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Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1845 Domlnium de Sctaulx in vleccomitatit Abrinctnsi. (Charte de i,{5a. Cailla Christ.) Cenuiv, ut tjn cHartis colligitar anlioribus, apfellatur Locus Cctsi. ( Kiid. Ckmai.is.)
Longeant la grève de la baie du Mont Saint-Michel dans une étendue d'environ six kilomètres, depuis le PontBesnier jusqu'au-dessous de Flaget, Céaux présente deux terrains distincts par leur configuration et leur nature intime, une partie plate et tangueuse ou marais maritime et une partie élevée. Le mouvement d'ascendance du terrain va de l'ouest à l'est, et se révèle le long du littoral par des falaises anfractueuses et boisées, dont les principales sont le cap de Montvallon et celui de Gharbonnel, qui abritent deux ports, l'un appelé le -Grand, lacs calmes et encadres par de vertes rives et des arbres penchés sur les eaux. | ||||||||||||
La Butte de Moulvallon est un site admirable d'où l'on embrasse un horizon complet, autour duquel le regard s'arrête sur une dizaine de clochers.La partie basse, ou le marais, est un sol presque au niveau de la mer, souvent envahi par cet élément qui a rongé ses digues et dévoré ses salines. Cette petite plaine est cotoyée par le ruisseau Besnier, qui établit la limite entre Céaux et Courtils, et dans lequel affluent les douves qui la sillonnent. Ces douves, dans lesquelles vivent des forêts submergées de grenouillettes, de potamots, de ruppies, de callitriches, sont bordées de tamarix, ce charmant arbrisseau des grèves. L'hiver, elles sont pleines ou débordées; l'été, elles se vident et deviennent fétides, surtout si la mer a pu s'y introduire. Alors l'air est vicié par les exhalaisons de ces cloaques où pourrissent, dans un fumier de plantes aquatiques, les salicoques de la mer, les anguilles, et cette population grouillante et sautillante de sauriens qui croupit dans ces fossés, surtout dans la grande douve appelée parfaitement du nom de Gargouille. Limitée à l'ouest par le ruisseau Bosnier, au sud par la Guintre et le ruisseau du Gué-de-l'Orvaineric, au nord par la grève, la commune de Céaux n'a pas à l'est de limites naturelles.
Céaux vient-il de Celsus, comme Chatonceaulx vient de Castelhtm Cettum ? Cette étymologie de Robert Cenalis n'est pas démentie par le terrain dont la plus grande partie est élevée. Mais le même auteur donne lui-même une interprétation plus probable et plus authentique: « Ceaulx, ut ex chartis colligitur antiquioribus, appctlatur Locus Cetsi. » D'ailleurs ce nom est normand. Il y a un Guillaume de Celsi dans le Domesday. Ceaulx est appelé Cels dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel. Il est latinisé en sanctus Cyricus de Cclsis, dans un registre des Synodes. Ce nom est altéré en Ceux dans le Livre Vert: « Guillaume Avenel, prestre rector de l'église de Ceax » Il représente donc probablement un nom propre.
Céaux renferme deux choses intéressantes, son prieuré et son église.
La chapelle du prieuré remonte à peu près au XVeme siècle. Son portail est un cintre rustique et le pignon occidental est tronqué par un clocheton de bois. La fenêtre orientale est une ogive grossière divisée en deux lances avec un quatre-feuille dans le tympan. L'autel existe encore : on y voit la statue de saint Benoît, celle de la Madelaine, la patronne, et un tableau du crucifiement.
Ce prieuré dépendit longtemps de l'abbaye bénédictine de Saint-Florent-sur-Loire. Selon M. Desroches, il avait été fondé au XIeme siècle ». Au milieu du XVeme siècle, il était encore au monastèro de Saint-Florent: « Est et prioratus de Celais (gallicè de Ceaulx) qui subest iegibus cœnobiarchœ SainctFlorentianiapud Ligerim. »
A l'époque où fut fait le Pouillé du Diocèse, ce prieuré dépendait du Mont Saint-Michel et valait 300 liv En 1698, il avait un revenu de 500 liv. Le prieur de Céaux était un des réguliers tenus d'assister aux synodes diocésains.
