POILLEY
  CC 02.09 AVRANCHES MONT-SAINT-MICHEL
   
  HISTOIRE
 

 

     
 

Poilley le bourg CPA collection LPM 1900

 
       
 

Avranchin monumental et historique, Volume 2

Par Edouard Le Hericher 1845

 

Parrocllia tjuœ Pollei dicitur ad fonlem Orguenlali.

 (Cattulaire du Mont Saint-Michel.)


Poilley à des limites assez naturelles: partout, excepté à l'ouest, cette commune est bornée par des cours d'eau, surtout par la Sélune qui se contourne en mille sinuosités et forme toute la limite orientale, ensuite par le Beuvron et un petit affluent, le ruisseau du Gué-au-Râle. Du côté de Juilley et de Poutaubault, ses limites sont à peu près arbitraires. La forme générale est un arc dont la Sélune forme la courbe : cette courbe est une belle et fraîche vallée, baignée par des eaux lentes et transparentes, bordées de prairies et de vergers — uda mobilibus pomaria rivis. — C'est à la limite de Poilley et do Pontaubault que la Sélune a proprement son embouchure, et comme la Seine, semblant abandonner à regret ses belles campagnes, elle multiplie ses sinuosités en se rapprochant des grèves qui doivent l'absorber , et forme ses nombreuses presqu'îles, ou holmes, nom qui sert d'affixe aux deux dernières localités qu'elle arrose, Poilley-sur-le-Homme, et Saint-Quentin-sur-le-Homme. En outre, le ruisseau le Homme et le ruisseau Foucaut, le vieil dieu Foucault, comme l'appelle un poète né sur ses bords, baignent cette commune et se jettent dans la Sélune.

 

La Sélune sort du bois de Sélune, à quatre lieues d'Avranches — oritur in silva Senuna, — le bois de Sélune, — quatuor leugis ab Ingena distanti, —ou plutôt c'est en cet endroit qu'elle entre dans l'arrondissement. Elle y forme les deux grandes presqu'îles de Ducey et de Poilley , entre en grève à Pontaubault, et rencontre la mer généralement sous le cap de Courtils. Son synonyme est Ardée, le nom d'un de ses affinais. C'est la voava de Ptolemée, la Senuna des chartes et des poètes: c'est encore par abréviation la Seine on Selna; enfin, c'est l'Ardaus de Raoul Glaber et du Gallia Christiana.

 

Les localités de Poilley, intéressantes par leurs noms ou les souvenirs, sont le village de Lentilles, consacré par une charte et par la naissance du poète Jean de Vitel, le Châtellier, nom remarquable , mais la tradition ou des vestiges ne semblent pas légitimer les idées qu'il réveille; Sisse, probablement désigné dans une charte sous le nom de Tessues; le fief des Jardins, celui du Homme; les moulins de Caquerel et de Quincampoix.

 

Le nom de Poilley nous semble dériver d'un nom d'homme, c'est-à-dire, selon la régle générale , du nom d'un chef normand. Poilgi est le nom d'un sous-tenant, cité dans le Domesday : Poilgeium, Poilleium, Poilley, semble être l'itinéraire naturel, et le nom de cette commune signifie l'habitation de Poilgi. Si cette transformation semblait étrange, nous pourrions la confirmer par un exemple authentique. L'illustre famille d'Ouilly tire son nom d'Oilgi, son chef, qui était à la Conquête :

 

« Robert d'Ouilly, dit M. Le Provost5, reçut des manoirs dans huit comtés. Les Oilgi se sont appelés les seigneurs d'Oiley en Angleterre, et leur postérité existe encore dans les baronnies d'Oiley. »

 
         
 

Le nom de cette commune soulève une question que n'a pu résoudre le savant auteur des Essais historiques sur les Bardes, Jongleurs et Trouvères, M. de La Rue1. Un trouvère du xH° siècle, moine au Mont Saint-Michel, G. de Saint-Pair, a décrit, dans son Roman du Mont Saint-Michel, l'histoire et le site de son monastère , et, faisant allusion à la forêt qui î'avoisinait, a composé les vers suivans:

 

           Dessous Avranches vers Bretaigne

           Qui tous temps fut terre giMairie

           Ert la i'oidl de Quokeiunde

           Duut grant parole est par le munde;

           Ceu qui or est mer et areine

           En icels teins ert forest pleine

           De mainte riche venaison,

           Mtsw il noet le poisson.

