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Une des principales forteresses ducales : le château de Falaise, Guillaume le Conquérant y est né. | ||||||||||
L’historien François Neveux présente la Normandie comme « un véritable État, où l’autorité publique l’emporte sans conteste sur les intérêts privés ». Il met en avant la « structure administrative particulièrement efficace » du duché dès le XIe siècle et " ses institutions solides " au XIIe siècle. Ce modèle normand sera exporté en Angleterre, suite à la conquête de 1066, et dans une bonne partie du royaume de France.
À première vue, la conclusion de François Neveux trouve en effet plusieurs appuis. Les premiers ducs parviennent à récupérer ou à conserver les droits des anciens rois carolingiens : ils sont les protecteurs de l’Église, ils nomment les évêques et nombre d’abbés, ils perçoivent un impôt direct, ils font régner la paix et la sécurité. Quiconque attaque un pèlerin, un marchand, un chevalier se rendant à l’ost a affaire à la justice ducale. En résumé, Rollon et ses successeurs sont des monarques sans en avoir le titre. Le duc Richard II (996-1026) établit des comtes dans les régions frontalières et des vicomtes à l’intérieur. Révocables, ces hauts fonctionnaires exercent un pouvoir que le duc leur a délégué.
En 1066, la conquête de l’Angleterre permet aux ducs d’obtenir le titre de roi. Elle oblige aussi à perfectionner l’administration car les nouveaux souverains anglo-normands peuvent difficilement tenir leur État partagé par la Manche. Des institutions permanentes voient le jour. Henri Ier d’Angleterre créé l’office de justicier, celui-ci étant chargé d’administrer la Normandie quand le roi est sur l’île. Des justiciers itinérants sont mis en place sous ce même règne. Leur rôle rappelle celui des missi dominici de Charlemagne. Le trésor ducal est installé en permanence dans le château de Caen. Dans ce lieu, se tient au XIIe siècle l’Échiquier qui assure le contrôle des dépenses en tant que chambre des Comptes.
En 1154, le duc de Normandie, Henri II Plantagenêt, devient roi d’Angleterre alors qu’il était déjà comte d’Anjou et duc d’Aquitaine. La Normandie se retrouve incluse dans un vaste État s’étendant de l’Écosse aux Pyrénées. Noyé dans cet ensemble, le duché n’en perd pas pour autant toute influence. Les institutions normandes servent d’exemples et la Coutume de Normandie de référence dans le grand État Plantagenêt. Même le roi de France s’inspire du modèle normand en reprenant notamment l’idée de mise en place de baillis comme administrateurs locaux. Si l’administration de la Normandie sert de modèle, il faut cependant concéder qu’elle-même trouve inspiration ailleurs. Notons par exemple que le développement de l’Échiquier doit beaucoup à l’exemple du comté de Flandre. Quant aux justiciers itinérants, le duc Henri Ier Beauclerc a ici repris une institution anglaise.
L’image d’une Normandie puissante, bien gérée et dirigée mérite encore davantage de nuances. La Normandie plonge régulièrement dans plusieurs années d’anarchie. La cause : les successions ducales, qui se passent généralement mal, soit parce que l’héritier est trop jeune, soit parce qu’il est contesté. À tel point que l’historien A. Debord constate que les périodes de crise de l’autorité ducale représentent, dans la Normandie du XIe siècle, presque autant de temps que ses périodes d’assurance. La minorité de Guillaume le Conquérant (1035-1047) est un exemple de ces périodes difficiles.
L’affaiblissement du pouvoir ducal profite aux barons, en particulier ceux installés sur les marges, comme l’ont analysé Pierre Bauduin ou Gérard Louise. Ces seigneurs développent des stratégies conformes à leurs intérêts et construisent des châteaux sans l’autorisation du duc. Le nombre actuel de mottes entourées de fossés révèle l’importance du phénomène. Les barons s’octroient la propriété des grandes forteresses ducales alors qu’ils n’en avaient que la garde. À la périphérie méridionale, les seigneurs de Bellême sont parmi les plus indépendants.
En somme, comme l’ensemble de la France, la Normandie est confrontée au XIe siècle à la crise châtelaine. Mais cette crise se produit par intermittence. L’héritier du duché finit par s’imposer. Il mate les aristocrates rebelles, récupère les châteaux confisqués et renoue par des mariages politiques des liens distendus. La paix ducale retrouve alors toute sa signification.
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, il n’y a presque plus de crise. L’autorité des ducs-rois Henri II Plantagenêt (1154-1189), Richard Cœur de Lion (1189-1199) et Jean sans Terre (1199-1204) est incontestée. Les princes se sont définitivement imposés face aux barons.
Entre 911 et 1204, le duché de Normandie montre donc deux visages. D’un côté, celui d’un État gouverné par des ducs capables et respectés. De l’autre, celui d’un État en proie à l’anarchie dès qu’un duc meurt. | ||||||||||
.Le château de Falaise pris du Mont Myrrha, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||