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Devant ce jardin se passa une des scènes les plus horribles de la révolte des Nu-Pieds, à laquelle les femmes elles-mêmes prirent part. Poupinel, ou plutôt, comme le soupçonne M. Laisné, un nommé de La Cour qui fut pris pour un agent du fisc, étant poursuivi, se réfugia dans le couvent des Capucins. On força le couvent, et bien qu'il eût été revêtu d'une soutane, il fut reconnu. On lui donna un quart-d'henre pour se confesser, on l'entraîna dans le Planitre de Changeons, et des femmes lui crevèrent les yeux; après avoir été accablé de coups, il fut jeté vivant dans une sablonnière où on l'enterra sous les pierres. M. de Bréménil dit que l'effigie de celui qu'il appelle Poupinel, représenté les yeux crevés et en robe de magistrat, a long-temps été peinte sur la muraille du cloître des Capucins d'Avranches. Elle fut effacée dans la suite, et en 1750 on y substitua la statue de saint Félix. . Le jardin nous mène au Couvent, ombragé par son beau cèdre du Liban, qui n'a que l'âge de notre siècle; mais rien de monumental ne peut nous y arrêter. Il fut bâti en 1618 par la permission et les secours de l'évêque François Péricard '. En 1698, il y avait douze religieuses. Après la Révolution, des Ursulines s'y établirent et y sont encore aujourd'hui3. Miss Costello décrit ainsi cette maison: « A demi-caché par les grands arbres est le couvent des Ursulines, bâtiment ancien , d'un aspect sombre, avec une grande quantité de toits inclinés, irrégulièrement groupés ensemble et rendus pittoresques par une vigne luxuriante qui court sur les murs et les fenêtres. »
Contigu au Couvent des Capucins, s'élevait le Couvent des Bénédictines dont les bâtimens s'appellent aujourd'hui les Casernes. Une phrase de Prevot d'Exiles, citée par M. Blondel, répétée par d'autres historiens, a fait croire qu'il existait en ce lieu un couvent de Sainte-Anne, fondé par Roger de Montgommery, où, suivant cet historien, Guillaume-le-Conquérant mit ses deux filles qui le contristaient par leur inconduite. Il s'agit de l'abbaye d'Almenèches, au Perche, dont le nom a été confondu avec celui d'Avranches; car le Couvent de Sainte-Anne, au faubourg d'Avranches, fut fondé le 5 décembre 1635. Il fut uni à l'abbaye de Moutons en 1693, et le nouveau couvent s'appela le Prieuré royal de Moutons. Le Gallia Christiana présente la série des abbesses du couvent et du prieuré : voici son récit complété de quelques notes.
Catherine de Gaston, sœur professe de la Sainte-Trinité-de-Poitiers, fixa sa demeure à Avranches, avec quelques religieuses « l'an 1635 , le 5 décembre ; là elle établit un couvent de femmes, qu'elle gouverna pendant dix ans, jusqu'en 1645. Maltraitée par ses sœurs, elle retourna à Poitiers pour y mourir. Sa petite-fille, —virgo piissima, — fut chassée du monastère. Alors une administration fut organisée; mais elle dura peu, car Marie de Froulay, sœur du comte de Tessé, maréchal de France, religieuse de l'ordre de SaintDominique dans le Maine, appelée par son oncle Gabriel de Froulay, évêque d'Avranches, prit l'habit de son ordre à Montmartre, et alla à Avranches, dont elle dirigea la communauté. Elle mourut en 1685, emportée par la petite vérole: elle fut enterrée dans l'église, du côté de l'évangile. Suzanne de Froulay, sa cousine germaine, lui succéda et mourut en 1689. Après sa mort fut faite l'union des deux maisons de Moutons et de Ste-Anne en une seule qui garda le nom de Moutons. Les abbesses qui la gouvernèrent furent: 30° MarieMadeleine de Médaillan de Montataire3, ou plutôt de Lesparre, du couvent de la Ste-Trinité-de-Caen, prieure du couvent de Lassay dans le diocèse du Mans, la première après l'union; elle prit possession le U août 1694. Elle administra sept ans, et, pour assurer la paix, elle se retira à son ancien couyent de Lassay, où elle mourut en 1704. SI* Marie de Cervon, de Bretagne, religieuse de St-Sulpice-de-Rennes. Elle prit le siége abandonné par la précédente. Elle éleva, en 1713, les hardis bâtimens du côté du Nord. Le Gallia Christiana dit qu'elle gouverna dans une paix profonde; cependant son administration fut marquée par ses démêlés avec l'évêque sur la nomination au prieuré du Bosq. 32e M"10 de Vargemont, nommée abbesse par le roi en 1749, le jour des Sts apôtres Pierre et Paul. Sous son administration, il y avait vingt religieuses, quatre sœurs converses et quatre domestiques; le revenu était de 2,687 liv'. 33° Mm° de Vassy. Elle donna sa démission. 34e Marie-Angélique Fournier. Elle mourut en 1755. 35e Mm° de Coetlogon. Elle était abbesse à l'époque de la Révolution2.
Dans cet amas de constructions qu'on appelle la Caserne, il y a deux parties monumentales, le cloître, galerie inachevée, avec l'escalier de même style, aux arcades légères , dont le pilier carré imite l'élancement de la colonnette gothique, et la muraille hardie du bâtiment qui régne sur la rue Sauguière, dont les caves sont d'une forte construction et d'un bel effet. Sous les arcades cintrées du cloître s'ouvrait le réfectoire, aujourd'hui la salle de spectacle; la principale pièce du grand corps de logis était le dortoir, bâti au commencement du XVIIIeme siècle, comme l'indique cette inscription : « Madame de Cervon, abbesse de Moutons, a fait bâtir ce dortoir. An 1713. » Ce fut sous l'épiscopat de Daniel Huet, le 16 septembre 1693 , que fut faite la cérémonie de l'union des religieuses de Moutons à celles de Sainte-Anne; ce fut ce prélat qui posa la pierre angulaire sur laquelle on lit : « Benedic, Domine, domum tuam. » L'église, signalée par ses quatre fenêtres en anse de panier, règne sur le même côté et sert maintenant de classe à l'école mutuelle. Elle ne renfermait rien de remarquable que les tombes des abbesses. La chaire du maître occupe la place de l'autel. A l'époque de la Révolution , il y avait à l'abbaye de Moutons seize religieuses et un grand nombre de pensionnaires.
La ville moderne d'Avranches a deux faubourgs , Malloué avec une partie de Ponts, et le Pont-Gilbert : ils appartiennent à la paroisse de Notre-Dame-des-Champs, le premier en partie, le second en totalité.
