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La venue annoncée le 16 mai, pour le 20 à Caen, laissait peu de temps aux autorités locales pour se retourner, ainsi que le confirme la lettre ministérielle adressée aux préfets. « Ne perdez pas un instant ! Leurs Majestés se proposent d’accepter les fêtes qu’on leur donnera. Secondez à cet égard tout ce qu’inspirera l’allégresse publique… Les arcs de triomphe même en verdure sur leur passage seront des témoignages de joie agréables à Leurs Majestés. Prévenez les maires, les gardes nationales, la garde d’honneur… » Les quelques jours et nuits précédant le passage impérial furent entièrement consacrés à nettoyer les rues, sabler les sols pavés, tresser des guirlandes, fleurir et décorer les façades, prévoir des illuminations, confectionner et dresser des arcs de triomphe aux entrées, monter des tentes ou apprêter des locaux, ordonner des réquisitions, prévoir des rafraîchissements ou davantage, imaginer des présents, les confectionner dans l’urgence, organiser les cérémonies, convoquer leurs participants, sélectionner les demoiselles qui remettraient un présent à l’impératrice, inspecter les logeurs, cacher les mendiants, retoucher les tenues, rédiger des adresses élogieuses, les apprendre sur le bout des doigts… Une excitation et une agitation inaccoutumées s’emparèrent sans doute de presque toute la province.
Un grand flou entourait les déplacements de l’empereur. Un témoin au service de l’empereur rappelle qu’on ne révélait précisément ni le jour ni l’heure du départ, ni l’itinéraire suivi. « Lorsque l'Empereur devait quitter sa capitale pour rejoindre ses armées, ou pour une simple tournée dans les départements, jamais on ne savait bien précisément le moment de son départ. Il fallait d'avance envoyer sur diverses routes un service complet pour la chambre, la bouche, les écuries. Quelquefois ils attendaient trois semaines, un mois, et, quand Sa Majesté était partie, on faisait revenir les services restés sur les routes qu'elle n'avait point parcourues. J'ai souvent pensé que l'Empereur en usait ainsi pour déconcerter les calculs de ceux qui épiaient ses démarches et dérouter les politiques. Le jour qu'il devait partir, personne que lui ne le savait; tout se passait comme à l'ordinaire.» Alors que l’on attend sa venue à Caen depuis le 20 mai, Napoléon 1er quitta Rambouillet seulement le 22 mai. Et le Journal du département de la Manche du 25 mai avoue « On ne sait pas précisément quelle route elles tiendront […] Sur les deux points principaux par lesquels elles peuvent faire leur entrée dans la Manche, à la forêt de Cerisy sur le route de Bayeux à Saint-Lô, et à l’embranchement de la route du Vey à Carentan, on a élevé des arcs de triomphe que le défaut de temps n’a pas permis de construire autrement qu’en feuillage. » Le préfet de la Manche fit placer des relais sur les deux itinéraires pressentis pour être tenu informé. Mais une autre incertitude complexifiait la situation : « On regarde comme possible que LL. MM. Ne passent pas ensemble par le Vey, et que S. M. l’Impératrice prenne la route de Saint-Lô. Dans cette supposition, il a été également fait les préparatifs nécessaires. M. le Secrétaire général se trouvera sur la limite vers la forêt de Cerisy pour recevoir Sa Majesté. » | ||||||||
Maires de Coutances et de Granville, sous-préfets, notables du collège électoral, Gardes d’honneur des deux arrondissements se précipitent aussitôt à Cherbourg ou Saint-Lô pour « jouir du bonheur de les voir ». | ||||||||
A chaque halte, le même cérémonial se répétait. A l’entrée d’un département, d’un arrondissement, d’une ville, auprès d’un arc de triomphe fait de branchages (comme à Cherbourg) ou d’une charpente et de tissus (comme à Carentan, Valognes et Saint-Lô), les autorités attendaient leurs majestés qui ne daignaient pas toujours descendre de leur voiture ni même s’arrêter. La Garde nationale, la Garde d’honneur, la musique rendaient les honneurs tandis que les cloches carillonnaient au risque de couvrir les messages de déférence et de bienvenue. Quelques discours ampoulés plus tard, on remettait symboliquement à l’empereur les clés de la ville et à l’impératrice un présent (là une corbeille de fleurs, ici une parure en dentelle, ailleurs un livre précieux). Puis l’on accompagnait le couple impérial jusqu’à la sortie de la ville. Si l’empereur s’attardait un peu, il s’entretenait de la situation économique avec les représentants locaux et sur les moyens de favoriser la prospérité. Il arrivait qu’il se fasse présenter des échantillons des productions industrielles locales, comme à Caen et à Cherbourg. L’empereur veillait aussi à rencontrer les membres de l’Eglise, qui au même titre que les responsables politiques, étaient pour lui des agents impériaux, depuis la signature du Concordat. Les curés renseignaient sur les ressources, l'esprit et la moralité de la population. Il laissait alors généralement vingt napoléons, quelquefois plus, pour les besoins des pauvres de la commune. A un représentant des autorités civiles ou militaires, il remettait fréquemment une pièce d’orfèvrerie, boîte ou bague, et pouvait décerner la légion d’honneur. L’impératrice se montrait également généreuse à l’égard d’une première et parfois deuxième demoiselle qui lui avait été présentées. Puis le convoi reprenait sa route à vive allure.
Le départ était très matinal : 5 heures de Rambouillet le 22 mai, vers 6 heures de Caen le 28 après une messe célébrée à 4 heures du matin, à 6 heures de Saint-Lô le 31 mai. Pour autant, les journées ne s’achèvent pas dès le crépuscule. Lorsque l’empereur arrive à Caen, le 22, à minuit, il se met de suite au travail avec les fonctionnaires caennais. Au cours de ce long voyage qui ne se termina que le 4 juin à Saint-Cloud (le baptême du Roi de Rome se déroule à Notre-Dame de Paris le 9 juin), l’empereur continua à traiter les affaires courantes signant à Caen et à Cherbourg des décrets regardant le reste de l’empire. | ||||||||
Napoléon et Marie Louise assistant au défilé de l'escadre de Cherbourg, en 1811, Crépin | ||||||||