           Dune peast un peu très bien aler 

           Ni estu ja craindre la mer,

           D'Avranches dreit a Poelet

           A la cité de llidolet.

 

Poilley le bourg CPA collection LPM 1900

 
         
 

Cette cité de Ridolet paraît être Dol, selon M. de la Rue; mais qu'est-ce que Poelet ? il l'appelle un lieu inconnu. Il nous semble que le Cartulaire du Mont Saint-Michel indique parfaitement cette localité. Il s'agit, non pas du Poilley de Normandie, mais d'une localité de Bretagne , qui devait être bien connue au monastère et presque personnifier la province elle-même , car elle appartenait à ses religieux. Un duc de Bretagne leur donna Pooheleth— « in regione Britanniœ quœ vocatur Pooheteih. » Ailleurs on trouve Carta de ecclesiis de Pooleth « in territorio quod vocatur Pooleth, » et à la marge : Donation de Polley par Alain, duc de Bretagne. Ailleurs encore: Carta de Villamers et Poillei.... ecclesiam  de Poillei, confirmé par Mainus, évêque de Rennes. Le Poilley de Bretagne est donc bien le Poelet du trouvère.

 

Une fontaine de Poilley, appelée Orguentale, est citée dans une charte du xir siècle , laquelle respire une douce et naïve religion :

 

« Ego Ranulfus, Dei miseratione compunctus ettque permotus qui quem vult indurat et ati placet miseretur, do très acras terre in parrochia quœ Pollei dicitur ad Fontem Orguentali.... annuerunt monachi ut si aliquando contigerit nos ad Montera Sancti Michaelis gratia orationum semel in anno pergere de suis beneficiis nos ut fratres suos honorifica- bunt videlicet de pane et potu nobis caritatem mittentes. »

 

Poilley est une des communes les plus importantes du cercle que nous essayons de parcourir: elle offre trois choses principales, son église, son poète, son abbaye. L'église nous appelle d'abord.

 

Trois époques se révèlent sur ses murs, le XIIIeme siècle dans le portail et un contrefort du chœur, le XVIeme dans la fenêtre orientale, le XVIIIeme dans le reste. Ce portail élégant, à deux colonnettes élevées, semble, par l'affaissement d'un côté de son arc, avoir été replacé dans l'agrandissement de l'édifice primitif. La fenêtre orientale flamboyante est belle: elle pénètre un pignon à larges dalles, surmonté de deux gargouilles et de crosses végétales, appuyé sur une base à moulures arrondies. Divisée en trois lancettes trilobées, avec trois cœurs dans le tympan, elle encadre un vitrail d'un bon dessin, mais d'un coloris terne. Quoique mutilée , cette vitre montre encore une Crucifixion , avec la Vierge au pied de la croix , et deux pieds qui doivent être ceux de saint Jean. Elle est masquée par un retable , venu de Montmorel, qui est une assez bonne copie de la Descente de croix de Lebrun. Sur ce pignon sont gravées, l'une en creux et l'autre en relief, deux inscriptions:

 

Ad leetor» tetfajtjrchon.

Mill» tt quingenti a. Domino trigentaque laptam

Anni adnant, factutn ciim fuit istud optni.

A Stephanu Muntia deroto âbbale Muretli

 Primafuêre qmdem saxa locala sitnul.

 
 

 

 
 

Poilley L'église paroissiale Saint-Martin. CPA collection LPM 1900

 
 

 
 

Poilley L'église paroissiale Saint-Martin.GO69 2011

 
 

 
 

L'autre inscription est celle de l'architecte: « L'an quinze cent trente sept le deux jnilletpar Piquoys fut ce pignon hault «levé. » Les deux distiques sont séparés par une crosse. La sacristie, qui est voûtée, offre un singulier anachronisme : ce sont deux assises ea-opus spicatum, qui, toutefois, ne tromperont pas l'antiquaire. Les transepts, la nef ont été faits en même temps, en 1735 , par le Noir, massoTi,

 