Malloué, malè locatus, mal placé ou mal affermé , selon M. Cousin, illaudatus selon Robert Cenalis4, ou plus probablement nom d'homme , est un ancien fief. Il est question du seigneur de Malloué dans une charte latine du xnr siècle. André de Malloé , avec Guillaume de Pellevilain , donna aux religieux de la Luzerne , en 1274, les logis et les étaux du marché d'Avranches, avec les places , les fonds de terre et le droit de seigneurie. André de Malloé était propriétaire et G. de Pellevilain, suzerain. Philippe-le-Hardi confirma cette donation. Dans les Grands-Rôles de l'Echiquier, pour la fin du xn° siècle, on trouve le nom de Gislebert de Maloe , sans doute un de ces Gilbert, de la famille des vicomtes d'Avranches, qui ont aussi nommé Pont-Gilbert. Il est cité dans l'article de Geoffroi Duredent, — prœpositus de Abrincis — et près de Rie. de Apilleio.
A l'entrée de ce faubourg , au pied du Grand-Tertre, à l'endroit des excavations , était la chapelle de Saint-Nicolas, appelée dans le Fouillé Maladrerie Saint-Nicolas-d'Avranches, de fondation royale avec un revenu de 300 liv. Ailleurs, le même Recueil lui donne 400 liv. de revenu, avec le grand aumônier de France pour patron. En 1623, l'évêque François Péricard « touché de compassion des cris qu'on entendait de quantité de personnes vieilles et incapables de gaingner leur vie ainsy que de quantité d'autres pauvres, estrangez et pèlerins' , » annexa à l'Hôpital la chapelle Saint-Nicolas, avec tous ses revenus, dont un consistait en « deux cent quarantehuit rasiaux de froment rouge2. » A quelle époque fut-elle fondée? Elle existait probablement en 1180, car elle paraît être mentionnée dans le Grand-Rôle de l'Echiquier pour cette année: «Cornes Cestriœ rcp. lep-osis de Abrincis. xL. so. de et suit
Un peu plus loin était l'Hôpital. Vers le milieu du XIIIeme siècle, à l'époque où saint Louis acheta la propriété d'Avranches de Robert de Praere, fils du vicomte Richard , l'évêque Guillaume d'Otteillé transféra l'Hôtel-Dieu de cette ville dans le village de Malloué—in vicum Mauloue—dit Cenalis, mal copié par le Gallia Christiana, sur un terrain appartenant au scholastique. Au xvr siècle on lisait ce vers inscrit sur l'édifice:
Unie domui primum Guillelmus prœbuit ortum. |
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Avranchin monumental et historique Par Édouard Le Héricher
PAROISSE DE NOTRE-DAME-DES-CHAMPS. Nostre Dame des Chans. (Livre Vert.)
Naguère encore cachée sous les grands peupliers de son cimetière, l'église de N. -D. -des-Champs, comme ses voisines, St-Saturnin et St-Martin, s'élevait au-milieu des arbres, des vergers et des moissons. Aujourd'hui sa vieille tour se dresse sur une belle place, une des plus belles du monde pour son panorama , au-dessus de quartiers jeunes et riants. Bâtie sur le plateau culminant de la montagne d'Avranches, elle apparait de loin, au milieu des aspérités des toits, comme le bloc le plus élevé d'une vaste carrière. Elle cache dans sa côtière du nord une partie très-ancienne, fragment probable de l'oratoire primitif, une fenestrelle d'une physionomie romane. Le transept du Nord représente une seconde époque , le xm" ou le XIVe siècle; la tour avec sa voûte aux nervures prismatiques représente le xvc ; le reste appartient au xvir siècle el est dû aux restaurations et agrandissements faits par un curé de cette église, qui, altérant le type chrétien , changea sa disposition cruciforme en accolant au chœur des bas-côtés. C'était M. Demoui, promoteur du diocèse sous Daniel Huet, conseiller du roi, lieutenanl-général en l'Élection, subdélégué de M. Foucault, l'intendant de la Généralité de Caen, et commissaire de MM. les trésoriers de France(. La tour qui flanque l'église au sud entre la croisée et la nef, est un obélisque carré, à toiture conique, sans autre ornement extérieur qu'une fenestrelle trilobée. Le transept septentrional est simple, mais élégant à l'intérieur. Son gable est percé de deux fenêtres inégales dont l'une en anse de panier est un ouvrage du xvii" siècle, l'autre est ogivale , mais ne doit pas être contemporaine du gable luimême. L'intérieur de ce transept forme une seule travée, dont les arcs arrondis retombent sur des modillons ornés de feuilles palmées. L'arc qui unit ce transept à la croisée est une ogive large et obtuse. Son archivolte, dont les moulures sont assez pures, vient mourir dans le pilier sur un petit cul-de-lampe. L'arc opposé, seul reste du transept correspondant, accuse le même travail et le même temps. Quatre arcades ogivales, plates et raides, triste spécimen de l'ogive à la fin du xvir siècle, œuvre de M. Demoui —rector (1671),— séparent le chœur des bas-côtés. La nef a été réparée en 1677. Elle est éclairée par six fenêtres simples en anse de panier. La façade occidentale, qui présente a ses angles d'anciennes pierres, est percée d'une assez jolie rose prismatique à sept feuilles , aujourd'hui bouchée à cause de l'orgue, dont on pourrait dégager les arêtes à l'extérieur. Elle a été faite sur le modèle de celle de Ponts. Deux fenêtres des bas-côtés datent de 1671. Les marches de la communion ont été construites avec des pierres tombales. On y lit encore quelques inscriptions. On remarque celle de M. Le Court, imprimeur et écheviu d'Avranches. Il y avait encore une belle dalle, fastueusement écussonnée, celle d'Hippolyte de Rosnivillain, de Martiny , chevalier de Saint-Louis, qui, accompagnant de nuit M'"e la maréchale d'Estrées , tomba dans le Puits-de-l'Hivet, où il se noya '. Dans le cimetière de cette église furent enterrés un grand nombre de Nu-Pieds, tués dans l'attaque du colonel Gassion. La soldatesque victorieuse pilla les trois églises des faubourgs, et, selon un registre de N.-D.-des-Champs, on alla « jusqu'à fouir les tombeaux pour y chercher des trésors2. »
Les travaux d'agrandissement de cette église sont dus à deux curés, M. Demoui, qui a inscrit son nom sur ses constructions, et à M. Jamont, prêtre de cœur, dont la pieuse vie a été écrite et se voit dans les Mss. de M. Cousin. Voici ce que dit l'auteur des travaux de M. Jamont: « Il fit allonger considérablement la nef de son église, y fit faire plusieurs belles croisées , et sans parler de travaux considérables faicts au rnairrein, à la couverture, au lambris, aux bancs de l'église, et au pavé, six ou sept figures de saincts bien étofées, et la balustrade de fer ou appui de la Communion , sont autant de monumens de ses libéralités. » La Révolution fit de cette église un magasin à fourrage; les stalles , d'un assez beau travail, allèrent à l'église de Ponts, et les colonnes torses de l'autel, à Céaux.