Un différend s'éleva, à l'occasion du prieuré de Céaux, entre l'abbé de Saint-Florent et l'archidiacre d'Avranches, qui prétendait à un droit de visite sur ce prieuré. L'affaire s'arrangea à l'amiable , comme le témoigne une charte insérée dans le Cartulairc de l'Évêché:
« Carta abbatis et conventûs de Saumur super visitatione archidiaconi Abrincensis in prioratu de doux. Universis G. Dei perrnisione abbas totusque conventus Sancti Florencii de Sabnurio salutem in Domino : cum controversia inter nos ex unâ parte et G. archidiaconum Abrincensem ex altera haberetur super procuratione et visitatione in domo nostra de Cyaux idem archidiaconus exigebat. Tandem inter nos et ipsum convenu amicabiliter in hac forma quod camdem domum idem archidiaconus et successores sui de cetero visitabunt semel in anno scilicet in festo beaii Andrée apostoli nomine procurationis et visitationis ratione xn solidos turonenses percipient in eadem »
C'est sans doute d'après cette charte que Stapleton a écrit:
« The abbey of St-Florent-lez-Saumur in Anjou had subject to it the Cell of Ceaulx, in the diocese of Avranches. »
Mais au XVeme siècle, selon le Pouillé, il était au Mont Saint-Michel.
Dans l'Impôt royal de 1522 , le prieuré de Ccaulx paya la somme de 10 liv. 5 s. , et l'église 13 liv. 10 s
L'église de Céaux est une des plus intéressantes de l'arrondissement. Trois époques y sont représentées, par la tour, par le chœur, et par la nef. La tour est romane dans ses deux premières zones, et remonte sans doute au xir siècle, époque de la fondation du prieure. Ses deux angles extérieurs sont contrebutés par deux conlreforts très-saillans du xv° siècle, c'est-à-dire de l'époque du chœur. Sur les quatre faces s'ouvrent des ouïes, lancettes cintrées , semblables à celles de Saint-Léonard et de Courtils et sans doute contemporaines. La base de la tour ne présente pas la disposition appareillée ; c'est un cailloutis assez semblable aux foliations d'une veine de schiste. Une bande peu saillante s'élance, sur chaque face, de la ligne de la première zone pour aboutir sous chacune des ouïes. Le sommet de la tour est moderne, et présente des fenêtres à barres ou croisées. Il faut joindre à ces parties les contreforts de la nef et un autel de pierre2, et l'on a l'inventaire des parties primitives de cet édifice.
Le XV siècle avait fait du chœur de l'église une œuvre remarquable, comme on peut en juger d'après les vestiges qui restent de cette époque. Une voûte à trois travées recourbait les vives arêtes de ses nervures dont la naissance existe encore. Des fenêtres flamboyantes élançaient leurs meneaux et contournaient leurs tympans. Des vitraux peints voilaient et coloraient le jour. Il y a encore, de ce chœur, un très-beau spécimen qui permet a l'imagination de le reconstruire, c'est la fenêtre orientale qui est bien conservée dans son architecture et ses vitraux. C'est une large baie a tracerie prismatique divisée en trois lances trifoliées par deux meneaux, et inscrivant dans son tympan trois cœurs que remplit un vitrail d'un coloris pâle et d'un dessin peu remarquable, mais intéressant par sa composition. Il représente le Jugement dernier. Au sommet de l'ogive est le Père éternel, ayant à ses côtés deux anges sonnant de la trompette. Au-dessous est la Résurrection générale. L'humanité est représentée par des êtres de tout âge et de toute condition qui sortent des tombeaux. Toutes les figures sont nues, et les conditions sont révélées par les insignes de la tête. On reconnaît le roi, la reine, l'évêque, le moine, le chevalier. Le soleil, la lune et une étoile se trouvent au-dessous de la terre, sans doute comme ornement, et s'adaptent au sommet des trèfles des lancettes. Un phylactère en caractères gothiques a été brisé. Cette intéressante fenêtre repose sur une base dallée en talus, et l'angle de son pignon est orné d'une jolie croisette historiée. Sur la face méridionale du chœur est une fenêtre qui reproduit à peu près le style et les formes de la grande. Une autre fenêtre de la même face présente un linteau assez semblable à un trèfle étalé ou ouvert : un autre est en accolade, de sorte que l'on a sous les yeux les trois formes engendrées l'une par l'autre, le trèfle, le trèfle ouvert et l'accolade. Les colonnes torses de l'autel ont appartenu à l'église de Notre-Dame-des-Champs d'Avranches. C'est un grand bonheur qu'on ait sacrifié l'entablement à la fenêtre, à une époque où l'on a tant de fois sacrifié la fenêtre au retable. On remarque au côté de l'autel un fragment de boiserie en style flamboyant dont la grace simple contraste avec le faste et la lourdeur des colonnes. A l'époque du chœur on peut sans doute rapporter une statue qui est sous le maitre-autel. Le saint Roch, dont les plaies sont cicatrisées par un ange qui tient une fiole, et la grande sainte Catherine appartiennent à la Renaissance.
