MAIRES ET CURES BAS NORMANDS
  QUEUE EN TROMPETTE
         
 

Par
Jean Des Sablons
Ancien Procureur

 

L’abbé Ledoux, curé de Saint-Martin, avait une jolie petite chienne à laquelle il tenait beaucoup et qui l’accompagnait dans toutes ses visites à travers la paroisse.


Luce était connue de tous les habitants de la contrée et c’était à qui lui donnerait une friandise ou lui ferait une caresse.


Un beau jour le bruit se répandit que le Curé avait fait tuer sa chienne.


Hélas ! Ce n’était que trop vrai. Notre Curé s’était avisé d’emmener sa chienne à Vire et ayant rencontré près de la porte-horloge une de ses anciennes pénitentes, la vertueuse Pétronille, il s’était arrêté à faire un brin de causette. Les chiens du quartier profitèrent de la circonstance pour faire deux doigts de cour à Luce qui fut assez naïve pour écouter Turk, l’espiègle barbet du marchand voisin.

 
 
 
     
 

Quand son maître s’en aperçut, il était trop tard pour la préserver des dangers du flirtage ; c’est alors qu’aimant mieux la voir morte que déshonorée, il se résolut à la faire abattre.

 

« - Pour sûr, dit un loustic, que Luce était devenue enragée et que le Curé a eu peur d’être mordu !

- Probable que le chien égaré qui a passé l’autre jour à Tallevende est venu chez nous et s’est jeté sur elle, ajouta une bonne dévote. Je plains bien M. le Curé, lui qui aimait tant sa petite chienne. »


Toute la semaine, la mort de Luce fut le sujet des conversations des habitants de Saint-Martin. « Pourvu que notre Curé n’enrage pas à son tour, » disaient les plus effrayés.


Tous ces potins vinrent à l’oreille de l’abbé Ledoux qui, voulant rassurer ses paroissiens, monta en chaire le dimanche et leur dit :


 « Mes bien chers frères, on a répandu le bruit dans la paroisse et ailleurs que j’avais fait tuer ma chienne parce qu’elle était enragée. Rassurez-vous, Luce n’était point enragée le moins du monde et la preuve c’est qu’elle avait la queue en trompette. »

A cette déclaration du Curé, la fille du gros Magloire, le chantre, se pâma de rire dans son banc, on n’a jamais bien su pourquoi.