|
||||||||||||
Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845
Cette commune forme un triangle compris entre la route de Mortain au nord, celle de Pontorson à l'ouest, la rhifre de la Porte à l’est, et le Lait-Bouilli au sud. Elle appartient au bassin delà Sélune, vers laquelle elle s'abaisse par une pente généralement douce, excepté au Quesnoy où la chute du terrain est abrupte. Elle donne naissance à trois cours d'eau , le ruisseau des Monts qui afflue dans l'étang du moulin de la Porte , celui de Casseul qui descend de Baffé et afflue au Lait-Bouilli dans le Val-Saint-Père, le ruisselet de la Chaussonaière qui se réunit à un autre venu des Échommes , au Pont-Gandouin , pour former la principale branche de la Pivetle.
L'ancienne église de Saint-Martin-des-Champs, ou de Saint-Martin-près-Avranches, ou, comme on disait autrefois, de Saint-Martin-lez-Avranches, cette église, qui était une chanomie avec dix-sept prêtres à laquelle était annexé le séminaire, dans laquelle se tenaient les distributions de prix du collège et se soutenaient les thèses publiques sous la présidence des évêques, était située dans la rue du Séminaire, dans l'enclos de M. de Pirch. On y arrivait par la belle double ligne de peupliers de la chasse Saint-Martin. L'église actuelle, transportée plus au centre de la commune, est posée sur le flanc d'un coteau d'où l'on aperçoit le cours sinueux et les rives déchiquetées de la Sélune, avec les dentelures du littoral de la baie, la saillie de Montvallon en Céaux, le cap Torin en Courtils, et la pointe de la Rive en Ardevon.
La rustique et récente chapelle est sans souvenirs comme sans art. Elle se compose d'un chœur arrondi, d'une nef et d'une sacristie accolée au chœur. Les fenêtres sont légèrement arquées en anse de panier. Un campanile de bois, semblable à une cheminée, termine son galbe occidental. L'intérieur est fort pauvre : un bas-relief en bois, quelques peintures sur la chaire, sont les seuls objets qui attirent les regards. Le bas-relief représente le repentir de saint Pierre : le travail assez grossier semble appartenir à la fin du XVeme siècle. Les peintures de la chaire sont des fragments rapportés, qui n'ont d'autre titre à l'attention que leur étrangeté dans un lieu saint. Un des fragments représente quelques fleurs et une palette de peintre avec le mot Maùller : c'est sans doute la signature de l'artiste. Les deux du milieu représentent un médaillon dont l'intérieur a été enlevé : il est soutenu par un aigle et un amour marchant sur un carquois. Le dernier représente une tête de femme endormie, deux amours sont debout sur le lit , l'un relève les rideaux, l'autre médite quelque méchante action, tenant d'une main un maillet et de l'autre un clou , instruments grossiers et prosaïques qu'un barbouilleur welche a sans doute substitués a la flèche et à l'arc de la mythologie. Au-dessous on lit : Hildhauer.
L'église actuelle, élevée vers le centre de la paroisse, fut construite par les soins d'un Eudiste attaché à l'ancien séminaire, nommé Quettier. H faut que l'ancienne église ait été bien ruinée , pour qu'aucun de ses vestiges ne soit allé dans la nouvelle.
C'était une simple construction avec un clocher en bâtière, assez semblable à ses voisines , Notre- Dame-des-Champs et Saint-Saturnin. Vers le milieu du siècle dernier, le supérieur et l'historien de son séminaire, Pierre Costil, disait d'elle : Si peu considérable par sa structure et ses revenus. Nous ignorons si cette église, bâtie selon les traditions au VIeme siècle , avait conservé des fragments romans ou gothiques. Transformée en caserne pendant la Révolution, elle fut détruite en 1806. D'après les traditions et quelques documents écrits , la fondation de l'église Saint-Martin remontait à une époque fort ancienne et avait une origine miraculeuse. Un des pères de notre histoire, Grégoire de Tours, rapporte ainsi cette origine : L'évêque d'Avranches, nommé Leodowald, envoya à Tours un prêtre de son église demander des reliques de saint Martin. Lorsqu'il revint à Avranches, un paralytique fut apporté sur le chemin, à l'entrée de la ville : il baisa le voile qui couvrait le reliquaire, et aussitôt il se tint debout et retourna lui-même dans sa maison. Ici l'évêque de Tours s'écrie : « Ce n'est pas assez, saint confesseur, d'exaucer les vœux de ceux qui vous implorent dans votre temple ; mais vous exercez votre pouvoir dans les lieux où vous n'avez jamais été pendant votre vie mortelle. » Une femme y recouvra l'usage de la parole ; un aveugle y reçut la vue , et se onsacra à l'autel et au service de Saint-Martin.