L'intérieur offre des objets intéressans. Les fonts sont d'une forme peu commune et ressemblent à un tombeau : c'est un beau monolithe brodé d'un cordon vers le bord supérieur. Le merrain est découpé en une arcature trilobée ou en demicercle formant entrelacs. Une statuette de saint Biaise nous rappelle la chapelle ou l'ermitage du bois d'Ardenne, occupé par un moine de Monimorel », et une tradition d'après laquelle «lie fut jetée dans un gué de la Sélune qui a gardé son nom, par un moine aliéné. Mais l'objet principal est le bas-relief peint, venu de Montmorel, appelé dans le pays la Judée, et représentant la Passion en six scènes ou compartimens; le Jardin des Oliviers, la Flagellation, le Portement, la Crucifixion , la Résurrection, les Limbes. On retrouve là les anachronismes du xvr siècle : les soldats sont bardés de panoplies ; saint Jean , avec la chevelure ronde , un livre et l'escarcelle, ressemble à un clerc de l'université, le bourreau est en juste-au-corps, la Vierge est habillée en châtelaine. Malchus tient son oreille dans une attitude grotesque. La scène des Limbes offre un grand luxe de démons: le Christ retire Adam et Eve d'une gueule énorme, armée de dents aiguës. D'un coup de croix, il terrasse un diable, vert et écaillé comme un lézard. Quelques expansions végétales ornent la frise1.

 

La croix du cimetière, au moins la base, ornée de coquilles et de fleurs de lis, est de 1605. Un des échaliers est flanqué de deux bases de colonnes, hiéroglyphées de croix de Saint- André et de Jérusalem.

 

L'église de Saint-Martin-de-Poilley fut donnée au XIIeme siècle, a Montmorel par Rualem du Homme.

 
   
 

Le curé ou prieur de Poilley était un religieux de l'abbaye de Montmorel à laquelle l'église appartenait, et il était tenu d'assister aux Synodes diocésains. En 1648, elle rendait 300 liv En 1698, elle rendait la même somme et avait deux prêtres. La taille était de 2094 liv., et il y avait dans la paroisse 280 feux.

 

Une illustre famille tire son nom du Homme ou Holme de Poilley, traversé par la rivière du Homme, où se trouvait une habitation appelée le Homme. Les du Homme — de Hulmo — furent les bienfaiteurs du monastère de Montmorel, et disputèrent aux Subligny le titre de fondateurs. Jean de Vitel avait recueilli la tradition du château du Homme:

 

Et puis en ce vallon

Sur puissants fondements haussa un bastion

Que dès lors il nomma la foi tresse du Homme.

Mais le Tans, ô rigueur! qui tout mine et consomme

En a bouleversé Jusques aux fondements.

 

Mais la terre du Homme existe encore: c'était, au XVIeme siècle, un fief de haubert, soumis à une curieuse redevance envers l'évêque du diocèse : « Les possesseurs de ce fief doibvent à l'acquit de l'évesque le service d'un chevalier, quand les services d'ost sont faicts, et doibvent, quand les évesques font leur entrée , les conduire à pied dans l'église de Saint-Gervais jusqu'à celle de Saint-André, et les servir à dîner et leur donner à boire dans leur coupe, et ont après le dîner laditte coupea. »

 

Il serait difficile d'établir, d'après les documens historiques, la série de la famille du Homme. Nous citerons seulement quelques membres de cette famille et quelques nobles de cette commune, plutôt comme matériaux que comme histoire. Vers 1150 , Ruallom du Homme , de Hultno,. fut le premier bienfaiteur de Montmorel. Philippe du Homme assista à l'investiture du premier abbé vers 1170. En 1180, G. du Homme était connétable. Guillaume iv du Homme fut abbé de Montmorel depuis l406 jusqu'à 1441: il rendit hommage au roid'Angleterre.

 

Comme bienfaiteurs, les du Homme eurent pendant plusieurs siècles leur sépulture dans l'abbaye de Montmorel. En 1560, Montfaut trouva nobles à Poilley Richard du Plessis et Robert des Jardins, et non noble Jean-Le Gay. Un Mainus de Poilley est souscrit à une charte de Huynes du XIIeme siècle dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel. Vers le milieu du XVIeme siècle, Jean du Bois, sieur de Poilley, souscrivit à l'Aveu de Robert Cenalis. En 1647, le seigneur de Poilley était François du Bois, écuyer. En 1698, il n'y avait à Poilley d'autres personnes appartenant à la noblesse que la veuve du sieur de Campront, écuyer, et son fils.

