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Le bon roi Dagobert, qu’il ne faut pas nous figurer sous les traits d’un vieillard à cheveux blancs, était, vers sa trentième année, un haut et gros gaillard plein de la plus florissante santé. Grand cavalier, grand jouteur, grand chasseur, grand nageur, grand buveur, grand mangeur, grand rieur, il avait les joues pleines et richement enluminées, la barbe rouge, les cheveux longs, si longs même qu’ils lui couvraient le dos jusqu’à la ceinture.
Sa bouche é tait large et bordée de deux lèvres épaisses ; sa moustache retroussée formait deux panaches sur les coins de cette bouche formidable. Son visage n’était éclairé que par deux petits yeux gris qui ne connaissaient que deux manières de traduire aux gens sa pensée : par d’impétueux éclairs de fureur ou par de longs rires de gaieté.
Quant au costume, les jours de fête, c’était celui des Franks qu’il portait. Et ce costume, un historien du vieux temps, le moine de Saint-Gall, l’a décrit à peu près de cette manière : les ornements des anciens Franks, quand ils se paraient, étaient des brodequins dorés, garnis de courroies longues de trois coudées. |
Dagobert, portrait Émile Signol (1804–1892) | |||||||
Des bandelettes de plusieurs morceaux leur couvraient les jambes. Sous ces brodequins ils portaient des chaussettes et des hauts-de-chausses de lin d’une même couleur, mais d’un travail précieux et varié. Par-dessus les chausses et les bandelettes, les longues courroies des brodequins se croisaient et serraient la jambe de tous côtés. Sur le corps se plaçait une chemise de toile très-fine. Un baudrier soutenait l’épée qui était placée dans un fourreau et entourée d’une lanière et d’une toile très-blanche qu’on fortifiait en la frottant de cire. Le vêtement que les Franks mettaient le dernier, et par-dessus tous les autres, était un manteau blanc ou bleu de saphir, à quatre coins, double, et tellement taillé que, quand on le plaçait sur ses épaules, il tombait par devant et par derrière jusqu’aux pieds, tandis que sur les côtés il s’arrêtait au-dessus du genou. Dans la main droite se portait un bâton de pommier à nœuds symétriques, droit, et garni d’une pomme d’or ciselée avec art et enrichie de pierres précieuses.
J’oublie les bracelets, les colliers, le bonnet et le manteau de fourrure pour l’hiver.
Mais Dagobert, qui aimait ses aises, ne s’affublait de ces vêtements que pour les cérémonies ; d’ordinaire il avait de grandes bottes, la braie ou culotte gauloise, et une veste plastronnée de cuir velu ; une ceinture de peau de daim, bouclée par devant, et à laquelle s’attachait son épée, retenait cette veste ; un chapeau fourré lui couvrait la tête. Ainsi vêtu, il montait à cheval et allait à l’église, à la chasse, à la guerre. Il chantait volontiers, et même sur les grands chemins, à la tête de ses compagnons. Saint Éloi ne le quittait guère. On pense bien que lorsque le roi entonnait sa chanson, les hôteliers, les cabaretiers, les cuisiniers et autres gens sortaient de leurs maisons et lui offraient le vin du seigneur. Dagobert vidait lestement son verre, et continuait son chemin. Il n’avait de gardes ni visibles, ni invisibles, et quelqu’un lui ayant dit qu’il ferait bien de placer sous sa veste de buffle une fine cotte de maille d’acier, il répondit en frappant sur sa poitrine : « Crois-tu donc qu’il y ait un bras assez solide pour traverser cela d’un coup d’épée ? Va, mon ami, on ne peut pas me tuer tout entier en un seul jour. » | ||||||||
Si ce n’était pas retarder la marche de cette histoire, il faudrait citer ici quelques-uns des mots de Dagobert. Les mots peignent les hommes. Nous n’en rappellerons qu’un ou deux. On lui apprit un jour qu’un des principaux chefs de bandes franques, retiré dans ses domaines, y faisait de la fausse monnaie. C’était un homme qui devait de l’argent à tout le monde. « Je sais, dit Dagobert à ceux qui lui en parlaient, ce qu’il fabrique là-bas ; il ne fait que ce qu’il doit. »
Souvent il avait de belles paroles pour enflammer le courage de ses soldats. Dans un combat d’avant-garde, il se trouva tout à coup environné par un grand nombre d’ennemis ; on l’entoure, on l’arrête, on lui montre le long de toutes les collines des flots de soldats, qui descendent et marchent contre lui. « Nous sommes ici, s’écria-t-il d’une voix tonnante, non pour les compter, mais pour les vaincre, » et aussitôt il s’élance sur l’ennemi, qui est vaincu. | ||||||||
Tant il y a que par ses victoires, ses bonnes manières de vivre, sa gaieté et sa sévère justice, il devint promptement populaire.