Un monticule de débris et d'ossements est tout ce qui reste de l'église de Saint-Martin : c'est la tombe où l'antique église est ensevelie. Du séminaire il reste encore le jardin et un grand cintre : il n'avait d'ailleurs rien de monumental Nous avons jeté ailleurs quelques traits de son histoire et quelques noms de ses maîtres. Ajoutons-y celui d'un de ses fondateurs qui fut un homme de bien et un homme de science, Jean Haotraye, curé-d'Isigny, qui enseigna les mathématiques et P Hébreu aux évêques d'Ucliopolis , de Metellopolis, et de Beryte, destinés aux missions de la Chine. Rattachons encore à cette paroisse deux noms omis, qui appartiennent à Avranches, deux hommes qui assurément vinrent prier dans l'église du patron spécial de la Normandie, lequel avait plus de soixante autels dans notre pays, et dont l’image était sur la bannière du Conquérant Saint Martin et sainte Marie Se partagent la Normandie.
Le premier est le chapelain de Hugues-Le-Loup, comte de Chester, qu'Orderic Vital appelle clerc de l'église d'Avranches, Gerold, qui vivait à la fin du XIeme siècle, devint abbé de Tewksbury , et qui , faussement accusé par ses religieux, se retira à Winchester où il mourut. Orderic Vital raconte longuement ses pieux efforts au milieu de la cour splendide et débauchée du comte de Chester, ses sermons bibliques et ses succès auprès de ces ardens barons dont les passions s'insurgeaient quelquefois contre la religion , et qui se soumettaient enfin comme des enfants : notre historien résume son portrait par ces mots : « remarquable par sa religion , son honnêteté et sa science dans les lettres . » Le second est un des abbés du Mont Saint- Michel, Geoffroy de Servon, natif d'Avranches, qui gouverna l'abbaye dans le XI eme siècle, se distingua par son zèle, ses acquisitions, ses restaurations et la construction de la chapelle Sainte-Catherine. Un troisième anneau oublié vient s'ajouter à cette chaîne d'or des illustres fils d'Avranches, que nous voudrions enrichir, comme la plus belle parure de son sein , chaîne indéfinie où les artistes , c'est-à-dire les savants, dans leurs patientes recherches, ajouteront de nouveaux anneaux. S'il nous était permis de rêver la statue d'Avranches, nous la poserions debout, femme forte et rêveuse , avec l'attitude de la guerrière et le regard de (a Melancolia d'Albert Durer , couronnée d'un cercle mural , fleuronné de clochetons, étalant sur son sein un collier dont chaque chaînon est le nom ou la figure d'un de ses enfants nobles par la tête ou par le cœur, avec une croix et un livre dans une main , et une épée dans l'autre ; nous nouerions à ses flancs l'aumônière de la bienfaisance, et nous sèmerions les plis de sa robe d'épis , de pommes , de pampres et de fleurs ; sur son genou serait appuyé son bouclier, dont le blason raconterait son histoire : au bas du bouclier le cheval gaulois, au-dessus le galbe pur des empereurs romains , la tôle mérovingienne encadrée dans un rude cercle d'or 1 , le le sceau du Conquérant , la fleur de lys de Saint-Louis , le léopard anglais, mais brisé d'une barre de bâtardise , le sceau lauré de Charles vu , et le coq de la République et l'aigle de l'Empire. Cet écu , ainsi divisé par cette glorieuse symbolique , refléterait l'azur de son ciel , la verdure de ses prairies , l'argent de son golfe et de sa mer. Dans le champ d'azur se détacheraient ses armes d'argent , le château crénelé , la triple fleur de lys, les deux croissants adossés, et le dauphin. Sur le piédestal, en un bas-relief, ce tableau de la statuaire, serait gravé son paysage, sa campagne plantureuse semée d'églises et de manoirs, ses deux fleuves, sa grève , sa montagne sainte , sa mer. Un des grains de ce collier maternel, un des anneaux de cette chaîne, un anneau d'or, est un poète , Henri d'Avranches , du XIIIeme siècle , jongleur et ménestrel attaché au roi Henri m, auteur d'un poème sur les guerres des barons anglais contre Jean-sans-Terre et son fils, et de poésies satiriques contre Michel Blanc-Pain ou Blanpayn: mais ses ouvrages sont perdus.
