PONTAULBAULT
  CC 03.08 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  Pontaubault ou Pont Aubault ?
         
 

Pontaubault, CPA lpm collection 1900

 
     
 

Avranchin Monumental & archéologique

Edouard Lehéricher 1865

 

Ad mittiare GaUicanum post A vr anche s versàs

meridiem calcatur ittuttris Pom Aubautt

quem tu bit fluviut Setune.

(Topog. G allia! 1659.)

 

Et fut près ce rivage

Où eut sur pillotia, planté , d'un grand ouvrage,

Le Pont dit de ce Bal , que le peuple ruataut,

An lien de Pont au Bal» appelle Pont eu Daut.

(J. De VlTEL )

 

La petite commune de Pontaubault, traversée par la route d'Avranches à Pontorson, n'a de limites bien naturelles qu'au nord où elle est baignée par la Sélune. Elle est à peu près carrée et s’étend, par une pente rapide, de la Butte-des-Quatre-Vents aux bords de sa belle rivière qui, rétrécie sous les arches de son pont, se dilate en aval et en amont: c'est là que la grève commence. Le ruisseau de Foucaut — « le vieil dieu Foucaut à la barbe hérissée », — qui passe à Lentilles, la limite à l'est; un ruisselet la sépare de Céaux ; le faîte de la Butte-des-Quatre-Vents la borne au sud. Une nouvelle direction de la grande route, sur un plan moins raide, forme un segment appelé le Y, et qui, appliqué sur l'ancienne, figure un triangle èquilatéral. Pontaubault est un coteau pittoresque, d'où l'œil se promène de l'évasement aréneux de la rivière dans l'intérieur des terres, le long des circuits de la Sélune , belle nature gâtée par la sale misère de son village, que fait ressortir encore la propreté et la fraîcheur de son vaste pont récemment restauré.

 

La Sélune se jette dans les grèves à Pontaubault. Ses noms sont Senuna dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel, dans G. Le Breton, etc, c'est son nom antique et véritable. On a dit ensuite Sélune par euphonie ; on a même contracté en Selne, selon Dumoulin. On l'appelle encore Ardre, Ardée, Arduss. Ces noms sont celtiques et signifient la rivière. Raoul Glaber l'appelle Arduus : « Est non longé a promontorio (le Mont Saint-Michel) fluvolius cognomemo Arduus

 

Toutes les expressions latines que nous connaissons du nom de cette paroisse confirment la présomption instantanée et, pour ainsi dire, instinctive qu'il renferme un nom propre. On n'a qu'à ouvrir un dictionnaire géographique qui donne les anciens noms latins et Ton trouvera plus de cent localités dans lesquelles le mot de pont a pour affixe un nom propre. Ainsi les trois ponts principaux de l'arrondissement d'Avranches ont reçu pour affixe un nom d'homme: Pont-Gilbert, Pons Gisleberti, Pontaubault , Pons Alboldi, Pontorsen , Pons Ursonis» Robert Cenalis écrit Pons Alboldi. M. Cousin écrit, Pont au Baud, Pons Baldus, seu Pons Balduinus, PonsAlboldi, Adrien de Valois, d'après une charte d’Henri II, de 1157, donne Pontem Aubauéi. Un chroniqueur du xv eme siècle écrit Pont Aubaud. Pour choisir entre ces noms propres, il nous semble que celui d' Alboldus est le plus historique et le plus probable: nous voudrions donc écrire Pontaubaud. Il y a beaucoup d’Alboldus dans le Domcsday: il y a Alboldus Lotharensù Alboldus clericus, Alboldus cocus.... Si Ton voulait avoir raison de la forme actuelle, Pontaubault et Pontaubaut, il faudrait supposer Alboltus, et Albotus, noms qui ne se trouvent pas dans le grand recueil de noms normands, le Domcsday, mais qui sont portés dans le pays sous la forme à d’Albot. Aussi Robert Cenalis dit-il quelque part • Pons Alboti, Pont Albot. »

 
     
 
 
     
 

Le pont-de ce village avait encore tout récemment une physionomie antique. I1 était très-étroit, plusieurs arches étaient en ogive, et les tailloirs, au coin revêtu de dalles imbriquées, s'élevaient comme des clochetons jusqu'au bord des parapets. Dans l'élan de ses quinze arches il saisissait ses rivages. Une restauration récente l'a considérablement élargi, a enterré deux arches, cintré les voûtes, abaissé les tailloirs et aiguisé leurs angles. C'est maintenant un pont large , solide , régulier ,un peu dur à l'œil, comme en sait faire l'ingénieur de notre époque , dont la première , hélas ! et l'unique préoccupation est la régularité solide. Que l'utile, escorté de l'économie et de la géométrie, batte des mains ; mais qu'il permette a l'art et à l'archéologie de regretter l'ancien pont, le pont de la légende, le pont qu'Adrien de Valois appelle Ponts Altus, le pont de la duchesse Anne.

