AVRANCHES
  CC 03.01 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  PAROISSE DE SAINT-GERVAIS
         
 

 
     
 

Avranchin monumental et historique

Par Édouard Le Héricher

 

PAROISSE DE SAINT-GERVAIS.

 

Auprès Avranche une cité garnie

La descend Charte en la lande en ermic

A St-Gcrvais ayant messe ouïe.

    Roman de Chartemagne. (Mss. de la Bibl. royale.)

 

Ce serait une chose éminemment précieuse et rare qu'un monument du vn* siècle, qu'une église fondée d'après une charte du roi Dagobert, expédiée du château de Clessy-laGarenne, près Paris, l'an 637. On avait encore ce spectacle au xvir siècle. L'antique oratoire de Saint-Gervais s'élevait encore en face de la vieille hoste-berge ou auberge des TroisEoys, qui avait succédé à l'Hôtel-Dieu. Il s'étendait, dans l'origine, selon un de ses plus savans curés', depuis le pupitre du chœur actuel jusqu'à la seconde croisée de la nef inclusivement, et le chœur n'avait que 10 pieds de longueur. Le chancel de St-Gervais était le lieu de sépulture réservé de la célèbre famille Regnault2. En 1686, le chœur fut allongé de 20 pieds, et reçut le rélable actuel», et on fit la chapelle du transept méridional. En 1688, son portail tomba, et la grande tour carrée que nous voyons aujourd'hui s'éleva sur ses dalles en talus, pour se couvrir de cette cloche carrée qu'on appelle un dôme, et de celte lanterne d'étain, dorée sur ses nervures. Un maçon de cette commune du Gast qui semblait monopoliser la construction des églises au xvir siècle, inscrivit au côté du portail : Pierre Loisel, du Gast, fecit 1688. Cette tour devint pour le pays un type facile et malheureusement trop fécond. En 1735 , ce qui restait encore d'artistique disparut, et fut remplacé par ces murailles dures et nues, percées de fenêtres en anse de panier, qui, bâties d'hier, menacent ruine aujourd'hui.

 

Il est probable que Charlemagne vint à Avranches, soit pour protéger les côtes contre les pirates du Nord , soit pour l'expédition contre la Petite-Bretagne, dont parlent les Annales saxonnes. Un roman en vers de la conquête de Bretagne par Charlemagne consacre cette supposition, qui était peut être un fait historique traditionnel, quand l'écrivait le chroniqueur. Ce poème inédit, d'environ 3200 vers en couplets monorimes, appartient à la bibliothèque Ste-Geneviève, et M. Motet, bibliothécaire d'Avranches, en possède un fragment , où il nous a permis de puiser. Charlemagne entend la messe à Saint-Gervais:

 

Charles chevauche en sa grande compaignie

Par doulce France ont leur voye aquilie (accueillie)

De France issirent (sortirent) et passèrent Normandie

Jusqu'à Seune (Seine, Sée ou Sélune) on la voye aquilie Auprès

Avranche une cité garnie

La descend Charle en la lande en ermie

A St-Uervais ayant messe ouïe

    D'un riche Evesque qui est de bonne vie.

La messe ouit le preux Chailon

    D'un riche Evesque qui moult était prodhom

    Celui Evesque Theri cy avoit nom

Après la messe ny font autre sermon

   Au Mont s'en va le bon roy de saison

   A St Michel faire son oraison.

 

Il n'y a pas eu d'évêque d'Avranches du nom de Thierry: l'officiant était sans doute un évêque de sa suite. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que le successeur de Charlemagne, Louis-le-Débonnaire, envoya, comme on le voit dans ses Capitulaires, pour rendre la justice dans l'Avranchin , entre autres personnages, l'abbé Thierry (Theodericus abbas).

 

Quelle que fût l'ancienne église Saint-Gervais, assurément sa perte est regrettable, surtout en face de l'édifice actuel où l'on ne rencontre pas un seul vestige d'art. Elle devait êlre romane avec quelques additions gothiques et offrir une certaine ornementation, car elle avait le plus d'importance après la cathédrale. C'était de Saint-Gervais que les évêques allaient prendre possession de leur cathédrale. Il y avait d'ailleurs une merveille. C'était la grande fenêtre du chœur, que remplisisait une belle verrière du xme siècle. Cétait à la fois une belle œuvre d'art et une page historique , puisqu'on y lisait l'origine de l'église. Il y a long-temps que le splendide vitrail a disparu, mais il est possible de s'en faire une idée, car il en existe une exacte description, dont le style paraît être du xvr siècle:

 

« Il y a au milieu de ladite vitre la figure et semblance de la passion de Notre Seigneur J.-C. comme il fut mis et crucifié en l'arbre de la croix, et des deux côtés y sont les figures et semblances de la glorieuse vierge Marie, sa mère, et de monsieur saint Jean. Et au-dessus de la croix et crucifiement il y a un autre écusson d'alliance et écartelé moitié desdites feuilles de quercus d'or et demi-chevron d'argent sur azur, et l'autre moitié d'hermine et de sable sur argent. Et du côté dextre la figure et semblance de monsieur saint Gervais, et du côté senestre la figure de monsieur saint Protais, et au bas desdites figures est écrit : S. Gervais et S. Protais. Et entre lesdites figures au-dessous du crucifiement il est écrit en lettres d'or en ladite vitre ces mots qui suivent : En l'an de grace six cent trente-neuf le huitième aoust, j'ai été fait faire par messire Gervais Regnault, chevalier, capitaine d'Avranches, et Protais Regnault, chevalier, capitaine de Nantes, sous Judicael, roi de Bretagne, fondateurs de céans, frères, enfants de feu messire Charles Regnault, capitaine de Chartres, seigneur des Regnaudières et de Gobehan, et de madame Louise de la Boussais, sa femme, dame de Vannes, sœur de Juhael, roi de Bretagne, père dudit Judicael.

