Avranchin Monumental et Historique par Edouard le Héricher édité en 1845 Le général Roger-Valhubert naquit à Avranches en 1764, de M. Roger, capitaine d'artillerie des côtes, et de Mme de Clinchamp de Précey. Il reçut une parfaite éducation : il se serait fait un nom dans les sciences, sans ses goûts belliqueux et les événemens, et l'on a pu dire que son érudition profonde rendait sa conversation aussi intéressante qu'instructive. Il associait la science à la chevalerie, si nous pouvons citer cette idée d'un vieux poète dans ces pages, destinées cependant à rattacher le présent au passé: Quar science o chevalerie Cest ferme tour sur roche assise Gest fine emeraude en or mise'. Il préluda aux fatigues de la guerre par les exercices corporels, dans lesquels il excellait, spécialement par la natation, à laquelle il dut de sauver un grand nombre de personnes. Il montrait dès-lors cette résolution et cette fermeté qui ne se démentirent jamais. La Révolution lui ouvrit la carrière, et il y marcha à pas rapides. A la formation des gardes nationales, il est nommé capitaine des chasseurs. Quand la Patrie menacée demande des bataillons aux départemens, il est inscrit le premier volontaire, et l'élection le proclame commandant du premier bataillon de la Manche. En trois mois le bataillon est organisé, exercé comme de vieilles troupes, il part pour le camp de Lille, et sur sa route, à Caen, reçoit les éloges de Moreau. Quand l'immense supériorité du nombre des ennemis force les Français à rentrer dans Lille, le premier bataillon de la Manche couvre la marche, et posté sur une chaussée, il arrête les Autrichiens. Pendant le bombardement, Valhubert rend les plus grands services, et ensuite contribue puissamment à la levée du siége. Onze jours après, il se signale par un de ces actes d'intrépidité, si communs dans sa vie: il enlève, avec son bataillon, à la baïonnette, le plateau de Pellenberg, occupé par 1500 grenadiers hongrois, appuyés de quatre canons. Le général La Bourdonnaye embrasse Valhubert, en lui disant, dans le langage solennel de cette époque : « Vous avez sauvé une partie de l'armée par votre courage et votre coup-d'œil étonnant : la défaite de l'ennemi est certaine : aujourd'hui la Patrie contracte envers vous une dette immense. » La Convention décrète que six cents volontaires seront immédiatement dirigés sur le bataillon de la Manche. Le siège du Quesnoy fait briller dans Valhubert un autre genre de courage : la patience dans la défense, la discipline sous le feu de l'ennemi, les privations de la faim, les fatigues de la brèche. Mais la garnison est faite prisonnière: Valhubert et ses braves s'acheminent vers la Hongrie : il leur distribue une caisse d'épargne , il montre un grand cœur dans une captivité odieusement cruelle, et resserre entre ses camarades les liens que relâche la misère. Après deux ans Valhubert est échangé, et les débris du bataillon de la Manche sont incorporés dans la 28' brigade, dont Valhubert reçoit le commandement. Cette brigade est organisée à J>aris, et envoyée à l'armée d'Helvétie'. Dans cette guerre , au milieu des glaciers, des torrens, des rochers, la 28e déploie tous les moyens des montagnards eux mêmes. Un trait d'humanité, qui-fut toujours pour lui un souvenir délicieux, signale Valhubert. Au passage de la Gamsa, près de son embouchure dans le Rhône, un de ses soldats est emporté par le courant. Aucun des cinq cents hommes, qui se tiennent pour résister à la violence des eaux, n'ose aller à son secours: Valhubert s'élance et retire de l'eau le soldat. Cette journée doit être magnifique: avec 40 hommes, le colonel fait 800 prisonniers. L'attaque du Simplon lui est confiée: cette affaire, merveille de tactique et d'audace, le couvre de gloire. A Stradella, la 28* est choisie par le Premier Consul pour passer le Pô de vive force : Valhubert passe dans la première barque, forme ses bataillons, sous la canonnade, culbute l'ennemi, et fait de nombreux prisonniers. Quelques