« Pourquoi donc ne se marie-t-elle pas, cette charmante demoiselle, dit la bonne femme, elle qui est si douce, si aimable, qui a tant d’ordre, et qui ferait une si bonne ménagère ? - Sans compter, répartit le Curé, en gasconnant un peu, qu’elle a mis le cul dans le coffre, je l’ai vu. - Mille écus ! M. le Curé, reprit Mère Nannon au comble de la surprise, mais savez-vous que c’est une belle dot cela ? - Je crois bien ! répondit le Curé, se retenant pour ne pas rire et heureux que sa gasconnade eût réussi. » Mère Nannon était la plus grande potinière de la paroisse, aussi après avoir quitté son pasteur n’eut-elle rien de plus pressé que d’aller conter partout que Mamzelle Prudence était un bon parti et qu’elle aurait mille écus de dot. Puisque l’oncle l’avait dit, ce devait être vrai. Qui pourrait d’ailleurs douter de la parole de son curé ? Le fils Mathurin qui cherchait femme depuis longtemps mais qui n’en trouvait pas d’assez riche à son gré n’eut pas plutôt entendu parler de la fameuse dot qu’il mit tout en oeuvre pour se l’approprier. Comme de juste ce fut mère Nannon qui avait annoncé la bonne nouvelle qui fut chargée de faire la demande . Le Curé fit le surpris ; il feignit de ne pas croire que sa nièce pouvait devenir fermière au Hamel, la plus importante terre de la paroisse, mais petit à petit et en homme qui connaît son monde, il se laissa convaincre. Inutile de dire que Demoiselle Prudence était dans la jubilation. Le lendemain des noces le gars Mathurin vint au presbytère, pour chercher les habits de sa femme et réclama les milles écus de dot. « Mille écus ! s’exclama le Curé en levant les bras au ciel, mille écus ! mais malheureux où les prendrais-je ? - Vous les avez annoncés à mère Nannon, objecta le nouveau marié. - Ah ! Nigaud ! riposta le Curé, voilà ce que je lui ai dit qu’elle avait, ma nièce » et ce disant il s’assit en se tordant de rire dans le fameux coffre. Le tour était joué : le Curé de la Graverie avait marié sa nièce sans bourse délier |