LE TELEPHONE DANS LA MANCHE  3/7
   
  Une longue hésitation 1898–1904  -1/2
         
 

Ger, la poste. CPA collection LPM 1900

 
 

 

 
 

Dans son rapport annuel de 1898, le Directeur Départemental des P et T précise que des études ont été faites pour établir un réseau téléphonique urbain à Cherbourg et à Valognes et un circuit avec Caen. De même un circuit Granville Vire Caen est envisagé. L’année suivante, le sous-secrétaire d’État aux P et T soumet un nouveau projet de réseau téléphonique départemental qui est présenté à la deuxième session d’août du Conseil Général. Le Préfet lui demande de se prononcer « sur le principe même de la création d’un réseau téléphonique embrassant toutes les localités du département », soulignant que le plus important était de définir le mode de financement. Lors de la séance du 24 août 1899, la Commission d’Administration Générale rend un verdict négatif au projet: outre des réserves sur la distribution des circuits, c’est surtout le problème financier qui apparaît insurmontable. Le rapporteur conclut ainsi: « l’opération qu’on nous propose serait aujourd’hui prématurée ».

 

Les conclusions du rapport sont adoptées. Lors de la première session de 1900, les conseillers généraux d’Avranches et d’Isigny-le-Buat déposent un vœu pour que l’administration mette à l’étude l’installation d’un réseau téléphonique reliant avec Paris les principaux centres de commerce de la Manche. Cependant, à la séance du 25 avril, la Commission d’Administration Générale fait observer « qu’il ne lui paraîtrait possible d’y donner satisfaction que le jour où qes exigences moins onéreuses seraient réclamées au département par l’Etat ». Le rapport annuel du Directeur Départemental nous apprend que la création de réseaux téléphoniques à Cherbourg et à Valognes et d’un circuit Cherbourg Valognes-Caen a été autorisée par les arrêtés ministériels des 17 mars et 10 mai. Les travaux peuvent commencer et se poursuivent pendant le second semestre. Les deux réseaux et le circuit sont mis en service le 20 février 1901. Enfin, le téléphone pénètre dans le département de la Manche, mais sans l’aide financière du Conseil Général: ce sont en effet les villes intéressées qui ont fait les avances. Dès le 1er avril, vingt-cinq cherbourgeois et un valognais sont abonnés. Cette même année, des initiatives individuelles proposent de relier les cités balnéaires de Barneville et de Carteret à Valognes en passant par Bricquebec.

 

Ainsi seul le nord du département se désenclave. Pourtant l’administration ne désespère pas et, par l’entremise de son représentant départemental, propose qu’un projet plus réduit concernant sept localités soit mis à l’étude: « ce projet se renfermerait dans des limites répondant aux seuls besoins les plus immédiats des villes ». Le Directeur cite en exemple les Conseils Généraux d’Ille et Vilaine et des Côtes-du-Nord qui «,ont bien voulu consentir à prendre à leur charge les avances faites à l’Etat ». Projet modeste, exemples voisins, rien n’y fait, le Conseil Général ajourne à nouveau sa décision: « Comme il y a deux ans, votre Commission pense que l’installation du téléphone donnerait satisfaction à de nombreux intérêts, mais elle est d’avis que les localités intéressées doivent faire avant tout des propositions fermes que le Conseil Général examinera dans une prochaine session et c’est alors seulement que vous déciderez si vous êtes en mesure de faire le sacrifice nécessaire pour obtenir la réalisation du projet qui vous est soumis ».. A nouveau lors de la session d’avril 1902, le projet est renvoyé, toutes les communes concernées n’ayant pas fait parvenir leurs réponses. En juillet, le comte Doria ayant apporté les fonds nécessaires, les travaux pour établir les réseaux de Bricquebec, Barneville, Carteret et Port-Bail peuvent commencer. Au mois d’août la question est enfin débattue. Le Préfet dans son rapport constate que la question a fait un grand pas en quelques mois: en effet, la Chambre de Commerce de Granville et les municipalités de Granville, Coutances et Saint-Lô se sont entendues pour l’établissement d’un réseau Caen, Saint-Lô, Coutances Granville.

 
   
 
 

Il ajoute que les pourparlers avec Avranches sont bien avancés et conclut ainsi son rapport: « dans ces conditions, il ne semble pas qu’il y ait lieu pour le département de prendre l’initiative de la création d’autres réseaux. S’il venait à être fait appel à son concours, vous auriez à examiner pour chaque cas en particulier ce qu’il conviendrait de faire ».