La nef est séparée du chœur par un grand arc simple du XVIIeme siècle: elle semble en général appartenir à cette époque, comme l'indiquent son portail et sa porte septentrionale. N'étaient ses contreforts romans, elle mériterait peu d'intérêt. Deux devants d'autel attestent le xvnr siècle. Les fonts ne se distinguent que par leur énorme masse. La croix du cimetière associe un croisillon rond ou roman à un fût polygonal ou gothique.
L'église de Saint-Cyr de Céaux avait pour patron l'évêque d'Avranches. En 1648, elle rendait 200 liv. En 1698, elle valait 400 liv.; outre le curé, elle avait quatre prêtres ; la taille rendait 1486 liv., et il y avait 193 taillables. En 1784, cette paroisse renfermait 153 feux, et dépendait de la sergenterie de Pontorson.
Les Rogeron étaient seigneurs de Céaux au XVeme siècle. Pendant l'occupation anglaise, un Rogeron , avocat, fut conservé dans ses biens par le roi d'Angleterre : « Le 14 mars 1420, expédition du don fait à messire Robert Le Rogeron, avocat, des héritages qui furent à Louise Motet, sa mère, et mandé au bailly de Constantin et vicomte d'Avranches, le laisser jouir. » Jean du Mezeiai Le Rogeron, écuyer, sieur du Mezerai, souscrivit à l'Aveu des biens de l'évêché d'Avranches que Robert Cenalis présenta à François Ier, en 1535. En 1698, les gentilshommes à Céaux étaient les Rogeron. L'église offre quelques pierres tombales écussonnées, l'une avec deux lions, l'autre avec des losanges : celle-ci porte la date de 1587. Une autre porte le nom de Le Bouteillier et la date de 1701. On remarque encore celle de J. Motays, curé de Servon.
Céaux ne renferme ni Manoir, ni Logis ; mais il renferme plusieurs Mes : le Mès-Godefroi, le Mès proprement dit, le Mès-Provôt, et le Mès Zeray ou le Mès Hiray.
C'est à Céaux, à la terre du Val-Hubert, qu'est le berceau de la famille Roger Valhubert, d'où est sorti le général dont Avranches s'enorgueillit d'avoir été la mère et la nourrice, et dont elle est fière de montrer la statue.
La Berthaudière est un fief désigné indirectement dans une charte du Livre Vert dont nous détachons quelques détails locaux : « Par devant nos recogneut G. Avenel prestre rector de lygese de Çeax que il aveit vendu a noble monseignour G. de Brac chevalier pour vint livres de tourneis sur une meson o les appartenances assise en la dite parroisse entre la meson Joh. Lacedune et la place Berthaut. 1307. » Il y a eu une chapelle.
Il est très-probable que Céaux est désigné dans une phrase du Cartulaire du Mont Saint-Michel au chapitre De perditis hujus ecclesiœ: « Abstidit eciam nobis rex Guillelmus villam quœ vocatur Cels quam dedit Sancto Michaeli Nigetlus senex quando monachus effectus est abstidit eciam forum de Cruce. « Mais il est plus douteux que cette localité soit désignée par cet Ycius, souvent cité dans les chartes de l'abbaye: « Homo nomine Bayno in villa quœ dicitur Ycius. »
Le prieuré de Céaux nous rappelle de curieux statuts sur la discipline de ces maisons religieuses.
L'illustre abbé Pierre Le Roy fit des règlements pour les moines détachés comme prieurs dans les prieurés et les cures dépendant de l'abbaye:
« Injonctiones per nos Petrum Regem factœ commonachis nostris commorantibus in prioratibus nostris. » — « Nous vous enjoignons de réciter toujours avec vos prières l'office divin et les heures canoniales, de dire vos messes dans vos églises, d'observer la modestie et la sobriété: l'ivresse est la source de tous les vices: « Ebrietas omnium viciorum radix. — » Nous vous défendons d'entrer dans les cabarets soit de ville, soit de bourg, pour y boire.... De jamais sortir de l'enceinte des prieurés sans permission des prieurs, si ce n'est pour cause de récréation dans le domaine des prieurés —in domanis prioratuum. —Si les prieurs sont absens ne passez jamais l'enceinte surtout de nuit ; si quelque raison forte et juste vous porte à le faire, faites-vous accompagner d'un serviteur, et toujours avec l'habit religieux. Que les prieurés soient fermés au plus tard à l'heure du couvrefeu — non ad tardiùs Iwrâ ignitegnii. — »
Céaux qui avait autrefois trente-cinq salines 4, n'en a plus que trois ou quatre, et ne conserve sur ses mondrins que quelques débris et pour ainsi dire le squelette des anciennes. Ces vestiges délabrés qui se trouvent surtout le littoral, rappellent une époque plus prospère. Les salines s'en vont : efforçonsnous donc, en les décrivant, d'en conserver le souvenir.
