CES VELOS DISPARUS
   
 

LES VELODROMES

         
   
     
 

Les vélodromes

 

« Aujourd'hui que la reine bicyclette a chez nous droit de cité, que de puissantes associations se sont formées de toutes parts et notamment dans les grands centres, on a ressenti le besoin de créer des vélodromes, c'est-à-dire des champs clos où coureurs et amateurs peuvent se livrer tout à leur aise à leur exercice favori. »

 
 

 

« Le terrain entouré par la piste est ce qu'on appelle la pelouse. La piste a deux bords : l'un, le bord intérieur, qui entoure la pelouse qu'on appelle la corde ; l'autre, le bord extérieur, qui est la barrière. »

 

Au début du XXe siècle, on compte au moins cinq vélodromes en région parisienne :

le vélodrome de Courbevoie (1891),

le vélodrome de la Seine à Levallois (1893),

le vélodrome Buffalo (1893, situé sur le territoire de Neuilly-sur-Seine),

le vélodrome municipal au Bois de Vincennes (1896)

et le vélodrome du Parc-des-Princes (1897).

 

 

 

Plan du vélodrome Buffalo (La Nature, 1903)

 
         
 

Vélodrome Buffalo CPA collection LPM

 
         
 

Mais le vélodrome le plus célèbre reste le vélodrome d'Hiver, qui fut le théâtre de la « Rafle du Vél d'Hiv » en 1942.

 

Ce vélodrome fut d'abord installé en 1903 dans la Galerie des Machines, bâtiment créé pour l'Exposition universelle de 1889. Lorsque la galerie fut détruite en 1909, le Vél d'Hiv déménagea rue Nélaton, dans le 15e arrondissement. Sa démolition intervint en 1959.

 

 

 

Plan du vélodrome d'Hiver

(La Nature, 1904)

 

   
         
   
 

Vélodrome d'hiver CPA collection LPM

 
     
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  QUELQUES DATES
         
 

Promenades en Normandie

Par Mauricette VIAL-ANDRU

 

On fait remonter l’histoire de la Normandie au traité de Saint-Clair-sur-Epte entre Rollon et Charles le Simple. Toutefois, des ports comme Saint-Valery, entretenaient depuis bien longtemps déjà des relations commerciales avec la Grande-Bretagne. Depuis la conquête romaine jusqu’aux invasions du Ve siècle, la paix avait régné. Les villes de Rouen, Évreux, Saint-Lô, Lisieux, Coutances, Avranches, existaient déjà et, à partir du Ve siècle, le pays s’était couvert d’abbayes illustres : Saint-Wandrille, Jumièges, le Mont-Saint-Michel.

 

La constitution du duché de Normandie fit de cette terre un des plus grands fiefs du royaume de France. En 1066, Guillaume le Conquérant réclame la couronne d’Angleterre et est victorieux à Hastings. Le sort de la Grande-Bretagne et de la Normandie est lié désormais. Quand la petite fille de Guillaume, Mathilde, épouse le comte d’Anjou Geoffroi Plantagenet, l’empire anglo-angevin vient de naître. Il s’étendra bientôt jusqu’aux Pyrénées, menaçant le royaume de France.

 

Et ce fut la première guerre franco-anglaise. Richard Coeur de Lion édifie son fier Château-Gaillard au-dessus de la Seine. Mais les Capétiens sont vainqueurs.

 

Louis X signe en 1315 la charte aux Normands qui ratifie toutes leurs libertés. C’est la paix capétienne : l’agriculture et l’industrie des toiles prospèrent.

 

Hélas, au XIVe siècle, la guerre reprend. Les bandes anglaises et leurs alliées les bandes navarraises, pillent les villes et les campagnes. Du Guesclin délivre un temps le pays par la victoire de Cocherel. Mais arrivent les heures mauvaises : le pays occupé à partir de 1417, puis Jeanne d’Arc brûlée vive à Rouen. La délivrance n’aura lieu qu’en 1450.

 

Au XVIe siècle, les Normands, qui ont le goût de l’aventure, s’élancent, depuis Dieppe ou Honfleur, vers les Amériques et les Indes. Les guerres de religion n’arrêtent pas cette expansion, Après la bataille d’Arques près de Dieppe, la province se rallie à Henri IV.

 

Au XVIIe siècle, la Fronde n’entrave pas le développement économique car les intendants de Rouen, Caen, Alençon, le favorisent. Pendant la Révolution, c’est une Normande de Caen, Charlotte Corday, qui délivre le pays du féroce Marat.

 

CAEN 1880

 
       
   

GRANVILLE 1880

 
         
 

Les Vendéens échouent au siège de Granville. Les chouans duCotentin, derrière leur chef Louis Frotté, attaquent les diligences qui transportent les fonds publics… et les derniers rêves s’évanouissent.

 

Mais l’histoire n’est pas close. En 1944, la bataille de Normandie ravage la province et fait disparaître de nombreux monuments d’un passé magnifique.

 

Reste l’orgueil des grands écrivains donnés à la France : Malherbe, Corneille, Flaubert, Maupassant, Barbey d’Aurévilly, Jean de la Varende. Ce sont là gloires majeures

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  COUTUMES NORMANDES
         
 

On juge le Normand madré et peu enclin aux promptes décisions. On le dit méfiant, on l’accuse de trop de prudence. En réalité, il est patient, observateur. Il possède un fond de solide bon sens. Il ne manque pas de finesse et se gausse des fanfarons. Il est travailleur. La guerre détruit-elle le village ? Il reconstruit avec ardeur et ne se lasse pas de recommencer l’oeuvre détruite. On peut encore admirer des auberges avec leurs énormes poutres et leurs solives mais presque partout, la pierre calcaire, parfois la brique, triomphent et donnent ces claires maisons égayées d’hortensias. Là s’imposait naguère l’armoire en chêne à deux portes, cirée, frottée jusqu’à l’usure. L’artisan y faisait figurer des épis de blé, des colombes… les armoires les plus anciennes remontent à la Renaissance et ont été recueillies dans les musées ou, hélas, vendues à des étrangers. Elles étaient, ces armoires, emplies de draps, de serviettes, de linge de table et de maison, fleurant bon la lavande cachée dans des sachets.

