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Sixième Journée. LUNDI.
Séance du Congrès agricole Séance de la Société d'Archéologie Courses sur l'Hippodrome des Grèves
Cependant le programme de l'Association Normande était loin d'être épuisé : des questions importantes restaient à traiter ; d'autres avaient été préparées avec un soin particulier par M. Victor Châtel, l'habile agronome de Vire. Aussi à la séance du samedi précédent, avant la Cavalcade, plusieurs des auditeurs avaient prié les Membres de l'Association d'accorder à la ville une séance supplémentaire le lundi matin. Cette demande avait été gracieusement accueillie : ce jour-là, à sept heures du matin, l'Association se trouvait réunie dans la salle de ses séances, et malgré l'absence forcée des membres qui étaient partis la veille, elle se présentait encore en nombre suffisant pour discuter utilement. M. de Cussy fut invité à présider, et M. Besnou à tenir la plume à la place de M. Morière.
La première des questions qui restaient à traiter, celle de la conservation des poissons, souffrit un peu de l'absence de M. Mabire, qui avait préparé un travail sur ce sujet. Mais M. de Caumont donna en quelques mots une analyse de ce Mémoire, qui recommande diverses dispositions administratives. MM. Le Marchand et de Saint-Brice firent remarquer d'ailleurs que déjà la législation actuelle suffirait à peu près pour atteindre le but désiré, si MM. les préfets voulaient tous user des droits qu'elle leur donne. Des détails intéressans sur la pêche du saumon, sur les époques où ce poisson monte et descend dans nos rivières, sur ses dimensions suivant les saisons, sur ses moeurs, sur la pêche de son frai, nommé dans le pays gui-moisseron, et sur la destruction énorme et déplorable qu'en font certains riverains, furent produits par plusieurs membres, et entre autres par M. Juin-Delaroche, de Ducey.
M. Le Marchand fit part à l'Association d'un fait que confirma M. Juin, celui d'une pêche abondante de très-jeunes anguilles, qui se fait à Ducey dans certaines grandes marées. Ce fait, analogue à celui qui se produit constamment à Caen dans certaines saisons, sous le nom de pêche de la montée, donna lieu à un échange d'observations entre MM. de Caumont, Le Marchand, Laisné, Maillard (Alph.), etc., et fut particulièrement recommandé à l'attention et aux recherches des habitans du pays. Pour les coquillages, autres que les huîtres, qui se pêchent sur nos côtes, M. Laisné indiqua rapidement ceux que l'on y connaît généralement, et qui ne donnèrent lieu à aucune discussion.
La série des questions qui avaient été posées par l'Association était parcourue ; on s'occupa ensuite de celles que suscitaient les maladies des végétaux.
M. Juin, qui en avait été prié, avait apporté plusieurs échantillons de blé, qui étaient affectés de divers accidens ; mais plusieurs membres déclarèrent que ce mal n'était point général ; M. Laisné, d'après son observation personnelle, crut pouvoir affirmer que ces accidens offriraient peu de gravité, et l'Assemblée partagea sa conviction.
M. Vor Châtel reçut la parole pour développer de nombreuses et importantes observations sur les maladies qu'il avait remarquées dans un grand nombre de végétaux, non-seulement sur la vigne et la pomme de terre, mais sur le pommier, le poirier, le cerisier, le noyer, le pêcher, le framboisier, etc. Le fait sur lequel il insista le plus fut la présence d'acarus qu'il a trouvés sur toutes les feuilles malades, et qu'il était parvenu à y fixer au moyen de gouttes de gomme, de manière qu'à l'aide d'une loupe, plusieurs de ses auditeurs purent constater l'exactitude de son observation. Une circonstance rassurante qu'il fit remarquer, et qui est bien faite pour persuader que la vigne ne périra pas, c'est que la maladie n'est pas nouvelle, et qu'elle est déjà décrite d'une manière très-reconnaissable par Pline et par Théophraste. Après diverses observations sur ces questions de la part de MM. Besnou, Laisné, de Saint-Germain, de Pommereux, Delaunay, etc., M. Vor Châtel passa aux expériences multipliées qu'il avait faites sur la culture la plus convenable pour préserver les pommes de terre de la maladie, et qui sont exposées dans les nombreuses et utiles publications qu'il a répandues sur ce sujet. M. Besnou rendit également compte des résultats obtenus par un agriculteur de ses amis. Deux points entre autres paraissent acquis par toutes ces expériences, c'est d'abord, qu'il ne faut planter les pommes de terre qu'à très-peu de profondeur ; puis, qu'il faut les planter entières, et non par quartiers, et que des tubercules entiers de moyenne grosseur réussissent mieux que les morceaux des plus grosses pommes de terre.
