvait un court aperçu historique et descriptif. de Carolles, des renseignements pratiques sur l'horaire des marées, celui de la poste et des services de voitures, l'horaire des bateaux de Chausey et de jersey, des conseils aux Baigneurs pour les bains et pour la pêche, et même, sous la signature A. L. , un poème chantant Carolles | ||||||||||||
| ||||||||||||
Arrivée à la plage, collection CPA LPM 1950 | ||||||||||||
En 1901, un emplacement fut concédé sur la plage même pour y installer un débit de boissons, qui prit le nom de Chalet Bleu . La même année, un arrêté municipal considérant que certains propriétaires de cabines se servent de leur cabine comme lieu d'habitation pendant la saison des bains et font beaucoup de tort aux maisons destinées à la location et payant les impôts mobiliers, la patente, etc... assujettit â un triple droit de stage les cabines reconnues servir d'habitation même pendant peu de jours. (10).
Les premières années du vingtième siècle furent témoins d'une accélération des constructions nouvelles, notamment en bordure de la mer sur l'ancienne mielle devenue Carolles‑Plage, sur le plateau de la Croix-Paquerey, et sur les hauteurs de la Mazurie, où des villas entourées de jardins créèrent peu â peu des quartiers nouveaux.
Cet essor fut encore accentué par l'ouverture, le 29 août 1908, de la ligne de chemin de fer à voie étroite de Granville à Avranches par le littoral, construite par la Société de Tramways Electriques et de Chemins de Fer à laquelle se substitua, en 1910, la Société des Chemins de Fer de la Manche . Entre les gares de Jullouville et de Carolles-Bourg fut créée, à l'orée de la vallée du Crapeu, une halte dénommée Carolles-Plage pour desservir la plage de Carolles ; la configuration du relief obligea à placer cette halte au flanc du Pignon de la Névouerie, sur le territoire de la commune de Bouillon ; entre cette halte et la plage s'édifièrent dans les années qui suivirent des hôtels, puis des villas, et ce fut le germe d'une. nouvelle agglomération qui n'a cessé de s'accroître depuis lors.
En 1914, quelques mois avant le début de la grande guerre, l'abbé BERTOT, curé de Carolles, publiait un Petit Guide de Carolles, dans lequel il constatait la prospérité de cette localité : Aujourd'hui, Carolles est une jolie bourgade, riante et pittoresque autant que ville et campagne qui soit au monde. Elle possède gare, poste, télégraphe et téléphone (25), épiciers, bouchers, boulangers, hôtels très confortables, et tout ce qui peut satisfaire les exigences des nombreux touristes qui ne cessent d'y affluer chaque été pour y trouver, avec une température modérée; un peu de repos dans la tranquillité. Cette petite station balnéaire mérite à tous les titres sa réputation. Les villas qui couvrent ses coteaux et ses vallons sont situées dans un décor merveilleux. La vue de la mer, les vallées ombreuses, les ruisseaux, les rochers, les sentiers couverts d'ombrages, les points de vue variés, tout contribue à faire de ce charmant petit coin un très agréable séjour au bord de la mer. Aussi Carolles est il de plus en plus le rendez-vous d'une société distinguée et choisie qui préfère à la vie élégante et luxueuse la simplicité d'une campagne charmante. (14)., | ||||||||||||
Le chalet Bleu, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
| ||||||||||||
Carolles, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
Marius DUJARDIN 1954 H.E.C., Directeur. Honoraire du Crédit Lyonnais. Si nous recherchons les origines des bains de mer sur les plages de l'Avranchin, nous lisons dans le consciencieux rapport manuscrit rédigé en 1839 par le commandant PEYTIER, commandant la 5e Subdivision chargée des levés de la carte d'état-major pour les feuilles de Coutances et d' Avranches (3), rapport dans lequel il fait un exposé précis clés ressources de la région mentionnant parmi elles les eaux minérales ferrugineuses, nombreuses en Avranchin :
