AVRANCHES
  CC 03.01 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  LES FETES D'AVRANCHES EN 1854
         
 

L'heptaméron

ou

Les fêtes d'Avranches en 1854

Par Edouard Le Héricher

Edité à Avranches

Par H. Tribouillard, [1854].

 

 

A la ville d'Avranches.

 

     Entrepris à l'instigation de trois puissantes influences, cet Opuscule n'a d'autre but, en laissant dans l'ombre l'observation, le conseil, la critique, que de mettre en lumière, avec bonne foi, tous les dévouemens qui se sont consacrés au bien général, et de conserver le souvenir d'une période qui marquera profondément dans l'histoire de la Cité.

 
 

Edouard Le Héricher

   

 

 

 

 

 

 

1ere journée

Prologue

Beaux-Arts, Industrie, Horticulture


2eme journée

Entrée de l'Association Normande

Ouverture du Congrès agricole

Séance de la Société Française


3eme journée

Exposition des Fleurs

Bal à l'Hôtel-de-Ville


4eme journée

Séance du Congrès Agricole

Cavalcade historique

Illuminations


5eme journée

Concours régional de Bestiaux

Revue de la Garde nationale

Promenade des Animaux primés

Distribution des Primes

Distribution des Prix aux Exposans


6eme journée

Séance du Congrès agricole

Séance de la Société d'Archéologie

Courses sur l'Hippodrome des Grèves

 

Septième Journée.

     Tirage de la Loterie départementale

     Tirage de la Loterie du Bureau de Charité.

Epilogue

     
 
   
  AVRANCHES
  CC 03.01 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  LES FETES D'AVRANCHES EN 1854  -1/7
         
         
 

PROLOGUE.

 

     « Madame se meurt, » disaient les uns ; « Madame est morte, » disaient les autres. - Madame dormait : la belle Avranches dormait ce sommeil de poète, qui s'entrouvre à l'aube, comme un calice, exhalant les rêves d'or de la nuit. L'aube a blanchi sa couche, et voilà que, souriante et fière, elle dit à ses adorateurs, inclinés sous ses charmes, le poème que les heures, d'un doigt silencieux, ont tissé avec leur navette d'ivoire et d'ébène ; elle dit donc à ses poètes, à ses artistes, à ses historiens, à ses cavaliers, aux maîtres de ses jardins et de ses champs, aux chefs de ses artisans, aux intendans de ses domaines : « J'ai dormi longtemps sous mes châtaigneraies, au bord de ma Sée silencieuse, sous le dôme d'or et d'azur de la nuit sereine, mais l'âme palpitante des inspirations du sommeil : et voilà que j'ai rêvé une fête glorieuse digne de moi, digne de vous. Je veux une semaine de merveilles : je veux avoir mon décameron comme l'Italie et la Navarre. A chaque jour sa fête, où l'art, la science et le plaisir entrelaceront leurs bras. Mes soeurs normandes, que vous convierez à nos fêtes, se distinguent par d'autres attributs, dont je ne suis pas jalouse : à quatre sied à ravir l'aigrette d'aiguilles, histoire. Fondée il y a quinze ans par un homme de courageuse initiative, M. Moggridge, alors qu'elle était un spectacle tout neuf en France, se déployant sur un théâtre dont la scène est un bassin coupé de fossés et de douves, et sillonné par une rivière, et dont les gradins sont une montagne ; elle était arrivée à son heure de décadence. Elle eût attristé l'inauguration des fêtes, si l'on n'eût déjà été préparé à la considérer comme un simple lever de rideau. Un seul cheval, appartenant à M. de Talon, était parti, étonné d'apporter sur une arène sans rivaux son nom de Coeur-de-Lion. Ces grands seigneurs du pur-sang, qui, dit-on, courent et ne marchent pas, à qui la race donne des qualités physiques supérieures, et l'éducation des qualités morales qui les élèvent au-dessus de l'animal, vont sur de plus riches hippodromes. Mais le président de nos courses, M. de Saint-Germain, dont les idées sont toujours en avant des faits pour les éclairer, a jeté sur ce sujet une lumière féconde, en proposant « de descendre du cheval de pur-sang au cheval de service, pour lequel on abaisserait un peu les obstacles, » et en nous faisant assister, par la pensée, « à une course moins aristocratique, mêlée inextricable d'abord, lutte acharnée ensuite où tous les obstacles sont franchis par des chevaux qui labouraient hier, qui laboureront demain. » En même temps que la Course au clocher, sous sa forme primitive, semblait s'éteindre sur les bords de la Sée, son fondateur s'éteignait et venait sur ces mêmes bords descendre dans sa dernière demeure ; mais les hommes meurent, les idées restent, et la sienne renaîtra sous une forme nouvelle. Les morts, comme les absens, ont souvent tort : ils avaient leur raison pour mourir. Une chose que l'on peut appeler « un exercice d'initiés, élégant, coquet, aristocratique, » ne peut vivre long-temps, et doit se transformer par une plus large accession. La course aventureuse, la course au saut, la course des haies et des rivières vivra long-temps : elle vivra tant que le cheval sera la plus noble conquête que l'homme ait jamais faite, tant qu'il y aura de vaillans cavaliers, une France guerrière, et de beaux yeux pour voir et admirer. Quoiqu'il en soit, répétons les expressions d'un spirituel hommage envers le vainqueur : « M. de Talon nous avait envoyé Coeur-de-Lion, qui a justifié son nom en effrayant ses adversaires qui ne se sont pas présentés pour partir, et en courant bravement comme s'il les avait entraînés sur ses traces. »