 

C’était le trousseau de l’épousée, sa « corbeille de mariage ». Et puis il y avait le buffet aux formes élégantes, le vaisselier garni des magnifiques faïences de Rouen, la bonnetière, la vieille horloge au balancier de cuivre, les cuivres rouges pendus aux murs, le lit massif entouré de lourds tissus.

 

COUTANCES 1880

 
         
 

Les vêtements d’autrefois ont disparu et les coiffes, si diverses selon les lieux, ne sont visibles que dans les musées de traditions populaires.

 

Le Normand garde les pieds sur terre et s’inquiète peu du fantastique. Dans les bocages, les loups-garous ont longtemps couru les champs au grand effroi des enfants mais les contes normands s’inspirent surtout de l’histoire et de la vie quotidienne. Au pays du meilleur cidre, sur cette terre où une savoureuse eau-de-vie s’offre, pour créer au milieu d’un repas de fête, le fameux « trou normand », le diable n’a pas sa place… ou bien, s’il s’égare ici, il se fait avoir !

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  UNE CITE GOTHIQUE ROUEN
         
 

Une ville-musée, un port fluvial, un centre industriel, dans un cadre de vallons et de collines verdoyantes, au coeur d’une large courbe de la Seine, telle est Rouen.

 

Le coeur de la ville fut dévasté par la guerre. Mais Rouen a vite pansé ses plaies. La cathédrale, une des plus belles de France, a été sauvée. Elle fut commencée en 1145. La nef appartient aux XIII et XIVe siècles. Le grand portail ne fut terminé qu’en 1514. On peut suivre ainsi l’évolution du style ogival, improprement appelé gothique. C’est en Normandie que sont nées deux grandes évolutions spectaculaires : l’arc-boutant et la croisée d’ogives.

 

L’exquise église Saint-Maclou est du XVe siècle et sa façade est une dentelle de pierre d’une admirable finesse. L’aître Saint-Maclou, ancien cimetière de l’église, dont les galeries de bois remontent au XVIe siècle, est fascinant avec les restes de sa Danse macabre. La Grosse Horloge et son beffroi enjambent la vieille rue. Que de ruelles bordées de façades pittoresques ! Et nous voici sur la place du Vieux Marché qui rappelle encore le martyre de sainte Jeanne d’Arc.

 

ROUEN 1880

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  LES PORTS NORMANDS
         
 

Ils s’égrènent des limites de la Picardie à celles de la Bretagne : Dieppe, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp, Le Havre, Honfleur, Cherbourg, Granville.

 

Dieppe aux eaux profondes (deep) séduisit les Normands, puis les Plantagenets et enfin les Capétiens. Les Dieppois souffrirent rudement de la rivalité franco-anglaise pendant la guerre de Cent Ans. En revanche, au XVIe siècle, la ville connut une intense prospérité, en particulier avec le commerce de l’ivoire. C’est l’époque des explorateurs, des armateurs audacieux comme Jean

Ango. Samuel de Champlain un autre armateur de Dieppe, parti d’Honfleur, fonde Québec en 1608. Au XVIIe siècle, le Canada est une « colonie normande ».

 

Fécamp a pris naissance autour d’une abbaye fondée en 660. Le monastère bénédictin fut saccagé à la Révolution mais l’église subsiste et aussi la célèbrebénédictine, liqueur découverte au XVIIe siècle par un moine et qui a rendu célèbre le nom de Fécamp. Autre monument important de la ville, l’église abbatiale de La Trinité, sobre, harmonieuse, caractérisée par l’abondance des chapelles : il y en a douze ! Au port, on se passionne pour le travail des

pêcheurs toujours prêts à tout vous expliquer au milieu des cris discordants des goélands.

 

Le Havre, presque intégralement détruit par les bombardements, a retrouvé toute son activité. Les Romains y avaient établi un camp, mesurant la valeur d’une telle situation sur un estuaire. Mais au XVIe siècle, Le Havre n’était qu’une bourgade, un « havre de grâce », quand François Ier y fit élever des chantiers maritimes, dont témoigne la fameuse écluse François Ier.

 

De l’autre côté de l’estuaire, Honfleur est, avec ses maisons encapuchonnées d’ardoises, ses bassins animés de voiles colorées, une des cités les plus exquises de la Normandie. Les hautes maisons, la lieutenance, l’église Sainte-Catherine construite en bois au XVe siècle par les charpentiers du pays, sont autant de témoins d’un passé harmonieux. Alphonse Allais, Erik Satie, Henri de Régnier, Lucie Delarue-Mardrus, naquirent ici.

 

L’importance de Cherbourg est récente et ne date que du XIXe siècle.

 

De l’autre côté de la presqu’île, Granville s’installa tout doucement au XIIe siècle autour d’une modeste chapelle.

 

FECAMP 1880

 
       
   

SAINT-VALERY-EN-CAUX 1880

 
         
 

La ville fut fortifiée au XVIIIe siècle et ses fortifications arrêtèrent en 1793 l’armée vendéenne commandée par La Rochejaquelein.

 

La vieille cité des Abrincates est perchée à 104 mètres au-dessus de l’estuaire de la Sée, en face du Mont-Saint-Michel. C’est Avranches où, devant le portail de la cathédrale le puissant Plantagenet Henri II s’humilia après le meurtre de Thomas Becket. Les Avranchais ne furent pas toujours pacifiques. En 1639, ils se révoltèrent contre la gabelle et leur chef fut dur à soumettre.