 

Cet endroit fut un passage, un gué très fréquenté par les Romains, et c'est par là que devait se diriger la voie de Cosedia à Condate, passant par Legedicu. En réparant le pont, on a trouvé plus de trois cents monnaies du Haut Empire, entre autres un très beau Caligula en grand-bronze. François Desrues écrivait à la fin du xvi eme siècle : « A une lieue d’Avranches, ters midy, est Pontaubault fort remarquable , soubs lequel passe la rivière de Selune qui va se ruer non loin de là en la mer occidentale joignant le Mont Saint-Michel » Bruzen de la Martinière dit qu'on croyait que ce pont était l'ouvrage des fées. M. Desroches parle de la croyance qui l'attribue à un esprit de l'autre monde. Une tradition plus récente et plus historique en attribue la construction à la reine Anne: le pont étroit que nous avons vu, avec ses arches ogivales, ses tailloirs en forme de contreforts, pouvait bien remonter à Charles VIII. Peu éloigné de la Bretagne, il était considéré comme le symbole de leur mariage et de l'union de la Bretagne à la Normandie et à la France. M. Cousin dit qu'on prétend qu'il fut construit pour la reine Anne, et qu'elle y passa la première. Un dicton populaire fait rêver à une merveilleuse histoire: — c'est comme Pontaubault : on y travaille toujours, on ne le finit jamais»

 

Ces détails, moitié historiques, moitié légendaires, font voir toute la célébrité de ce passage, la difficulté de la construction de ce pont, et les merveilleuses croyances qui s'y ratachaient Nous avons recueilli une légende qui s'ajoute aux traditions et les complète. ( Elle se retrouve d'ailleurs appliquée à d'autres ponts.

 
     
 

Le vieux pont, CPA LPM collection 1900

 
     
 

Quand on voulut jeter un pont sur ce gué large et dangereux que traversait une voie romaine, où s'étaient heurtés les Gaulois et les Romains, là où la Sélune commence à s'étaler sur les sables de la mer, les forces humaines semblèrent impuissantes pour cette œuvre gigantesque. L'architecte invoqua le secours du démon, qui s'engagea à bâtir le pont, si on lui concédait la possession du premier être qui le traverserait Quand le pont se fut élancé sur ses quinze arches, et d'un jet hardi eut saisi les deux, rives, Satan, posté à une des extrémités, attendit que sa proie vînt à passer. Bientôt il entendit des cris et le claquement d'un fouet : il compta sur l'âme de quelque seigneur en voyage, pérégrinant vers le Mont Saint-Michel, ou de quelque riche châtelaine sur sa mule. Il s'élança sur le pont pour saisir son bien: il attrapa un chat que le malin architecte avait lancé à grands cris et à coups de fouet

 

La légende du Menhir de Vaumoisson constate aussi l'origine diabolique de ce monument.

 

Parmi les nombreux miracles attribués à saint Michel, relatés dans les chroniques de l'abbaye du Mont, il en est un qui se passa près de Pontaubault Dom Huynes a raconté ce miracle dans son histoire , mais nous préférons le récit original dont il n'a été que le traducteur: « Ce ne peut être qu'avec dévotion que les âmes pieuses doivent considérer — non indevoté a piis mentibus est considerandum — le miracle d'un pèlerin qui, emporté environ pendant sept lieues dans les flots — ferè per septem leucas delatus — fut porté jusqu'au lieu appelé Pontaubaull — qui ditur galticè Pontaubault — et ensuite jusqu'à celui qui est appelé Tombelène — qui ditur Tumbahelene —et qui fut retrouvé vivant , auprès de son cheval mort Tandis qu'il passait comme emporté devant le Mont, il criait de loin à haute voix, entendu de tout le monde : « Saioct Miehter aide et je yrai à ta merci »

 

Le pont de Pontaubault n'est pas dans l'axe de la route. Cette remarque s'applique à celui de Pontorson et à celui de Ponts-sous-Avranches. La nécessité de la défense peut seule expliquer cette déviation de la ligne droite. Par cette disposition, les abords du pont devenaient comme les deux faces d'une courtine qui battaient l'ennemi eu flanc, et l'écharpaient dans sa moindre profondeur.

 
         
 

Le vieux pont, CPA lpm collection 1900