L'évêque François Péricard établit le Rosaire dans l'église de N.-D.-des-Champs en 1601, et il fit venir à ce dessein le frère J. Joucant, prieur du monastère de Coutances. La même année, il fil imprimer à Avranches un des premiers livres sortis de la presse locale , le Manuel du Rosaire. D'après le Pouillé du diocèse , cette église avait pour patron le chantre de la cathédrale, avec 300 liv. de revenu.
En face de cette église est le collége. Ce serait une intéressante histoire que celle de l'enseignement dans l'Avranchin depuis Lanfranc qui professa dans sa capitale au milieu d'un immense concours, dans lequel se trouvèrent d'illustres élèves qui portèrent la mitre comme Jean d'Avranches, ou le pallium comme Anselme de Cantorbéry, ou la tiare comme Alexandre n. Elle comprendrait l'enseignement donné près de notre cathédrale, les cours et les études du Mont SaintMichel, les leçons données dans le séminaire, dans le collége, dans l'école centrale, dans l'école secondaire actuelle. Les noms, la biographie et les travaux des élèves et des maîtres illustreraient cette histoire qui devrait se confondre avec l’histoirc littéraire et intellectuelle de l'Avranchin. L'ancien collège , annexé au séminaire, longtemps dirigé arec celui-ci par les Eudistes , était une modeste maison qui occupait le terrain du jardin du collège actuel, et dont la façade régnait sur l'emplacement des deux pavillons qui sont le cabinet de physique et la bibliothèque. Elle était cependant appelée la grande maison , car on lit que ce fut dans la grande maison du collège que mourut, en 1693, Sébastien Dodeman, principal , chanoine et vicaire-général. A la fin du xvi" siècle, un écrivain local disait : « Le collège est un des meilleurs et des plus fameux de Normandie2 » ou, selon Merrian—inter laudatoria et celebriora Normanniœ3. Vers 1780, l'insuffisance de l'ancien local engagea la ville et l'évêché à construire un bâtiment neuf. Monseigneur de Belbeuf, dans un mandement, fit appel à la générosité publique. Des souscriptions abondantes furent recueillies4, et l'édifice actuel, qui est le plus régulier et à la fois le plus élégant de la ville , s'éleva sur les dessins et la direction d'un homme honnête et illustre, qui fut à la fois agronome , L'nguiste et architecte, M. Le Berriays. La Révolution ferma le collège dont le principal était M. Servaiu.
Le Directoire le rouvrit pour y placer, vers 1797, l'école centrale du département, volée par la Convention'. On ajouta aux bùtimens du collège les deux pavillons en style Messidor qui ferment le parallélogramme du côté du jardin. Un de cespavillons reçut un fonds de livres tirés du chapitre , du séminaire , des monastères , surtout du Mont Saint-Michel, et d'autres dépôts du département. Telle fut l'origine d'une bibliothèque , dont on peut louer la composition, et dont la célébrité, comme trésor de manuscrits, est peut-être plus grandeencore à l'étranger qu'en France. L'enseignement de l'école centrale, degré intermédiaire entre nos collèges et nos Facultés, fut très-distingué , fait par des hommes d'élite et suivi par des élèves déjà âgés, que nous trouvons aujourd'hui aux sommités sociales. A, la création de l'Université (1er mai 1802) rétablissement reprit le nom et l'organisation du collège. La bibliothèque avait souffert dans la période républicaine. Vers 1819, M. de Saint-Victor, poète élégant et savant bibliophile,, reconstitua, classa et catalogua ses livres et ses manuscrits2. Son œuvre est continuée par iVL Motet, qui allie une extrême obligeance à une science modeste , spécialement consacrée à. illustrer la localité3. Depuis 1830, grâce à l'intervention de la ville et de la députation , elle est l'objet tout particulier de la générosité du gouvernement*.
Sur la place où s'élève l'église de N.-D.-des-Champs s'ouvre la barrière du Jardin des Plantes, l'ancien jardin des Capucins. Il s'abaisse en deux terrasses sur le flanc de la montagne et regarde un de ces paysages magnifiques qui n'ont besoin que de la consécration d'une plume habile pour avoir la célébrité des merveilles. Indiquer avec simplicité les plans et les principaux points d'un paysage, est la loi qui doit présider à la description des choses sublimes et en particulier dans les livres consacrés aux monumens et à l'histoire : deux larges bassins blancs et sinueux, qui encadrent un triangle de bois et de verdure, au-delà des coteaux semés de clochers, de châteaux, de villages, au centre, blanche arène bordée de vertes campagnes , la grève avec la pyramide aiguë du Mont St-Michel et le roc tumulaire de Tombelène, à l'horizon la Bretagne vaporeuse et noyée, et la mer unie et brillante, où les navires passent comme des oiseaux : tels sont les principaux points du tableau. Ce beau jardin d'un monastère, cette religieuse retraite fut ouverte au public et à la science botanique, lors de la création de l'école centrale. Le premier professeur, M. Perrin, fit la disposition matérielle du jardin; M. Le Chevalier, son successeur, nommé en 1800, compléta son œuvre et porta le catalogue jusqu'au chiffre de 2,357 espèces'. M. Dubuisson, son collaborateur et son ami,lui succéda, et laissa en mourant la direction à son élève distingué, M. Bataille, qui associe à la science de la Flore locale la science2 et la culture des plantes de serre dont ses découvertes ont augmenté les variétés. Considéré comme un objet d'études, comme un herbier vivant, le Jardin botanique, dans ses conditions de localité et d'étendue, ne peut, pour être utile, offrir autre chose que la Flore de l'Avranchin. Le jardin des Capucins avait un autre caractère qu'un jardin botanique et une promenade publique: « on se souvient encore de ces jardins si bien cultivés, que décoraient de hautes charmilles élégamment taillées, de ce bois silencieux dont les arbres se groupaient si heureusement, et au fond duquel on rencontrait une humble chapelle, ombragée par des rameaux touffus'... » Cette chapelle, qui servait de poudrière pendant la Révolution, a été démolie. Un jeune if, dans le bas-jardin vers le sud-ouest, indique sa position. Sur le rocher du monticule, dont les aspérités furent recouvertes par la terre des redoutes élevées à l'entrée de la ville contre les Vendéens, près d'un bloc qui figure parfaitement un dolmen , a été érigé comme fabrique pittoresque et comme ruine historique, le portail roman de la chapelle de Bouillé par la Société d'Archéologie , qui a donné à Avranches le specimen d'un style dont elle n'avait aucun échantillon. |
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A un Richart prozdom et sage Nez e estaiz de beau lignage.