 

N’ayant donc pas à intervenir financièrement, le Conseil Général de la Manche adopte les conclusions du Préfet. Le 23 décembre 1902 la Chambre de Commerce de Granville est autorisée à contracter l’emprunt nécessaire à l’établissement d’un réseau téléphonique reliant les villes de Saint-Lô, Coutances, Granville et Avranches au réseau général. Le 21 janvier 1903 l’arrêté ministériel est signé et le 13 mars les travaux commencent. Après la mise en service des réseaux de Bricquebec, Barneville, Carteret et Port-Bail le 10 novembre 1902, les réseaux de Saint-Lô, Coutances, Granville et Avranches sont mis en activité le 1er juillet 1903 et ouverts au public le 15 août. Après six années de débats, dix localités manchoises sont équipées du téléphone.

 

 

Téléphone - Poste mural Picard Lebas 1907

 
         
 

En liaison avec le développement du tourisme balnéaire, Jullouville et Saint Pair obtiennent en 1904 un réseau relié à Granville. Après que Villedieu eut obtenu un réseau cette même année, le directeur départemental constate que « le développement du service téléphonique dans la Manche tend à progresser » mais déplore déjà des difficultés d’audition dues à l’emploi d’un trop grand nombre de circuits. Il propose comme remède la création de lignes d’intérêt Saint-Lô,Valognes, Cherbourg et Saint-Lô Villedieu, ce qui permettrait à toutes les localités du département de communiquer entre elles sans passer par Caen et sans encombrer le circuit Cherbourg Caen, et pour le second circuit, aux villes du sud d’obtenir des communications avec Saint-Lô, le nord et l’extérieur sans emprunter successivement les circuits Avranches Granville, Granville Coutances et Coutances Saint-Lô diminuant ainsi dans de très fortes proportions les chances d’interruption et les retards inhérents au système actuel de communication. L’annuaire de 1905 nous présente les 259 abonnés du département de la Manche, Cherbourg, Granville et Saint-Lô possèdent à elles trois 81 % des abonnés et Cherbourg à elle seule représente 47 % des abonnés. La structure professionnelle montre que ces premiers abonnés appartiennent pour 67,1 % au secteur commercial, artisanal et industriel et pour 24,7 % au secteur des professions libérales, le reste se répartissant entre quelques administrations (3,9 %) et des propriétaires de villas dans les cités balnéaires (2,3 %). Le téléphone est d’abord un outil urbain et professionnel pour les affaires et les professions libérales : ainsi parmi les 52 abonnés granvillais, 16 résident rue Lecampion et 6 rue Couraye. A Cherbourg, Il des 121 abonnés résident quai Alexandre III et 10 des 37 abonnés Saint-Lois habitent rue Torteron.

 
 
 
 

Villedieu-Les-Poêles, la poste. CPA collection LPM 1900

 
     
   

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  Une longue hésitation 1898–1904  -2/2
         
 

Montmartin-Sur-Mer, la nouvelle poste. CPA collection LPM 1960

 
   
 

Malgré les quatre échecs successifs de 1897, 1899, 1901 et 1902, le sous-secrétariat d’Etat aux P et T écrit le 4 mars 1905 afin que le Conseil Général de la Manche soit à nouveau consulté sur l’opportunité de doter le département d’un réseau téléphonique. 25 abonnés communiquent certes, mais attentes prolongées et auditions affaiblies entraînent de nombreuses plaintes de la part des utilisateurs. Nord et sud du département doivent transiter par Caen pour communiquer entre eux. En outre la ligne omnibus Villedieu-Avranches-Granville-Coutances-Saint-Lô-Caen n’arrange pas la situation, en raison des dérivations existant dans les bureaux intermédiaires. En effet, au début du xx· siècle, la qualité de service ne pouvait être satisfaisante que si le rattachement des localités à un centre avait lieu par une ligne spéciale ou d’usage commun à deux d’entre elles au plus. Face aux demandes d’un certain nombre de localités, l’Administration souhaite qu’un projet d’ensemble soit adopté, prévoyant le rattachement des localités les plus importantes et la création de lignes départementales et interdépartementales. Afin d’emporter une décision favorable de l’Assemblée départementale, le sous-secrétaire d’Etat cite en exemple un certain.nombre de conseils généraux ayant pris la décision d’assurer tout ou partie du service des intérêts de l’emprunt et ajoute: « Si, à la session d’avril prochain, une décision favorable, au sujet de la participation financière du département, était prise par le Conseil Général, le projet du réseau lui serait soumis au mois d’août et cette Assemblée pourrait déterminer dans quelle mesure le département contribuerait aux dépenses prévues ».

