CONTES NORMANDS

  LES JOYEUX BOCAINS
  TIBI, GEORGETTE !
         
 

Préface

 

A mes Lecteurs

 

Il me plaît d'évoquer de lointaines images,

J'ai le culte profond des anciens horizons ;

D'un livre déjà lu, j'aime à revoir les pages,

Et mon âme s'émeut à nos vieilles chansons.

J’aime, de nos aïeux, les légendes rustiques,

Divertissants échos des anciens troubadours,

Par la tradition, venus jusqu'à nos jours,

Et parmi, j'ai glané ces « contes drôlatiques ».

 

Notes de l’auteur


Lorsqu'on veut orthographier notre patois bocain, de façon à le rendre compréhensible, on se trouve en présence de sérieuses difficultés.

 

J'ai essayé de suivre des règles établies par quelques érudits et le résultat obtenu ne m'ayant pas satisfait, j'ai adopté, tout en respectant le plus possible l'étymologie des mots, une orthographe simplement phonétique, de sorte qu'en prononçant tel que j'ai écrit, on parle exactement comme un Bocain d'Aunay-sur-Odon ou de Villers-Bocage.

 
 
         
 

Parmi les mots très usuels, difficiles à écrire correctement en patois, je place au premier rang les pronoms, personnel et possessif, « vous et vos, » qu'en patois on prononce tous les deux « vo ».

 

Exemple : « j' vo d'mand' pardon » pour « je vous demande pardon ».

     do      : « Eiou qu' sont vo pétiots ? » pour « où sont vos enfants ?

 

Toutefois, lorsque « vo » est suivi d'un mot commençant_par une voyelle, j'ajoute un « s » pour faire la liaison.

 

Exemple : pour le français « vous avez », j'écris « vos avé » qui se prononce « vo z'avé ».

 

Vous remarquerez aussi que dans : « avez » « allez » « pouvez », ou tout autre verbe à la 2e personne du pluriel de l'indicatif, je supprime le z qui

 

allonge la prononciation française et je le remplace par un « é » qui donne exactement l'accentuation patoise ; j'écris donc « vos allé » « vos avé » ou « vo pouvé ».

C'est pour le même motif que je supprime l's dans « les, tes, mes » et que j'écris « lé, té, mé ». Exemple : « lé gas, té petiots, dé pommes » qui rendent exactement la prononciation patoise.

 

« No », qui revient très fréquemment dans ce volume, signifie également « on », comme dans : « no s'amuse » ou « no travaille » et « nos » comme dans : « no poules » et « no lapins », j'y ajoute également un « s » lorsqu'il est suivi d'un mot commençant par une voyelle comme dans : « nos avait » ou « nos amis », qu'on prononce « no z'avait » et « no z' amis ».

 

Le « tch », dans certains mots commençant par « cu », tel que curé que j'écris « tchuré », n'est mis là que pour forcer la prononciation bizarre de ces mots, que la majeure partie des Normands étend aux mots commençant par « qu » tels que « qui, quelle », qu'ils ne prononcent pas « ki ou kelle », mais bien avec une espèce de sifflement mouillé rappelant un « p'schitt » qui commencerait par un « q ».

 

N'ayant pas la prétention d'établir ici une grammaire bocaine, je borne aux quelques indications qui précèdent, l'explication de ma façon d'orthographier. J'ai, dans tous les cas, fait mon possible pour bien me faire comprendre de mes lecteurs et j'espère qu'ils voudront bien tenir compte de mes efforts pour y parvenir.

 

Caen, le 10 juillet 1917.

                                                                                Ch. LEMAITRE.
 
         
 

 

 

 
         
 

Tibi, Georgette !

Les Joyeux Bocains

Contes drolatiques

en patois bas-normand

 

Par

Charles Lemaître,

Le Chansonnier du Bocage

 

A Monsieur Georges Rivière.

 

        D’abord faut que j’ demand’ pardon
        A moussieux les ecclésiastiques
        D’ lé mettr’ si souvent en question
        Dans mes histouèr’s un brin comiques ;
        Mais comm’ c’est tous dé gens d’esprit,
        Au lieu d’y trouver d’ qué à r’dire,
        Quand j’ lé gratt’ sans les écorchi,
        C’est eux lé premiers à en rire.

 

Là d’ssus j’ vas vo conter que, n’y’a d’ cha bi longtemps, j’ai connu un t’churé par t’chu nous, dans l’ Bocage, de qui qu’ la bouenn’ servante avait tous lé talents.