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  VILLES DE L'INTERIEUR
         
 

Pays de Caux, Pays d’Ouche, Vexin normand… dans cette grasse Normandie, les villes s’animent les jours de marché. Évreux possède une magnifique cathédrale. Les Andelys sont réputés par leur situation près d’un méandre de la Seine. Gisors, c’est la citadelle avancée de la Normandie tournée contre la France capétienne. C’est la clé du Vexin normand. Plantagenets et Capétiens se disputèrent la forteresse pendant un siècle. Aujourd’hui, c’est une ruine somptueuse, un donjon massif entouré d’une enceinte encore flanquée de tours. L’une d’elles, la « tour du prisonnier », est ornée de curieux bas-reliefs sculptés par un captif

 

Au-delà de Louviers, on pénètre en Pays de Bray, dont les vallons s’entourent de ruisseaux et enrichissent le terroir de pâturages qui permettent l’élevage des vaches laitières productrices de beurres et de fromages réputés.

 

Au sud du Pays de Bray, on entre en Pays de Caux avec Yvetot, célèbre par son roi ! Elbeuf fut une riche cité drapière dès le XVIe siècle. Lisieux vécut pendant des siècles d’une existence relativement paisible depuis sa conquête par Philippe Auguste en 1203. Il y eut la tourmente de 1944.

 

DIEPPE 1880

 
         
 

Mais Lisieux est devenue un lieu de pèlerinage très fréquenté où lespèlerins honorent la très aimée « petite Thérèse ». C’est à Lisieux qu’en 1154, Henri II Plantagenet épousa Aliénor d’Aquitaine, mariage catastrophique pour le royaume de France.


Bayeux conserve un visage tranquille. La broderie de la reine Mathilde (improprement nommée tapisserie), continue à narrer les péripéties de la conquête de l’Angleterre. La cathédrale est, avec celle de Coutances, l’une des plus belles de Normandie : l’art ogival normand s’y épanouit dans toute sa splendeur. Livre d’images grandiose qu’on ne se lasse pas de contempler !

 

Aux confins du Perche et du Bocage normand, Alençon étend ses rues paisibles où d’habiles dentellières maintinrent longtemps une tradition qui fit la renommée de la ville. Pour accueillir les princes, l’échevin Jean du Mesnil avait fait construire en 1450 la maison d’Ozé. Non loin de là, Flers fut prospère avec ses tissages de toile et ses filatures de coton.

 

Au milieu de plantureux pâturages et de vergers de pommiers, Vimoutiers produisit l’authentique, le délicieux, l’inégalé camembert de Normandie.

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  ABBAYES NORMANDES
         
 

Le Mont-Saint-Michel est la plus célèbre. Elle fut fondée en 708 par Aubert, évêque d’Avranches, sur l’ordre de saint Michel archange qui indiqua le roc où il entendait qu’on lui élevât un sanctuaire.

 

En 966, les Bénédictins s’établissent au Mont. Après un incendie en 1203, l’abbé Jourdain jette les fondations de cet admirable ensemble, la « Merveille de l’Occident ». Le cloître, entrepris en 1228, semble suspendu entre ciel et terre comme un coin du paradis.

 

Jumièges est une ruine émouvante. Saint Philibert la fonda en 654.

 

Guerre de Cent Ans, guerres de Religion, elle connut toutes les épreuves et pour finir, les marchands de biens la dépecèrent sous la Révolution. Un parc ombragé drape de verdure les restes de la nef, des arcades et des tours carrées.

 

Saint-Wandrille est voisine, fondée en 648 par un disciple de saint Colomban sous le nom de Fontenelle. Elle connut la décadence dès le XVIe siècle et fut rétablie au XVIIe siècle par les Bénédictins réformés de saint Maur. Maurice Maeterlinck y habita longtemps.

 

LONGUEVILLE 1880

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  LES FORTERESSES
         
 

Donjons en ruines, envahis par la végétation, hantés par hiboux et chouettes, courtines croulantes entre deux oubliettes, la Normandie, terre foulée dès le VIe siècle par les envahisseurs, en possède un nombre imposant.

 

Ainsi de cet imprenable Château-Gaillard qui fermait contre le Capétien la frontière normande, dans une boucle de la Seine, au-dessus des Andelys, sur un promontoire rocheux. Démantelé, déchiqueté, il témoigne encore de l’indestructible puissance des forteresses médiévales.

 

Arques, que l’on appelle Arques-la-Bataille depuis la victoire d’Henri IV sur le duc de Mayenne en 1589, fut édifié en 1123. Le château fut dépecé au XIXe siècle mais ce qu’il en subsiste est impressionnant. Le pont de Tancarville 

 

n’est pas loin, non plus que ce Villequier dont le nom est désormais lié au funèbre poème de Victor Hugo.

 

Pour apprécier la beauté de la Normandie, il ne suffit pas d’admirer les majestueuses églises abbatiales et les forteresses.

 

CHERBOURG 1880

 
         
 

C’est souvent dansd’humbles sanctuaires de village qu’on découvre toute la pureté du style normand tant roman que gothique. La Normandie est une terre d’une extraordinaire richesse artistique et, malgré les destructions subies, cette vieille province française peut s’enorgueillir du magnifique patrimoine que les siècles lui ont légué. Et puis, il y a la nature !

 
         
   
  PROMENADES EN NORMANDIE
   
  DES PAYSAGES VARIES
         
 

Campagne et bocage, deux types extrêmes de paysages normands ! C’est d’abord le Vexin normand, plateau calcaire au limon épais très favorable au blé. Puis voici le Pays de Caux au vaste plateau crayeux limité au sud par la vallée de la Seine et du côté de la mer, par ses célèbres falaises festonnées de valleuses. À Étretat, la Falaise d’Amont et la Falaise d’Aval si joliment peintes par Claude Monet, encadrent une plage de galets.

 

L’Aiguille, haute de 70 mètres, se dresse au large, solitaire, et inspira Maurice Leblanc pour son roman L’Aiguille creuse. Le long de cette côte joliment nommée Côte d’Albâtre, on cultive le lin, arraché à la machine puis laissé sur le sol, où, bien étalé, il subit le rouissage.

 

Les falaises de la côte du Calvados sont interrompues par des dunes et des marais. À l’est, les plages de la Côte Fleurie – Deauville, Trouville, Cabourg –offrent leurs étendues de sable fin. À l’ouest, entre l’Orne et la Vire, s’étend la Côte de Nacre au climat tonique.