Richard d'Avranches eut quatre filles et un fils, Hugues d'Avranches, dit le Loup, parce que son fonds d'azur portait une tête de loup arrachée d'argent. Il paraît qu'il ne rejoignit le Conquérant qu'après la bataille d'Hastings. En 1070, Guillaume donna le comté de Chester à Hugues-leLoup, pour contenir et conquérir ces hardis Gallois, devant lesquels s'était retiré un chef précédemment nommé. Avec ses lieutenants, Robert d'Avranches qui changea son nom en celui de Robert de Rhuddlan (d'un fort bâti à Rhuddlan), et Robert de Maupas, — de Malopassu*—qui, par une fantaisie contraire, donna le sien à un autre château-fort qui le porte encore aujourd'hui5, il versa abondamment le sang des Gallois, — muftiim Guallorum sanguinetn effudit. — Il leur livra un combat meurtrier à Rhuddlan , lieu néfaste, signalé dans la mémoire des Cambriens par la perte d'une grande bataille contre les Saxons vers la fin du vift' siècle. Le chant mélancolique des marais de Rhuddlan existe encore sous le nom de Morfa Rhuddlan. Selon Aug. Thierry, Hugues, inslallé dans sa vicomté de Chester, fit venir de Normandie un de ses anciens amis, nommé Nigel ou Lenoir. Nigel amena ses cinq frères, Houdard, Edouard, Volmar, Horsuin et Volfan. Nigel fut institué connétable et comte de Malbeng : lui et ses héritiers devaient marcher à la tête de l'armée. Ils eurent pour leur part du butin toutes les bêtes à quatre membres, — animalia intrà quatuor membra'. —Les autres frères furent magnifiquement récompensés2. Hugues fut créé comte palatin de Chester, comte franc par l'épée, comme le roi tenait l'Angleterre par sa couronne. Il eut douze barons, pairs de son comté, et une cour souveraine. Il faut voir dans le Domesday le détail des propriétés que lui donna le Conquérant , ses cent soixante-deux seigneuries dans une vingtaine de comtés, ses nombreux manoirs, ses haia, ses droits de soc sur plus de cent centenies, ses hydes, ses maisons, etc. * Le Conquérant tenait sa parole et donnait à ses barons plus de seigneuries qu'ils ne possédaient de vergées en Normandie.
Le hardi soldat, le do pteur des Gallois, qui faisait sa garde d'un corps d'hommes déterminés, s'entourait aussi, dans son pays sauvage, des pompes de la civilisation normande , de ménestrels, de trouvères, d'oiseleurs , de courtisanes. Son chapelain, Gerold , prêtre de l'église d'Avranches, s'élevait contre les exagérations de son luxe4, Orderic Vital trace de lui ce portrait: « Hugues n'était point libéral, mais prodigue. Il conduisait avec lui, non sa famille, mais une forte armée. Il ne gardait aucune mesure ni pour donner ni pour recevoir; journellement il dévastait ses biens et favorisait beaucoup plus les oiseleurs et les chanteurs que les laboureurs et les prêtres: » Geoffroy Gaimard dit:
Quieus noms estoit li queus Huons Lempereui de Lombardie Ne menoit tièle compaiguie.
Hugues était encore très-puissant en Normandie. Selon le Livre Rouge de l'Echiquier, ses descendons devaient dis chevaliers pour la baronnie de Saint-Sever et celle de Briquessart. Pour sa vicomte, il devait cinquante-et-un chevaliers, et autant pour ses fiefs dans le comié de Mortain. Il revint dans l'Arranchin où il déploya un faste royal. 11 reçut dans son château d'Avranches le duc Guillaume qui guerroyait contre son frère Henri, enfermé dans le Mont Saint-Michel '. En 1085 il restaura l'abbaye de Saint-Sever, et en 1093 il fonda celle de Sainte-Verburge, au comté de Chester. Il reçut le gouvernement du château de Saint-James : sa place était toujours aux avant-postes.
Por ce que Hnges li quens de Cestre
Ne li pout une plus amis estre Si H Tout II en lis otréicr Le chastel que nos apclons St-Jeaume de Bcviou '-.
Enfin en 1101, le 20 juillet, il prit l'habit monastique dans son abbaye de Sainte-Verburge et mourut sous le froc quatre jours après3. Orderic Vital peint en quelques mots son corps et son caractère: « Tout entier aux débauches de la table et surchargé d'un excessif embonpoint grand amateur du siècle et des pompes mondaines, qu'il regardait comme la plus riche partie des béatitudes humaines*. »
Les enfans de Hugues furent au nombre de cinq dont le principal fut Richard , vicomte d'Avranches et comte de Chester, quiavait sept ans à la mort de son père. Il était d'une beauté remarquable, d'une belle âme et d'un grand courage. Il fut un des plus fermes soutiens du roi Henri i". A Tinchebray, il combattit à ses côtés. Dans le pays de Galles , dans un pèlerinage à Sainte-Venefride, surpris par un corps de Gallois, il allait succomber, quand Guillaume , son connétable, se jeta dans la Dée et vola à son secours. Près du gué, appelé depuis Constablesonde , Richard éleva un monastère. Il donna des secours pour l'édification de la cathédrale d'Avranches'. Cette noble et poétique existence se termina par un coup tragique. 11 périt dans le naufrage de la Blanche-Nef, avec le fils de Henri Ier, sa jeune femme et toute sa famille. Il avait vingt-cinq ans et n'avait pas eu d'enfans. Une vieille ballade faite sur ce naufrage a consacré le souvenir du comte de Chester:
Lord Richard was his name Which was the earl of Chester then, And thirsted after famé 3.
Ainsi s'éteignit la branche normande des vicomtes d'Avranches: une branche anglaise, qui cachait son nom dans la contraction d'Everinge ou Evering, existait encore à la fin du xvne siècle3.