 
 
     
 

Por l’y fair’ tout san cas et l’y t’ni san ménage, et sans mépriser l’s ’autr’s por cha, c’était la meilleur’ cuisinière, que n’y’eût bi’n à vingt lieues de d’là, n’importe dans quel presbytère.

 

Or, v’là-t’y pas qu’ san maîtr’, dans l’ moment dé gras jours, réunit por eun’ conférence, au sujet d’ la concupiscence, eun’ douézain’ de t’churés dé parouess’s d’alentour.

 

Georgett’, c’était l’ nom d’ la servante, por bi traiter tous cé moussieux, fit dé chos’s si appétissantes, qu’y s’en liquaient à qui mieux mieux ; du potage au rôti, no n’entendit qu’ dé louanges.

 

Et n’y’eut d’s’ estomacs r’connaissants, qui crur’nt bi faire, en affirmant
qu’ les élus n’ mang’nt pas mue au réfectouair’ des anges.

 

Quand arrivit l’ café, qu’était si parfeumé, que, comm’ no dit quiqu’fouais, no mordait presque à même, qha couronnit l’ dainner comme avec un diadème ; Tous disaient au t’churé : « - Mes compliments, mon cher, « De votre cordon bleu, vous devez être fier. »

« - Certes, dit un doyen, c’est un talent notoire, et rien que ce café suffirait à sa gloire. »

 

« - Ah ! dam’, pour le café, ell’ le fait toujours bon, répondit aussitôt l’aimable amphytrion, et pour sa récompense, si vous l’ permettez tous, vous voudrez bien, je pense, qu’ell’ le prenne avec nous. »  

 

La chos’ fut adoptée par la docte assemblée

 

Et chins minut’s apreux, avec tous cé moussieux, olle était dans la sall’, preux d’ san maîtr’, la pauvrette

 

Et v’là qu’ çu bon t’churé, qui causait en latin, quasiment si bi qu’ mé, quand ej’ cause en bocain, dit en trinquant do elle : « Allons, Tibi, Georgette. »

 

C’était sûr’ment bi latiné, mais faut dir’ que la cuisinière, a part un brin dans sa périère, jamais dans c’ te langu’ là n’ causait, et co, c’était sans la comprendre

 

C’est bi por qui, que l’ mot d’ Tibi l’embêtait d’pus qu’o v’nait d’ l’entendre.

 

Aussi quand l’ vicair’ de Coulvain sortit por prendr’ l’air un p’tit brin, la bouenn’ Georgett’ fit meine d’aller dans sa t’cheuseine, mais c’était, en réalité, por consulter çu bouen abbé.

 

Comm’ c’était un farceux, conteux d’ plaisant’s nouvelles, quand la brav’ Georgett’ l’y d’mandit qui qu’ voulait dir’ çu nom d’ Tibi, qu’ san maître l’y’avait dit, en trinquant d’avec elle ; por rire à ses dépens, v’là qu’ çu mauvais plaisant l’y dit tout bas : « - Je n’ puis vous l’ dire, « Ma pauvre fille, car n’y’a rien d’ pire. » et comm’ c’est qu’olle anticipait, disant qu’o voulait tout saver.

 

« - Mais, qu’i lui dit, ma chère (por l’i faire eun’ bouenn’ farce), j’ai hont’ de vous dir’ ça : Tibi, c’est l’ nom d’un’ garce, c’est un vieux mot latin qui signifie putain, et surtout, ma fill’, que personne ne sach’ d’où vient ce renseign’ment, que j’ vous donn’ charitablement, tenez, votre maître vous sonne. »

 

Georgett’ l’i dit merci, en l’i promettant bi que sû c’ qu’i l’y’avait dit, olle en s’rait terjours muette, oui mais, v’là t’y pas qu’en rentrant, san maîtr’ l’i dit core en trinquant : « - Ces messieurs s’impatient’nt, allons, Tibi, Georgette. »

 

Mais,  s’n’ ahuriss’ment profond, o l’i dit d’un air furibond : « - Ah ! j’ vas vos en bailli, mé, dé Tibi Georgette ! Eh ! bi, Tibi vot’ sœu, Tibi vot’ nièch’ Colette, Tibi vo deux couésein’s, du hameau dé Vignats, qui vienn’nt au presbytère, je m’ demand’ porqui faire ; A mains qu’ cha n’ sé, la nieut, por vo t’ni lé pieds cats, et pûs, au surplus d’ tout, pus qu’ c’est qu’i faut dir’ tout, si j’ sus dév’nue Tibi, c’est vous qui m’y’avé minse, car vo l’ savé aussi bi qu’mé, je n’ l’étais bi sûr pas quand c’est qu’ vo m’avé prinse ! »