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« En l'an 1562 fut traîtreusement livrée aux Huguenots la ville d'Avranches, et ce par le sieur de Fligny qui, de par le chapitre, avait la Fausse-Porte en garde. Deux fauconneaux y passèrent à l'aube lesdits calvinistes, puis firent à leurs plaisirs, tuant, navrant et prenant à rançon qui ne s'en put fuir, ruinèrent et spolièrent les églises de leurs trésors et ornemens, etc. » Non loin de cette poterne s'élevaient, sur le rempart même, quelques constructions dépendantes du Doyenné. En 1269, le roi de France permit aux chanoines d'étendre leur maison jusqu'aux remparts et même de bâtir sur les murs—super dictos tnwos œdificare ; — mais de telle sorte que ces constructions renforçassent la défense —ità tamen quàd fortalicia non deteriorentur, sed potiùs augmententu. — Le Doyenné actuel, outre sa partie souterraine et romane , sa belle cave à quatre travées, qui formerait dignement la crypte d'une cathédrale, outre sa cotière du nord avec ses contreforts romans, offre un corps de logis élevé en 1764 par le doyen Charles de Contrisson '. C'est là que descendit — capitulum nos recepi — l'archevêque de Rouen , en 1250 , lorsqu'il visitait les églises et les monastères de la Basse-Normandie. Là avait été réunie une riche bibliothèque dont la fondation était due à Thomas Goelin |
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— ego Thomas Goelin, ihesaurarius Abr., in perpetuum concessi kO sol. tur. in ecclesiâ Abr. pro faciendâ quâdam bibiiothecâ decano et capitido Abr. — Elle fut enrichie par le doyen Gabriel Arthur qui donna 150 liv. de rente au bibliothécaire, et là vécurent, comme dans un noviciat pour s'élever aux prélatures , des hommes illustres auxquels le Gallia Christiana a consacré quelques colonnes3.
Arrivé à cet endroit des remparts, l'archéologue peut dire avec un observateur anglais : — He walks on a little further, and sees the site of thecathedrale.... And looking around perceives not one stone upon another to mark the position of a building whose tall spire towered towards the heavens , and he thinks of the perishable nature of earthly things'. —Il monte encore un peu, il voit le site de la cathédrale, et regardant autour de lui il ne voit pas pierre sur pierre pour marquer la position d'un édifice dont les hautes tours pyramidaient vers le ciel, et il pense à la nature périssable des choses terrestres.
La basilique d'Avranches, posée sur un des plus beaux piédestaux que Dieu ait préparés aux monumens des hommes, s'éleva dans cette fervente époque d'édification5 qui suivit la conquête. Commencée vers 1090, elle fut consacrée le 15 octobre 1122, sous le pontificat de Turgis, vers le temps où l'abbé Mainard érigeait au Mont Saint-Michel la Salle des Chevaliers. Le prélat qui l'avait bâtie, surtout avec les largesses de Hugues-le-Loup, comte de Chester—liquens Hue,— qui avait crié le Diex li volt dans son enceinte , reposa sous ses dalles, dans la chapelle deN.-D. Construite à cette époque où le roman meurt et le gothique naît, elle offrait le mélange des deux styles. Le roman se montrait dans sa façade occidentale et dans son porche septentrional : le gothique primitif était représenté par la nef et les collatéraux. Le style prismatique flamboyait dans les bas-côtés. Ainsi les trois grands styles du Moyen-Age se dessinaient dans cet édifice de granit, d'ailleurs simple et sévère.
Au-dessus de l'édifice, au-dessus de toutes les pointes voisines , s'élevaient trois tours carrées, généralement romanes, à peu près semblables , les deux tours du portail et le campanille du chevet Au-dessous, le corps du vaisseau, dominé par la carène de la nef, s'abaissait par étages, le long des pentes de ses arcs-boutans et de ses contreforts, jusqu'à la balustrade brodée de ses nefs latérales. La tour du campanille, orientée par les angles, s'effilait en une flèche aiguë et déliée, qui existait encore au xvir siècle, et qui fut grossièrement remplacée au siècle suivant par un dôme, moùèle de celui de SaintGervais et de tous les dômes récens de nos églises rurales. Les deux tours jumelles, hautes de 150 pieds, généralement lourdes et opaques, étaient percées de baies irrégulières, la plupart postiches ou bouchées. Elles étaient encore debout en 1810: elles avaient servi aux triangulations de Cassini et portaient un des télégraphes de la ligne de Paris à Brest '.
La façade occidentale, posée au bord d'une pente abrupte, regardait vers le Mont Saint-Michel et était masquée, dans son portail, par le mur crénelé du rempart qui s'enfonçait dans les racines de la montagne, où se projetait une petite enceinte avancée. Deux demi-tours, couronnées d'un bouquet d'arbres, et des contreforts défendaient ses angles et soutenaient son talus. L'antique cathédrale, sillonnée de cicatrices, était placée à l'avant-poste dn péril. Le portail ouvrait sur le petit cimetière des chanoines. Cinq zones d'ouvertures, répondant aux cinq bandes horizontales de l'intérieur , découpaient la façade et jetaient quelque clarté dans le vaisseau qui n'avait que celte lumière modérée et crépusculaire , recherchée par les artistes du Moyen-Age , pour l'asile de la méditation et de la prière. Le portail était une baie romane peu élancée. Audessus , à la hauteur de l'orgue, à la place ordinaire de la rosace , une fenêtre gothique s'enfonçait sous quatre archivoltes. Au-dessus encore, trois fenêtres romanes élancées et ornées, présage de l'ogive, formaient l'ornement le plus artistique de cette façade : elles portaient trois fenêtres du même style , mais postiches. Une lucarne cintrée pénétrait le gable dont la pointe portait un chien, symbole de la vigilance et de la foi. Des vitraux peints nuançaient la lumière mélancolique du couchant. Quelques pauvres maisons s'étaient collées, comme partout ailleurs, dans les angles rentrants de l'édifice, semblables à d'immondes excroissances sur un bel arbre.