Cette séance n'avait dû se prolonger que jusque vers neuf heures et demie, pour faire place à celle de la Société d'Archéologie ; mais elle devait être insuffisante pour épuiser l'ordre du jour. Aussi, dès le samedi, plusieurs membres témoignèrent à M. Laisné, vice-président de la Société d'Archéologie, le désir que cette Société voulùt bien renoncer à sa réunion publique pour donner plus de développemens aux discussions du Congrès. M. Laisné ayant consulté sur ce point ceux des Membres du Bureau qu'il put réunir le soir, et qui crurent devoir faire ce sacrifice à l'intérêt public et aux lois de l'hospitalité, fit part de cette détermination à l'Association Normande dans sa séance administrative du samedi soir. L'Association se montra très-sensible à cette déférence, et M. de Caumont exprima, au nom de tous, le regret que la délicatesse de la Société d'Archéologie les privât du plaisir d'entendre ses lectures, et de profiter de ses travaux.
Cette séance de la Société d'Archéologie, Littérature, Sciences et Arts d'Avranches, aurait été une circonstance où, en face d'un auditoire distingué, composé en grande grande partie de maîtres et d'émules, elle aurait sans doute soutenu le renom intellectuel de la cité. On devait y entendre un Discours d'ouverture par le président, M. de Clinchamp, dans lequel aurait respiré son patriotisme normand, le rapport sur les travaux de l'année, par le secrétaire, M. Loyer, qui pense en géomètre et écrit en littérateur, des vers de M. Lepelletier, petits cadres sculptés, qui enchâssent une gracieuse miniature, une légende bretonne en vers de M. le docteur Belloir, qui fait de la bonhomie l'attrait de la morale ; les Voisins de Sépulture, par M. de Tesson, l'humoriste moralisateur ; un travail de M. de Beaurepaire, critique sagace et élégant, l'union du paléographe et du littérateur ; une notice sur les Voyages de Louis XI dans l'Avranchin, de M. Laisné, en qui l'exactitude du fait s'unit à la correction et la pureté dans le style, une Introduction à une Flore populaire, par M. Le Héricher.
A onze heures et demie, personne ne demandant plus la parole, M. de Caumont déclara close la session de l'Association Normande à Avranches, et adressa en quelques mots ses remercîmens aux assistans pour le zèle et l'intérêt avec lesquels ils avaient suivi les débats, et la part utile qu'ils y avaient prise, et aux habitans d'Avranches pour l'accueil sympathique qu'ils avaient fait à l'Association. Les Assises scientifiques d'Avranches, comme on dit dans les Rapports, étaient terminées.
L'heure des Courses était arrivée.
L'hippodrome des courses plates déroule son vaste cercle sur une arène de grèves, tantôt fermes, tantôt mobiles, en face d'un spectacle magnifique. Son fond est le coteau boisé de la Naffrée, où des sentiers circulent en étage comme des lignes de gradins ; une partie de l'arène s'abrite sous les grands ormes de Bouillé, veuf de sa chapelle romane ; l'autre cotoie la rivière étalée et silencieuse, qu'un poète de la Renaissance appelait si justement le doux fleuve de Sée. Derrière un cap, dans un désert de sable, se dresse le Mont Saint-Michel, ou s'affaisse Tombelaine, une pyramide, un sphinx ; des caps boisés figurent des oasis ; dans la lumière frémissante, comme derrière une mobile gaze d'or, apparaissent les coteaux boisés des rivages, les mondrins ou sables amoncelés des salines et les trois rivières qui y dorment immobiles, comme les forêts, les remparts blancs et les eaux qu'enfante le mirage dans d'autres solitudes. Les pêcheurs sont vêtus comme des Arabes, et voici la fantasia. Une chaleur tropicale ajoutait encore à l'illusion. Cependant voitures et brillans équipages, cavaliers et piétons, citadins et paysans, se pressaient autour des lignes du champ clos des coursiers. On apportait là les espérances que la Course au clocher n'avait pas satisfaites. On attendait une revanche.