Comme Saint- Martin touche à Avranches, et comme l'emplacement de son ancienne église est sur Avranches, que son article soit encore pour nous l'occasion d'une vue rétrospective et de la réparation d'un oubli. Il est relatif à Saint-Gervais, et au cérémonial de l'entrée des évêques dans leur siège épiscopal. C'était un antique usage, consacré par saint Aubert , que le prélat descendait h l'église de Saint-Gervais, la voisine de celle de Saint-Martin ; de Ur t pieds nus, il se rendait à l'église-cathédrale. Celte cérémonie était accompagnée de circonstances et de droits fort intéressant Au XIV siècle, l'évêque Robert Porte voulut se dérober à ce cérémonial ; mais on lui intenta un procès. Le G allia Christiana nous a conservé la sentence que l'homme de loi, le Loyer, rédigea sur parchemin sans aucun signe de ponctuation : « A tous ceux qui ces lettres seront ou oïront Jehan Covillant clerc garde des scels des obligations de la ville et vicomte d’Avranches pour monsieur le roy de Navarre saluz comme il soit ainsi que des long temps a que contredit et empeschement sur quoy procès deflet et descors avoit este meu par entre homme sage et discrept monsieur Robert Porte par permission divine evesque dAvranchcs d’une part et messire Henry Regnault escuyer.... sieur du manoir sainct Gervese assis en la cite dAvrancbes etc \ ... Et lesquels disoient maintenoient et soubtenoient contre ledict sieur Porte evesque que du contredicTt et empeschement quil avait mins pour lors et au temps qu'il avoit voulu prendre la possession et entrée de son evesche ainsi quil a este monstre par letres et chartes et droicts de la chapelle de sainct Gervese au dict Porte evesque quil estoit tenu et subjet venir descendre de cheval a la porte de ladietc chapelle et y descendre de dessus son mullct ou mulle sur lequel ledict sieur evesque est monte acoustre de sa robe et saion et chausses housses et calcaires ou digarts comme la plus antique chapelle de long temps jadis fondée par les predecessours dudict Henry Regnault et est tenu ledict Porte evesque de partir les pies nus sortissant hors de ladicte chapelle dempuis icelle a venir jusques en leglise cathédrale de monsieur sainct Andrieu ou touls les predecessours evesques ont de touls temps et toulsiours mes accoustume fere que avoit faict monsiour Aubert evesque dAvrancbes en Ian de grâce sept cent et oict... sont tenus ledict s p Regnault et ses predecessours y assister et ainder a descendre audict evesque et laquelle monteure doibt demourer au profict du trésor ou payer trente francs dor pour icelle monteure et ladicte robe et saion chausses et housses diguarts doibvent demourer au clerc de la chapelle.. .. Ce fut fet lan de grâce mil ccc soixante dix le mardi avant la saint Michel. »
Robert Porte perdit , e\ l'usage fut consacré solennellement par la loi L'Aveu de Robert Cenalis complète l'usage signalé dans cet acte par le rôle que devait jouer dans cette cérémonie le tenant du lief du Homme en Poilley. Il conduisait la monture de l'évêque par la bride, servait à boire au prélat dans le repas d'installation à l'évêché , et gardait la coupe.
Tels étaient le cérémonial de l'entrée des évôques et les droits de l'antique église de Saint-Gervais , dont la paroisse était contiguë à celle de Saint-Martin dont nous faisons la description et l'histoire.
Au commencement du xir siècle , l'église de Saint-Martin-dcs-Champs appartenait au chapitre d'Avranches , par le don d'un de ses évôques, qui portait un nom illustré par la Conquête , et qui fut un des fondateurs et des bienfaiteurs de l'abbaye de la Luzerne, Richard de Subligny : « Ex dono cpi. Ricardi de Suligneio ecclia sci Martini de campis cum omnibus pertinentibus ejusK » Saint-Louis, qui eut une affeclion particulière pour Avranchcs , sa ville , celle de son domaine royal , fit aux chanoines et à la cathédrale le don d'une grande dîme — magnam decimam — appelée Milli , située dans la paroisse de Saint-Martin. Elle devait leur revenir après la mort du prêtre Richard de la Lande , qui la tenait viagèrement du don même du roi. Cette charte respire le sentiment religieux et filial
Cette charte se termine par les conditions de la donation, a fondation de la chapelle de Sainte-Maric-Madelaine dans la cathédrale, et la fondation de deux messes . En 1690 , la possession de la paroisse de Saint-Martin alternait entre le chapitre d'Avranches et l'abbaye de Rillé de Fougères , et rendait 300 liv. En 1698, l'intendant de la Généralité de Caen écrivait dans sa Statistique : « Saint-Marlin-des-Champs. Le séminaire y est établi. Il y a en outre une chanoinic , et le collège vaut 800 liv. Il y a 17 prêtres, paye 802 liv. de taille, et a 123 taillables. Les nobles à Saint-Martin sont le baron du Quesnoy et sa femme. En 1763, cette paroisse faisait partie de la sergenterie de Pigace et comptait 83 feux