La première zone de la nef, assez élancée, était formée de colonnes cylindriques, aux quatre faces desquelles étaient appliquées des colonnettes , et qui portaient un arceau ogival équilatéral. C'était la colonne romane-gothique. Les trois autres zones étaient opaques et cintrées; la bande supérieure ogivale, peu ornée, versait la lumière à la naissance de la voûte. Le chœur qui, dans l'origine, occupait dix travées, en empiétant jusqu'au milieu de la nef, avait détruit le symbolisme sacramentel des églises. Une grille de fer, précédée d'un perron arrondi, flanqué de deux autels rocaille, établissait la division : elle était précédemment établie par un jubé orné de statues, construit au xve siècle par Louis de Bourbon, et détruit en 1729'. Une grille fermait aussi les entre-colonnemens de l'abside, et un mur lourd et épais, les côtés du chœur. Les voûtes et les nervures avaient de l'élégance et de la légèreté. La longueur de l'édifice était de 250 pieds ; mais la largeur n'y répondait pas et les transepts ne se projetaient pas sensiblement. Au-dehors, les bas-côtés n'offraient pas de différence remarquable avec la nef; mais les chapelles latérales fleurissaient et égayaient les flancs de
cet édifice sévère, de leurs nervures prismatiques et de leurs fenêtres à quatre lancettes épanouies en une riche traccrie '. C'était l'épanouissement gracieux, mais sobre encore , du flamboyant du XVe siècle. Au chevet, quelques clochetons fleuris contrastaient avec les obélisques nus et mornes des contreforts supérieurs. Une balustrade de quatre-feuilles fleuronnait les frontons et les niches ouvragées de ces chapelles.
L'entrée la plus fréquentée était le portail en ogive romane tourné vers le nord, devant lequel se trouvait la pierre ciselée d'un calice, où Henri il fit amende honorable devant les légats du pape, pour le meurtre de Thomas Becket. Une lourde sacristie assombrissait cette ligne gracieuse. La face méridionale seule montrait une saillie du transept. Deux tours appliquées, servaient de chapelles du côté du sud, et dans leur physionomie militaire associaient le style de la cathédrale à celui des remparts.
Quelques fautes contre le symbolisme de l'art chrétien altéraient le sens et l'harmonie de cet édifice. Le peu de saillie des transepts dissimulait à l'extérieur la disposition cruciforme, et leur position centrale dessinait plutôt le plan de la croix grecque que celui de la croix latine. On n'y retrouvait pas les douze chapelles, symbole des douze apôtres , resserrées entre les transepts et la chapelle de l'abside. La troisième tour n'était pas posée sur la croisée, pour former l'image harmonique de la Trinité.
Pénétrons maintenant par la pensée dans cette basilique disparue, et après l'avoir réédifiée, rétablissons ses dispositions intérieures, à peu près telles qu'elles étaient avant la Révolution (1784). |
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Nous passons sous les voussures du portail roman et nous sommes sous cet orgue , acquis au XV siècle par l'évêque Martin Pinard — ad musica organa comparanda largitionemfecit '.—Il élance ses tuyaux, du fond de sa boiserie sculptée, jusqu'à la tracerie de la grande fenêtre ogivale, enrichie de vitraux peints. Les républicains de Cefère feront boire leurs chevaux dans ce bénitier, comme le fit Montgommery2, et dans leur ivresse joueront de la trompette avec ces tuyaux religieux. Laissons à gauche, au pied de la tour du nord, la sépulture de l'évêque Maugis —sedeat fundamine turris — dit Rob. Cenalis3. Passons sur les reliefs de ces tombes dans le collatéral de droite. Nous sommes devant la chapelle SainteBarbe , avec sa sainte en marbre blanc4 : le soleil du midi rayonne dans ses riches vitraux que portent les quatre lancettes de sa fenêtre.
Voici la chapelle de Saint-Sénier, un des premiers évêques de cette église, qui cathedra dans ce même lieu, mais dans un modeste oratoire : —Rothomagi tua molliter ossa quiescan*. —Là fut sa châsse , dont les Calvinistes dispersèrent, en 1562,lesossemens. Voici la chapelle de Sainte-Maure , et au dessus, celle de Saint-Michel, l'archange à qui sont consacrés les sommets de la terre , et dont la merveilleuse montagne se dresse en face de cette cathédrale dans un lointain admirable. |
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Nous sommes arrivés au transept dont le pignon est pénétré de deux fenêtres flamboyantes comme toute la ligne méridionale, et dont le gable est percé d'une baie fleurie et armoriée. Là est la chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, enrichie de beaux vitraux, au commencement du xvr siècle, par l'évêque Louis Hebert qui fut enterré sous ses dalles. Mais au-delà, les chapelles latérales s'interrompent : elles recommencent à la hauteur du maître-autel; ce sont des chapelles rondes et sombres qui tiennent de l'oratoire et de la tour militaire, les chapelles de Saint-Luc et de Saint-Jean. Dans cet angle s'ouvre la porte particulière de Monseigneur. Cette grande chapelle pentagone avec ses troisfenêtres flamboyantes, ses quatre clochetons fleuris, et ses robustes contreforts, c'est la chapelle de la Vierge. Cette madone aux formes classiques et payennes ne ressemble guère à la vierge svelle et mystique du Moyen-Age , et s'harmonise peu avec ces arêtes prismatiques, ces maigres nervures, et ces pendentifs'. Sous cette, pure ogive pratiquée dans la côtière méridionale reposait l'évoque Richard Laine, mort en 1269. Sur sa dalle en marbre noir, incrustée d'argent, était gravée l'effigie d'un évêque en habit pontifical. En 1562 les Calvinistes pillèrent ce tombeau, et le chapitre le détruisit en 1778". Voici la tombe de Raoul de Theville, sur laquelle vous lisez cette inscription fastueuse : « En Rodolphus Thevillus, viator, Thevillanœ familiœ, undè tôt martes et soles. Sidus novum, verùm proh ! dolor, occiduum Lucebat, nuper non Abrincatinaipultus ad septentrionem — reposent les restes du fondateur de la cathédrale. Près du tombeau sculpté de Richard Laine —jiixtà anaglyphon monumentum Ricardi—repose Jean de la Mouche enterré en 1312, sur lequel Rob. Cenalis a fait ce jeu de mots: . Musca thymum arrodem et amano ttmptr adore Splrant, E/ysiis flores nunc carplt in Itortis.