 
         
 

 Et icelle chapelle fut en premier lieu fondée et édifiée par lesdits Regnault, frères, en l'an de grace six cent trente-huit, et fut dédiée le quatorze aoust six cent trente-neuf par monsieur Arnoul, évêque de Metz, et monsieur Gombert, évêque de Cologne, et autres grands personnages envoyés par monsieur Fagobert, très-chrétien roi de France , à la supplication et requête desdits Regnault; et davantage, au bas de ladite Titre y sont les figures et semblances de messire Charles Regnault, chevalier, et de madame de la Boussais, sa femme, et du côté senestre y sont les figures desdits Gervais et Protais Regnault fondateurs, étant tous mis à genoux et les mains jointes et regardant le crucifiement.

 

Et au milieu de ladite vitre y a plusieurs autres armes et écussons d'alliance et écartelées où il y a des hermines et angles d'or, et lions parés d'or et d'argent sur azur et croissant en champ de gueules sur argent'. »

 

Les constructions qu'on fait en ce moment pour l'agrandissement de cette église ont amené la découverte d'un soussol éminemment romain. Déjà au siècle dernier, dans les fouilles des fondemens, on avait trouvé quatre médailles, dont un Claude et un Trajan.

   
         
 

On vient d'y en trouver un grand nombre, entre autres un Marc-Aurèle, en outre de vastes briques, des poteries et surtout cette double aire d'écailles d'huîtres et de ciment qui s'étend fort loin sous les terrains voisins. Il serait très-probable que là comme ailleurs, comme à Saint-Pair par exemple, l'oratoire chrétien se fût élevé sur les ruines d'un temple ou d'un fanum.

 

En face du cimetière de Saint-Gervais ' était l'Hôtel-Dieu d'Avranches, qui, au xnr siècle, fut transféré à Maloué — ab arcâ Sti Gervasiï translatum ad suburbium in vicum Mautone2. — En 1268 , cette maison et son jardin furent fieffés par le prieur de l'hôpital3. Plus tard s'éleva l'hoste-berge ou auberge des Trois-Rois, qui fut long-temps l'unique hôtel d'Avranches , et qui reçut beaucoup de grands personnages4.

 

Le manoir de Saint-Gervais — le manoir Saint-Gerveses— appartenant à la famille des Regnault, seigneurs et patrons de l'église Saint-Gervais, était situé dans la ville d'Avranches, et non pas, comme on l'a prétendu, en face de Saint-Gervais, et à l'endroit où s'éleva plus tard l'hôtel des Trois-Rois; car l'acte de 1082 dit positivement « leur noble manoir et maison assize en la cité d'Avranches, nommée le manoir de Saint-Gervaise, tenu en feauté et par hommage de monseigneur le roi. » Mais en quel lieu de la cité était ce manoir des Regnault, la plus antique maison de toute la ville, à coup sûr? M. de Bréménil assure, nous ne savons d'après quelle autorité, que c'était dans la rue d'Auditoire : « Gervais et Protais Regnault habitaient la cité d'Avranches. Leur manoir était bâti dans la rue qui porte aujourd'hui le nom d'Auditoire , et il se composait de toutes les maisons de cette rue, qui font en ce moment partie de la paroisse Saint-Gervais. » Les seigneurs Regnauh, patrons de la paroisse Saint-Gervais, cédèrent à h cathédrale—à l'église et collège de monsieur Sainct-Andrieu— les droits de présentation de rcctour et vicaire, grandes et petites chaiches, dixmes, grains, verdages dépendant de leur noble manoir et maison, tenu en feauté et hommage de monseigneur le roy(. Une dame de cette famille, appelée dans un acte de 1372, Dlle Johanne Regnault ou dame Johanne Destouches, donna son nom au chemin qui s'étendait depuis la Croix-Domain jusqu'à la Croix-des-Perrières. C'est par cette rue que déboucha le colonel Gassion, envoyé par Richelieu pour comprimer la révolte des Nu-Pieds, dont Avranches avait été le foyer, ou comme on dit alors, l'allumette. Repoussé d'abord avec ses h ,000 hommes d'infanterie, il attendit sa cavalerie et enleva les barricades élevées par les insurgés. Un de "es officiers, Courtautner, y fut tué par Leplé, du Val-Saint-Père. Tallemant des Réaux raconte tes prouesses de Leplé, « un des rebelles, vaillant autant qu'on peut l'être, et tellement dispos qu'il sautait partout où il pouvait mettre la main, tua le marquis de Courtaumer, croyant que c'était le colonel Gassion. Ce galant homme sauta quatre fois la barricade et après se sauva. » Ensuite on se battit dans les maisons et dans le cimetière Saint-Gervais, mais les NuPieds finirent par s'enfuir vers les grèves, où ils furent sabrés par un corps de cavalerie ou noyés dans la mer montante. La soldatesque se répandit dans la ville et se livra à beaucoup d'excès, et quelques jours après les arbrts du Promenoir étaient devenus des gibets, auxquels pendaient les révoltés pris les armes à la main.