Le roi Dagobert était surtout cher aux Parisiens auprès desquels il vivait et qu’il visitait souvent.
Il demeurait le plus souvent à Clichy, le pauvre sire, et s’y ennuyait volontiers de temps en temps. Clichy avait alors un nom latin : Clippiacum. Je parle de Clichy-la-Garenne, de ce vilain village qui, aujourd’hui, grille au soleil dans une plaine blanche et nue, le long de la Seine, entre Neuilly et Saint-Denis, de Clichy qui est en face d’Asnières et qu’entourent à perte de vue des plantations de betteraves. Dagobert y vivait donc.
Pour ne pas mentir, son Clichy à lui était alors un peu moins laid que le Clichy qui nous appartient. Les chemins de fer qui passent par là n’envoyaient pas leur fumée dans les arbres et ne faisaient tousser personne sur les bords de la rivière ; la plaine, moins exclusivement couverte de betteraves, ne s’arrêtait pas court devant les maisonnettes de Batignolles ; elle s’élevait peu à peu et formait un plateau boisé qui descendait en collines du côté de Paris. De la Seine à la Seine il y avait une forêt touffue ; les prés l’entouraient d’un tapis moelleux qu’émaillaient les pâquerettes et les fleurs de la luzerne. Là où est la chaussée d’Antin et où piaffent dans leurs écuries de marbre les chevaux des banquiers, il se trouvait un délicieux ruisseau bordé de cresson, abrité par les saules et les osiers, çà et là paré de touffes de myosotis. Les biches erraient sur la rive. Du côté de Montmartre, de plus grands arbres élevaient leurs rameaux ; les buttes, ces affreux amas de plâtre dont l’aspect aujourd’hui blesse les yeux, ces buttes-là étaient toutes vertes : les lièvres y faisaient leurs gambades dans le thym. Il fallait aller jusqu’aux coteaux de Saint-Chaumont, où est Belleville, pour trouver un petit village. Tout le reste du pays était prairie et bois, bois et prairie, et la plaine de Saint-Denis, qui a dix fois plus de choux que la plaine de Clichy n’a de betteraves, était encore bois et prairie, prairie et bois jusqu’à Aubervilliers et bien au delà.
Il y a aujourd’hui près de Clichy, toujours sur la rivière et en suivant le cours de l’eau, un village qui s’appelle Saint-Ouen. On y a devant soi une île assez gentille, quelque peu ombragée, pourvue de cabarets, et fréquentée par les gens qui aiment à attendre trois heures, la ligne à la main, un barbillon de Seine. Voilà le vrai pays de Dagobert du temps de sa simplicité. Le village de Saint-Ouen n’existait pas ; mais le saint homme dont le nom a été donné à ce village était l’ami intime de saint Éloi, et, par conséquent l’un des amis intimes de Dagobert. La métairie du roi s’étendait de Clichy à Saint-Ouen, tout le long du fleuve. Oui, la métairie ; de palais, de château, pas même l’ombre.
Une porte telle quelle, comme il y en a à l’entrée de toutes nos fermes. Point de fossés, point de tourelles, pas de pont-levis, pas de créneaux, de mâchicoulis, de fauconneaux ; à peine une sentinelle. Dagobert, il faut l’avouer, ne s’arrangea pas longtemps de la simple métairie de ses pères. | ||||||||
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