 

La presqu’île du Cotentin avec ses anses rocheuses, évoque la Bretagne mais on y rencontre aussi des plages de sable et des dunes.

 

DIEPPE 1880

 
         
 

Quant à la baie du Mont-Saint-Michel, elle se couvre de grèves immenses à perte de vue, toujours hantées par la Fée des Grèves de Paul Féval.

 

Le bocage, on va l’admirer en pays de Bray et en pays d’Auge. Un quadrillage de haies, dressées sur des levées, cerne les prés et les champs et cloisonne à l’infini le terroir qui, de loin, semble boisé. Le Pays d’Auge est le domaine des pommiers dont la floraison est une véritable féérie. Les variétés tardives donnent des pommes dures qui se conservent pendant des mois. Dans les haies, hérissons, lézards, couleuvres, petits rapaces, font bon ménage et se partagent la grasse provende des portées de mulots et de campagnols qui, sans ces prédateurs, seraient de véritables fléaux pour les cultures.

 

Et peut-on quitter la Normandie sans évoquer les chevaux ? Pur-sang anglais, trotteurs français, selle français et anglo-arabes, cobs, percherons, vivent là dans les haras privés et les haras nationaux du Pin et de Saint-Lô. Chaque année, fin août, a lieu à Deauville la vente des poulains pur-sang anglais d’un an et demi, les « yearlings », et c’est un événement capital d’une portée internationale.

 

Attachante Normandie ! Baudelaire composa à Honfleur son Invitation au Voyage. Et le dernier mot sera pour le Normand du Chamblac, Jean de La Varende. Voici comment il fait allusion à un climat qui n’est pas toujours facile : « Dans l’Ouche, qui n’entretient pas chaque année, voit mourir. La pluie… les vents… ! Les chemins se rétrécissent et il ne faut que deux ans pour faire d’un potager une pâture. » (Pays d’Ouche)

 
         
   
 
LA COIFFURE DE L'ANTIQUITE A NOS JOURS
 
02 - ROME
     
 
 
 

 

 
   
  CONTES NORMANDS de 1935

Par Jean GAUMENT & CAMILLE Cé

  PROMENADE A DEAUVILLE
         
 

VOUS n’avez rien de mieux ?

 

Monsieur Mengaux laissa tomber de sa barbe la question insolente et repoussa l’album : « DESMAREST FILS : locations de villas à Deauville et sur la côte ».

 

L’agent maigre examina par en dessous ce client plus maigre que lui et qui avait toute la mine d’un professeur endimanché. Mais sait-on jamais ? Tel qui traîne un trench-coat fatigué s’offre pour y loger son amie, une boîte de vingt billets… et, à dix du cent pour l’agence, c’est une affaire qui vaut la peine. Desmarest fils reprit timidement l’attaque :

 

- J’aurais bien quelque chose de mieux, mais ce serait peut-être trop cher.

 

L’autre ne broncha point. Décidément, c’était un riche, car pour mépriser le soupçon d’être pauvre, il faut avoir de l’argent à gogo. M. Mengaux demanda :

 

- Le prix ?

- Vingt-deux mille.

- C’est loin ?

- Près de Touques. Une heure de marche.

 
 
 
     
 

Ce fut alors que Mme Desmarest entra dans le jeu à la façon d’une grosse boule qui culbute les quilles :

 

- Ne reste pas, Eugène, les deux pieds dans le même sabot. Prends un taxi et conduis Monsieur voir la villa.

 

Elle ouvrit la porte et fit un geste d’appel. Un taxi verdâtre accourut en boitillant. M. Desmarest ne monta à côté du chauffeur qu’après avoir calé son client sur la banquette d’arrière.

 

La route était poussiéreuse et trouée. La villa trop loin de la plage fit faire la moue à M. Mengaux. Dans le jardin il posa des questions saugrenues : « La lune, au mois d’août baigne-t-elle ce gazon ? - Y a t-il des rossignols dans le bocage ? » L’agent expliqua que pour trouver des clairs de lune et des rossignols authentiques il faudrait aller jusqu’en forêt de Saint-Gatien. Il avait justement par là, en pleine solitude, quelques propriétés à l’usage de messieurs les artistes. Et le taxi roula par des chemins ombreux, de Bonneville à Berneville, de Berneville à Villerville. M. Mengaux ne trouva rien qui fût tout à fait à sa convenance.

 

Cependant son refus à se décider n’était point catégorique : « Je ne dis pas non. Je réfléchirai. Demain. J’aime tant les grands arbres ». Puis laissant à Desmarest fils le soin de régler la voiture il traversa de biais l’avenue de Villers et s’engouffra dans l’agence Saccard.

 

Saccard avait la tête de Louis-Philippe, en plus distingué :

 

- Je vois, monsieur, ce qu’il vous faut. Une bonbonnière. Les Vignes, j’en suis sûr, vous plairaient : la reine d’Espagne y a fait un séjour. Ou Blanc Castel : c’est là que descendait le roi Georges quand il n’était encore que prince de Galles. Les Terrasses aussi ne sont pas mal : M. Doumergue…

 

Et d’une voix tonnante, Saccard lança dans la direction du garage : « Faites avancer la quinze ! »

 

La quinze se rangea au bord du trottoir. C’était une limousine géante que pilotait un chauffeur minuscule à casquette de groom. Saccard énonça des ordres. L’auto s’arracha du sol comme si les quinze chevaux prenaient le mors aux dents. D’abord on visita Les Vignes suspendues à flanc de côteau.

 

- Il y a trois amateurs, Monsieur, sur cette villa. Ne pas vous décider immédiatement serait commettre une erreur irréparable…

 

Parce que la tactique de Saccard était de ne jamais laisser au client le temps de se retourner. Mais M. Mengaux demanda qu’on voulût bien lui montrer Blanc Castel qu’arrose la rivière. Ensuite il désira de connaître Les Terrasses qui sont à Hennequeville. La quinze, d’un bond grimpa la côte. Sitôt la grille ouverte, M. Mengaux eut des exigences de nabab ou d’artiste. D’autres visitent les pièces : il voulait lui, « explorer le silence ». Après avoir prié Saccard d’arrêter pour un temps son bagout, il s’allongea sur un banc. Le soleil de mai riait sur le sable des allées. Tout semblait tiède et facile. Afin d’être prêts pour la saison, les oiseaux répétaient leurs grands airs. La brise se faufilait entre les feuilles neuves. M. Mengaux s’endormit.