 

     Après la Course, le public se répandit dans les salles de l'Hôtel-de-Ville, où depuis quelques jours était ouverte l'Exposition départementale de l'Industrie.

 

     Les Expositions sont désormais une des formes les plus puissantes de l'éducation et de l'instruction des peuples : c'est l'enseignement par les yeux, c'est l'émulation par l'exemple, c'est la perfection relative, dégagée par la science et l'opinion. Avranches qui, depuis Lanfranc, a toujours été un centre important d'enseignement, outre son Musée, école permanente, avait ouvert pour ses fêtes une triple école dans ses Expositions de l'Industrie, de l'Horticulture et des Arts. Dans une localité peu industrielle, après les deux Expositions départementales de St-Lu et de Coutances, Avranches avait, même dans cet ordre, réalisé, et, pour les esprits initiés aux faits, dépassé les espérances. Les salles de l'Hôtel-de-Ville avaient reçu des milliers de visiteurs, qui étaient venus admirer en masse et s'instruire en détail, car après le coup-d'oeil général et désintéressé sur un art, qui n'apparaît jamais si puissant que dans la manifestation simultanée de ses formes, il y a l'examen personnel et passionné. Pénétrer dans les détails de notre Exposition et en apprécier justement les objets importants, serait un tâche impossible, si nous n'avions les décisions du jury, et la forme élégante et variée que leur a donnée M. Em. Lepelletier, plume facile, coeur dévoué, dont le Rapport réduit à la paraphrase l'historien qui veut être à la fois concis et complet.

 

     L'Exposition se divisait en trois sections : Beaux-Arts, Industrie, Horticulture.

 

     Dans la première, M. Fréret, de Cherbourg, exposait deux portraits, un ecclésiastique, un élève du Conservatoire de musique, d'un bon dessin, d'un coloris vigoureux ; son portrait au pastel, son paysage, effet de soleil, son esquisse de l'Assomption révèlent la variété dans le talent, et donnent de grandes espérances. - M. Fritz Millet exposait des compositions éminemment gracieuses, un grand portrait de femme, deux italiennes, une étude de jeune fille. - M. Loir exprimait une ressemblance palpitante dans le portrait de M. de la Martre, de M. Phepoe et de plusieurs autres. - M. Théberge avait un projet d'église et se présentait avec l'autorité qui revient à l'architecte qui a pris une grande part à l'église remarquable de Saint-Hilaire. - Mme Delaunay, avec les ciseaux des fées, avait découpé de ravissans caprices en papier, qu'une plume savante appelle dessins psalligraphiques, et, avec leur pinceau, avait jeté des aquarelles de fleurs à défier la réalité. - M. Herbert, architecte, avait exposé un projet de théâtre, et signalé par là une lacune dans les monumens publics d'Avranches. - M. Lilman avait dessiné à la plume, avec la fermeté du burin, la cathédrale de Coutances. - M. Lebedel avait tracé une page de calligraphie. - M. Frank Moggridge avait imité en cuir la sculpture en vieux chêne dans un dressoir et une lampe armoriée.