 

Après consultation des communes, un projet définitif comprenant toutes les localités ayant donné leur adhésion serait établi. Les conseils municipaux seraient ensuite invités à prendre une délibération régulière, en vue de l’inscription au budget des dépenses de la commune, de la somme à verser annuellement au département. L’Administration précise que cette somme diminuerait d’année en année jusqu’au complet remboursement du capital avancé. Enfin les souscripteurs (villes, chambres de commerce ou particuliers) des avances non encore amorties pourraient transférer leurs droits au département. Dans sa lettre au Préfet, le sous-secrétaire d’Etat conclut ainsi: «Je vous serais très reconnaissant de joindre vos efforts à ceux de mon Administration, en vue d’amener cette Assemblée à poursuivre la réalisation d’un projet qui faciliterait l’échange des relations commerciales, industrielles et privées des habitants de la Manche ».

 
   
 
 

A nouveau le Conseil Général de la Manche doit se décider. Toutefois la Commission d’Administration Générale avant de se prononcer « sur cette importante question» souhaite copnaître le montant de l’avance que le département aurait à faire à l’Etat pour l’établissement du réseau téléphonique. Dans son rapport annuel, le Directeur Départemental constate qu’entre 1904 et 1905 le nombre de conversations téléphoniques a augmenté.

 

Dans son rapport annuel, le Directeur Départemental constate qu’entre 1904 et 1905 le nombre de conversations téléphoniques a augmenté d’environ 30 %, ce qui « prouve le développement incessant des relations par téléphone, la faveur toujours croissante avec laquelle le public accueille ce moyen de communication rapide et fait pressentir combien plus considérable serait le nombre des abonnés, lorsque la Manche sera en possession d’un réseau plus complet et mieux compris ». Il signale le grand effort de la Chambre de Commerce de Granville qui finance un circuit Granville Rennes dont la construction est achevée en septembre 1905 et déplore que Cherbourg ne possède aucune communication téléphonique directe avec le centre du Département.

 

 

Ensembles d'appareils historiques

 
         
 

Il précise qu’un nouveau projet est à l’étude et ajoute que son adoption permettrait de mettre fin à toutes les plaintes et à toutes les réclamations des abonnés sur la lenteur des communications et la mauvaise audition. Lors de la deuxième session en août, le Préfet présente dans un rapport supplémentaire l’ensemble du projet de réseau téléphonique départemental. Le rapport démontre son utilité par la prospérité des deux grands réseaux déjà créés, Cherbourg Valognes Caen et Avranches Granville Coutances Saint-Lô Caen : « le premier a été mis en service le 20 février 1901 : en moins de cinq années, les 57420 francs qu’il a coûtés seront rentrés dans les caisses des villes de Cherbourg et Valognes. Le second n’est en service que depuis le 15 août 1903, et déjà il accuse un rendement annuel de 24 000 francs ». Le projet présenté répond à un double but: améliorer le réseau déjà constitué et doter du téléphone toutes les localités du département qui, soit en raison de leur importance, soit à cause des commerces et des industries qui s’y exercent, paraissent susceptibles d’utiliser ce nouveau mode de communication. Le rapport insiste sur l’impossibilité de communiquer facilement entre le nord et le sud du département: pour téléphoner de Cherbourg à Saint-Lô, il faut passer par Caen. Quant à la création de nouveaux bureaux, l’Administration proposait de les rattacher sur des centres existants: Cherbourg (15 communes), Valognes (4), Saint-Lô (28), Coutances (9), Granville (9), Avranches (8) et Mortain (10).

 

L’ensemble qui prévoyait le rachat des réseaux déjà construits concernait 83 communes dont 38 chefs-lieux de cantons. La participation financière des communes était souhaitée afin d’une part de soulager la dette départementale, et d’autre part surtout de mesurer leur intérêt de posséder le téléphone. En conclusion de son rapport, le Préfet chiffre le projet à 800 000 francs et propose au Conseil Général de procéder à un emprunt remboursable par annuités en 15 années. La commission d’Administration Générale acceptait sans réserve le rachat immédiat du réseau Cherbourg Valognes Caen et la construction rapide de la ligne Cherbourg Valognes Saint Lô (en prenant la somme aux dépens d’un crédit de 100 000 francs réservé à la construction d’une prison à Avranches). Cependant, la création du réseau téléphonique départemental ne fut acceptée que sous la réserve d’une amélioration des communications qui étaient« absolument insuffisantes », en particulier avec Paris. Ainsi ce cinquième projet de réseau téléphonique apparaissait être le bon, mais toujours prudents, les conseillers généraux de la Manche n’acceptaient que du bout des lèvres: tant que l’amélioration des communications téléphoniques avec Paris ne serait pas réalisée, l’emprunt de 800 000 francs ne pouvait pas être envisagé.

 
   
 

Lessay, la poste. CPA collection LPM 1900