Les côtes de la baie du Mont Saint-Michel sont bordées de salines. Assez nombreuses autrefois, comme on peut le voir sur la carte de Cassini, elles ont considérablement diminué; mais il y en a encore assez pour donner à ce littoral un aspect original, et les faire ressembler à des lignes brisées de bastions et de redoutes; seulement leurs monticules de sable ou mandrins se détachent par leur blancheur sur le fond plus terne de la grève et le fond noircissant de la campagne. Comme la saline est un des éléments du paysage et un des édifices les plus originaux et les plus antiques de ce rivage baigné par les eaux douces et les eaux salées2, sa description n'est peut-être pas sans intérêt. Son antiquité est attestée par une ancienne charte dans laquelle un seigneur de Verdun dit:- Meum sal de Verdun », saline d'une terre du Val-Saint-Père, qui appartient encore à un de ses descendans. Dans une charte de l'abbaye de Cérisy, G. de Monfichet fait don de duas salinas K La saline est une cabane ou plutôt une hutte, comme celle du Lapon. Quatre murs, souvent d'argile, portent une charpente couverte de chaume. Le toit est percé de deux trous ou ballons par où s'évapore la fumée. Le saunier est enfumé comme le sauvage, et il est proverbial de dire:—Fumer comme une satine. — II n'y a qu'une porte, sur laquelle la douane a appliqué le numéro d'ordre, et en face de laquelle veille avec son manteau gris le douanier, argus infatigable de cette industrie si nécessaire et qui devrait être si libre. La hutte des sauniers, quelquefois appelée Aneric, est a deux pas des mandrins, ou amoncellemens de sable, qui donnent l'élément même de l'industrie. Le mondrin se compose de deux parties : le sable lavé et rejeté, et le sable vierge. Le sable vierge entassé sur une aire d'argile appelée Aircux, foulé avec des pelles de bois dites Lattes, souvent couvert au-dessus d'une couche argileuse, porte le nom de Mouce, ou simplement Sablon. Une caisse en bois assez semblable à l'amer des pressoirs, et appelée Fosse, reçoit le sable vierge, sur lequel est versée, avec des seaux dits Tincs, l'eau qui le dessale. Cette eau, qui est la matière même du sel, sous le nom de Brune, est conduite par un canal de bois ou branche d'arbre creusée, dite Noc, ou plus souvent Anche, dans des tonneaux qui servent de réservoirs. Là elle est essayée avec un instrument primitif que l'on appellerait aujourd'hui un Britnomètre, mais dont le nom populaire est un Essai. Plus la brune est chargée de sel, plus les boules de plomb et de cire que renferme cet instrument flottent et nagent. La brune est puisée dans le tonneau, à l'aide d'un seau appelé Puisoux, c'est-à-dire Puiscur ou Plongeouv, c'est-à-dire Plongeur. Des vases en plomb, appelés Plombs, sont placés sur des fourneaux en terre, au-dessus desquels est posé un pied d'arbre où sèche le menu bois qui alimente les fourneaux : ce bois est appelé Fumerot. L'eau puisée par le puisoux est versée dans le plomb, où l'évaporation la réduit en sel. Quand l'eau salée bouillonne et écume, on l'ébrue, c'est-à-dire on en tire la broue, ancien nom de l'écume. Le sel est enlevé du plomb avec une pelle de bois et déposé dans un angle de la saline dite le Gainier ou Grenier. Comme les plombs se débordent sur le feu, ou que leurs rebords s'abattent, il y a une pierre plate appelée la Borderesse ou Bordoire, sur laquelle on relève leurs bords. On dit que cette pierre sale et noire est la maîtresse de la saline, et qu'il faut l'embrasser quand on entre : la figure des hôtes de céans prouve leur politesse excessive. Un pic en fer appelé Pihouet, c'est-à-dire Piquois, sert à crever les sourbaudeurs' ou éclairs, éclats du fond des plombs qui, en se soulevant, déterminent sa fusion. Dans un des angles est le moule aux plombs, avec la timballe où le métal se liquéfie: et dans l'autre deux lits tout de paille, liés avec des harts de bois, où couchent les surveillans de la saline , c'est-à-dire les Boidrots et les Boidrotes dont la figure noire, avec leur case, fait croire à une habitation de négres d'Afrique.
C'est dans ces salines que se fomenta cette fameuse révolte qui éclata sous Richelieu , appelée révolte des NuPieds, qui courut comme une traînée de poudre dans toute la Normandie, et qui ne fut comprimée que par les trois mille hommes de Gassion et les sévices du président Séguier | ||||||||||||
Église Saint-Cyr et Sainte-Juliette à Céaux GO69 — Travail personne | ||||||||||||