Cette tombe en pierre de taille qui a huit pieds de longueur, érigée au milieu de la chapelle, renferme le corps, moins le cœur qui est à Savigny, du libéral évêque Louis de Bourbon*. Devant l'autel de cette chapelle repose l'évêque Michel de Pontorson, mort en 1312 — è regione altaris B. M.'—La base du campanille forme une chapelle sombre, bosselée à l'extérieur de deux tourelles appliquées : c'est la chapelle Saint-Georges, où repose Georges Péricard, inhumé en 1585 sous une table de cuivre ornée de son épitaphe. C'est la sépulture des Péricard. C'est là que reposent encore ses frères, l'évêque François Péricard, et cet Odoard qui fut tué sur la brèche ouverte par l'artillerie du duc de Montpensier. Ce pilier près de la sacristie renferme des cavités qui recélèrent des objets précieux, cachés à l'approche des Calvinistes, mais dont ils s'emparèrent dans leur dévastation de 1563. Cette sacristie, devant laquelle est le tombeau de Guillaume Burel, inhumé en 1191, est jeune comme tous les monumens de ce genre : elle forme un coin aigu , percé de mauvaises ogives sans chambranle; mais au-delà commence cette belle ligne travaillée à jour des chapelles du nord, sculptée de cinq niches fleuries, interrompue par le portail roman, dont la sévérité fait ressortir la richesse. D'abord, c'est la chapelle SaintAthanase, ensuite celle de Sainte-Marthe, celle des TroisMaries, où étaient enterrés les lieutenans-généraux du bailliage, et où reposa, en 1629, Poupinel, à qui, dit-on, les femmes d'Avranches crevèrent les yeux dans la révolte des Nu-Pieds. Voici encore la chapelle dédiée d'abord à saint Paul — pontificalis capella divi Pauli — et consacrée ensuite à sainte Pience, en 1267, par Raoul de Théville. Son successeur Geoffroy Laine l'enrichit des livres sacrés — sacris voluminibus usui ecclesiœ congruis3. Nous sommes arrivés au transept du nord, marqué seulement par le porche roman, aux formes lourdes et cryptiques, surmonté d'un toît plat sur lequel s'ouvrent deux petites rosaces qui éclairent ce transept. Au-delà la même architecture recommence : voici la cha pelle Saint-Louis, de ce grand roi qui aima spécialement Avranches '; voici la chapelle de Saint-Victor, celle de SainteCatherine, et celle de Saint-Sever, le patron d'une abbaye voisine, dont les religieux s'unirent aux chanoines de Saint-André par une charte empreinte d'une religieuse amitié2.
Entrons maintenant dans la nef. Ad milieu est la chaire, dont l'escalier tourne autour du cinquième pilier. Voici au-dessus des arcades les armes des Paynel—Paganelli vetusta insignia3.— Voici un ancien tableau qui représente la pénitence de Henri n ». Dans cette nef sont quatre autels, celui de Sainte-Suzanne et Sainte-Eutrope—innavi, antè capellam SanctiTheobaldi*,— et devant le Crucifix, — antè capellam Crucifixi, capellam Ê. Georgnmartyris". —Nousfranchissonscettegrille, làoùs'élevait ce beau jubé, orné de statues, construit au xve siècle par Louis de Bourbon : nous foulons un pavé fait par l'évêque Froulai de Tessé, avec l'amende de Montgommery-Chantelou , qui avait fait boire son cheval dans le bénitier du portail, pendant la procession du Saint-Sacrement7. Ces grilles qui ferment le chœur, ces vitres qui l'éclairent d'en haut, sont aussi l'œuvre du même prélat, et faites aussi avec cette amende de 2000 livres. A droite et à gauche sont les stalles sculptées : voici la chaire épiscopale. Tout ce chœur est pavé de lames' sépulcrales. Devant le grand autel, à gauche, voici celle de G. de Sainte-Mère-Église, et celle de G. Tholom8: devant la chaire épiscopale—èregione pontificalis cathedrœ9— est celle de Martin Pinard, inhumé en 1452; à sa gauche, cette pierre blanche — sub tumulo 'apidis albV—est celle du confesseur de Louis xi, Jean Boui Voir ses chartes au Livre Vert. —a Livre Vert. — 3 Rob. Cenalis, de re Coll., liv. a , perioch. 5. — 4 Mss. de M. de Bréménil : « Il existait encore en 1790, dans la cathédrale d'Avranches, un tableau très-ancien que j'ai vu, et où ce prince était représenté recevant la fustigation des mains des légats. » Ce fait est faux historiquement. — 5 Livre Vert, p. 3o3. —6 Livre Vert, p. aoo. — 7 Mss. de M. de Bréménil. — 8 Nicolle.— 9 Rob.Cenalis, Hierarch. —10 Gatl. Christ. cart, inhumé en 1483; la plaque en cuivre, d'Augustin Le Cirier, mort en 1580, est devant le maître autel, ainsi que celle de Charles Vialart. Nous sommes enfin arrivés au grand autel, celui de Saint-André, construit en marbre de diverses couleurs ': voici de brillans reliquaires; mais le plus beau est cette boîte d'or qui renferme des os de saint André, avec cette inscription : Franc, rex. Lud. xi dedit hoc reliquiare 14732. La lampe perpétuelle qui brûle devant le grand autel, est un don de Guillaume de Saint-Jean *, et dans les grandes fêtes, vingt-huit cierges, dus au même don, illuminent le chœur *. Sous ce pavé est « honorablement sepulturé feu de noble mémoire messire Paul Tesson, de son vivant chevalier et seigneur du Grippon *. » Sur les stalles de ce chœur, le 27 septembre 1179, siégèrent en concile les prélats de la Normandie , présidés par les légats Albert et Théodine, à l'occasion de l'interdit jeté sur l'Angleterre et la Normandie, pour le meurtre de Thomas Becket. Le roi Henri n , louchant les évangiles, jura qu'il n'avait ni commandé ni désiré la mort de l'archevêque, qu'en l'apprenant il avait été plus affligé que s'il eût appris celle de son propre fils s; mais qu'il ne pouvait nier que la colère qu'il avait conçue contre le saint homme, n'eût été la cause du meurtre. Ensuite les légats le firent conduire hors de la cathédrale, et le monarque à genoux reçut l'absolution 7. L'an 1567, ce chœur fut pollué par le meurtre d'un sergent, et fut réconcilié par l'évêque de Rennes 8. Sur ces stalles siégeaient auprès de l'évêque, le doyen, le chantre, le trésorier, les deux archidiacres , le scolastique, ingt prébendiers, les six vicaires du grand autel.