Pour peindre ces divertissemens hippiques et en apprécier la valeur sérieuse, nous avons l'excellent rapport de M. de Saint-Germain, dont le moindre mérite, et il est plus rare qu'on ne croit en ces matières, est d'être écrit en français. Si on y dit encore Steeple-Chase, du moins le Turf s'y appelle hippodrome, les Rail-Ways des chemins de fer, le Stakes s'y appelle course des haies. S'il y a encore des Gentlemen riders, expression dont la nécessité excuse peut-être la moitié, il n'y a plus de Handicap, de Stud-book, de Sport, de Hacks, et toutes ces expressions, qu'on doit savoir et bien dire chez nous pour être un Français accompli. Les animaux eux-mêmes semblent y comprendre la langue nationale pour la plupart et répondre du coeur et des jambes à de fort jolis noms français, débris de la galanterie d'autrefois. Il y a donc progrès : le pur-sang lui-même s'appelait, cette année chez nous, Coeur-de-Lion, nom que les Anglais donnèrent à leur grand Richard, et les messieurs, pour la plupart, au lieu de sticks, portaient des cannes et des cravaches. On y justifiait même assez bien le proverbe britannique : Malheureux comme le chapeau d'un Français.
Comme nous avons analysé ailleurs les sages considérations de ce rapport, et ses idées pleines d'avenir sur la Course au clocher, citons-le dans son entier pour les Courses plates :
« Par une heureuse compensation, les Courses de la Société d'Agriculture sur les grèves du Val-St-Père n'ont laissé rien à désirer : départs nombreux, concurrence sérieuse et redoutable, beaux choix de chevaux, allures franches et remarquables ; toutes les causes d'intérêt s'y trouvaient réunies.
Aussi beaucoup de voitures et de brillans équipages étaient-ils rassemblés dans l'enceinte ; aussi les tentes étaient-elles remplies ; aussi une nombreuse population avait-elle prolongé les loisirs du dimanche et bravé la chaleur d'une journée caniculaire.
Les épreuves ont eu lieu dans l'ordre suivant :
1re COURSE, Prix d'arrondissement, au trot, 100 fr. Distance, 2 kilomètres en une épreuve.
Les cinq pouliches primées au Concours du mois de mai sont parties avec ensemble. Bientôt la Douce, à M. Jamard, de Lolif, a pris les devans, et a laissé ses concurrentes assez loin derrière elle. Sa vitesse, de 4' 50", a été bonne, surtout pour des chevaux qui devaient reparaître sur l'hippodrome et ménageaient leurs forces. Dans ces cinq pouliches, il y a une incontestable amélioration, qui se retrouvera plus tard dans leurs produits.
2e COURSE, Prix de la Ville, au galop, 600 fr. ajoutés aux entrées. Distance, 2 kilom. en parties liées.
Il est difficile de rencontrer, sur quelque hippodrome que ce soit, une course plus franche, plus disputée, mieux conduite, et meilleure sous tous les rapports. Les cinq chevaux inscrits se sont presentés au poteau : Thérésine, à M. Berode, de Lillers ; Qu'en dira-t'on, à M. Basly, de Saint-Contest ; Voyageur, ex-Mazuline, à M. Godfray, de Jersey ; Willow, à M. Descars, de Paris ; Anne Page, à M. Jullon, de Saint-Brieuc. A la première épreuve, Voyageur est arrivé premier, en 2' 35" ; Qu'en dira-t'on, second, en 2' 36" ; Willow, troisième, en 2' 37" ; Anne Page, quatrième, en 2' 45". Les trois premiers sont arrivés en peloton, et, jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au but lui-même, le résultat a été incertain.... Bien des voeux étaient faits pour Qu'en dira-t'on, né dans l'arrondissement d'Avranches, issu de Sarah et de Cattonian, et qui avait été vendu poulain par M. le comte René de Montécot. Il a, du reste, assez bien combattu pour faire estimer son origine et ses qualités.
A la seconde épreuve, trois chevaux seulement sont partis. Qu'en dira-t'on et Thérésine se réservaient l'un et l'autre pour la course de haies. Voyageur est encore arrivé premier en 2' 30" suivi à 10 et à 15" de distance par Willow et Anne Page.
Cette course a été constamment l'objet du plus vif intérêt.
3e COURSE, Prix du département ; au trot, au 1er arrivé, 700 fr., au 2e, 300 fr. Distance, 4 kilomètres en une épreuve.