 

Le sifflet d’un bateau rompit le charme et Saccard agrandit cette déchirure :

 

- A quoi bon tellement tergiverser ? L’affaire est dans le sac et vous me remercierez de vous avoir, dans votre seul intérêt, mené tambour battant.

 

Il poussa le client dans la quinze qui démarra. La baie de la Seine, les blanches falaises d’Harfleur et le poudroiement doré du soir sur les flots défilèrent « à l’accéléré ». Quand on fut au bas de la Corniche, M. Mengaux se plaignit qu’on l’eût privé du retour calme et lent qu’il avait espéré.

 

M. Mengaux descendit d’auto ; il se plongea dans une méditation à mi-voix comme lorsqu’on parle en rêves : « Blanc-Castel… Les Terrasses… Les Vignes… Les Terrasses… Les Vignes… Blanc-Castel… L’une a l’espace, l’autre l’intimité des ombrages, l’autre quelque chose du château de fées qui donne sur la mer… Je crois qu’Aurélie préférerait Les Terrasses, mais Blanc-Castel a des frissons d’eau verte… »

 

Il parut se réveiller, se tourna vers Saccard :

 

- Je vais demander à Aurélie. Elle est souffrante aujourd’hui mais, dans quelques heures, nous vous dirons notre choix. Vingt-deux mille, n’est-ce pas ?

 

- Blanc-Castel est de vingt-cinq mille, corrigea Saccard, mais on vous le laisserait également à vingt-deux, pour vous faire plaisir…

 

- C’est bien.

 

Et M. Mengaux tendit sa main aristocratique et blanche.

 

Et le soir même, il envoya cette réponse à l’adresse des agences Desmarest et Saccard :

 

« Monsieur, je vous remercie de l’exquise journée que vous m’avez fait passer. Si jamais l’état de ma fortune me permettait une saison à Deauville, soyez persuadé que c’est à vous que je m’adresserais pour la location d’une villa. En attendant, permettez-moi de vous offrir à titre de dédommagement, pour votre temps et votre essence perdus, un petit conseil gratuit : faites verser cinquante francs d’arrhes aux clients du dimanche qui, sous prétexte de visiter, chercheraient à s’offrir à vos dépens une ballade folle en auto, à travers nos chères campagnes normandes.

 

« Avec l’assurance, Monsieur, de ma considération la plus haute… »

 
         
 

Nos bons paysans, collection CPA LPM 1900

 
         
   
  CONTES NORMANDS de 1935

Par Jean GAUMENT & CAMILLE Cé

  PROMESSES
         
 

A la mémoire

 de

Georges Dubosc.

 

J’AVAIS vingt-trois ans lorsque j’ai connu Amélie. Liaison banale. Je faisais ma médecine et elle ne faisait rien sinon guetter l’occasion de quitter le grand magasin où elle était vendeuse. Nos deux routes nous conduisaient l’un vers l’autre selon la pente des lâchetés fatales.

 

Tout cela sans formalités, bien entendu ; je ne demandai pas à Amélie de m’apporter le consentement de ses parents. Je doute qu’ils aient consenti et je ne suis même pas sûr qu’ils aient existé. Simplification.

 

Amélie était une personne calme, réfléchie qui ne questionnait jamais, faisait discrètement son train-train silencieux dans mon appartement d’étudiant comme si les choses devaient durer toute l’éternité.

 

J’avais à la voir si tranquille quelques vagues inquiétudes et un remords avant la lettre, si je puis dire.

 
 
         
 

Dans la correspondance qui avait précédé notre liaison, j’avais fait quelques simagrées et promesses et joué l’inévitable comédie. Elle fait partie du thème musical - amours, délices et orgues. - Je t’aime - pour la vie - jusqu’à la mort.

 

Mais comme je suis, à ma manière, un honnête garçon, je lui avais, en douceur, déclaré après coup que ces amours éternelles devaient durer, exactement, quatre ans, le temps qui me restait pour pousser mes études d’interne jusqu’au doctorat. Quatre ans : les bons comptes font les bons amis.

 

- On verra, fit-elle, d’un air doux et lointain.

 

Notre parfait amour fila comme une petite voiture sur une route un peu plate, au milieu des plaines sans variété.

 

Rien ne ressemblait moins à du dévergondage. Je m’en plaignais intérieurement, avec ce soupir hypocrite que ces délices auraient une fin, sans orgues ni aucun instrument de musique.

 

Je lui offrais des robes décentes et d’un prix modeste ; elle me reprisait mes chaussettes, sans prétention au stoppage ; ou elle lisait le roman-feuilleton, pendant que je lisais le roman du corps humain.

 

Dimanche, bon déjeuner dans un beau restaurant à 2 fr. 75 (c’était l’âge d’or, où il n’y avait pas besoin de beaucoup d’argent pour être riche, et se payer les plus grands luxes). Ce festin était suivi d’une excursion - par le chemin de fer de ceinture - au Bois de Boulogne, d’un champêtre bourgeois ; ou bien nous poussions jusqu’à Versailles, Chantilly pour voir les peintures et les ameublements. Elle avait d’ailleurs quelque goût et se souhaitait une chambre comme à Trianon. J’approuvais ces modestes désirs et me promettais bien un salon Louis XVI authentique pour mon intérieur, le jour où elle ne serait pas là pour le meubler.


Comme j’arrivais à la fin de mon internat, il se présenta ce qui ne se présente qu’une fois dans la vie d’un honnête homme : une belle situation à prendre. On m’offrait à Rouen, et à des conditions très acceptables, une clientèle qui promettait d’être excellente. J’acceptai et je remis à la dernière minute d’informer Amélie de ma décision. J’avais toujours redouté cette cérémonie qui s’appelle, selon les nuances, la séparation à l’amiable, les adieux, la rupture et qui se règle, selon l’humeur des partenaires, avec un sourire, des larmes ou des balles.