Un jour, en 1790, un horrible craquement apprit aux habitans d'Avranches que le plus bel édifice de leur cité venait de s'écrouler. Deux piliers démolis pour faire une entrée au clergé constitutionnel, avaient laissé la voûte du chœur comme suspendue : une partie du toit s'affaissa dans ce vide. Tout n'était pas encore perdu, mais la Révolution développa de plus en plus sa réaction contre le passé et ses symboles: le plomb de la toiture fut enlevé pour faire des balles, la ruine continua. Les deux tours occidentales restèrent encore debout sur ces ruines. Un télégraphe, planté sur leur sommet, prolongea leur existence sans doute, car elles tombèrent quand il fut transporté sur le donjon. Maintenant la place est vide, « et les enfans y passent en sifflant comme sur les villes maudites par les prophètes '. » |
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Un nom celtique, des monnaies gauloises trouvées au Promenoir et au Bourg -l'Evêque, et de fortes inductions topographiques voilà les raisons qui établissent à Avrauches une ville celtique. La table Théodosienne, mille vestiges romains, monnaies, briques, mosaïques, stratifications de chaux et d'écailles d'huîtres, voilà les preuves de la cité romaine. Ajoutons encore à ces autorités la Notice des dignités de l'Empire, qui place — Abrincatenis — le Prœfectus Dalmatarum militum''.
Quant à la cité du Moyen-Age , elle est encore debout devant nous. Il faut interroger ses restes et ses annales. Esquissons d'abord son histoire militaire comme introduction à l'étude de ses monumens.
M. Cousin 8 affirme, mais sans preuves, qu'en 460 , Childéric fit bâtir une espèce de château à Avranches et y mit un capitaine. D'autres historiens attribuent sa restauration à Charlemagne. Il envoya comme missi Dominici, en 771, selon Duchesne, en 802 , scion Baluze, Magenard, archevêque de Rouen, et Madelgaud pour surveiller l'administration de l'Avranchin. Louis-le- Débonnaire envoya dans le même but l'abbé Thierry, Theodericus abbas. |
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Des historiens disent que Rollon , distribuant sa conquête à ses chefs, donna Avrancb.es à Ansfroi-le-Dane , avec le titre de vicomte. Assurément alors on y bâtit un château. Au x' siècle, le moine Aymon, parlant des opulentes villes de France, disait: « Ex his prœcipuœ œvoque nostro plus cognitcc, Lugdunwn, Abrincatuœ2. » Au commencement du xr siècle, selon toute probabilité , les baudes d'Alain , duc de Bretagne, vinrent se heurter contre la forteresse d'Avranches. — En Avreincin s'embasti *. —Guillaume-le-Bâtard séjourna dans son château, dans ses expéditions contre la Bretagne ; quelques-uns y mettent même le serment d'Harold *. Dans ce même siècle, Lanfranc professa à Avranches, au milieu d'un concours prodigieux d'auditeurs. Après la conquête, Hugues-le-Loup, comte de Cbester, riche des dépouilles des Gallois, occupa le château avec une cour brillante. Ce prince y reçut le duc Henri, qui guerroyait contre son frère Robert : « Li quens Hues le hébergea à Avrenches ù il torna. » En 1141, Geoffroy Plantagenet marcha sur cette place dont les habitans , impuissans à résister, offrirent leur soumission que le prince reçut au château. En 1157, Henri n arriva dans cette place où il rassembla une armée destinée à marcher contre Conan, duc de Bretagne, et y vit arriver ce prince qui venait offrir son hommage. Une alliance y réunit Henri, roi d'Angleterre, et Louis vu, roi de France. A la fin de ce siècle, Guy de Thouars, à la tête des Bretons, ravagea et démantela cette place forte. Dans le xrv, pendant l'invasion de la Normandie par Edouard m, conduit par le traître Geoffroy d'Harcourt, le 21 juillet 1346, le roi anglais envoya Renaud de Gobehen, qui brûla les faubourgs d'ATranches. En 1236 , Saint-Louis fortifia la ville de hautes murailles , do fossés et de fausses-braies a, et y bâtit un château. Dans le même siècle , en 1354, Avranches, qui était au roi de Navarre, soutint un siège contre les troupes du roi de France, qui furent forcées de se retirer. En 1418, l'armée anglaise se présenta devant cette place, et son gouverneur, G. Gautier, capitula. W. Pôle, le site de Suffolk, en fut gouverneur. Pendant l'occupation anglaise beaucoup d'engagemens curent lieu sous ses remparts. En 1439 , le comte de Richement, connétable , assiégea la garnison anglaise; Talbot fit lever le siège, et prit les bagages et l'artillerie du connétable. En 1450 , après la bataille de Formigny, Richemont arriva devant Avranches: après trois semaines de siège, le capitaine Lampet capitula e, et ses cinq cents hommes sortirent sans autre chose qu'un bâton blanc à la main. Dans la Ligue du bien public, Avranches prit parti contre Louis XI, et ouvrit ses portes au duc de Bourbon, un des chefs de la Ligne (1464); Louis xi la reprit en 1466; l'année suivante le duc de Berry , aidé des Bretons, la reprit encore T, et à la dissolution de la Ligue, Avranches revint a la couronne. Vinrent les guerres de religion. Le 8 mars 1562, les protestans pénètrent par trahison dans la ville par la poterne de l'ouest8. Avranches tenait pour la Ligue, le duc de Montpensier vint la foudroyer de son artillerie, et, après deux mois de siège, la ville ouvrit ses portes. La guerre des NuPieds, l'enlèvement de la rille par les troupes de Gassion est le dernier événement militaire important dont Avranches ait été le théâtre, et termine cette esquisse rapide, mais nécessaire.
