PIRATES FLIBUSTIERS
         
 

Pirates, flibustiers, corsaires :

des "gars-bandits" pas si sympas ...

Michel Vergé-Franceschi

 

La littérature les célèbre volontiers depuis l'Antiquité romaine, les érigeant parfois en modèles. Mais la réalité est beaucoup plus crue. Les écumeurs des mers ne sont pas des enfants de choeur, ce sont d'abord des voleurs sans foi ni loi que les Etats cherchent à  éliminer... quand ils ne les recrutent pas.

 

Dans l'espace caraïbe des XVIe-XVIIIe siècles, le flibustier est un pirate, un Frère de la côte, un écumeur des mers issu d'un conglomérat humain cosmopolite. Voltaire, dans son Essai sur les moeurs, écrit : " La France n'est entrée dans ce partage [de Saint-Domingue] avec l'Espagne que par la hardiesse [...] d'un peuple nouveau que le hasard composa d'Anglais, de Bretons et surtout de Normands. On les a nommés boucaniers, flibustiers. " Ces marins, mutins et déserteurs, séduits par le climat des Antilles, ont décidé de chasser les troupeaux sauvages de la partie nord de Saint-Domingue, au lieu de rentrer sous les brumes du Nord. Ils se sont mis à  se nourrir de viande grillée au feu de bois, en chantant tout autour et en faisant du bruit à  la mode caraïbe : c'est-à -dire en faisant du " boucan ". A la belle saison, les flibustiers de la mer des Antilles chassent les galions espagnols, chargés d'or et d'argent. Montés sur de petits navires rapides, flibots et pinasses, artillés de quelques pierriers, ils attendent leurs proies en fumant du tabac. D'un coup, ils montent à  l'abordage, généralement deux à  deux, avec le plus proche de leurs amis, d'où leur nom de Frères de la côte. L'arme blanche a leur préférence, accréditant l'image du pirate le couteau entre les dents. Le canon est superflu. En 1696, un flibustier confie au père Labat, un missionnaire français qui a consigné ses observations sur la vie "des boucaniers dans Voyage aux îles de l'Amérique , que son artillerie de six minuscules canons " était plus pour cérémonie que par nécessité puisqu'ils n'employaient jamais que leurs deux pièces de chasse quand ils battaient un vaisseau par l'avant ou par l'arrière ; leurs fusils leur suffisant pour le désoler, jusqu'à  ce que leur capitaine juge à  propos de sauter à  l'abordage

 
         
 

 

Cyprien Danjou dit « Grand Turc »

Gabier sur la belle Poule

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

 

La tactique du pirate de la mer des Antilles ne consiste qu'en un seul mot : l'abordage. Le succès réside dans la détermination, voire la témérité des hommes du bord. Nombreux, ils manient le sabre d'abordage et le poignard. Ils combattent par paires, car ils " se joignent toujours deux ensemble et se nomment l'un et l'autre matelot ", le mattenoot étant celui qui partage en alternance le même hamac que son " frère ". Victorieux, ces célibataires sans famille font la fête, s'enivrent à  souhait au rhum de la Jamaïque et se partagent à  l'amiable les femmes indigènes ou razziées.

 

La piraterie est une mythologie faite de gains spectaculaires, de liberté totale, en des sites îliens et enchanteurs. D'où la pérennité de la piraterie, ou plutôt des pirateries au cours des âges, car chaque époque engendre ses candidats pirates : marins et mutins, clandestins et renégats, apatrides et flibustiers, marginaux et insoumis. On en oublie presque que le pirate mène une guérilla sanglante. Si la littérature le célèbre volontiers depuis l'Antiquité romaine - il est l'une des figures littéraires des romans de l'époque impériale -, l'érigeant parfois en modèle, sorte de Robin des Bois de la mer, le pirate est néanmoins un personnage qu'il vaut mieux rencontrer dans les livres d'aventures que dans la réalité. C'est un mauvais sujet, un bandit, un marginal, acoquiné pour une foule de raisons peu avouables à  d'autres marginaux : indiscipline, désertion, mutinerie, crime, meurtre, rapine, appât du gain. Avec eux, il compose une vraie société dont la hiérarchie repose sur la force, seule

qualité reconnue de tous puisque seule source de butin. L'accompagnent : la ruse, la férocité, l'intelligence du mal. Cette société a toutefois, comme les bandes ou le milieu, ses règles propres, sa discipline interne, son chef (l'Olonnais, Morgan, Grammont), toujours reconnu pour son courage, son intrépidité, son flair pour le butin. Il est craint pour sa férocité, respecté pour sa justice car " il partage les prises également " (Labat). En théorie du moins, car les contre-exemples sont nombreux. Ainsi, après le sac de Panama, les flibustiers sont frustrés de leur part, lorsque Morgan s'enfuit avec son navire chargé de la plus grande partie du butin. Sans scrupule, il abandonne ses hommes sans vivres et sans navire !