Les fleurs ont beaucoup de rapports avec les monumens. Les vieilles murailles sont des jardins sur lesquels vivent des tribus de plantes, dont la vie éternelle contraste avec la fragilité des ruines. Le lichen , ce vêtement, cette peinture nuancée des vieilles pierres, n'est-il pas, selon un homme de science et de poésie', l'anneau qui unit le minéral et le végétal? Les botanistes se font des herbiers historiques: cette fleur, ce brin d'herbe, cueilli tel jour, est le souvenir de tel monument. Puisque la nature sème des fleurs sur les monumens, pourquoi , en interrogeant les restes des siècles, ne recueillerionsnous pas ces êtres éphémères, qui sont de la poésie pour l'imagination et des faits pour la science? Pourquoi pas, surtout dans une œuvre qui aspire à associer quelquefois la nature et l'art, et qui voudrait effeuiller quelques fleurs sur des monumens et des souvenirs, peut-être quelque peu arides en euxmêmes et rendus monotones par le voisinage ?
Avrancb.es a une Flore variée, à cause de sa situation, pour ainsi dire, à la fois terrestre, fluviatile et maritime. Aussi offre-t-elle tous les végétaux généraux de la Normandie, excepté ceux des terres calcaires. Elle en a aussi qui lui sont particuliers ou peu communs. C'est de ceux-ci que nous essaierons une rapide énumération , en indiquant leur station. Nous associons à nos propres observations celles de deux botanistes, dont l'un a fait la Flore de la Normandie, dont l'autre possède la Flore de l'Avranchin.
Sous nos remparts, dans les anfractuositésdu rocher, brillent au milieu de vertes saxatiles, la corolle bleue de la Buglose toujours verte (Anchusa semper virens), et le candide Perceneige (Galanthus nivalis). A nos murailles se balancent la particule raide d'un gramen rougeâtre, le Brome de Madrid (Bromus Macbitensis), les grappes roses du Thym calament (Thymus calamintha), les folioles veloutées de la Rue de» murailles (Ruta muraria), et dans le Petit-Tertre se dresse un chaume de cinq pieds , le Brôme gigantesque (Bromus giganteus). L'Orobanche bleue (Orobanche cœrulea) fleurit sur les tertres de la Cathédrale et sur les fossés de Changeons. On trouve encore le long de nos haies celle du Caille-lait, sur les racines du Gallium Mollugo, et celle de la Luzerne. Les tiges filiformes de la Sibthorpie d'Europe (Sibthorpia Europœa) rampent sur les fossés humides voisins de la Roche. A la Jourdannière se dressent les épis verdâtres de l'Amaranthe Bleit (Amaranthus Blitum). Au Mont-Jarry rampent les rameaux fleuris de la Herniaire (Herniaria vulgaris), semblables à des folioles de fougère. La fleur appelée la Rosée-du-Soleil, Rossolis (Drosera rotundifolia), étale ses rosettes à folioles rouges, glanduleuses, irritables au toucher, dans les prés tourbeux du Mont-Jarry. L'Oxalide corniculée (Oxalis corniculata) abrite sur les murs son ombelle d'or sous ses folioles obeordées. Le plus élégant arbrisseau du pays, le panache de nos grèves, le Tamarix (Tamarix gallica) commence à se montrer sur les fossés des ruisseaux de la commune , à leur embouchure dans la Sée, et ces ruisseaux sont remplis de cette Ache amphibie , l'opium graveolens. Parmi les bruyères des landages du Mont-Jarry s'élève sur une haute tige la grappe aux grelots purpurins de la Bruyère ciliée (Erica ci- liaris). La Linaire cymbalaire, dont la feuille est aussi gracieuse que la fleur, festonne les murs du Jardin des Plantes. La Samole de Valerand (Samolus Velerandi), une plante druidique, croît dans les ruisseaux du bord de la grève d'Avranches. A la limite de la commune , à Baffé, la pelouse de l'hippodrome se hérisse de l'épi blanchâtre de la Néottie en spirale (Neottia spiralis). Le Statice armeria émaille de ses capitules roses le tissu serré de notre pelouse fluviatile. La Valeriane rouge se penche en touffes aux murs de l'Évêché etaox débris de la Salle synodale. Au-dessous de la Tille , dans les prés des Vallées, au milieu d'une multitude de gramen et de carex, on remarque le Scirpe épingle (Scirpus aciciiiaris). Sur les raondrins du littoral d'Avranches s'étalent les feuilles finement découpées du Sisymber sagesse (Sisymbrium sophia), les tiges scabres du Velar giroflée (Erysimum cheiranthoides), et les touffes du Carex de Schrebre (Carex Schreberi). Enfiu , on ne peut oublier la rosé découverte par M. Le Chevalier , professeur d'histoire naturelle à l'École centrale, et qui est encore cultivée dans le jardin botanique sous le nom de Rosa Abrincensis.
Si l'on ne voyait pas comme nous les rapports du végétal et du monument, et l'harmonie de l'art et de la nature, on pourrait peut-être excuser cette description botanique, comme une fleur jetée sur des dates et des pierres, comme une viguelte au bas d'une peinture |
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Au bas du Petit-Tertre, dans un lieu très-pittoresque, s'élève la Croix de la Porrionnays, qui tire son nom des narcisses' ou portons qui émaillent sa prairie. Elle a été dessinée par M. Lecerf.
Les hommes grands par l'intelligence appartiennent à l'histoire , et leurs œuvres sont des monumens plus durables que les édifices de pierres — monumentum cure perennius. — IIs sont donc du domaine d'une œuvre monumentale et historique. La série des principales célébrités intellectuelles auxquelles Avranches a donné le jour, peut servir de complément et de couronnement à l'étude de ses édifices et de son histoire. Si nous n'osons dire que nous groupons toute sa famille autour de cette généreuse mère, nous réunissons autour d'elle un grand nombre de ses illustres enfans.
Ewanus, Evans , surnommé Langlois , né à Avranches, le troisième abbé de Savigny. Sainte-Marthe suppose qu'il était né à Avranches de parens anglais*. xie siècle.
Robert d'Avranches, second fils de Hugues-le-Loup, vicomte d'Avranches, moine de l'abbaye de Saint-Evroult, et plus tard abbé de Saint-Edmond en Angleterre, à la fin du xn* siècle3, naquit probablement à Avranches.
Noël Beda, né dans le diocèse d'Avranches, auteur ascétique qui a écrit en latin et en français, mort au Mont Saint-Michel où il était prisonnier, 8 janvier 1536
Thomas Forster, vécut vers le milieu du xVI' siècle , car il fut contemporain de Rob. Cenalis. C'était un médecin célèbre. Après beaucoup de voyages dans différens pays d'Europe, il se fixa à Rouen; il publia un Traité de Peste et Tétanos5.