 

Le village de Lentilles offre un double intérêt: il est mentionné dans une ancienne charte du Mont Saint-Michel, et il fut au xvr siècle le berceau du poète Jean de Vitel. Nous citerons d'abord la charte et nous essaierons l'étude biographique et littéraire du poète de Lentilles.

 

« Carta de Lentilleis. In nomine Patris... Ego Rotbtus de Apenticio* sancti Michaelis petens lumina in firmitatem* monachorum eorum concessu cum uxore mea Maria, et Hamelinomeo filio entravi. Quam ob rem ego pro mei et pro antecessorum meorum animabus dedi sancto Michaeli et ibi Deo servientibus decimam quam ego habeo in villa quœ dicitur Lentilleis, concedentibus uxore mea et filiis meis. Acta est hœc donatio ab incarnatione Domini M. nonagesimo nono indict. septimâ. Hujus meœ donationis testes sunt: signum ipsius Rotbti. Signum ejus uxoris S. Hamelini filii ejus. S. Guillmi Teobti. S. Richardide Tuschueio. S. Guillmi filii Radulfi. S. Hugonis. notum sit omnibus quod monachi michi ob hoc concesserunt et uxori et filiis sepidturam in monte. »


A Lentilles est né, en 1560, Jean de Vitel, poète avranchois. Le lieu de son berceau fut le manoir de Lentilles, près duquel est encore la Croix-Vitel, et que baigne le ruisseau Foucaut, divinisé et chanté par lui. Il nous donne lui-même ces détails locaux:

 

Manoir qui fut mon bera

Le vieil dieu Foucaut à la barbe hérissée ,

Ce bon dieu qui souvent de son crystal coulant

Dénia resconlbrloit mon poulmon pantelant,

Lorsque je mesgarois sous les fresclies ramées

A poursuivir au trac les muses bien aymées.

 

Poete seulement quand il écrit sous l'impression des sentimens personnels et des souvenirs, Vitel n'a de vraie valeur que dans l'histoire et la topographie locale dont il a illustré quelques particularités; mais, dans l'histoire littéraire nationale, il mérite une place comme ayant porté aussi loin que personne l'idéal de son époque, l'imitation littérale de l'antiquité. Plus que personne de l'école de Ronsard », il a fait parler la muse en latin. Une étude philologique de ses poésies, de ses composés, de ses emprunts , de ses formes, dépasserait le cadre étroit clans lequel nous sommes forcé de renfermer ce personnage , mais servirait à l'histoire de la langue et d'une école qui a outré son principe , mais qui a beaucoup ajouté aux mots et aux formes de la langue. Quelques citations suffiront pour caractériser sa manière et épuiser ce point de vue.

 

L'emprunt littéral lui a fourni un grand nombre de vocables. Le Haut-Tonnant (altùonans), le Bien-Astre, l'obscur des bois (obscura sylvarum), le blanchissant honneur de son pudique sein (niteiu lionor), baller d'un pied nombreux, les chèvre-pieds (capripedes), les Satyres, etc. Les terminaisons, ce caractère essentiel d'une langue , sont latinisées : le Mont Saint-Michel est le Mont Tombean, ses grèves deviennent les tombeanes arènes, le glaive de de Vicques, seigneur de l'Ile Manière, devient l'estoc Vicauean, etc. Les périphrases sont latines : le chien trois fois têtu, la déesse Bletière, le père vineux, les celestes bourgeois (cœlicolœ), le chien portier, V'aveugle contrée (l'enfer, cœca regna), etc. Voici la contraction antique : les navires fuitifs de la riche Pomone, la Fortresse, et cet hémistiche, les sablons de Tomblaine. Voici l'épithète oiseuse des Latins et des Grecs:

 

UN Demosthène grec, un Ciceron romain.

Apres avoir quitté Vistulc polonois.


La mythologie se mêle aux idées chrétiennes, fusion bizarre dont quelques bons poètes se sont rendus coupables. Si Voltaire a dit:

 

Déjà l'ange des mers sur le sein d'Amphitritt,

 

Vitel associe Morphée et saint Aubert:

 

Morphée luifeist voir en habit vénérable

Tout mitre, tout crosse et en barbe honorable

Le sainct évesque Aubert....