 

J’expliquai donc à Amélie, en tirant les choses d’un peu loin, que Rouen était une ville très collet-monté ; que la situation d’un jeune docteur serait bien assez difficile sans qu’on la compliquât comme à plaisir ; qu’au demeurant nous avions passé ensemble de belles années, que j’en emporterais le souvenir ineffable… Enfin, je débitai de mon mieux la rengaine aux trente-six couplets, si vieille et si usée qu’on s’étonne qu’il y ait encore des hommes pour l’ânonner et des femmes pour l’entendre, sans pouffer de rire.

 

Amélie en m’écoutant manifesta beaucoup moins de surprise et de douleur que je ne l’avais redouté. Elle était d’une tristesse raisonnable. Elle fit seulement un geste résigné :

 

- Plus tard, on verra…

- C’est cela, plus tard, fis-je avec un geste très éloigné.

 

Je n’eus pas trop de peine à lui faire accepter notre logement dont je venais de payer un semestre d’avance, ainsi que mon mobilier dont son goût, aidé par le mien, l’avait embelli, car j’avais déjà le sens du meuble ancien. Elle accepta gentiment avec un baiser boudeur.

 

En me quittant, à la gare Saint-Lazare, elle prononça, les yeux songeurs et vagues :

 

- J’ai perdu, mais j’aurais pu gagner si j’avais joué avec un honnête homme…

 

Le mot juste et bien placé me piqua entre cuir et chair. J’estimai que je ne l’avais point volé et qu’au total je m’en tirais à bon compte.

 

Je lui servis ma dernière monnaie de singe ; qu’elle serait toujours dans mes pensées… que si j’avais eu de la fortune… mais que je n’en avais pas… mais aussi que les premières sommes d’argent dont je pourrais disposer iraient à elle…

 

Elle eut un sourire dans ses yeux qui auraient voulu avoir des larmes…

 

Le train s’ébranla ; un regard suprême. Le tunnel passé, je l’oubliai.

 

J’étais tout entier à mes projets, à mon avenir. Tout s’annonçait sous un beau jour. J’avais un titre, une clientèle. Je partais du bon pied, en des temps où les médecins étaient moins nombreux et les malades plus indulgents.

 

Amélie m’écrivait, quand elle avait besoin de menues sommes, les lettres dignes des veuves qu’il faut peu de chose pour consoler. Moi, j’écrivais, de l’encre dont des générations d’hommes se sont servis : des serments, des promesses, de ces belles phrases d’affection inaltérable et stéréotypée, comme on en fait écrire aux enfants dans les parages du jour de l’an, pour des cousines de province auxquelles ils n’ont pas le temps de penser tout le reste de l’année. Et comme je venais de faire quelques opérations réussies (chirurgicales, j’entends), et palpé de confortables sommes, j’enveloppai mes beaux sentiments d’un beau mandat pour cicatriser une blessure qui n’avait jamais saigné. Je me sentis en règle avec ma conscience.

 

Mes affaires prospéraient. Quand on a la main heureuse en chirurgie, on se taille une belle part.

 

Je retrouvai à Rouen une amie d’enfance, fort agréable et intelligente. Elle n’avait pas de fortune, mais nos goûts et nos coeurs étaient d’accord ; j’ai ceci pour ma défense que, né pauvre, je n’ai jamais été homme d’argent.

 

Et je l’épousai (avec délices et orgues, cette fois).

 

Comme Amélie écrivait toujours de loin en loin, je lui envoyai - le mariage fait - la lettre aux hypocrisies prévues : je me mariais sans joie… une femme douée de peu de charmes, mais d’une grosse dot… Sans fortune personnelle, je m’étais résigné…

 

Mon bonheur avec Suzanne fut sans nuages. Contrairement aux dires de ma lettre, elle n’avait pas de dot, mais elle avait un grand charme et l’art de mettre autour d’elle de la joie.

 

Notre seule peine fut de n’avoir point d’enfants. Et comme nous n’eûmes pas d’enfants, nous eûmes d’innocentes manies. Après avoir acheté sur les hauteurs vertes un joli pavillon, pour des prix fort doux, à un malade reconnaissant, notre soin constant fut de l’orner de beaux vieux meubles. Il y en avait alors beaucoup dans notre antique Normandie. Avec mon auto, au cours même de visites, je rayonnai à travers nos campagnes. Une fois, je fus appelé aux Andelys. Ma consultation terminée, je rôdai dans la vieille ville, d’antiquaire en brocanteur, et j’aperçus, au milieu de meubles Louis-Philippe et sans valeur, un élégant secrétaire Louis XVI. Penché sur le meuble, je ne voyais pas Amélie. Elle souriait de son air calme, d’un sourire un peu étrange où passait une ironie vague.

 

Si j’avais été superstitieux et romanesque, j’y aurais lu le sourire énigmatique du Destin, et dans cette rencontre inattendue la surprise de la Destinée. Mais j’allai vers elle, cordialement. J’eus quelques phrases théâtrales où je manifestais une joie inespérée. Elle eut l’amabilité froide que je lui avais toujours connue et qui n’était pas très différente de celle des marchandes envers un client possible. Après quelques renseignements sur sa santé et sa situation qui étaient assez bonnes, elle fit un geste résigné, et nous revînmes bientôt à nos moutons, c’est-à-dire… à nos meubles. J’achetai le secrétaire le prix qu’elle me le fit et promis de revenir.

 

Une correspondance irrégulière reprit où je mêlais par politesse le sentiment aux affaires. Comme en me quittant, elle avait laissé échapper un soupir, je lui assurai, avec la lâcheté des hommes, que ma vie n’était pas un chemin de roses, que ma femme était jalouse comme une tigresse, mais peut-être qu’un jour… Et là-dessus, suivait la commande d’une bergère ou d’une poudreuse Louis XV.