Louis Le Bourgeois d'Héauville, mort à Avranches en 1680, auteur ascétique'. Richard Seguin l'appelle abbé de Chan- meslé, grand doyen d'Avranches, poète, et le fait mourir en 1780
Dom Bellaise, né à Avranches le 1er mai 1663, mort à SaintOuen de Rouen le 23 mars 1711. Son ouvrage sur les conciles de Normandie lut publié par dom Bessin en 1717.Il est un des éditeurs de Saint-Ambroise.
Jacques Parrain des Coustures, d'Avranches, auteur d'une traduction de Lucrèce en deux vol. in-12, d'une Vie de la Vierge publiée en 1691, de la Morale d'Épicure, de l'Esprit familier de Socrate et d'Apulée, de l'Esprit de l'Écriture Sainte publiée en 1682, de la Genèse avec des notes, k vol. in-12.
François Dirois, de l'arrondissement d'Avranches, a écrit en faveur du Formulaire des preuves et préjuges pour la religion chrétienne contre les fausses religions, un vol. in-ri", et l'Histoire ecclésiastique de France, à la suite de l'abrégé de Mezerai.
Nicolas Firmin, carme, connu sous le nom du père Pascal, né a Avranches, est auteur de plusieurs traités de théologie imprimés à Angers. Il mourut en 1704. Voici le titre : P. Pascalis, ordinis Carmelitarum, sacrœ theologiœ professor in universam theologiam. Tomus primus complexurus de Uno et Trino, de Angelis, de Legibus, de Jure et Justitiâ. —Vir magnâ ingenii solertiâ et religiosi animi obsequio. —
Jean de Belle-Étoile , avocat au bailliage , auteur de mémoires contemporains, et d'une vie de l'abbé Gombert, fondateur du séminaire d'Avranches, mort en 1727 .
François Richer, jurisconsulte, né à Avranches le 24 avril 1718 , a publié un Traité de la Puissance civile et ecclésiastique, deux vol. in-12. Il fat éditeur des Lois ecclésiastiques. d'Hericourt, des Arrêts d'Aujar, et de la nouvelle édition des Causes célèbres en vingt-cinq vol.
Adrien Richer, historien, né à Avranches le 15 septembre 1724, a composé un Abrégé chronologique de L'histoire des empereurs, deux vol in-8°, avec des notices sur les savans qui ont paru sous chaque règne ; la Vie-des Hommes illustres compares les uns avec les autres, deux vol. in-12 ; la Suite de l'Histoire moderne, depuis le treizième vol. jusqu'au trentième.
Le Timonier Desartons, on selon M. Girard1, de l'Artour, né à Avranches le 19 avril 17Ù8, est auteur du poème de la Louisiade publié en 1774, et du poème de Constantin le Grand ou de l'Établissement du Christianisme, dédié à sa mère, en 1776.
Pierre Delaunay Deslandes, né à Avranches en 17.., mort à Chauni en 1803 , habile directeur de la manufacture des glaces de Saint-Gobain, où il introduisit d'utiles améliorations3.
Louis Blondel, auteur d'une Vie de Henri IV et d'une Notice historique sur Avranches et le Mont Saint-Michel, naît à Avranches en 1713 et y meurt en 1829.
Louis-Bonami Oubuisson , horticulteur et botaniste, fils du jardinicrde M. Godard de Belbeuf, dernier évoque d'Avranches» directeur du Jardin des Plantes, mort en 1830.
Mais les plus illustres enfans d' Avranches furent ses vicomtes.
11 n'y a peut-être pas de généalogie plus glorieuse que celle des vicomtes d'Avranches, dont l'origine, retrouvée dans les sources poétiques des sagas islandaises, part du père même de Rollon, le conquérant de la Neustrie , et dont le souvenir se grave dan» les livres historiques de la Conquête, puis dans ceux des chroniqueurs et des trouvères anglo-normands. C'est à la fois de la poésie et de l'histoire. Dans la période anglo - normande, Avranches brilla d'un éclat particulier, de l'éclat de ces comtes deChester qui ajoutaient son nom avant celui de leurs principautés , et qui échangeaient leur résidence entre leurs villes d'outre-mer et leur berceau. Nos sources seront un ouvrage très-savant, qui malheureusement restera incomplet, sur les familles citées dans le Domesday ', André Duchesne, Orderic Vital, Rob. Wace, etc.
Presque tous les auteurs des sagas du Nord, et particulièrement Snorro, désignent Rognwald , comme le progéniteur de la famille des vicomtes d'Avranches. Ce puissant seigneur norwégien fut créé comte de Maerc et des Orcades, par Harald Harfager ou le beau chevelu, onzième roi de Norwége. De sa femme légitime, Hildir, fille de Rolf Nefio, il eut deux fils,
1° Thorer, qui devint comte de Maerc après la mort de son père, et conserva ses biens de Norwége;
2° Hrolf ou Rollon, qui devint le conquérant de la Neustrie en 912;
3° Outre ses deux fils légitimes, Rognwald eut plusieurs enfans de ses concubines, Hrollager sortit d'une esclave favorite que ce seigneur avait épousée à la manière danoise, more'danico. Ce Hrollager, qui vivait en 896, fut le chef de la famille des vicomtes d'Avranches. Il épousa Emina, et fut le père de
Hrolf Turtain, vivant en 920, qui avait suivi son oncle, le duc Rollon, en Normandie. Il épousa Gerlotte, fille du comte de Blois. Il eut de cette union:
1° Anslech de Bastembourg, tige des Bertrand, seigneurs de Bricquebec;
2° Guillaume, tige des seigneurs de Bec-Crespin;
3° Ansfroi-le-Dane, le premier vicomte d'Exmes. Il conserva ce titre jusqu'en 978, époque où il fut donné à Roger de Montgommery. Il fut le père de deux enfans dont l'aîné fut
Ansfroi-le-Dane, dit le Gotz, deuxième du nom, qui fut rétabli dans la vicomté d'Exmes, et qui reçut en outre celle de Falaise. 11 fut père d'un fils plus célèbre,
Turtain Gotz qui jouit d'une grande faveur auprès de Robert II, duc de Normandie, dont il était chambellan. Il l'accompagna à la Terre-Sainte d'où il rapporta des reliques pour l'abbaye de Cerisy qu'il avait fondée. S'étant révolté en 1041 contre Guillaume-le-Bâtard, fils de son bienfaiteur, il fut exilé*et ses biens furent donnés- à Harlette, mère du Bâtard. Turtain épousa Judith de Monterolier dont il eut entre autres:
Richard Goz, qui resta toujours fidèle au duc Guillaume et recouvra la faveur qu'avait perdue son père. Il épousa Emma de Conteville, fille de Harlette, mère du Bâtard. Il rentra dans les biens confisqués sur son père, et en acquit beaucoup d'autres situés dans l'Avranchin, d'où il prit le nom de Richard d'Avranches. Dans un acte de l'abbaye de Saint-Evroult, il figure sous le nom de Richard d'Avranches. Robert Wace le met dans son énumération des guerriers de la Conquête— d'Avrancin i fu Richarz.— On a contesté la vérité historique de ce vers du trouvère du xn* siècle3, et prétendu que Richard n'existait plus et que c'était son fils, Hugues-Ie-Loup, qui assista à la bataille d'Hastings, en 1066. Le plus sûr est d'en croire le poète; du moins Richard d'Avranches vivait encore huit ans plus tard, puisqu'en 1074 Richard Goz, vicomte d'Avranches, souscrivit une charte du duc Guillaume ', et les auteurs des Recherches sur le Domesday Book disent qu'il vivait même encore en 1082. C'était un homme prudent et sage, dit le trouvère Benoît de Sainte* More: |