« Ces sources sont moins fréquentées depuis vingt ans, ce que l'on doit attribuer à l'adoption des bains de mer et à quelques changements dans la théorie et la pratique médicales. Depuis vingt ans les bains de mer sont plus recommandés et on en fait, surtout depuis dix ans, un grand usage. L'arrondissement d'Avranches a des côtes très favorables pour prendre ces bains ; on en prend au Mont Saint-Michel, à la Roche-Torin, au Gué de l'Epine, à Avranches (au Pont-Gilbert et à la Bricqueterie, au rocher dit. Le Grouin du Sud, à Vains, à Genest, sous les falaises de Saint-jean-le-Thomas. et de Champeaux, lieu pittoresque et solitaire qui attire un grand nombre de baigneurs, logeant à Saint-Jean-le-Thomas, à Carolles, à Saint-Pair (fréquenté chaque année par 150 à 200 Baigneurs qui préfèrent ce lieu à Granville à cause de la cherté des loyers dans cette ville), et. enfin à Granville, ,dont les, bains, sont fréquentés chaque année, par environ. mille personnes, dont la moitié de malades, qui doivent laisser. dans la ville au moins cent mille francs annuellement. Les bains de mer sont bons pour les gastrites, les gastroentérites, les douleurs rhumatismales, etc. »
En 1844, BOUDENT-GODELINIÈRE (4) indique que Saint-Pair est le rendez-vous de quelques baigneurs amis de la retraite ; la plage y est aussi belle qu'à Granville, mais la mer y est beaucoup plus éloignée, surtout aux basses eaux ce qui est fatigant, pour les malades, tandis que GUIDELOU (5) vante aux bains de Granville l'élégance et la commodité des cabanes des bains et signale que les baigneurs peuvent se réunir dans un édifie en bois avec piano, salle de bal, salon de lecture et salles de jeux, préfiguration du futur casino.
Ce sont aussi seulement les bains de mer de Granville et de Saint-Pair qui sont mentionnés dans l'Avranchin Monumental et Historique de LE HÉRICHER (6), et dans le magnifique recueil in‑folio La Normandie Illustrée, publié en 1852 (7) ; les autres plages du .littoral avranchin restent ignorées.
Et pourtant, c'est vers la même époque que de GERVILLE écrivait, dans un ouvrage qui ne' fut publié qu'après sa mort (8) ces lignes prophétiques :
« ...Nous n'avons pas encore parlé d'une chance très probable de succès pour notre pays dans un avenir peut-être assez prochain. Aucun département sinon la Corse, n'offre une plus grande étendue de côtes et plus de moyens d'établir des bains de mer. Depuis quelques années, la médecine proclame les avantages de ces sortes de bains. L'Angleterre les a adoptés sur presque toutes ses côtes, et Partout leur introduction a produit l'aisance dans les localités où se formaient ces sortes d'établissements. Puissions ‑ nous profiter de ces exemples... Quelques avances faites dans des positions telles que Saint Vaast... Pirou, Agon, Granville, etc., peuvent être payées au centuple. Nous abandonnons ce sujet aux méditations des spéculateurs intelligents de notre pays et même de la capitale... »
Cette propagande faite en faveur des bains de mer ne semble avoir eu aucun écho dans la commune de Carolles qui, privée de voies de communication autres que des chemins ruraux étroits et incommodes (9), continuait, comme pendant les siècles antérieurs, à vivre repliée sur elle-même, comme d'ailleurs les communes voisines de Bouillon, Champeaux et Saint-jean-le-Thomas, qui se trouvaient dans une situation analogue.
Nous avons cherché en vain dans le registre des délibérations du Conseil Municipal de Carolles, de 1837 à 1855 (10) une allusion quelconque aux bains de mer ou aux baigneurs, ce, qui semble attester que ceux-ci devaient être fort rares à l'époque.
Une autre preuve de l'indifférence des habitants de Carolles à l'égard de la mode des bains de mer résulte du fait qu'en 1857 la commune ayant été autorisée, pour faire face aux frais d'un procès ruineux, à vendre un certain nombre de terrains communaux, comprenant notamment la Mielle de Carolles (11), partagée en deux lots : l'un, n° 8, d'une superficie de 3 ha. 60 a. 96 cas, nommé La Dune , borné à l'ouest par la mer, à l'est par le Crapeu, au nord par la commune de Bouillon et au sud par le chemin dit a Voie des Pêcheurs , comprenant ainsi l'ensemble des terrains connus aujourd'hui sous le nom de CAROLLES-PLAGE, fut mis à prix 200 fr. et adjugé, le 5 mai 1857, pour 1.600 fr. a un cultivateur de Ronthon (12) ; l'autre lot, n° 9, de forme triangulaire, nommé La Dune entre les Chemins, contenant 1,1 a. 50 cas, borné à l'ouest par la mer, et au midi, à l'est et au nord par des chemins, fut mis à prix 20 francs, mais ne trouva pas d'acquéreur ! Heureux échec qui laissa entre. les mains de la municipalité de Carolles le terrain maintenant occupé par les cabines, dont elle tire d'importants revenus.