jours après, seul, il tombe sur 200 Autrichiens, s'élance sur leur commandant, lui met l'épée sur la poitrine, et tous se rendent. A Montebello, sa brigade mérite ces paroles de Lannes: « Je me suis trouvé dans bien des affaires, mais vous êtes les plus braves gens que j'aie jamais vus. » A Marengo, sa brigade forme un carré inexpugnable, comme le rempart de granit de la Garde consulaire, contre lequel se rue en vain, pendant toute la journée, la cavalerie autrichienne '. Blessé à huit heures du matin , Valhubert ne se laisse panser qu'à minuit. Dans son brevet d'honneur l'Empereur signale son sangfroid à Marengo. Pendant les quelques jours de repos qui suivirent cette grande victoire, Valhubert, à Parme, à Plaisance , à Modène, par la loyauté de son caractère , fit honorer les Français et se fit chérir de ses soldats par sa bonté : les dons que lui fit le Premier Consul retournèrent à sa brigade. Le combat de Pozzolo2, dans lequel il fut renversé par un boulet qui éteignit sa voix pour plusieurs mois, couronna tant d'exploits dont la récompense fut un sabre d'honneur décerné par le Premier Consul avec cette lettre: «.... Je n'oublierai jamais les services que la bonne et brave 28e a rendus à la Patrie. Je me souviendrai dans toutes les circonstances, de votre conduite à Marengo. Blessé, vous voulûtes vaincre ou mourir sous mes yeux. » Il reçut 10,000 fr. à titre de gratification: cette somme devint la caisse des veuves et des orphelins de la 28e. Valhubert fut nommé général de brigade en 1803, et fit partie du camp de Boulogne : l'année suivante, l'Empereur le nomma commandeur de la Légion-d'Honneur. La campagne d'Allemagne s'ouvre : le général part avec sa brigade composée des 64° et 88e régimens. Dans cette campagne, il sauve la vie à son aide-de-camp, menacé par on incendie; il enlève le pont de Vienne, et s'empare du grand parc des ennemis fort de cent canons et d'autant de caissons. Sur le terrain Napoléon lui dit : « Ici comme a Marengo. » Dans une marche, traversant un grand bourg brûlé par les Russes, il distribue aux habitans tout ce qu'il possède, à deux pièces d'or près. Le soleil d'Austerlitz brille : il esta l'avant-garde , sur la route de Briinn à Olmutz qu'il doit défendre à tout prix: les masses russes cherchent à déborder sa gauche et l'artillerie tire aux abords de la route : un obus renverse le général et son cheval , et le blesse mortellement. Les officiers et les soldats accourent pour le relever : Souvenez-vous de l'ordre du jour! leur crie-t-il, vous ne me relèverez qu'après la victoire: il était défendu de relever les blessés. Malgré tous ses refus, il est désarmé, placé sur des fusils et porté à l'ambulance: « Allez à l'Empereur, dit-il à son aide-de-camp, dites-lui que dans une heure je serai mort. J'aurais voulu faire davantage... Je lui recommande ma famille'. «Napoléon lui envoya des chirurgiens de sa garde; mais il succomba à Brûnn où il avait été transporté... Mort an fen, il eut, dans l'ivresse de la victoire, de magnifiques funérailles, et on grava cette inscription sur sa tombe de marbre noir: AU BRAVE GÉNÉRAL VALHUBERT TOMBÉ DANS LA BATAILLE D'AUSTERLITZ, LE II DÉCEMBRE 1805. Nos ennemis , qui savent apprécier le courage, sauront aussi respecter, après notre éloignement, ce monument élevé à un de nos généraux, dont le grand caractère, les vertus militaires, sont dignes de servir de modèle à toutes les nations. L'empereur donna le nom de Valhubert à la place qui est devant le pont d'Austerlitz; des peintres furent chargés de retracer les principales actions de sa vie, et un célèbre sculpteur, Cartelier, dut reproduire ses traits dans une statue colossale. Cette statue s'élève maintenant sur la place Valhubert à Avranches, où quelques rares camarades peuvent reconnaître l'image fidèle du général. Sur le piédestal où l'a élevé sa ville natale, Valhubert est un souvenir de gloire, un mobile de courage, un type de bravoure et de fidélité à l'honneur et au devoir. |