Tels sont les événement: étudions-en le théâtre. Interrogeons chaque pièce de cette armure, aujourd'hui déchirée, que la belliqueuse Avranches opposa pendant tant de siècles à tant d'ennemis.
La place Baudange était une esplanade qui s'étendait devant la porte de ce nom : — portant auœ vocatur etiam nunc Baudenge. Des étaux, des barrières, une fontaine, un pilori étaient jetés dans cet espace vide , bordé de maisonnettes. Le jardin de l'Évêché ouvrait une de ses portes sur cette place, et l'autre sur la rue Sauguière. Comme le côté du sud était l'isthme par où la place était le plus abordable, il était aussi le plus fortifié. La porte Baudange était un travail avancé, un boulevard (le nom est resté), qui se composait d'une porte extérieure à la tête d'un pont de trois arches, appelé Pont-dela-Vierge, d'une seconde porte, d'une enceinte, espace appelé aujourd'hui Entre-les-Portes, et de deux tours, belles de force et d'effet pittoresque. Une des tours a été démolie, l'autre a été conservée par l'administration et la société d'Archéologie.
Des deux côtés de cette porte régnaient des fossés, et se révélait le système de défense de cette place, très-bien appelée au xvir siècle « bien close, bien murée, retranchée de fossés profonds. » Un rempart à créneaux, mâchicoulis, arbalétrières, au pied un chemin couvert, appelé Fausses-Braies, un mur de soutènement ou parvis intérieur, un fossé d'environ douze mètres, un second mur de soutènement, un glacis formé par le rejet des terres du fossé , image du vallum rouiaiu: telles étaient les pièces de la défense a vue-d'œil. Ce glacis recevait eu temps de guerre des palissades, des chevaux de frise. A une époque plus rapprochée et plus pacifique , ce glacis fut planté d'ormes du côté du sud , et appelé le Promenoir. Mais le Promenoir actuel est en grande partie le nivellement de tous les ouvrages extérieurs.( C'est à ces arbres que furent pendus ceux des Nu-Pieds que le général Gassion prit les armes à la main. Le pilori était auprès de cette promenade, et la guillotine y fut en permanence.
Un mur antique en arêtes de poisson (opus spicatum), reste de l'enceinte primitive ou normande, réunit la tour méridionale de cette porte à une tour plus jeune que j'appellerai Tour-de-1'Arsenal2. Ce côté est remarquable en ce qu'il a conservé les fausses-braies. Au-dessous de cette tour, comme au-dessous des suivantes que j'appellerai Tour-du-Promenoir et Tonr-de-la Geôle, se trouve, par une projection correspondante , une tour basse qui fait partie des fausses-braies. Entre ces deux tours est le Donjon , de forme carrée , bâti généralement en opus spicatum, point culminant des fortifications et cœur de la défense, que signale maintenant le pyramidion du télégraphe. Dans cette résidence des vicomtes et des gouverneurs d'Avranches, on remarque des cintres en briques et une très-belle voûte incomplète, dont les pierres ressemblent à des stalactites. C'était autrefois une salle d'armes, qu'un écrivain qui l'avait vue entière appelle immense. C'est un travail roman, probablement du XIeme siècle. Ce qu'il a pu y avoir d'artistique dans ces constructions guerrières a disparu; d'élégantes meurtrières à une ou deux visées, des gargouilles, des fûts de colonnes trapues et massives, une fenestrclle ogivale, sont les seuls objets marqués d'un caractère d'art qui existent encore. Assurément c'est une curieuse chose qu'une promenade a travers ce chaos de constructions gigantesques— insanœ substructione», — dans lesquelles se confondent toutes les formes et toutes les lignes, et dans lesquelles les hommes de nos jours se creusent des demeures , comme les fourmis dans le tronc d'un chêne.
La porte de Ponts était la seconde entrée. Deux belles tours, dont l'une, appelée Barbacane, a été détruite vers 1810, et dont l'autre existe encore, flanquaient une porte étroite ogivale , sur laquelle étaient les armes d'Avranches, qui sont d'azur, au château d'argent, surmonté d'un dauphin d'argent passant (autrefois accompagné de trois fleurs de lys), et le château cotoyé de deux croissans adossés. La petite esplanade, qui s'étend à droite de cette porte , et d'où le spectacle est si beau , était autrefois plantée d'ormeaux, et s'appelait le Petit-Promenoir. Ils furent abattus comme ceux du grand en 1757 et 58. Près de la porte de Ponts, dans la rue de Geôle, était la prison signalée par sa triple baie, dont les ogives plates retombent sur des colonnes romanes, et non loin, cette vieille rue Engibault — in viâ qttœ dicitur Engibote,—où la tradition populaire met un couvent de Templiers. |
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Avranchin monumental et historique Par Édouard Le Héricher
Cette commune est determine par des limites bien naturelles: elle est enveloppée par la Sée, par la riviere de Pivette et le ruisseau de Changeons, un bassin, une vallée, un vallon.
La Sée l’entoure de ses méandres à peu près en demi-cercle depuis le Bec des Plataines jusqu'à la Guignardière. La rivière de Pivette , formée par la réunion desruisseaux du Francfieu et du Pont-Gandouin, sert de limite à l'est, et se jette dans la Sée au-dessous de l'hôpital ; le ruisseau de Changeons, qui vient de St-Martin, la limite au sud. Avranchesest située sur un promontoire élevé, qui termine la chaîne séparative des bassins de la Sélune et de la Sée, et surplombe en pente abruptesur la vallée de la Sée.—Abrincas colle sitas interSevam Senunamque supino. — Ce plateau est scindé en deux parties, la ville d'une part et de l'autre le coteau d'Olbiche avec le Plaine de Changeons, par une vallée, très-profonde à son embouchure, la vallée de la Hague. Plusieurs routes ou sentiers grimpent sur les flancs de cette montagne: la grande route de Granville et Villedieu, appelée sous Avranches, Banquette, et coupée par le Pont-Corbet et le Pont-de-l'Embranchenient,la rue Sauguière |
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ou Saunière, le Petit-Tertre, le GrandTertre, le Tertre-aux-Chèvres, la rue Cour-de-Paradis, vicum per quem itur apud Bollant, le raidillon de la Vallée qui part de Pivette et aboutit à la Cour-de-Paradis, et les deux raidillons de Bouillant. André Duchesne décrit avec assez de vérité cette position |
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« Avranches l'une des pièces les plus occidentales de toute la Normandie sur un costeau qui respond sur la grand mer océane. »
François Desrues décrit longuement son site, comme un séjour connu et aimé:
« Avranches est située sur le sommet d'une montaigne, sur un rocher assez difficile à monter du costé de la mer. Estant sur les murailles de la ville, on descouvre du costé du Mont S. -Michel, plus de trois ou quatre lieues de terre blanche ou grève, sur laquelle la mer vient floter, jusques fort près du rocher, lorsquelle est en son plain flux, venant s'espendre sur une petite rivière nommée Sée , laquelle passe par le bourg de Ponts-sous-Avranches.