Lés résultats de ces enchères témoignent éloquemment qu'en 1857 on ne prévoyait en aucune façon l'importance capitale que la plage allait prendre dans l'économie du pays.
Et cependant c'est précisément de la période 1850‑1860 que date le début des bains de mer à Carolles. Charles LE BRETON, qui fut pendant de longues années un des plus distingués membres de notre Société Archéologique, conte que, vers 1850, venait à Carolles a « une compagnie d'Avranchinais grands amateurs de pêche, au nombre desquels se faisait remarquer, avec sa figure originale, sa gaieté communicative, et ses saillies qu'on se plaisait à faire 'naître, M. ANGER, d'Avranches, un vrai type, auquel Carolles doit d'avoir ses bains. Nous nous souvenons du ton prophétique qu'il prit un jour, sur les hauteurs du Pignon.Butte-Or, quand, s'adressant à l'ancien maire, M. Des roches, il lui dit en montrant la plage : Dans vingt ans, on verra là cent cabines de baigneurs quand vous aurez ouvert une route sur le flanc de la falaise (13).
| ||||||||||||
Le pignon Butor, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
| ||||||||||||
Les premieres villas, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
C'est en :1860 que Carolles vit pour la première fois se fixer un estivant, M. SUVIGNY, avocat à Avranches, que son état de santé avait obligé à .quitter le Barreau de Paris et rentrer dans son pays natal ; charmé de l'aspect sauvage que présentaient la falaise et la plage, il fit l'acquisition, au village du Rocher, d'une chaumière qu'il fit restaurer et agrandir. . .
En 1863, un sculpteur parisien, M. BLANCHARD fit. construire sur la Hogue de la Fosse une maison rustique, la Chaumière Normande , qui fuit la première villa de Carolles (14).
Ainsi se réalisait peu à peu la prédiction ale M. Anger, et dès 1867, LE HÉRICHER pouvait écrire :
« Une bonne route conduit du village de Carolles jusqu'au, bord de la plage on remarque sur le bord de cette route deux mamelons qui appellent des habitations, la Hougue, du Baisier et la Hougue de la Fosse... Les gens du pays commencent à bâtir pour les baigneurs qui se font de plus en plus nombreux chaque année et qu'attirent, outre les bains, la pêche du bouquet et des soles avec la bichette, celle des congres dans les rochers, etc.. La belle plage du Pignon Butor n'a jamais été attristée par aucun accident. Si l'on ne rencontre pas encore ici le confortable, on y. trouve du moins le pittoresque, le calme des solitudes et la liberté. Si l'on objecte la distance d'un kilomètre du village à la mer, nous dirons que cette promenade est un exercice salutaire et que, laissant les infirmes à d'autres rivages comme â des hôpitaux, la plage de Carolles ne pourra être attristée par les infirmités humaines. » (15).
A la veille de la guerre de 1870, trois nouvelles villas avaient été construites, l'une par M. MARTIN, conseiller général de Sartilly, sur le Hutrel de la Court‑Greux, rocher aride dont il sut faire un jardin ombragé. l'autre par M. DES AIGREMONTS, propriétaire à Avranches, sur la Hogue du Baisier, et la ,troisième par Mme TRIBOUILLARD, sur le chemin de la Côte des Biaux.