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On a de cet évêque une charte dans laquelle on trouve des détails intéressans : « Comme la Maison-Dieu d'Avranches a été transférée du lieu où elle était moins utilement construite, sur les limites de la paroisse de Saint-Etienne-de-Ponts, comme elle est déjà réédifiée avec de grandes peines et des dépenses onéreuses.... Nous avons décrété que ledit Hôtel-Dieu aura un chapelain et un prêtre perpétuel, de peur que rien ne manque,—ne quiddesit.... Les dimanches et les autres fêtes de neuf leçons, nul paroissien de Ponts ne pourra y aller pour la messe et les autres offices.... Considérant qu'il est injuste et illégal d'améliorer sa condition avec le bien d'autrui —cum alieno suant ponditionem facere meliorem, — et de s'enrichir au détriment des autres, nous voulons que l'Hôtel-Dieu paie au scholastique d'Avranches — magistro scholarum — quarante sous tournois. » C'est à cette époque que se rapportent les pures ogives et les arcs élégansde la chapelle de cette maison, le specimen le plus considérable et le plus élégant qu'Avranches possède de l'architecture ogivale. Le travail primitif est la voûte et trois baies de la face du midi. Une de ces sveltes arcades a été décapitée, et forme une portelette carrée oblongue. Les trois fenêtres qui éclairent le coin du pentagone, ogives plates et nues, sont d'une époque rapprochée et sont contemporaines sans doute de cette lourde ogive de l'horloge, qui écrase les sveltes et frêles baies du xin" siècle. Or l'horloge ou — l'horologe — fut posée en 1730'. En 1731 fut construit le corps de la maison: l'entrepreneur devait « en mettre la clef à la main2. » En 1648, l'Hôtel-Dieu d'Avranches rendait 200 liv3. L'Hôpital est baigné par le ruisseau de Pivette qui se divise sous ses murs en Pivette et en Chantereine — Cantarana. — C'est sur ce ruisseau que sont les Moulins le Roy, ainsi désignés à cause des droits que le roi de France avait sur eux. Il est probable que leurs prés —prata Regis — sont désignés dans le Grand-Rôle de l'Echiquier pour l'année 1180, en même temps que la Châtaigneraie d'Avranches, très-souvent citée. « Fulch. Paienel hab. Castaneariam et prata Reg. et feriam Stï Andreœ. « Dans l'Aveu des biens de l'Évêché, présenté à François Ier par Rob. Cenalis, en 15504, l'évêque devait au roi par chacun an un épervier blanc pour les moulins nommés les Moulins-le-Roy, situés joignant les faubourgs d'Avranches et de Ponts. Sur le même cours d'eau est le lieu appelé Bouillant, sans doute du bouillonnement des eaux qui bondissent et murmurent dans cette profonde et rocailleuse vallée. Il est désigné dans le Livre Vert — vicum per quetn ùw apud Boilant '. —On trouve souvent en ce lieu des débris, particulièrement de larges dalles, qui ont fait croire à l'existence d'un édicule antique, d'un sacellum suburbanum. En outre, de vieux titres appellent rue de la Déesse , le tertre de la Cour du Paradis qui conduit à Bouillant. D'un autre côté , quand on considère que la croix pittoresquement plantée sur un bloc brut de granit s'appelle la Croix-Sainte-Anne , qu'un des doués voisins-s'appelle le Doué-Sainte-Anne, on peut croire qu'il y avait là une chapelle consacrée à cette sainte , dont la fête est la principale de la paroisse voisine, Saint-Sénier.
L'analyse architecturale du dernier monument religieux d'Avranches nous suggère une réflexion , c'est que, quoique pauvre sous le rapport monumental, Avranchespossède des specimens de tous les styles, excepté de la Renaissance. Le portail de Bouillé représente l'époque romane , la chapelle de l'Hôpital le pur gothique, le vestibule du tribunal le xive siècle, le bascôté méridional de Saint-Saturnin l'époque flamboyante, son portail le style Jésuite, le cloître de la Caserne le cintre de la finduxvir siècle. Deux pilastres de son musée pourraient représenter la Renaissance, si, aux portes de la ville, l'église de Pouts n'offrait un specimen de cette époque.
Le petit cimetière de l'Hôpital renferme une illustre dépouille. Lescure, tué à Fougères, dans la marche des Vendéens sur Granville, fut jeté dans la voiture de sa femme alors enceinte : les entrailles furent inhumées à Fougères, et le corps, enveloppé dans des peaux de mouton, arriva à Avranches dans ce terrible tête-à-tête. Ce fut là , au bord d'une grande route, qu'il fut enterré. M1"° de Lescure, depuis Mmc de La Rochejacquelin, raconte le fait dans ses Mémoires: « M. .lagault tomba malade à Avranches ; on profita de cette circonstance pour ensevelir le cercueil C'est encore pour moi un sujet de regret de ne pas savoir où furent déposés ses restes. » Un historien des guerres de la Vendée dit : « Le cercueil qui contenait les restes de Lescure fut enterré secrètement dans l'ombre de la nuit sur une grande route près d'Avranches'. » La détermination du lieu de cette sépulture enlève aux vers et à la note de Victor Hugo, sinon leur vérité poétique, du moins leur vérité historique:
Ceux-là promèneront des os sans sépulture Et cacheront leurs morts sous une terre obscure Pour les dérober aux vivans. »
« La noble veuve de M. de Lescure emporta dans sa voiture le corps de son mari, et on l'enterra dans un coin de terre ignoré. »
Il y a à Malloué deux anciens fiefs appelés le Noyer et le Motet. Orderic Vital raconte une histoire très-dramatique, relative à un trait de mauvaise foi, dont le héros est appelé seigneur du Noyer ; comme l'histoire n'a rien de précis et que ce nom est commun, il n'est pas possible d'affirmer qu'il s'agitdu seigneur du fief situé à Malloué. Le Motet, dont le nom est si féodal, avec la terre de Belle-Étoile, donne son nom à une famille du pays. Ces deux fiefs offrent des habitations tellement semblables qu'elles annoncent le même propriétaire. Un pavillon composé d'un perron , d'un portique et d'une logette, est appliqué sur la façade de l'habitation. Le portique d'un aspect original et élégant, se compose de deux jolies colonnes qui portent un linteau appuyé au mur sur deux culs-de-lampe3.