Du costé de septentrion l'on void le plat pals, couvert de bois de haute futaye, en plusieurs endroicts; et celui du Parc à deux lieues d'Avranches, appartenant au seigneur evesque de ce lieu où il y a aussi un fort beau chasteau basti par Louys de Bourbon quarante-uniesme evesque d'Avranches; lequel fit aussi bastir la maison épiscopale d'Avranches, laquelle est l'une des plus fortes et plus belles du royaume : mais ce magnifique monument fut tout ruiné par le dedans (ne demeurant que la superficie du logis) en l'an 1590, ce qui fut faict pour fortifier la ville, qui estoit assiégée, les faux-bourgs de laquelle furent aussi presque tous ruinez.
De dessus les murs d'Avranches l'on void le merveilleux rocher, sur lequel est située dans la mer l'église et monastère de Sainct-Michel, tant renommé par toute la France et honoré des catholiques, qui de loingtain païs y vont en voyage, n'estant distant d'Avranches qu'environ de trois lieues.
La figure d'Avranches est presque toute ronde en sa circonférence, bien close, murée , ayant des fossez profonds et larges, estant des plus fortes.
Les faux-bourgs sont plus grands que la ville, contenant trois églises parochiales, sçavoir N.-D. des Champs auprès de laquelle est le collége ( qui est un des meilleurs et plus fameux de Normandie), après est Sainct-Gervais et puis SainctSaturnin, etc. »
En 1657, Merrian copiait cette description à laquelle il ajoutait un trait:
« Versus aquilonem vùuntur proccrœ arbores. »
Papillon a laissé un curieux tableau d'Avranches au XVIIeme siècle. Depuis, beaucoup de plumes et de crayons ont consacré et popularisé la beauté des sites de cette ville. Les Anglais surtout en ont été de vifs admirateurs. Gally-Knight l'appelle une délicieuse position. M. Hairby a consacré un livre à peindre et décrire la ville et son voisinage. Miss Costello a traité notre pays avec une affection particulière dans son livre illustré. Les artistes locaux n'ont pas fait défaut, et des hauteurs analogues de Glascow, au bord de la Clyde, l'élégant voyageur Frédéric Mercey rappelait récemment la beauté de notre paysage.
Beaucoup d'hypothèses ont été essayées sur l'origine du nom d'Avranches. Bochart, l'hebraïsant, égaré par les préoccupations de ses études, trouvant en Palestine une ville du nom d'Abra, a supposé une émigration juive reconstruisant la ville natale sur la terre étrangère. Une telle hypothèse est gratuite, et n'est nullement légitimée par les origines de notre histoire. Robert Cenalis,qui ne reconnaît guère qu'une source étymologique, le latin, a dérivé le nom d'Avranches d'arbor, et, comme écrivain sinon comme évêque, emploie généralement l'expression de Arboricœ, Arboretanus, Arboricensis, parce que, selon lui, tout le pays n'était primitivement qu'une forêt:
« Arborici vocantur ab arborum frequentiâ. »
Il va même jusqu'à trouver le mot branches dans Avranches:
« Avranches à dictione galiieâ prodiit, quâ scilicet ramos ïdiomate vernaculo appellant branches, et indè prodiit latine deductum nomen Abrincensium, scu Arboricensium et Arboretanornm. »
Outre qu'il n'y avait rien de caratéristique pour notre localité à être couverte de bois, quand toute la France l'était, le mot arbor, d'origine latine et romane, est venu trop tard pour expliquer le nom d'une ville dont l'existence, comme cité gauloise, est prouvée, et généralement acceptée. D'autres on dit qu'Abrincates, en celtique, signifie: qui désire le combat. Cette hypothèse est glorieuse, mais il est probable que le nom du peuple est dérivé du nom de la cité: en outre le mode d'appellation des Gaulois était généralement topographique et caractérisait bien moins les qualités morales des habitans que la situation du lieu et les accidens du sol. Daniel Huet a aussi donné son explication :
« Le mot Abrincatui, dit-il, me semble purement gaulois, formé du mot aber, d'où s'est fait celui de havre , que quelquesuns dérivent de l'Hébreu, passage, lieu de passage, et du mot cad, gath, guerre. Ainsi, Abrincatui signifierait des peuples situés près d'un port destiné à l'usage de la guerre. Genets me semble être ce port de mer. »
L'opinion du savant linguiste peut être combattue sur plusieurs points. D'abord son interprétation de port de guerre est inapplicable à Avranches. Les partisans de la forêt de Sciscy ne l'appliqueront pas non plus à Genets, où d'ailleurs n'ont été trouvés que des débris douteux ou insignifians. En second lieu, Daniel Huet est obligé de faire fléchir sa propre étymologie, port de guerre, appliqué à Avranches, pour arriver à dire qu'Abrincatui signifierait des peuples situés près d'un port de guerre. Enfin, les antiquaires placent généralement à Avranches Ingena, dont l'étymologie, belle vue, est bien plus justifiée par la nature que partout ailleurs dans le diocèse. Il reste une dernière étymologie, la plus admissible de toutes : elle est celtique, elle est topographique , elle convient parfaitement à la situation, et elle a pour elle l'autorité de M. de Gerville. Abrant ou Awant signifie en celtique Embouchure de rivière. On peut y ajouter cadou cath, guerre, et ces deux élémens conviendront au caractère moral et à la situation topographique.