Le désastre de Sedan et l'invasion allemande amenèrent sur les côtes de Normandie, et notamment à Carolles, des familles parisiennes obéissant aux prescriptions du Gouvernement de la Défense Nationale tendant à écarter de la capitale les bouches inutiles ; et certains des réfugiés qui avaient passé l'hiver de 1870..71 sur ce littoral en apprécièrent les charmes et y revinrent par la suite. Aussi, en 1876, Charles LE BRETON constatait il la vogue naissante des bains de mer de Carolles dans un opuscule, aujourd'hui introuvable où il chante en termes délicieux les agréments que le pays offre aux baigneurs ; « il ajoute : Les habitants mettent à leur disposition, pour les prix les plus modérés, des maisons entières qui, depuis quelques années, ont pris à l'extérieur un air plus coquet, à l'intérieur une distribution plus commode et plus soignée. Les logements du bourg sont les plus recherchés ; quelques baigneurs trouvent cependant un nid dans les demeures plus modestes encore des hameaux retirés et vivent presque en Paysans, ce qui n'est pas toujours sans charmes. Un beau chalet, une riante chaumière et d'élégantes maisons de jour en jour plus nombreuses formeront bientôt un nouveau village sur le tertre qui domine la gorge sauvage du Pignon Butte Or. a L'étranger ne trouvera pas d'hôtel à Carolles, mais seulement deux auberges ; la plus ancienne porte un nom qui restera légendaire, celui de sa première et souriante hôtesse... | ||||||||||||
Les cabanes de plage, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Au pied de la falaise, sur la dune où le ruisseau du Léquet vient perdre ses eaux, sont jetées pêle‑mêle les cabanes des baigneurs devant lesquelles s'étend la plage... Ce site, si n frais quoique l'ombre y soit rare, est d'un aspect enchanteur... Sur cette plage privilégiée, pas d'établissement de bains qui prélève un impôt sur le plaisir : la mer est à tout le monde, et chacun la prend son. gré, sans indication officielle, sans limite imposée il n'y a ni côté des Hommes ni côté des femmes et l'on s'y baigne en famille.
Au bord sont les bains à la lame avec les bruyants ébats, les éclats de rire, les rondes joyeuses, les divertissements enfantins et les essais des nageurs débutants, tandis que les intrépides vont au large, faisant la planche ou le plongeon.
Après le bain on s'installe, sans recherche et sans apprêt, à l'ombre des cabanes. Entre baigneurs, les rapports s'établissent facilement, le temps passe en causeries où règne la plus franche gaieté pendant qu'enfants et jeunes gens se livrent aux jeux les plus variés. Ces distractions, simples et a primitives, ne sont pas les seuls plaisirs qu'on trouve à Carolles ; il y a aussi ses belles promenades et ses pêches si faciles. » (13). | ||||||||||||
Scéne de plage, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
L'obligeante amabilité d'un de nos parents nous permet de constater que l'enthousiasme de Ch.. LE BRETON était partagé par les touristes de passage, en nous communiquant des lettres privées écrites en août 1883, par jules SALLERON, fabricant d'alambics â Paris :
« Nous sommes à Carolles, dans un très beau pays, la vraie Normandie. La plage est superbe ; quand la mer s'est retirée, le soleil est un véritable miroir de sable. Nous avons pêché des crevettes ; c'est très amusant, mais assez pénible, car on doit conduire un grand filet très lourd et le maintenir contre les vagues ; bien qu'on soit dans l'eau jusqu'à la ceinture, on sue à grosses gouttes... Nous sommes si bien ici, la plage est si belle;. la pêche si fructueuse, la société si choisie, que nous, prolongeons notre séjour. Nous sommes criblés de coups de soleil et notre appétit est insatiable. » (16).
Non moins élogieux est le Chanoine E.A. PIGEON, qui écrit, en 1888 :
« Carolles a une des plages les plus remarquables de France : les villas splendides qui couvrent ses côteaux et ses vallons en feront une des plus intéressantes bourgades du littoral maritime. Cette station de bains est fréquentée par une société distinguée et choisie. Il faut avouer que tout s'y trouve pour le plaisir des yeux : monts abrupts, vallons gracieux, ruisseaux couverts d'ombrages, grottes, rochers avec coquillages, dunes de sable, grève délicieuse et commode, points de vue immenses et variés, mer azurée, barques pour la pêche, etc. » n (17).
Et en 1890, A. LEGRIN, président du Tribunal d'Avranches, écrivant dans la revue de notre Association un conte ayant pour cadre la plage de Carolles, en fait la description en ces termes :
« La station de Carolles est l'une des plus pittoresques des petites plages normandes... Carolles n'est point bruyant ; on n'y fait pas trois toilettes par jour ; ce n'est pas une plage où l'on pourrait suivre la mode nouvelle et prévoir ce que l'on portera l'année prochaine. On n'y perd pas non plus son argent aux petits chevaux et au baccarat ; il n'y a point de casino, et l'on s'y couche de bonne heure. On passe l'après-midi sur la grève, les mères surveillant les bébés courant sur le sable ou bâtissant gravement des monuments qu'un souffle détruit ; les hommes vont d'un groupe à l'autre, lisant le journal et échangeant leurs impressions sur les faits du jour. Si la marée le permet, tout le monde endosse son costume de pêcheur et, le filet d'une main, le croc de l'autre, va faire la chasse dans les flaques d'eau aux crevettes et aux crabes cachés sous les pierres ; bienheureux celui qui, par hasard, rapporte une sole, un congre ou un mulet : il est le héros de la journée... La vie n'est donc pas accidentée à Carolles, mais Est‑elle plus monotone que celle qu'on mène à Trouville ou à Dieppe ? Nous ne le croyons pas, et les gens qui baillent ci d'ennui sont plus nombreux sur les plages à la mode que, sur notre modeste grève.» (18).