 

Les femmes font partie intégrante du butin puisqu' Oexmelin, chirurgien des flibustiers, auteur d'une Histoire des aventuriers et des boucaniers d'Amérique (1686), écrit : " Quand deux d'entre eux rencontrent une belle femme, pour éviter la contestation qu'elle ferait naître, ils jettent à  croix-pile à  qui l'épousera. Celui que le sort favorise l'épouse, mais son camarade sera reçu à  la maison ; cela s'appelle le matelotage... " Autre usage : le survivant de deux est de facto l'héritier de son compagnon. Le capitaine et ses hommes signent un contrat ou " chasse-partie ". Tout est prévu pour la durée d'une campagne : chaque homme apporte ses vivres, ses armes, ses munitions. Le butin produit la solde comme chez tout mercenaire : " Pas de butin, pas de solde. " Le capitaine prélève de quoi amortir les frais de son bâtiment, outre la solde du charpentier (100 à  150 piastres) et celle du chirurgien (200 à  250 piastres). Le capitaine touche jusqu'à  six fois la part d'un matelot. Son second, deux parts. Le matelot, une seule. Le mousse, une demie. Les blessés et estropiés reçoivent 600 piastres pour le bras droit ; 500 pour le gauche ou la jambe droite ; 400 pour la gauche ; 100 pour un oeil ou un doigt. A l'issue de la campagne, chacun reprend sa liberté avec sa part. L'autorité du capitain

 

Le pirate, quels que soient l'époque considérée, le théâtre opérationnel dans lequel il fait choix d'exercer, le butin convoité, pris et ramené, est un brigand qui a plusieurs façons d'opérer : ou bien il se contente d'attaquer à  la mer un autre bâtiment, si possible richement chargé, qu'il pille après avoir éliminé l'équipage pris à  l'abordage et tué car il n'y a pas de quartiers - en cela, il ressemble aux voleurs des grands chemins qui rançonnent sur terre carrosses et diligences ; ou bien, il débarque sur une terre occupée et il transforme alors l'image classique du pirate des mers en une autre, celle du barbare ou du Barbaresque.

 

Dans le premier cas, il s'agit du Frison qui razzie les côtes de la mer du Nord et de la Manche ; du barbare qui pille les côtes de mer Noire et dévaste l'Egée ; du Franc embarqué sur les côtes du Pont-Euxin et qui ravage celles de Sicile et d'Afrique. Le Barbaresque, venu d'Afrique du Nord, razzie les troupeaux sur les côtes chrétiennes de Provence, du Languedoc ou de la péninsule italienne. Le flibustier des Antilles évolue souvent vers ce type de piraterie lorsqu'au lieu d'attaquer des navires, il attaque de riches cités hispano-américaines : Vera Cruz, Panama, Carthagène-des-Indes (Colombie), Campeche (Mexique).

 

Il repère la côte, à  proximité d'un détroit, sur une route maritime très fréquentée

 

Ayant besoin d'un soutien logistique (eau potable, vivres, bois de cuisson pour les aliments, plage pour la réparation navale, bois pour la construction et la réparation navale, mini-chantier de radoub ou de construction), il donne sa préférence aux îles. Situées à  des carrefours, elles permettent de surveiller les routes maritimes. Le pirate aime se tenir au large de la Cythère antique, de la Sicile, de la Sardaigne, des Baléares ou de la Corse. Malte, la Crète, Tinos ont été des nids de pirates. Les Grimaldi se sont enrichis comme pirates depuis leur rocher de Monaco. Même chose dans l'Atlantique, où les flibustiers sont basés en l'île de la Tortue.

 

Là, les pirates attendent leur proie, le navire marchand qui passe, isolé ou en convoi, seul ou protégé, et ils fondent sur lui à  partir d'un navire rapide : hemolia des Grecs, lemboi des Illyriens, chébecs et brigantins des Barbaresques, flibots des flibustiers. Au sommet du mât, une tête de mort et deux tibias blanchis au soleil se détachent sur un pavillon noir flottant dans le vent. Tous ces navires-pirates se ressemblent : un tirant d'eau faible, une vitesse forte, accrue par le suif dont sont badigeonnées les coques pour diminuer la résistance à  l'eau. Petits, légers, excellents manoeu-vriers, chargés de nombreux hommes, et munis de peu d'artillerie, ces navires rapides doivent être capables de courir les mers pour rattraper leurs proies, les doubler, les forcer à  stopper. Une fois l'adversaire pillé, il faut pouvoir repartir vite, et aller se réfugier en des eaux inaccessibles aux gros vaisseaux étatiques, au milieu des récifs, desrochers et des hauts-fonds.