 

Quant aux idées, elles sont généralement empruntées à l'antiquité. Le poème de la Prinse du Mont Saint-Michel est un canevas versifié dans lequel il a introduit toutes les machines poétiques : il y a un Bouclier , des Adieux, un Dénombrement, des Généalogies, des substantifs grecs incarnés, des Thrason, des Phantase, des Polydendron, des personnifications sans nombre, et un grand luxe de dieux , de déesses, de nymphes, etc.

 

Après avoir caractérisé Vitel quant à sa manière et à son rôle dans la littérature générale, esquissons sa biographie dont les élémens se trouvent dans ses vers. Comme le cœur est la véritable muse, ces passages personnels sont aussi les plus poétiques.

 

Vitel naquit à Poilley, au village de Lentilles, en 1560 de parens nobles, seigneurs de Lentilles, villa quœ dicitur Lentitleis Le lieu de sa naissance, un des plus beaux de l'Avranchin, nature éminemment pastorale et riante, était très-propre à former l'âme à la poésie, et réclame sans doute une part de ces peintures champêtres dans lesquelles il s'est complu. Devenu orphelin, Vitel reçut son éducation de son oncle , curé de Granville, qui lui apprit l'art de la versification. Deux de ses parens dormaient dans l'église d'Avranches; ce qui fait supposer qu'ils étaient prêtres ou d'un rang élevé. Il eut deux frères: le jeune, qui voyagea beaucoup pour son temps6, qui prenait déjà place parmi les bons esprits, mourut à Paris, en son beau may; l'autre, sur lequel s'appuyait son avril nouveau, mourut près du Thabor et Vilaine, c'est-à-dire à Rennes. Ainsi Jean de Vitel, le second des trois enfans, resta seul sur la mer de la vie. Cet isolement attrista son cœur, et lui inspira quelques poétiques plaintes. Ce sentiment et l'amour du pays natal sont les deux sources vraies de sa poésie. Nous ignorons si Vitel aima ; l'amour, cette autre muse, est absent de ses vers. Il semble pourtant le dire7; mais c'est une vague allusion qui ne peut prévaloir contre la signification générale de ses poésies. Loin de son pays natal, il jurait même qu'il ne se marierait qu'aux lieux de son berceau. Retiré à Condac, en Poitou, il y jouit de l'amitié d'un gentilhomme angevin,qui fortifia son goût pour la poésie. Il passa au moins trente-quatre mois à Rennes, entre les murs renois, où il étudia la poésie latine sous Symon Samson , homme docte et prudent, auquel il dédia plus tard une ode. De là il alla à Paris, où il étudia en théologie sous maître Mauclerc , auquel il adressa une de ses premières odes, comme on offre aux dieux des moissons la première javelle. On le voit encore songeant à la carrière du barreau, aux saintes Institutes. Toutes ces tendances révèlent dans Vitel un homme qui ne sait se fixer, et que la poésie ne sollicite guère plus qu'autre chose. En 1588, il publia les Premiers Exercices poétiques par Jean de Vitel, aoranchois'. Il avait reçu des félicitations en toutes langues , qui figurent en tête de ces poésies, dont le titre annonce que, dans l'esprit de l'auteur, elles n'étaient qu'un commencement2. Ce qui frappe en lisant ses poésies , c'est le grand nombre de patrons distingués auxquels se recommandait notre poète. Quelques-uns sont des hommes trèshaut placés. L'Hymne à Pallas est dédiée au cardinal de Vendôme. On s'imaginerait à ce titre que, sous une forme païenne, le poète a chanté la sagesse chrétienne personnifiée dans un prélat ; mais l'ode est telle que Pindare l'aurait pu concevoir* eu l'adressant au grand-prêtre du Parthenon : c'est l'histoire de la chaste et docte déesse. Si l'antiquaire et le philologue peuvent y glaner quelque chose, le critique y cherche en vain un vers chaleureux , un mot pittoresque, une émotion poétique '. La Prinse du Mont Saint-Michel est le poème le plusconsidérable de Vitel, et aussi le plus rempli d'histoire et de topographie locales. Il est dédié à son héros, de Vicques, seigneur de l'Ile Manière. Ce poème est une imitation complète de l'antiquité , et une réunion de machines poétiques; mais il y a quelquefois de l'intérêt, de bonnes traductions 1r des vers heureux, et de curieuses descriptions locales. C'est la mise en vers de la délivrance par de Vicques du Mont SaintMichel, pris en 1577 par un protestant appelé deTouchet3, qui s'était introduit avec ses hommes sous le costume de pélerins. Le Discours d'un Songe est dédié à M. de Saint-Germain t abbé de Chalis. Les Élégies ont un plus grand caractère de vérité que les autres poésies , parce qu'elles sont écrites sous l'impression des sentimens personnels. Cependant, il ne faudrait pas y chercher les souffrances morales et sociales du poète, les luttes de l'idéal et de la réalité; c'est la plainte d'un homme qui cherche une position sociale, le bien-être y le repos, qui hésite entre le droit et la théologie ,. la. poésie ou toute autre carrière, qui sollicite des patrons, etc. VEclogue dressée sur l'accueil de François Pericard est un dialogue entre trois bergers sur les malheurs du temps'. Les Odes sont sans inspiration , les Tombeaux sans tristesse. Le Discours à  Messieurs d'Avranchcs, en l'absence de mérite poétique, a un très-grand intérêt local'. Les dédicaces s'adressent à dei hommes tels que le président de Harlay, le président Brisson, Louis de Brezay, évêque de Meaux, etc. On ignore la date de la mort de Vitel.