Si, en 1876, LE BRETON avait vanté la liberté dont jouissaient les baigneurs sur la grève de Carolles, la vogue de la station et l'accroissement du nombre des estivants amenèrent bientôt la municipalité à édicter des règlements sur la police de la plage. | ||||||||||||
| ||||||||||||
Un arrêté municipal du 23 juillet 1882 créa un impôt de stage sur les cabanes de bains établies sur les dunes qui sont la propriété de la commune, le produit de cet impôt devant être affecté tant à l'entretien des bâtiments communaux qu'aux améliorations désirées par les baigneurs ; le taux fut fixé à 2 francs le mètre carré au premier rang, 1 franc au second rang et 50 centimes aux autres rangs, avec un minimum de neuf mètres carrés par emplacement ; les cabines devaient être alignées suivant les instructions du maire (10).
Le 16 juin 1885, nouvel arrêté municipal : Considérant qu'il est du devoir de l'autorité municipale de prescrire des mesures de police propres à prévenir les accidents et à empêcher que les baigneurs s'écartent des bornes de la décence le Maire décida : la plage des bains de mer de Carolles est divisée en trois sections délimitées par des poteaux placés sur le rivage. La première section, limitée à gauche par les falaises et les rochers, et à droite par un mât planté sur la grève, est réservée aux femmes seules ; il est interdit aux hommes de stationner sur cette partie du rivage pendant l'heure des bains. | Cabine ou abri, CPA collection LPM 1900 | |||||||||||
La deuxième section, en face le terrain communal, compris entre à gauche, le premier poteau et à droite, celui planté à l'arrivée du chemin vicinal à la mer, est réservée aux baigneurs revêtus d'un costume ou maillot. Ces baigneurs seront tenus de se déshabiller et de se rhabiller dans une cabine ou abri.
Les hommes portant un simple caleçon ne pourront se baigner que dans la 38 section au-delà du dernier poteau à droite il est enjoint de se déshabiller et se rhabiller le plus prés possible du flot et de ne pas circuler en caleçon sur le territoire de la commune.
Il est interdit de baigner des chevaux sur les trois sections, de la plage réservées aux baigneurs, de jeter sur le terrain communal et sur toute l'étendue de la plage des tessons de bouteilles, coquillages (sic) et autres objets pouvant blesser les pieds des baigneurs, et de tendre des lignes de fond jusqu'à 300 métres au nord du dernier mât.
Le garde ‑champêtre est chargé de l'exécution du présent arrêté.
Cet arrêté n'ayant pas été abrogé, est toujours en vigueur ; mais il est tombé en désuétude depuis longtemps, et pratiquement les bains sont mixtes sur toute l'étendue de la plage.
C'est en 1884 que fut construite, par M. BERDIN, la première maison édifiée à proximité de la plage de Carolles ; élevée sur la rive droite du Crapeu (et par suite sur le territoire de la commune de Bouillon) et destinée à usage, d'hôtel, .cette maison fut dénommée Edenville , nom qui, un demi-siècle plus tard, connut l'étrange fortune de servir de dénomination à l'ensemble de l'agglomération des maisons. bâties dans l'angle sud-ouest de la commune de Bouillon.
A cette époque furent commencées les études en vue, de la construction d'une route reliant. Carolles à Saint‑Pair à travers la grande mielle qui s'étendait du Pignon‑Butor à l'embouchure du Thar, région désolée où ne poussait aucun arbre et où les marécages, issus tant de ruets sortis de la mare de Bouillon que des eaux apportées par les marées dans les creux des dunes, avaient la réputation d'être si malsains que les douaniers affectés à ce secteur y étaient, jadis, envoyés par sanction disciplinaire (19).