Quoiqu'il en soit, le nom des Abrincatui est cité, pour la première fois, par Pline dans la 2° Lyonnaise, auprès de celui des Veneti, et ensuite dans Ptolémée , dont la phrase Jj-e/pI -rou TOrajjwu Tou Svixoava Aêpi-pcaTouoi, tov Toaiç Iyyva, soulève la question de la position d'Ingena. D'abord il y a lieu de rectifier , selon Adrien de Valois, la leçon de y,xoava, par la substitution du v au x; 2r)voocvoc indiquerait alors la Sélune ou Sénune. Ensuite il faut choisir, pour localiser Ingena, entre Genets , qui n'a d'autre titre qu'une ressemblance fortuite de nom sans vestiges romains, et Avranches , qui porte le nom du peuple, selon l'usage général, qui mérite bien mieux ce nom de Belle-Vue ou Ingena, et dont le sol a révélé quelques vestiges gaulois et beaucoup de vestiges romains. D'ailleurs c'est l'opinion générale, depuis Adrien de Valois jusqu'à M. de Gerville.
Quant à Legedia, sa localisation à Avranches est d'une vérité pour ainsi dire mathématique. La carte de Pcutinger indique, sur la voie de Coriallum à Condate, Legedia distante de Cosedia ou Coutances de 19 lieues gauloises, ou 9 Va de nos lieues (c'est la distance exacte de Coutances à Avranches), et distante de Condate de 48 lieues gauloises ou 24 de nos lieues, parcours d'une des directions actuelles entre ces deux villes. Pour mettre Legedia ailleurs qu'à Avranches, il faudrait trouver entre Cosedia et Condate une autre station qui remplît les conditions de distance : c'est ce qui n'est pas possible. Cette opinion a d'ailleurs en sa faveur d'imposantes autorités: le savant abbé Belley, M. de Caumont, M. de Gerville, qui incline à voir dans Ingena et Legedia le même nom défiguré par les copistes; le géographe Robert de Vaugondy identifie les deux villes, et écrit au même endroit Ingena et Legedia Abrincatuorum. Quanta la direction de la voie de Cosedia à Legedia, elle passait par un lieu dont le nom est essentiellement romain, le Repas, et par la Haye-Pesnel. Stapleton trace cette direction. |
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C'était du côté de l'Évêché qu'apparaissait toute la beauté monumentale d'Avranches. Les murs élevés , les contreforts élancés, les pyramides ouvragées des lucarnes, les flèches des tours et tourelles, les toits allongés, donnaient à la ville de ce côté un remarquable mouvement d'ascension , et la multitude serrée des édifices de toutes sortes charmait la vue par sa variété. Ce spectacle se divisait en trois scènes: la cathédrale , l'évêché , la ville.
La cathédrale, qui dominait tout de ses tours carrées,de la flèche de son campanille et des clochetons de ses bas-côtés , semblait portée sur une base revêtue de ce côté par le rempart. Ce rempart offrait une grosse demi-tour, à son angle tournant, vers le Bourg-l'Évêque, un contrefort carré, ensuite un gros contrefort saillant et carré, couronné d'une plateforme encorbellée sur des mâchicoulis, et enfin les contreforts plats des chapelles souterraines Saint-Jean-Baptiste et Saint-Éloi, et de la salle synodale', dont les ruines déchiquetaient le sommet du rempart, et rappelaient les ravages de l'artillerie du duc de Montpensier. Des fenêtres ogivales, des croisées et des lucarnes carrées pénétraient cette forte muraille. Au pied régnait toujours la petite enceinte avancée , avec son mur crénelé et percé d'arbalétrières, baigné par les eaux du fossé où nageaient les cygnes de l'évêque. |
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L'Évêché s'élançait hardiment du fond du fossé, fort et sévère, jusqu'à la ligne des remparts, et de là s'épanouissait en tourelles, en lucarnes ouvrées, en flèches aériennes. C'était l'œuvre élégante et riche du XV siècle, de Louis de Bourbon, implantée sur une base el des contreforts d'appareil roman. Quatre reliefs se dessinaient avec vigueur sur cette façade hardie: un contrefort terminé par une plateforme, deux contreforts creux , et une forte tour crénelée à l'angle du sud-est. Quelques croisées égayaient cette muraille guerrière; au-dessus tout était élancement, élégance et grâce. Quatre lucarnes à trois pignons fleuronnés, bosselées d'écussons au-dessus et au-dessous, deux tourelles suspendues aux angles, à la naissance de la toiture aiguë, deux cheminées élancées, et pardessus ce toit la girouette effilée du tourillon qui coiffait l'escalier de l'intérieur. Aujourd'hui presque plus rien de tout cela : l'édifice a été décapité; la grâce s'en est allée, la force hardie seule est restée. Un écusson fleurdelisé, mutilé, posesur le coin d'un contrefort, rappelle Louis de Bourbon , celui qui, en Iù90 , bâtit la mense épiscopale sur les ruines de l'ancienne. Un autre écusson gratté, au chevron, et h sept merlettes, rappelle Roger d'Aumont. Les douves de la ville furent creusées sur le terrain de l'évêque, que Saint-Louis indemnisa, eu 1236, par une rente de douze lires. Louis xiv les concéda à M. de Boislève pour en faire un étang. Ce fut l'artillerie royale qui découronna cet élégant édifice. Un dôme moscovite remplaça le tourillon élancé de l'escalier.