 

Le pirate, c'est avant tout celui qui poursuit et arraisonne en mer n'importe quel bateau, en dehors de toute considération de pavillon. Pour le pirate, il n'y a ni ami ni allié. C'était déjà  ce que pensait le vieil Abraham DuquesneRichelieu eut les pires difficultés à  se faire obéir par ce monde si bigarré de la mer, si éloigné des lois et des règles des terriens. (1570-1635), Normand, qui capturait en mer les navires marchands bretons sous prétexte qu'ils lui étaient étrangers.

 

Le pirate est un danger pour ceux qui le croisent, d'où la naissance de l'assurance maritime, mais il est aussi un danger pour la civilisation car il est hors norme. N'appartenant ni à  un Etat ni à  une structure, le pirate est finalement le seul homme libre des sociétés prérévolutionnaires. Les politiques, de tout temps, n'ont cessé de combattre ces marginaux armés, dangereux pour les marins, dangereux pour les Etats, dangereux pour les échanges, les commerces lointains et le grand négoce maritime. Corinthe a mené la guerre contre les pirates. Pompée aussi, comme Louis XIV plus tard, en Méditerranée, car, dans l'Atlantique, le Très Chrétien se fait volontiers l'allié des flibustiers pour attaquer le riche entrepôt espagnol de Carthagène-des-Indes en 1697.

 

Les Etats ont finalement une attitude très ambiguë à  l'égard des pirates: en période de paix, ils veulent éradiquer la piraterie et commercer librement en assurant la liberté des mers ; mais que survienne la guerre, et ils cherchent à  séduire ces excellents soldats qui tiennent solidement tel ou tel point d'appui (Saint-Domingue ou l'île de la Tortue). Ces bases se trouvent alors cédées à  la puissance dont les pirates se réclament et par là, la piraterie se trouve à  l'origine de nombre de colonies, anglaises ou françaises, de l'espace caraïbe.

 

L'une des causes majeures du développement des flottes de guerre permanentes par les Etats, quels qu'ils soient, a été l'élimination de la piraterie. Thucydide parle d'expéditions athéniennes contre des nids de pirates.

 

Plutarque Octavien a durement lutté contre les Illyriens en 35 avant notre ère. Rhodes a même créé un type de navire spécial pour donner la chasse aux pirates, la trihemolia , plus rapide que la trière, de même que Louis XIV a fait construire des galiotes à  bombes spécifiques en 1678 pour aller bombarder Alger (1682, 1683), Salé ou Tripoli (1685, 1688). Quant à  la Hanse, elle n'a eu de cesse de libérer mer Baltique et mer du Nord de toute piraterie dès 1168, en liaison avec le Danemark, par la destruction de la piraterie wende, puis des Estoniens (1202), puis des Vitalienbraeder (1400-1402). évoque la lutte contre les Dolopes devenus forbans faute de ressources agricoles

 

La piraterie n'est donc pas un sujet de roman. C'est une affaire militaire qui exige de la part des Etats des dépenses pour la combattre.

 

Elle impose une riposte : de vrais navires, de vraies guerres, de vraies lois. Tous les littoraux, toutes les îles ont été amenés à  faire le sacrifice de nombre de deniers pour construire des fortins, des tours (en Corse), pour payer des torregiani (gardiens de tours), et mettre en place des milices.

 

Si la piraterie est le reflet de la faiblesse des Etats, elle peut devenir aussi - on le sait moins - une piraterie d'Etat. C'est sur la piraterie que l'Angleterre des Tudor fonde sa puissance à  partir du XVIe siècle en attaquant les riches galions espagnols des côtes américaines.

 

C'est en attaquant des bâtiments français, en pleine paix, qu'elle s'assure des victoires certaines, privant la marine de guerre de 1756-1763 (guerre de Sept Ans) des matelots français capturés par Boscawen à  bord de plus de 250 navires marchands, dès 1755.