Jusqu'en 1891-92, date de l'ouverture de la nouvelle. route (G. C, 21, devenue maintenant R. N. 811). Carolles n'était relié à Granville que par le chemin vicinal passant. par Bouillon et Lézeaux ; la route construite en bordure du littoral allait donner un nouvel essor aux bains de mer de Carolles en même temps qu'elle allait favoriser la création d'une station nouvelle, Jullouville, dont nous parlerons plus en détail dans quelques instants.
Si Carolles apparaît au Bottin dès 1882, c'est seule 1890 qu'on y trouve l'indication de deux hôtels . (Bénit et Lottin) ; en 1893, quelques lignes de publicité y signalent l'Hôtel des Bains (Lottin), maison de famille recommandée aux touristes, situation magnifique, hôtel très confortable, prix modérés, arrangements pour familles. (20) | ||||||||||||
Hôtel Bénit, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Hôtel des Bains, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Les guides touristiques publiés au XIXe siècle ont très peu parlé de Carolles. Les guides JOANNE, édités en 1876 et 1881, mentionnent seulement la falaise, sauvage de Carolles comme un but d'excursion à cinquante minutes à partir de Bouillon et à 3 kilomètres de Champeaux, que ces guides indiquent comme station de bains de mer (21).
En 1902, le BAEDEKER précise qu'il y a à Carolles une « belle plage à 1.500 mètres du village ; deux hôtels (des Bains et Bénit ce dernier offrant 20 chambres et un prix de pension de 6 francs). Service de voitures deux fois par jour entre Carolles et le restaurant Guillot, à Granville trajet simple, 1fr. 50, et retour, 2 fr. 50. »
NOTES
(3) ,Archives Historiques. du Ministère de la Guerre, à Vincennes, Carton 1241, fascicule 28. (4) BOUDENT‑GODELINIÈRE : Essai historique et statistique sur l'Avranchin, 1,844. (5) GUIDELOU : Notice sur la Ville de Granville, 1846. (6) LE HÉRICHER : L'Avranchin Monumental et Historique, 1845. (7) La Normandie Illustrés , 2 volumes, in‑folio. 1852. (8) de GERVILLE : Études géographiques sur le Département, de la Manche, 1854. (9) Archives des Ponts et Chaussées, à Avranches. Arrêté Préfectoral du 29 juin 1843. ,. (10) Archives de la Mairie de CAROLLES. (11) Arrêté Préfectoral du 30 janvier 1857. (12) Archives Notariales de Me LEMOINE‑LE CHESNAY, à Sartilly. (13) Charles LE BRETON: Carolles, les promenades et les pêches du littoral, 1876. (14) Abbé BERTOT : Petit Guide illustré de. Carolles, 1914. (15) LE HERICHER : Guide de Granville à Saint‑Malo, 1867. (16) Archives Commerciales de la Maison DUJARDIN‑SALLERON, è Paris. (17) E: A. PIGEON : Histoire du Diocèse d'Avranches, 1888, p. 353. | ||||||||||||
(18) Revue de l'Avranchin , tome V, page 340. (19) P. de GIBON : Le Pays de Granville, 1908. page 207. (20) BOTTIN : Annuaire des Départements, 1882, 1890, 1893. (21) JOANNE : Normandie, 1876 ; Guide Diamant Normandie ,1881 | ||||||||||||
La pêche au bouquet, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
| ||||||||||||
Grand hôtel casino, collection CPA LPM | ||||||||||||
Parmi les nombreux artistes qui suivirent son exemple, citons les peintres Edmond DEBON, dont l'atelier était au Hamelet, en la maison nommée La Petite Normande ; Emile DARDOIZE et son gendre Ernest SIMON dont le fils l'éminent maître Jacques SIMON continue de nos jours la tradition artistique familiale dans son atelier de la Bellengerie au Hamel Geslin ; Constantin LEROUX, dont les pastels champêtres sont recherchés ;. BAUDOUX qui ,avait son atelier au Clos d'Aval , à la Mazurie ; ‑ Pierre BERTHELIER, ancien acteur et caricaturiste devenu peintre, dont l'atelier était situé près de la Hogue du Baisier ;
Albert DEPRÉ, installé à la Villa Bellevue , sur le Pignon Butor ; René DURELLE, aquarelliste spécialisé dans la peinture des fleurs, etc...
Parmi les sculpteurs, Etienne LEROUX (auteur de la Jeanne d'Arc. de Compiègne) et son fils Eugène, avaient leur atelier dans la Villa du Lude , au Hamel‑Geslin.
Parmi les architectes, Victor PETITGRAND (à qui l'on doit la flèche du Mont Saint‑Michel).
