LES CHANSONS DE BERANGER
 

ROSETTE

   
         
 

Air nouveau de M. de Beauplan

 

 

Sans respect pour votre printemps,

Quoi ! vous me parlez de tendresse,

Quand sous le poids de quarante ans

Je vois succomber ma jeunesse !

Je n’eus besoin pour m’enflammer

Jadis que d’une humble grisette.

Ah ! que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j’aimais Rosette !

 

Votre équipage, tous les jours

Vous montre en parure brillante.

Rosette, sous de frais atours,

Courait à pied, leste et riante.

Par-tout ses yeux, pour m’alarmer,

Provoquaient l’œillade indiscrète.

Ah ! que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j’aimais Rosette !

 

Dans le satin de ce boudoir,

Vous souriez à mille glaces.

Rosette n’avait qu’un miroir ;

Je le croyais celui des Grâces.

 

Point de rideaux pour s’enfermer ;

L’aurore égayait sa couchette.

Ah ! que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j’aimais Rosette !

 

Votre esprit, qui brille éclairé,

Inspirerait plus d’une lyre.

Sans honte je vous l’avoûrai :

Rosette à peine savait lire.

Ne pouvait-elle s’exprimer,

L’amour lui servait d’interprète.

Ah ! que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j’aimais Rosette !

 

 

Illustration de Marcel Bloch,

collection CPA LPM 1900

 

 Elle avait moins d’attraits que vous ;

Même elle avait un cœur moins tendre :

Oui, ses yeux se tournaient moins doux

Vers l’amant heureux de l’entendre.

Mais elle avait, pour me charmer,

Ma jeunesse que je regrette.

Ah ! que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j’aimais Rosette !