 

Cependant, en cherchant bien, on peut trouver dans Vitel quelques passages qui ne manquent ni de sensibilité ni d'éclat. Comme contre-partie de toute critique , nous citerons quelques vers heureux:

 

 Je prise plus cent fois le rameau triomphal

 Dont le prince aux crins d'or ses courtisans guerdonne,

 Que d'un luisant saphyr le lustre oriental

 Dont flamboyé des rois la superbe couronne.

 

Les vers cités sur Lentilles sont assez gracieux, les Adieux de de Vicques et de sa femme ne manquent ni de sentiment ni de couleur. La naïveté gauloise a presque disparu à l'époque de Vitel; cependant le portrait d'Avranchin ne manque pas de vérité: il peut figurer ici comme exemple poétique et illustration locale:

 

Mais qui est ce berger au meillieu de la pleine,

Qui court si fort quil semble avoir perdu l'haleine?

N'est-ce pas Avranehin? A voir son chalumeau,

Son gros mastin Pataut, ses guestres, son chapeau

De moelle de jonc, sa large panetière ,

Sa houlette, son arc , sa fronde et sa louvièrc ,

C'est Avranchin, c'est Irry, ce hon vieillard grison

Ce bon père chevrier, qui en toute saison

Nest jamais desgarny de laict ny de fourmage,

Qui a dii-gros troupeaux paissans dans son herbage,

Ce vieillard qui nous a enseigné comme il fault

D'un accord et dun ton ore bas, ore hault

Sonner de nos bourdons.........

 

La cathédrale se posait sur les hauteurs, l'église sur le flanc des montagnes et des coteaux , le monastère s'abritait dans le calme et le silence des vallées: ainsi dans l'Avranchin, la cathédrale de Saint-André, les églises rurales, et trois abbayes, Savigny, Montmorel et la Luzerne: le Mont Saint-Michel est une merveille et par conséquent une exception. Dans une vallée profonde, fraîche et isolée, où les eaux ont à peine un murmure , où ne pénétraient point les bruits des hommes, dans une presqu'île autour de laquelle s'arrondissent les deux bras de la Sélune et du Beuvron, qui confondent leurs eaux dans ses vergers, solitude profonde et riante, repesait l'abbaye augustinc de Montmorel. Elle tirait son nom du mont escarpé et boisé qui l'abrite, qui, perdant son nom normand de Morel, a pris celui de Trompe-Souris Il est cité dans l'acte de donation du lieu du monastère : « Collent nemoris qui eidem loco super eminet. » Ce lieu rempli de souvenirs chrétiens, ce bois qu'habitaient les pensées de la solitude, ont aussi une certaine célébrité profane , chantés par le poète mythologique de ces lieux, qui dédiait les jeux de son imagination payenne à l'abbé du monastère:

 

Et vous Sylvains qui habitez le» monts

Que va léchant Bevron de ses ondettes

Venez icy et aux airs de mes sons

Trepignet tous sur le verd des heibettes.