Il faut mentionner spécialement le fait que de 1880 à 1887 il y eut à ‑Carolles une colonie de peintres suédois : Pierre EKSTROM, Édouard ROSENBERG, Georg ARSENIUS, Johann TIREN, Julia BECK, Robert HEGERSTROM, Hulda SCHENSON, Hulda RIGBERG, Allan OSTERLIND, dont beaucoup sont !devenus célèbres ; leur présence avait apporté à Carolles des reflets de la vie nordique, et une jeune artiste d'Avranches, Marguerite BEAUMONT, écrivait en 1886
« Bien souvent, dans la paix du village endormi, des choeurs magnifiques, vieux lieds chantés sous la fenêtre. de quelque dame suédoise ; alors cette fenêtre s'éclaire un instant, puis rentre dans l'ombre tandis que, quelquefois, une fleur tombe aux pieds des chanteurs faisant comprendre qu'on est éveillée et qu'on écoute derrière les rideaux. Pour les Suédois, la sérénade n'est pas comme pour les méridionaux l'interprète de l'amour, mais simplement une marque .d'estime, un hommage rendu entre compatriotes. »(29).
Carolles a aussi été choisi comme villégiature par des littérateurs : LITTRÉ, qui était excellent nageur, aimait à s'y baigner ; les chefs de l'école naturiste, Maurice LEBLOND, Eugène MONTFORT et Saint Georges de BOUHELIER . s'y sont rencontrés (30).
En conclusion de cette étude sur la station balnéaire de Carolles, il est intéressant de souligner l'importance des conséquences, quant à la vie de cette Commune, de la vogue 'des bains de mer.
On sait que Carolles est l'une des quatorze, communes du canton de Sartilly ; si nous comparons les résultats des recensements effectués depuis le début du XIXe siècle, nous constatons que de 1806 à 1946 ce Canton a perdu 33% de sa population ; mais tandis que cette perte atteint .48 % dans les onze communes proprement rurales, il y a au contraire une légère augmentation du nombre des habitants à Sartilly, chef-lieu commerçant, et dans les deux communes de Carolles et de Saint-Jean‑le‑Thomas, ces deux dernières devenues localités de bains de mer.
En particulier, à Carolles, l'examen détaillé des chiffres des divers recensements (31) confrontés avec les statistiques de l'état ‑civil (32) nous montre que, de 1792 à 1876 la population de Carolles était tombée de 637 à 397 habitants, soit une diminution de 240 unités, due pour 138 à l'excédent des décès sur les naissances et pour 102 à une émigration des habitants vers les bourgs et les villes, ce qui prouve que pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle, Carolles a subi, comme les communes voisines, le phénomène de désertion vers les bourgs et les villes. Mais à partir de 1876, qui, comme nous l'avons vu tout à l'heure, marque le début de la vogue de Carolles comme centre balnéaire et artistique, la tendance change de sens, et on constate un accroissement presque constant de la population qui atteint en 1946, 714 habitants, soit un gain de 317 unités en 70 ans. Et comme pendant cette période il y a encore eu un excédent des décès sur les naissances s'élevant à 188 unités, c'est que le développement de la station balnéaire a eu pour conséquence l'afflux de 505 horsains venus se fixer dans la localité.
Ces mouvements de population ont été accompagnés d'un profond bouleversement de la structure économique de la commune. Au milieu du XIXe siècle, Carolles était un humble village de pêcheurs ‑ cultivateurs, à l'écart des grands chemins : Un boulanger de Sartilly venait deux fois par semaine, un boucher de Champeaux apportait de la viande tous !es vendredi ; une pauvre épicerie, tenue par la garde ‑ champêtre ; une auberge au milieu de quelques chaumières, tel était l'aspect du village où l'on ne voyait guère que femmes, enfants et vieillards, à peu près tous les hommes étant partis à la grande pêche à Terre‑Neuve, sur les bateaux armés à Granville. (14). | ||||||||||||
| ||||||||||||
| ||||||||||||
Maintenant, la localité compte 448 maisons (dont 179 habitées seulement pendant l'été) (10), deux boulangers, trois bouchers, cinq épiciers, cinq ou six hôtels ou pensions, des artisans de tous métiers : maçons, couvreurs, plombiers, électriciens, menuisiers, plâtriers, mécaniciens, peintres, etc. Granville n'arme plus pour la grande pêche et les Carollais ne s'embarquent plus pour Terre‑Neuve ; si un . certain nombre d'habitants, surtout dans les écarts du Hamelet, de la Lande et de la Chevallerie, continuent à vivre d'agriculture et d'élevage, les activités de la plupart sont concentrées dans l'exploitation de la saison estivale : la satisfaction des besoins et des désirs du baigneur est l'industrie essentielle du pays. Il en résulte un rythme de vie économique très inégal, cette industrie étant intense pendant seulement deux à trois mois d'été, et la localité vivant au ralenti pendant le reste de l'année. Il en résulte aussi une certaine cherté du coût de la vie, l'appareil économique nécessaire en été pour faire face aux besoins d'un nombre d'estivants évalué (approximativement) à trois ou quatre mille, étant disproportionné avec celui utile pour les sept cents habitants permanents, et subsistant néanmoins presque tel quel pendant toute l'année.