Il en a été de même de la course au trot pour le prix départemental fondé par le Conseil-Général, sur la proposition de M. le Préfet, pour remplacer le prix du Ministère du Commerce, dont tous nos éleveurs regrettent si vivement la suppression. Les concurrens, par suite d'essais téméraires, antérieurs à la course, essais dont les résultats seraient souvent démentis par celui de la lutte elle-même, se trouvaient réduits à six persévérans, qui étaient : Mignonne, à M. Gilbert, de St-Jean ; Bijou, à M. Hallais, de Vernix ; la Douce, à M. Jamard, de Lolif ; Cocotte, à M. Lottin, de St-Jean ; Bourotte, à M. Bazire, de Ponts ; Callonian, à M. Pinson, de Saint-Martin. Long-temps la Douce a conservé les devans ; mais, au second tour d'hippodrome, Bijou, qui la suivait de près, l'a rejointe, puis l'a dépassée ; et, conservant la supériorité qu'elle avait conquise, est arrivée aisément au but, précédant la Douce d'une centaine de mètres. Bijou avait parcouru ses 4,000 mètres, rigoureusement mesurés, en 9' 2", et la Douce, en 9' 19", sur des sables difficiles et mouvans dans une partie de la piste, avec un soleil ardent : ce sont là de bonnes et très-satisfaisantes vitesses. Les autres concurrens étaient placés assez loin derrière les deux premiers.
Bijou et la Douce ont l'un et l'autre une vitesse remarquable. Les allures de Bijou présentent particulièrement une régularité, une netteté et une légèreté qui lui avaient tout d'abord mérité les suffrages. Chacun constatait le résultat des encouragemens que la Société d'Agriculture n'avait cessé d'accorder et de solliciter pour les Courses au trot, et espérait que le Gouvernement consentirait de nouveau à venir en aide à ses efforts.
Bijou, issue de Gaberlunzie, appartient par sa mère à la race du pays.
4e COURSE, Prix d'arrondissement. 1er Prix, 150 fr. ; 2e Prix, 100 fr. ; 3e Prix, 50 fr. Distance, 4 kilomètres en une épreuve.
Les mêmes concurrens se retrouvaient en ligne, prêts à tenter de nouveau la fortune. Un seul était venu se joindre à eux, Bijou aussi, mais appartenant à M. Gautier, de Dragey. L'ordre d'arrivée s'est établi ainsi qu'il suit : Bijou, à M. Hallais, première, en 9' 39" ; la Douce, à M. Jamard, seconde, en 10' 11" ; Mignonne, à M. Gilbert, troisième, en 11' 12" ; Cocotte, à M. Lottin, de St-Jean, quatrième, en 11' 30" ; mais cette dernière avait fréquemment galopé, et si elle eût été placée de manière à avoir un prix, elle eût dû le céder à Bijou, de M. Gautier, qui avait trotté régulièrement ; mais les trois vainqueurs ne donnaient lieu à aucune objection.
5e COURSE, Prix des Dames. Courses de Haies. Prix : 400 fr. ajoutés aux entrées. Distance, 2 kilomètres en parties liées.
Bientôt les haies se sont trouvées dressées, une au départ, une autre à l'arrivée, et une troisième au milieu de la piste, en face la tribune du jury. M. Descars, de Paris, n'a pas fait partir son cheval ; les trois autres engagés se sont présentés au poteau, et ont franchi sans accident et en se suivant de près. Coeur-de-Lion, le vainqueur du Steeple-Chase, est arrivé premier, en 2' 50", suivi de près par Thérésine, à M. Berode, de Lillers, arrivée en 2' 51". Qu'en dira-t'on, luttant contre deux chevaux âgés, mais sautant bien, était troisième, en 2' 57".
La seconde épreuve a été plus vite, mieux disputée, et aussi franche que la première. Coeur-de-Lion est arrivé premier en 2' 45". Thérésine l'a constamment suivi de près, et, au dernier moment, le juge seul a pu apprécier sûrement l'ordre de l'arrivée : elle ne perdait guère que d'une tête. Qu'en dira-t'on, arrivait en 2' 57".
Ces détails diront assez quelle émotion cette belle Course a constamment excitée parmi une foule avide de ce genre de spectacle, et parmi des amateurs qui avaient rarement rencontré autant d'égalité de force et d'ensemble.
Comme au Steeple-Chase, M. le Préfet présidait le jury, et témoignait par ses observations de l'intérêt vigilant qu'il prend à un genre d'encouragement si utile dans un pays d'élevage.
Le jury lui exprima sa reconnaissance pour l'honneur qu'il lui avait fait, et adressa ses remercîmens à M. le baron du Taya, directeur du dépôt de Saint-Lo, qui avait rempli la délicate et fatigante mission de juge, avec le dévouement qu'il apporte à tout ce qui ressort de ses fonctions.
Bientôt la foule regagnait Avranches, regrettant les Courses pour elles-mêmes, et surtout parce qu'elles étaient le dernier acte d'un programme qui laissera de longs souvenirs parmi nous. »
Cette sixième journée avait été celle de l'Agriculture. |
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