Le second faubourg est le Pont-Gilbert sur la Sée.
Le doux fleure de Sée , à la grand barbe humide , Qui baigne desbordé, de son verre liquide, Où fullastrent nageant cent troupeaux escaillei, Des vallons Avranchois les tapis esmaillex 1.
L'ancien pont de ce village , à la tête duquel s'élevait un édifice appelé le Pavillon, trois fois plus long que le pont actuel , se composait de deux ponts en bois reposant sur un îlot artificiel. Une partie a été noyée dans les remblais faits pour la chaussée du pont actuel. Celui-ci fut construit en 1788 par Lefebvre: l'évêque M. de Belbeuf en avait posé la première pierre. Ses trois arches surbaissées, ses piles rondes, le tore de son tablier, en font quelque chose de simple et de monumental. Il est indiqué dans un ouvrage important des Ponts-etchaussées avec les notules suivantes : Pierre, surbaissé, trois arches de 9,7, largeur du pont 9,7 , total des ouv. 29,2, surface du débouché 76, Lefebvre 17882. Le nom de Gilbert est essentiellement septentrional et normand, car il y a dans le Domesday Book dix tenants en chef du nom de Gislebertus; mais on peut préciser le fondateur du Pont-Gilbert: c'est un des ancêtres des comtes de Chester, Gislebert, seigneur de Marcey, frère de Richard, vicomte d'Avranches. Stapleton le dit assez positivement: « Mention of the land of Gislebert, frater vicecomitis (Richard d'Avranches), occurs in the recital of the possessions of the abbey of Saint-Sever; and the bridge over the Sée below Avranches is said to have had from him the epithete Pons Gislebertus, he being lord of the adjacent parish of Marcey3. » Ce seigneur se noya, l'an 1170 > probablement à l'endroit où fut jeté le pont. Robert Cenalis dit aussi que ce fut lui qui lui donna son nom
Il y avait encore quelque temps avant la Révolution , à Pont-Gilbert, dans les prés du Coudray, une chapelle dite de N.-D.-du-Coudray, appartenant à la famille Carbonnel, de Marcey, et, selon quelques-uns, à une abbaye , avec un chapelain spécial. Elle était fréquentée par les habitansdu village et par les sauniers, car là était le principal bureau de la gabelle dans le temps du Quart-Bouillon. Le seul souvenir matériel de cette chapelle est une statuette de Saint-Hubert'. Il est trèsprobable que c'est la chapelle du Coudray qui en 1698 fut désignée dans la statistique de M. Foucault sous le nom de chapelle de Marcey, avec une taxe de 1200 livres2. Ainsi Avranches avait une chapelle au pied de chacun de ses tertres. Un auteur anglais peint assez heureusement la position de Pont-Gilbert sous Avranches: « Le petit village apparaît pittoresquement situé à la base de la montagne sur laquelle se dresse la ville, comme la dépendance modeste et retirée d'un puissant voisin, qui, pouvant la regarder comme au-dessous de lui, la prend sous sa protection3. » A un autre point de vue, avec autant de vérité, une autre plume anglaise a pu écrire: « le sale, sablonneux et hideux village de PontGilbert. »
Il y avait près du Pont-Gilbert, sur la grève de Sauguière, le mardi gras, un divertissement dont on parle encore, et que relate un historien: il s'appelait la Crosserie. « Pour cet effet, dit Richard Seguin, l'évêque, les chanoines et les autres du bas-chœur s'armaient de chacun un bâton ayant une masse au bout, comme au jeu du Mail. Us se rendaient sur la grève de la Saudière, auprès du Pont-Gilbert. Là on formait une partie de joueurs, divisés en deux bandes, et à une certaine distance de chaque côté on plaçait deux pierres, par lesquelles celui qui était assez adroit pour faire passer le jax ou boule de bois, avec la massue, gagnait la partie. Le signal pour commencer le jeu était donné par le son de la grosse cloche de la cathédrale. Alors l'évêque donnait le premier coup de crosse; les chanoines continuaient la partie jusqu'à ce que quelqu'un l'eût gagnée. Ils cédaient ensuite la place au bas-chœur, qui se divertissait à son tour, et tout le monde à la suite. Quand il était tem de Cuir les jeux, on sonnait la grosse cloche, et chacun rentrait à la ville '. »
Sur la falaise ou la hague qui surplombe au bord de cette grève, est une habitation dont l'origine est racontée par nos historiens locaux, brièvement par M. Cousin, avec étendue par M. de Bréménil, dont nous abrégeons le récit. Elle fut bâtie sous l'épiscopat de M. de Tessé, par G. Caillot, sieur de la Besnardière, chanoine et archidiacre de Mortain, qui eut beaucoup d'empire sur l'esprit de l'évêque. « Il fit bâtir en 1680, la maison de la Biqueterie; ce lieu était autrefois un petit coteau que l'on appelait la Vallée-ès-Mesjouan. Par ses soins, ce sol ingrat et stérile devint un séjour extrêmement agréable : des jardins charmans s'élevèrent en amphithéâtre, des bassins furent creusés, de belles plantations sortirent du sein de la terre inculte et sauvage, et des murs considérables environnèrent cette jolie habitation. Caillot de la Besnardière y fit également construire une chapelle dédiée à Saint-Guillaume , son patron. M. de Tessé voulut qu'on nommât ce séjour Biqueterie, du nom de bique ou de biquet (petite chèvre), vu que dans le Maine, dont était originaire la famille de Tessé, on appelle ainsi les petites habitations de campagne. Celle-ci était si agréable, la vue en était si magnifique, l'ameublement si commode et si élégant que tous les étrangers de distinction et les intendans y logeaient de préférence, lorsqu'ils venaient à Avranches". » |
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