 

Amélie avait dans son métier acquis un certain flair et chez les paysans elle trouvait des vaisseliers, des coffres, des étains ou des vieux-Rouen.

 

Et quand j’étais content de ces achats et que j’avais fait ou plutôt qu’elle avait fait une bonne affaire, par une espèce de reconnaissance, pour prendre congé avec moins de gêne, je lui disais qu’un jour peut-être le rêve ébauché se réaliserait et lui refilais de ces formules à fort tirage qu’elle acceptait avec un sourire calme et digne, comme cette fausse monnaie de papier qui aujourd’hui a remplacé l’argent et l’or.

 

A dire vrai, quand notre maison fut meublée à notre goût, j’espaçai de plus en plus mes visites et mes achats ; ses affaires d’ailleurs semblaient prospères autant que les miennes, et son magasin d’antiquailles était connu dans la région. Je finis par la perdre de vue et par l’oublier, à la façon des anciens fournisseurs.

 
         
 

Nos bons paysans, collection CPA LPM 1900

 
         
 

Pour Suzanne et moi, nous avions réalisé le bonheur qui est toujours un peu égoïste quand on n’est que deux. A la vérité, nous n’avions pas thésaurisé. Tout ce que nous avions, avait pris la forme de beauté. Les beaux arbres de notre jardin enveloppaient de vagues vertes une maison normande à poutres brunes croisées. A l’intérieur, sur l’austérité fauve des coffres anciens, l’éclair des cuivres, des émaux et des Delft. Des tapisseries pleines d’arbres prolongeaient les feuillages qui s’inclinaient aux fenêtres. Ma femme avait disposé ces choses avec son goût exquis qui leur donnait une âme.

 

Nous fîmes aussi quelques beaux voyages en Corse, à Tunis. C’est même au retour d’une belle course à travers l’Espagne que Suzanne tomba malade.

 

Car le sort se fait une cruelle joie de gâter la félicité des hommes. Ma pauvre femme dut subir une opération, et bien qu’elle fût entre des mains plus savantes que les miennes, elle traîna quelques mois, puis un soir, elle me laissa tout seul dans la vie.

 

Je l’ai beaucoup regrettée parce que je l’avais beaucoup aimée, ou peut-être parce qu’elle m’avait beaucoup aimé. Peut-être trouvais-je à sa tendresse constante un léger poids d’affectueuse tyrannie ; peut-être le plaisir que j’avais d’être avec elle se trouvait-il un peu diminué chez moi par je ne sais quelle absurde nostalgie de solitude. Mais de qui puis-je espérer me faire plaindre, d’avoir enduré près

 d’un quart de siècle, le supplice d’être trop choyé ?

 

Cette confession, dans laquelle je ne mets point de cynisme, expliquera ce qu’il y eut après mon premier chagrin vraiment profond, de doux et comme d’inespéré dans les quelques mois qui suivirent mon veuvage. Je me surprenais à calculer égoïstement qu’il me restait dix ans à vivre dans la plénitude de mes facultés et cette absence totale de soucis qui est parfois le privilège des vertes vieillesses.

 

J’éloignai doucement, peu à peu, ma clientèle ; je ne recevais plus guère que l’après-midi ; quelques consultations de clients fidèles ; juste assez pour vivre honorablement.

 

Je savourai cette quiétude de la cinquantaine.

 

Un jour paisible et chaud, à l’heure du thé, une dame entra, bien prise dans un tailleur souple, encore fraîche… Amélie. Avec une tranquillité parfaite, elle s’assit dans une bergère. Contrarié, je la saluai d’une voix tout sucre et tout miel :

 

- Vous êtes venue, chère amie, consulter le médecin : je vous écoute.

 

Elle eut un beau sourire placide, défit ses gants avec lenteur, ouvrit un petit sac, en tira un paquet de lettres soigneusement ficelé et le posa sur mon bureau.

 

- J’ai appris que votre femme n’était plus, et je viens vous rappeler vos promesses faites par écrit.

 

Après avoir, avec une grimace, reconnu mes lettres aux hypocrisies sentimentales, je me mis à rire doucement : nous avions tous deux passé l’âge du mariage et j’avais décidé de vivre dans la paix les quelques années qui me restaient à vivre.

 

« - Mais - elle m’interrompit - on ne passe jamais l’âge d’exécuter une promesse. »

 
         
 

Je bafouillai un peu : certes, plus jeune, je l’avais aimée, mais je n’avais plus aujourd’hui qu’à lui offrir une bonne, une loyale amitié et je dévidai l’écheveau des formules filandreuses.

 

Elle m’écouta avec une attention réfléchie, puis reprit, sur le ton d’une commerçante, que le temps ne faisait rien à l’affaire, qu’elle trouvait mes cinquante ans fort convenables et puisque je la trouvais encore d’une certaine fraîcheur… Une dette est une dette. Tout en discutant posément, son regard errait sur mes meubles anciens. Je me débattais comme un débiteur pas pressé : plus tard, on verrait…

 

- Il faut voir tout de suite, dit-elle.

 

Elle fouilla dans son sac comme pour en tirer son mouchoir ou sa poudre et découvrit à demi un tout petit revolver à poignée de nacre. Un bijou de poche.

 

Je me levai doucement comme un qui n’aurait rien vu, l’enveloppai d’un murmure galant, je me penchai même pour l’embrasser gaiement, promis tout ce qu’elle voulait et la reconduisis à travers le jardin. Elle le trouva fort beau, et je cueillis pour elle trois roses.

 

 

Nos bons paysans, collection CPA LPM 1900

 
         
 

Quelques heures plus tard, je collai sur ma grille : « Le docteur est allé aux eaux. »

 

Nous étions en juillet ; je fis ma valise, vérifiai mon auto, et le lendemain, dès l’aube, je filais vers Bagnoles-de-l’Orne. Avec les feuillages je respirai. J’étais depuis trois jours dans cet asile quand un matin frais, au fond d’une fuite d’allée, j’aperçus ou crus apercevoir… Je me dirigeai vers le garage, sautai dans mon auto et filai à toute allure vers Mortain. Le voisinage des cascades me rafraîchit. J’eus le loisir de penser au comi-tragique de ma situation. J’étais l’homme poursuivi des films américains, traqué d’hôtel en hôtel. Je passai pourtant à Mortain deux jours sans incident. Cette silhouette au fond de l’allée à Bagnoles, c’était une projection de mon esprit ridiculement hanté.

