MAIRES ET CURES BAS NORMANDS
  UNE DOT DE CURÉ
         
 

Par
Jean Des Sablons
Ancien Procureur

 

Le Curé gascon de la Graverie avait une nièce qui vivait avec lui au presbytère et soignait son intérieur. Demoiselle Prudence, c’était son nom, était une grande brune bien campée, la figure légèrement colorée, les traits réguliers, les hanches arrondies, la poitrine développée et le regard un tant soit peu éveillé. C’était en un mot un beau brin de fille. Elle frisait la trentaine et le bon Curé eût été bien aise de la marier à un de ses paroissiens.


Les gars normands aiment bien les jolies femmes mais ils aiment encore mieux les sacs d’écus et comme l’oncle ne passait pas pour être argenté, aucun prétendant ne venait pour la nièce.


Un lundi que Demoiselle Prudence serrait ses habits dans son coffre, le Curé lui ordonna de s’asseoir dedans. Ne comprenant rien à cette bizarrerie de son oncle elle obéit néanmoins.


Deux jours après notre gascon allant voir un malade rencontra la mère Nannon qui bien entendu l’arrêta pour s’informe de sa santé et de celle de la Demoiselle du presbytère.

 
 
 
     
 

« Pourquoi donc ne se marie-t-elle pas, cette charmante demoiselle, dit la bonne femme, elle qui est si douce, si aimable, qui a tant d’ordre, et qui ferait une si bonne ménagère ?

 

- Sans compter, répartit le Curé, en gasconnant un peu, qu’elle a mis le cul dans le coffre, je l’ai vu.
- Mille écus ! M. le Curé, reprit Mère Nannon au comble de la surprise, mais savez-vous que c’est une belle dot cela ?
- Je crois bien ! répondit le Curé, se retenant pour ne pas rire et heureux que sa gasconnade eût réussi. »
Mère Nannon était la plus grande potinière de la paroisse, aussi après avoir quitté son pasteur n’eut-elle rien de plus pressé que d’aller conter partout que Mamzelle Prudence était un bon parti et qu’elle aurait mille écus de dot. Puisque l’oncle l’avait dit, ce devait être vrai. Qui pourrait d’ailleurs douter de la parole de son curé ?


Le fils Mathurin qui cherchait femme depuis longtemps mais qui n’en trouvait pas d’assez riche à son gré n’eut pas plutôt entendu parler de la fameuse dot qu’il mit tout en oeuvre pour se l’approprier.


Comme de juste ce fut mère Nannon qui avait annoncé la bonne nouvelle qui fut chargée de faire la demande

.
Le Curé fit le surpris ; il feignit de ne pas croire que sa nièce pouvait devenir fermière au Hamel, la plus importante terre de la paroisse, mais petit à petit et en homme qui connaît son monde, il se laissa convaincre. Inutile de dire que Demoiselle Prudence était dans la jubilation. 


Le lendemain des noces le gars Mathurin vint au presbytère, pour chercher les habits de sa femme et réclama les milles écus de dot.


« Mille écus ! s’exclama le Curé en levant les bras au ciel, mille écus ! mais malheureux où les prendrais-je ?


- Vous les avez annoncés à mère Nannon, objecta le nouveau marié.
- Ah ! Nigaud ! riposta le Curé, voilà ce que je lui ai dit qu’elle avait, ma nièce » et ce disant il s’assit en se tordant de rire dans le fameux coffre.

Le tour était joué : le Curé de la Graverie avait marié sa nièce sans bourse délier