 

En 1740-1744, Français et Anglais ont déjà  commencé à  se combattre antérieurement à  la guerre, déclarée le 15 mars 1744 seulement. Fait prisonnier dans de telles conditions, le 11 novembre 1755 dans le golfe de Gascogne, le vicomte Joubert de Bouville, arrière-petit-fils de Desmarets et de la soeur de Colbert, refuse d'ailleurs aux Anglais d'être libéré en qualité de prisonnier de guerre et préfère offrir sa rançon !

 

La piraterie est un sujet difficile, trop souvent traité comme une simple épopée caraïbe. Le pirate viril et bronzé, chemise déchirée, oeil de verre et jambe de bois, le sabre d'abordage à  la main, debout devant des coffres d'or et de pierreries, est quasiment une image d'Epinal.

 

 

 
       
 

 

Arséne Manguy dit « Cul de cane »

Gabier sur la Curieuse

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

Jean-louis Morin dit « Sent fort »

Gabier sur la Rose

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

Joseph Camus dit « Fil à voile »

Gabier sur Les vainqueurs des jaloux

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

Anselme Thomas dit « Stropin »

Ancien canonnier sur le beau Jules

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

Eustache Faguet dit « Turlutte »

Capitaine corsaire

Commandant le poisson volant

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

Quentin Barbanchon dit « Asbsalon »

Charpentier sur la clorinde

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
       
 

 

R.p. Donation dit « Requiem »

Aumonier & chirurgien

Sur le brigantin flibustier

Le cheval marin

Illustration d’Etienne Blandin

Collection LPM CPA 1960

   
         
 

 

Etienne BLANDIN.- NAVARIN, trois-mats morutier en route pour Terre-Neuve

 
     
 

La piraterie n'a ni âge d'or ni âge tout court : c'est un phénomène historique inscrit sur la longue durée. Si les Etoliens de Grèce antique en ont fait un vrai instrument de politique extérieure, allant jusqu'à  passer avec leurs futures proies des traités d'assurance contre leurs propres exactions, moyennant indemnités, la piraterie n'est toujours pas éradiquée aujourd'hui des mers de Chine et l'escroquerie à  l'assurance continue à  être pratiquée sous le nom de " baraterie ", qui demeure une piraterie puisque la cargaison est volée, le navire détruit, rebaptisé, ou escamoté et la prime d'assurance touchée !   

 

Celui qui accumule beaucoup de captures et de butins devient vite aux yeux de ses camarades un héros ; aux yeux de l'honnête homme, une terreur. De ces héros terrifiants, les sources médiévales ont conservé les noms, voire les exploits : Henri le Pécheur, comte de Malte en 1218 ; Benedetto Zaccaria, pirate, marchand, puis amiral génois ; Roger de Lauria, pirate aragonais qui a écumé le littoral du Languedoc à  la Sicile au XIIIe siècle ; Roger de Flor, Templier catalan, amiral de Sicile, qui ravagea l'Egée au XIVe siècle.

 

L'époque moderne, les XVIe-XVIIIe siècles atlantiques, n'a donc pas le monopole de la piraterie. Il était nécessaire de le dire ici. Le pirate de l'espace caraïbe à  l'époque élisabéthaine ou colbertienne n'est pas un homme nouveau : il est l'héritier d'une foule d'aventuriers, hommes de sac et de corde, issu des envahisseurs d'antan car toute invasion (normande, saxonne ou sarrazine) était déjà  une entreprise de piraterie. Comme jadis, l'époque moderne cherche à  se défendre du pirate, soit en munissant ses navires marchands de canons, soit en les faisant escorter de navires de guerre. Face aux pirates, le droit international se durcit et tout capitaine qui réussit à  capturer des forbans à  la mer a le droit de les pendre haut et court à  la plus haute vergue du vaisseau pris. Mais lorsque les nations se sont faites pirates à  leur tour, telle l'Angleterre d'Elisabeth Ire, les succès remportés sur les galions espagnols par les Drake et les Raleigh ont été tels qu'on ne peut plus borner la piraterie à  la notion d'entreprise privée. La piraterie d'Etat caractérise l'Angleterre des Tudor, qui associe des capitaux publics à  des capitaux privés afin de prélever sa part de métaux précieux sur la route transatlantique de l'Empire espagnol.

 

Entre 1560 et 1620, de la mort de Marie Tudor (1558) à  celle d'Elisabeth (1603), cette piraterie connaît l'une, parmi d'autres, de ses périodes de gloire et de profit. Dans les années 1550-1570, Français et surtout Anglais se ruent sur le commerce espagnol, endommageant ses routes et limitant ses profits, mais le pourcentage des pertes qui en résultent n'est finalement comparable qu'aux pertes infligées par les tempêtes. L'impact est plus psychologique qu'économique, même si Daerer s'attarde à  Anvers sur les trésors raflés par des Français sur un navire espagnol transportant une partie des trésors de l'empereur aztèque Moctezuma.