Entre Saint-Martin et Notre- Dame-des-Champs se trouvait une rue appelée la Dorée , dans laquelle était une maison que l'abbé du Mont Saint-Michel fieffa , au XIVeme siècle, à Thomas Cohibée, chantre de la cathédrale , « una cum orto in quo fundaturK » Entre Saint-Martin et Saint-Gervais était le marché : « Tonte la grande cohue du marchel en la borgeosic d'Àvranches , et la rue as chevaus. •
Dans cette paroisse , sur le flanc d'un côteau abrupte , en face du magnifique spectacle de la baie du Mont Saint-Michel, était le château du Quesnoy, détruit pendant la Révolution , et dont il ne reste que les écuries et l'orangerie. La terre du Quesnoy avait le titre de baronnie: elle appartenait à une famille, qui n'était pas du pays, très-ancienne, si l'on en croit une note de M. Cousin qui dit qu'elle offrait de son temps des cops de preuves depuis 1181. Le château fut vendu à une bande noire en 1793. C'était un vaste logis, composé d'une façade et de deux ailes, tournées vers le sud et vers la baie. Bâtie vers le milieu du XVIII e siècle, vers l'époque ou s'élevait le château de Marcey , qui peut en donner une idée , cette habitation n'avait pas d'architecture ni d'ornementation extérieure : des reliefs de briques formaient des compartiments et des encadrements. Sa vraie beauté était son site. Ses jardins en amphithéâtre s'inclinaient vers les prairies. Un bois l'abritait tau nord. L'écusson, brodé de palmes de chêne ou de quesne, glandées, avec la date de 1660, se voit aujourd'hui encastré dans le pignon d'une pauvre maison au Grand-Chien Il est difficile de contempler un paysage plus étendu et plus varié que celui qu'on domine de la butte du Quesnoy. L'œil se promène de la mer à la grève dont le sable gris et mat est éclairé par des rivières d'argent, de la grève aux campagnes dentelées dont le fond diapré est relevé de villas, de clochers , de fermes , de moulins à vent. Par un temps clair, on peut compter une quinzaine de clochers dans ce demi-cercle d’horizon, depuis Vains jusqu'à Saint-Quentin, et en deviner beaucoup d'autres dans les brumes des coteaux lointains.
Dans le XIIeme siècle, le pape Eugène adressa à l'évêque d'Avranches une lettre relative aux dîmes de toute la paroisse de Saint-Martin
Dans le XIIeme siècle , Béatrice de Verdun donna au Chapitre deux champs , sis en Saint-Martin-des-Champs. On lit dans le Livre Vert : « Car ta Beatricis de Verdun de duobus campis apud Sanctum Martinum de Campis. »
La Chaussonnière , fief de cette paroisse , située aux portes d'Avranches , était anciennement dans la famille Cantilly. Le manoir, qui a perdu sa chapelle, mentionnée dans la Statistique de M. Foucault , offre encore quelques intéressants débris , le colombier , un tourillon d'escalier et une gigantesque cheminée. La tradition raconte que le saint de cette chapelle était particulièrement invoqué par ceux qui désiraient une prompte solution dans les incertitudes de la maladie de leurs proches. Elle est portée à 50 liv. de revenu. Au bord delà route de Saint-Loup , dans le pré môme qui touche a la ferme on remarque quelques reliefs, couverts d'ajoncs, qui semblent des restes d'ancienne maçonnerie. De la Chaussonnière part un ruisselet qui se réunit au Pont-Gandouin à un autre venu des Echommes. Ces deux cours d'eau, grossis à Bouillant du ruisseau du Franc-Fieu, qui descend par cascades le long des doués, forment la rivière de Pivette , qui afflue la Sec sous l'hôpital d'Avranches.
Il y a une autre habitation à tourelle, au bord de la rivière de Lait-Bouilli, appelée Pival « Pival ou Pieval , dit M. Cousin, Picœ vallù , terre considérable de la paroisse de Sainl-Martin-des-Cbamps. »On trouve TOrpin Telèphe (Sedum Telephium), dans son avenue de peupliers. Avec les antiques sapins qui ombragent cette ferme, on peut citer un des ormes les plus élégants qui se puissent voir, droit et filé comme une flèche, sans autres branches que celles de sa tête qui se balance à une hauteur de plus de 80 pieds , comme un vert panache sur le fût d'un palmier. Ce jeune et bel enfant de la terre est destiné à devenir une merveille végétale est inarqué d'une croix blanche, et se dresse au bord de la route de Saint-Quentin.
Les fourches patibulaires d'Avranches étaient à la limite de Saint-Martin , près de l'endroit appelé la Cocarde , qui tire son nom d'une auberge républicaine, à la Cocarde Nationale, rendez-vous des Jacobins, guinguette politique, petit cercle, dans lequel s'agitaient les passions de cette grande époque |
||||||||||||
Église de Saint-Martin-des-Champs Xfigpower — Travail personnel |
||||||||||||