La base du manoir épiscopal, qui est le rempart luimême , avec son moyen appareil, atteste une origine antique et romane. En 1490, en même temps qu'il bâtissait sa villa du Parc , Louis de Bourbon éleva cette maison , si délicatement travaillée dans ses fenêtres et ses lucarnes, et dans laquelle il reçut Charles Yiil Depuis elle a subi bien des vicissitudes. Les Calvinistes mirent le feu à la salle capitulaire, qui fut consumée jusqu'aux murailles3. L'artillerie royale, du temps de la Ligue, écrasa la salle des synodes. M. de Missi éleva la partie saillante vers l'ouest , Roger d'Aumont la partie opposée; M. Godard de Belbeuf bSlit le grand portail à tête cintrée. Il y a deux choses à voir dans l'évêché, son bel escalier de granit, qui, à l'extérieur, a un air de tour orientale, et son joli vestibule du XIVeme siècle, la pièce la plus complète en gothique que possède Avranches. Du côté de l'est était la chapelle de l'Officialité, dite du Petit-Evcché, aec sa tour polygonale. Elle a une certaine célébrité comme ayant reçu les abjurations de plusieurs seigneurs protestans. En 1614 , Gédéou de Crux y fit son abjuration4. Il y avait aussi une chapelle intérieure, ornée dans le style du xvilT siècle. L'Évôché a perdu«a beauté monumentale et ses prélats: mais il a conservé le charme des souvenirs. Tant de grands hommes ont respiré, tant de choses ont été faites dans cet édifice, centre religieux du pays, phare lumineux des siècles passés1, que les images qui passent, et les souvenirs qui surgissent font oublier les restaurations et les mutilations. II y avait surtout là une cérémonie imposante qui rassemblait l'élite intellectuelle et morale du diocèse: c'étaient les Synodes dont nous essaierons l'esquisse.
On trouve dans les conciles de don Bessin, le recueil des Synodes de l'Évêché d'Avranches depuis celui de Robert Cenah's tenu en 1550. Les dispositions de ces synodes sont intéressantes sous bien des points de vue, mais surtout pour la situation morale du clergé. On y voit la liste des abbés et des prieurs qui étaient tenus d'y assister. Sous peine de cent sous d'amende, les prêtres devaient avoir une édition des synodes. Ils devaient venir au synode— cum modestiâ et grwitate,jejuni et rosi. — Robert Cenalis, l'ennemi des barbes et des cheveux, en prose et en vers, insiste beaucoup sur ce point2. Au premier coup de cloche , ils devaient comparaître devant leur doyen. Au second coup, ils devaient se rendre à l'église qui servait de de point de départ, N.-D.-dès-Champs ou Saint-Gervais. Les prêtres séculiers étaient vêtus de surplis, les diacres avaient des étoles par dessus, les religieux avaient l'habit de leur ordre, les abbés, avec une chape de soie, portaient le bâton pastoral. Ceux qui n'étaient ni rasés ni tondus étaient passibles de deux sous d'amende. Celui qui venait au synode — pari/an sobrius.... nostro arbitrio reservamus puniendum. — Avant l'ouverture du synode avait lieu la Procession aux croix — Processio ad cruces. —Les doyens*d'Avranches, de Genêts, de Tirepied,—cum crucibus et vexillù—se rendaient à l'église de N.-D.-dès-Champs, de grand matin , et de là se dirigeaient vers la cathédrale. Ceux de Mortain, de Saint-Hilaire, de Cuves partaient de l'église Saint-Gervais. Ensuite cette foule de vicaires, de curés, de prieurs, d'abbés, etc., se réunissait sous la présidence de l'évêque — in aulâ synodali—et présentait à la fuis an spectacle varié et brillant de costumes, et une réunion imposante de lumières et de vertus. C'est de cette salle, qui fut détruite à la fin du xvie siècle par les boulets du duc de Montpensier, et restaurée plus tard, que sortaient ces statuts où nous voyons le reflet des mœurs et des passions du temps. On peut les lire dans les conciles de don Dessin, où l'on remarquera ceux de François Péricard, et sa curieuse adresse à ses chères âmes '.
Entre FÉvêché et la courbe des remparts, vers les tours Baudange, régnait un mur nu, aujourd'hui représenté par le dernier mur de la seconde terrasse, alors bosselé au centre d'un contrefort, et brodé à son sommet d'une ligne de mâchicoulis crénelée : au-dessus se montrait la pyramide ardoisée de l'escalier polygonal du Petit-Évêché. Ce ciur se raccordait avec la tour de la porte Baudange, et il nous ramène au point de départ de notre exploration.
Ces fortifications sont-elles celles de saint Louis ? Les parties les mieux caractérisées, les baies et les voûtes, le module de l'appareil, les fûts de colonnes appartiennent a l'époque romane. 11 est très-probable que la construction de ces remparts est due aux Normands, et peut-être à Guillaume-le-Conquérant qui fortifia ses frontières bretonnes, et qui résida dans cette place. Selon Robert Vace, Harold vint le trouver dans cette ville où il fut fait chevalier:
II fa al doc amenez Ki a Avrenches dune esteit
C'est là qu'eut lieu un fait qui contient en germe la conquête de l'Angleterre, le serment d'Harold2. C'était là que résidaient nos puissans vicomtes, ce Richard qui alla à la conquête — d'Avrencin y fut Richarz, —et le brillant Hugues-le-Loup, le dompteur des Gallois. C'était là que tenait une cour brillante Henri, le troisième fils du Conquérant — là meneit grant gent des plus nobles e des gentilz*.—C'était là sans doute qu'il faisait représenter ces mystères dont parle le Dr Hairby. C'était encore là que résidait— à Avrenches li Reis seeait'1 — Guillaume-le-Roux qui, avec son frère Robert posté à Genêts , — e a Genez li dus estei,—assiégeait son frère Henri dans le Mont SaintMichel. On ne peut donc douter qu'Avranches ne fût fortifiée sous la domination normande. En outre, dans les premières années du xnr siècle, pendant que Pbilippe-Auguste conquérait la Normandie, le Breton Guy de Thouars démantela cette place. Ce fut Saint-Louis qui releva et agrandit ses fortifications, mais il n'en fut pas le fondateur. Ainsi nous avons encore sous les yeux l'armure forgée par les Normands, probablement avec un ancien métal, restaurée par Saint-Louis, et déchirée par les combats ou rongée par le temps.
Les faubourgs d'Avranches renfermaient trois paroisses, Saint-Gervais , N.-D.-des-Champs , Saint-Saturnin. Leurs églises étaient, il y a peu de temps encore , de grandes chapelles, comme on peut le voir d'après leurs membres ajoutés, et d'ailleurs elles étaient en rapport avec une faible population, car en 1767 Avranches, d'après un recensement municipal, était au-dessous de 4,500 habitons'. Ces églises, pour ainsi dire rurales, formaient, avec l'église de Saint-Martin, quatre fleurons autour de la couronne murale de la cité; aujourd'hui qu'elle est décapitée, nous ne pouvons pas dire que nous ayons un seul monument religieux |
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