Ces conditions particulières de vie sont d'ailleurs communes toutes les stations balnéaires d'importance similaire, chez lesquelles les besoins exceptionnels de la saison estivale sont satisfaits par les organismes locaux au prix d'un gonflement momentané de leur activité, au fur et à mesure que s'accroît la prospérité de la localité.
Cette prospérité que traduit l'afflux des baigneurs a d'ailleurs des conséquences d'un autre ordre : on peut philosopher longuement sur les sentiments que peut inspirer aux habitants des localités balnéaires, et plus spécialement aux éléments jeunes de ces populations, le spectacle, renouvelé chaque année, des citadins en vacances qui, pendant toute la durée de leur séjour, vivent dans l'oisiveté et semblent n'avoir d'autres préoccupations que les distractions et la bonne chère ; ces estivants ne risquent ‑ils pas de donner ainsi, à ceux qui ne les voient que sous cet aspect de leur existence, une fausse et dangereuse conception de la vie dans les villes ?
Sans nous attarder à ces considérations qui dépassent le cadre de cette causerie, revenons à Carolles, et constatons que ce qui était au milieu du siècle dernier un obscur village avranchin est maintenant une station balnéaire appréciée dont le renom s'étend à travers le monde. Un ami de New‑York m'a envoyé un fascicule en langue anglaise diffusé aux Etats‑Unis par le Commissariat Général au Tourisme du Gouvernement Français pour inciter les Américains à visiter les plages de France dont il énumère les noms en consacrant à chacune d'elles une ligne de texte ; Carolles y figure en caractères de même grandeur que Cabourg et Houlgate, et y est décrite comme Petite ville sur le bord de la falaise, avec des maisons en bordure de la digue‑promenade , offrant aux touristes 7 hôtels avec 200 chambres, 3 tennis, un casino (33). Ce dernier détail est peut‑être une anticipation, car s'il a existé â Carolles un Hôtel du Casino (maintenant colonie de vacances), il n'y a jamais eu de casino sur notre plage qui est essentiellement une plage de famille.
NOTES
(24) Almanach du Baigneur sur la Plage de CAROLLES, 1896. (25) Le service postal a été assuré jusqu'en 1896 par le Bureau des P.T.T. à SARTILLY, qui continua jusqu'en 1902 à assurer la distribution du courrier bien qu'une recette auxiliaire ait été ouverte à CAROLLES en 1896 et un bureau de télégraphe en 1898. En 1902 fut ouvert un Bureau de Poste de plein exercice ; le téléphone fonctionna à partir de 1911. (Annuaire de la Manche). (26) Statistiques fiscales (Archives de la Mairie de CAROLLES). (27) Dr Ad. OLIVIER: Carolles, Granville, Avranches et le mont Saint‑Michel, 1922. (28) Ouest‑Eclair du 13 septembre 1934. (29) Revue de l'Avranchin , 1882 (p. 135), 1886 (p.113). 1931 (p. 722), (30) Jacques SIMON: Carolles (Manche), 1951, p. 99. (31) Dénombrements de la Population Française: en 1793, Archives Nationales ; en 1806, Archives du Ministère de la Guerre, à Vincennes ; de 1820 à 1861, Almanach de la Manche; de 1866 à 1936, Statistique Générale de la France (Bibliothèque de la) ; 1946, Liste Nominative, aux Archivés de la Mairie de CAROLLES. (32) Registres de l'État ‑Civil,, à la Mairie de CAROLLES. (33) Coasts of France: Commissariat Général au Tourisme, 1950.
Carolles épicerie centrale, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
|