 
         
 

 

ETIENNE BLANDIN , N°185 , La"MELPOMENE" Fregate-Ecole des Gabiers

 
         
 

Cette piraterie apparaissant plus lucrative qu'elle n'était, les grandes puissances n'ont de cesse d'engager ces baroudeurs des mers pour en faire des corsaires. C'est le cas des marins de Dieppe, de La Rochelle, de Saint-Malo, mais aussi d'Alger, de Tunis, de Tripoli, de Salé, piliers des régences maghrébines. On oppose généralement à  tort les marins et on les classe arbitrairement en trois catégories : les pirates, les corsaires, les officiers de marine. Rien n'est plus faux : un pirate est certes un bandit, mais dès que le roi reconnaît ses compétences, il l'admet à  son service, lui donne des " lettres de marque " pour courir sus à  l'ennemi, et voilà  notre pirate transformé en corsaire. Que cet ancien bandit réussisse avec le même sabre d'abordage sa nouvelle carrière de corsaire, le voilà  promu capitaine des vaisseaux du roi tel Abraham Duquesne le Vieux, pirate redoutable, corsaire talentueux puis respectable officier de Louis XIII ! Au cours de la même vie, Ducasse, né huguenot, peut être à  la fois le chef des flibustiers de La Tortue, lieutenant général des armées navales, et l'ancien calviniste qui meurt décoré de la Toison d'Or par le Roi Catholique ! Ducasse est l'exemple type du flibustier-officier général. Grâce à  l'argent convoité, pris et confisqué dans l'espace caraïbe, il peut donner 400 000 livres de dot à  sa fille unique et en faire une duchesse de La Rochefoucauld ! Splendide promotion due à  l'apport fourni par les 1 600 flibustiers de Saint-Domingue pris au passage par le baron de Pointis en 1697 pour aller piller Carthagène-des-Indes. Les flibustiers y participent aux côtés de la flotte du roi. Là, " outre neuf millions en argent ou en barre, ce qui fut pris en pierreries et en argenterie est inconcevable ", écrit Saint-Simon. Carthagène-des-Indes est l'entrepôt le plus riche de toute l'Amérique latine.

 

Les pirates forment une société cosmopolite. Venus de Hollande, de Zélande, de Frise, de Flessingue, de Dunkerque, de Honfleur, de Saint-Malo, du pays Basque, de Provence ou de Bretagne, ils se sont partout associés en barbaresques, en gueux de la mer, en flibustiers de l'espace antillais, en Frères de la côte, en pirates de Formose aux ordres de leur roi Koxinga, établi dans l'île en 1661. Pirates, ils sont aussi contrebandiers parce qu'il faut écouler les cargaisons capturées qui sont bien plus souvent des denrées comestibles, du bois, des salaisons, du poisson séché que des perles, des émeraudes et des rubis. Certes, au milieu du triangle des Bermudes, les " îles au trésor " fascinent, les mines de cuivre de Cartier sont prises pour des mines d'or, le mica pour des diamants, et la Louisiane de Law est censée offrir des rochers de diamants, mais la réalité est tout autre. La piraterie se mue souvent en commerce au bout de la pique (c'est-à -dire en contrebande) qui se fait avec les colonies ibériques d'Amérique du Sud et Centrale. D'ou une sédentarisation des pirates qui contribue au peuplement des Antilles.

 

Les nations civilisées finissent par étre plus voleuses que les pirates. En 1697, " les flibustiers eurent grand débat avec Pointis pour leur part, de la plus grande partie de laquelle ils se prétendaient frauder. Comme ils virent que le baron, officier général de Louis XIV, se moquait d'eux, ils retournèrent à  Carthagène, la pillèrent de nouveau, y firent un riche butin et y trouvèrent beaucoup d'argent ", dit encore Saint-Simon.

 

La flibuste disparaît dans l'espace caraïbe à  la fin de la Régence, du fait de l'omniprésence de la Royal Navy. Les flibustiers abandonnent ce métier devenu trop périlleux pour investir, grâce à  leurs butins, dans de vastes propriétés vouées à  la grande plantation sucrière.

 
     
 

 

La Vénus et la Melpomène en rade de Saint-Malo - Dessin " Etienne Blandin "