 

     Dans la seconde se détachait en première ligne l'exposition de cheminées en marbre, de tous styles, de M. Bunel, l'homme de bien, qui consacre une grande fortune à développer dans son pays l'agriculture et l'industrie, qui donne au laboureur la chaux à un prix impossible avant lui, crée un atelier d'art avec sa marbrerie, et offre au foyer modeste une cheminée de marbre au prix du bois ; voici M. Auguste Latouche avec ses cuirs forts, corroyés et façon de Hongrie, portés à un degré supérieur ; M. Jardin, de Mortain, avec ses toiles et coutils et son linge damassé, sur lequel la navette ou la machine a tracé les lignes ou fait saillir les reliefs des paysages et des palais ; M. Allix, avec ses cuirs solides, ses galoches, sabots et bottes de cuir et bois : c'est la chaussure du pauvre, saine et à bon marché ; M. Lambert-Vimont avec son argenture d'église qui se recommande par la forme et l'ornementation, la solidité et le prix modéré ; M. Lenicolais, quincaillier, qui donne un chandelier de fer pour un sou, homme courageux qui fait travailler tant de pauvres et travaille pour eux ; M. Trehec avec ses chapeaux de feutre et de soie, remarquables par la vileté du prix, et plus encore par les procédés de fabrication ; M. Blandin dont les peaux pour ganterie, pharmacie et pianos, sont d'une souplesse et d'une pureté irréprochables ; M. Fortin avec ses chaussures riches, remarquables par l'élégance et la solidité ; l'Hospice d'Avranches, avec les oeuvres des jeunes hospitalières, dentelles noires d'un excellent dessin et d'une exécution parfaite ; M. Morin avec ses chapeaux de soie sans couture à la calotte ; M. Vindras avec ses droguets, le drap des pauvres, bien fabriqués, bien nuancés ; M. Médard avec ses coutils solides et à prix modérés ; M. Leroux avec ses laines très-bien filées ; M. Deshayes avec sa charrue Dombasle et ses instrumens aratoires et horticoles, d'une exécution remarquable ; M. Lecellier avec ses ustensiles de cuisine et de bains, d'une bonne et élégante confection ; MM. Potrel et Desmonts avec leur jolie cuivrerie, heureuse imitation du métal anglais ; M. Duperron avec un intéressant dossier de chaise sculpté en acajou ; M. Lion avec sa coutellerie, achevée de poli et de travail, outils de jardinage et son sécateur-miniature ; M. Houssard dont les cadres parfaits, de tout genre, nous affranchissent du tribut payé aux grandes villes voisines ; M. du Maine avec ses bons cartons ; M. Mard avec ses bois peints, assez bien marbrés pour imiter la réalité ; M. Vincent avec ses fusils et pistolets, dont on admire le fini et le goût en même temps que leurs qualités essentielles ; M. Desvaux avec ses cartons de bureau solides et élégans ; M. Roussel avec ses laines bien teintes ; M. Mouchel avec ses droguets solides de tissu et de couleur ; M. Amand Latouche, dont l'échantillon de cuir verni promet de nous affranchir de Paris ; M. Taunière avec une bonne mégisserie ; M. Théault, qui scie le bois pour placage mince comme le plus mince carton ; Mme Coursin avec des corsets d'un nouveau procédé ; M. Chippel avec ses lits mécaniques ; Mme Flamend avec ses reliures riches et solides ; Mme Letreguilly avec ses broderies, guipures, bonnets et tapisserie ; M. Lucas avec sa pompe perfectionnée ; M. Piton dont les pierres à aiguiser ne demandent qu'un sou à l'ouvrier pour toute la moisson ; M. Gilain avec ses châles et rubans dégraissés et reteints ; M. Lenormand avec ses coiffures postiches légères et élégantes ; M. Oblin avec son régulateur à deux faces et dix indications ; Mlle Allix avec sa broderie d'étole du XIIIe siècle ; M. Anfray avec son charmant secrétaire-bibliothèque ; les orphelines de Mlle Agathe qui exposent une chemise à vil prix, le plus touchant objet de l'Exposition ; M. Poidvin avec ses bonnes laines filées ; M. Alexandre avec ses cuirs bien préparés ; M. de Verdun de la Crenne avec ses laines bien lavées ; M. Morin avec ses objets de taillanderie bien confectionnés ; M. Huard avec ses bons fers à cheval, et leur application nouvelle au cheval de course ; M. Ameline, zingueur, avec sa baignoire à 32 fr. ; M. Bisson avec ses bonnes conserves d'huîtres-marinées ; M. Pouët avec son chocolat ; M. Cahours avec ses soufflets de forge à vil prix ; M. Grenet avec ses chaises solides, élégantes et à bon marché ; MM. Hay, Clément, Dodeman avec les mêmes choses ; M. Pichard pour sa trousse de coutellerie de bonne fabrication ; M. Anfray avec le Mont Saint-Michel Illustré, dont il est le propriétaire ; M. Peslin avec sa belle chasuble brodée ; M. Aumont avec son service à thé en bois, d'un bon travail ; M. Hamel avec sa tarière d'une confection soignée ; M. Morel avec ses tuyaux de drainage bien confectionnées ; M. Chesnay, peintre, avec ses imitations de marbre ; M. Guillard avec ses jardinières et ses ouvrages en cheveux ; M. Poidvin, avec une serrure à secret et un essieu à patin ; M. Langellier avec ses droguets pour pantalon ; M. Lejemble avec des perruques et toupets ; M. Millet avec des limes à bon marché, des tabatières en bois à vil prix ; MM. Poulain et Richer avec des sabots et galoches ; M. Guillochet avec des souliers sans couture, et chaussures diverses ; Mlle Noël avec des cols brodés ; M. Loisel avec des fils demi-blancs ; M. Raffaut avec un équipage de cabriolet bien fait ; M. Littré avec un collier s'ouvrant ; M. Massienne, avec sa table rustique ; la maison du Mont Saint-Michel dont les jolis ouvrages en paille et en papier, « ou paysages en sparterie tressés, » méritent des félicitations à M. Peigné, le Directeur ; M. Lebouc, avec ses charmantes cages ; M. Delamotte avec son rouet filant, dévidant et embobinant par la même pédale ; M. Guérin avec ses imitations de bijoux en or et pierreries ; M. Gilbert avec sa serrurerie et ses limes ; M. Bourdiguel avec son invention de reliure mobile ; M. Raulin avec sa potasse de sarrasin ; M. Richardot avec ses briques et tuyaux de drainage, bien fabriqués ; M. Villain-Hébert avec ses flambeaux dorés à l'or moulu ; Mlle Allix et Mme Bataille avaient orné les salles de potiches, imitation chinoise, « oeuvre d'adresse et de goût, dit M. Lepelletier, où la ressemblance est poussée si loin que, si leurs vases n'étaient pas trop jolis pour être chinois, on s'y méprendrait. » M. Chenu avait décoré les murs de ses beaux cachemires français.

 

     Un historien fidèle, qui écrit à l'honneur de la Cité, devait faire défiler tout le bataillon de l'Industrie, avec son état-major des Beaux-Arts, depuis les officiers jusqu'aux soldats.