 

Tranquillisé, je roulai à petites étapes vers le Mont Saint-Michel pour respirer l’air vif du large. Accoudé sur les remparts, j’oubliai, je fus tout entier aux rêves que souffle la mer avec ses vastes brises. Pour la première fois depuis huit jours je reposai la nuit avec une sécurité profonde. Le soleil et l’air matinal jouaient à mon réveil avec mes rideaux. J’avais commandé mon chocolat et des croissants, me sentant en appétit. Je m’apprêtais à déjeuner confortablement dans mon lit. Un toc-toc discret à la porte. « Entrez », fis-je au garçon.

 

Ce fut, lentement, avec un beau sourire calme, Amélie qui entra. Elle me tendit la main et s’assit gentiment, posément dans un fauteuil.

 

- Ne vous dérangez pas, dit-elle, je viens simplement vous rappeler votre promesse. Je savais vous retrouver ici…

 

On frappa à la porte et le valet de chambre entra avec le plateau. Je faillis avoir le ridicule de lui demander main-forte. Je devais être pâle comme le drap.

 

- Que je ne vous empêche pas de déjeuner, sourit Amélie, et elle fit mine de se retirer.

 

J’esquissai un geste courtois d’homme du monde.

 

Elle reprit, quand la porte se fût refermée sur le garçon :

 

- Vous êtes un homme d’honneur…

 

Je répondis, recouvrant mon sang-froid, que j’étais en effet homme d’honneur, mais que, depuis le temps, il y avait prescription…

 

- Pas encore, dit-elle. Et elle vint s’asseoir, familièrement, en vieille amie, sur le bout de mon lit.

 

- Mais je suis libre, protestai-je avec force, et j’entends rester libre.

 

- Croyez-vous ? murmura-t-elle.

 

Avec une infinie douceur, elle avait posé à côté d’elle sur la courte-pointe de satin bleu comme sur un écrin, le canon d’acier d’un revolver beaucoup plus éloquent que le premier.

 

Je fus tout de suite convaincu et me sentis perdu ; je me mis à plaisanter. Je lui proposai de partager mon petit déjeuner, ce qu’elle accepta avec un rire de grand appétit et se chargea même du tout. Je n’avais plus faim.

 

Le mariage fut décidé. Ma conscience parla pour la première fois : « Un homme d’honneur n’a qu’une parole ». Je ne sais même pas si j’eus bien conscience de ma lâcheté. Une longue tradition d’hypocrisies sociales, le bon droit, l’équité, la parole donnée et les mille fantômes verbeux que depuis des siècles les hommes - et les femmes - poussent dans les jambes des braves gens pour les faire trébucher, me dictaient mon devoir.

 

Nous eûmes, avant la lettre, si je puis dire, une agréable lune de miel sur les remparts du Mont. Notre oeil souriant suivait les côtes de Carolles à Cancale. Je crois que le mien, au loin, cherchait à l’horizon une voile pour m’enfuir ailleurs, mais il n’y avait pas de voile, il n’y avait que Tombelaine et les grands sables.

 

En attendant les papiers et les formalités, Amélie se trouvait bien de l’air normand et du régime de l’hôtel. Une sérénité embellissait son visage et je me résignais : la mariée encore belle valait bien une messe.

 

Elle se célébra dans l’abbaye rendue au culte, exprès sans doute pour nous.

 

Presque tout de suite après la cérémonie, Amélie demanda à retourner à Rouen, et elle pénétra dans ma demeure, en maîtresse.

 

Avouerai-je que lâchement j’allais m’accoutumer ? Amélie avait des qualités d’ordre, plus appréciables à mon âge qu’au temps de ma jeunesse : des repas bien préparés, aux heures dites. Elle me fit, un soir, remarquer avec raison que le jour où je disparaîtrais - jour qu’elle ne souhaitait pas, ajouta-t-elle dans un baiser - elle pouvait être réduite par des neveux chamailleurs à la misère, ou à voir tout vendre de ce que j’avais aimé.

 

Connaissant mes neveux et que sa crainte était juste, je lui fis devant notaire une vente fictive de mes meubles et de l’immeuble avec son jardin.

 

Son inquiétude s’apaisa et nous vécûmes plusieurs mois dans la paix.

 

Cependant elle s’affairait avec sa placidité coutumière, déplaçait les objets, défaisait doucement une harmonie, imposait aux choses son goût fade et son implacable médiocrité.

 

La platitude de son âme mettait du désert dans ce qui aurait pu être la douce solitude. Je la pris sourdement en haine. Je la comparais à ma chère compagne. Je crois qu’avec sa tranquillité exaspérante et ses froideurs où perçait du mépris, elle activait volontairement cette haine. Ma paix devint un enfer à froid. Cette contradiction

perpétuelle… ces silences rogues… Une discussion qui couvait s’éleva un matin où le vieux mouton que j’étais devint enragé. Je lui montrai la grille du jardin :

 

- Sortez d’ici, fille !

 

Je crois que, sans rien connaître des classiques, elle jeta un : « C’est à vous d’en sortir ! », d’un ton calme si effrayant que je compris.

 

Le jour même je fis mes malles.

 

J’ai quitté tout.

 

Et j’ai loué dans le bas de la ville, près de l’Hôtel-Dieu un petit logement. A cinquante-cinq ans, j’ai dû refaire une clientèle, mesquinement dans un appartement meublé, comme un carabin qui débute.

 

Elle, vit là-haut, reine, au milieu de ce qui faisait encore ma raison de vivre.

 

J’ai repris mon métier de chien, mais j’aime mieux cela. Libre ! J’avais emporté quelques vieux livres où je puise, le soir, une ironie, une belle philosophie amère.

 

J’ai gardé aussi mon auto - en cas de danger -, pour fuir.