LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Nom d'un Chien ! -Octobre 1913
         
 

Je ne sais si vous avez remarqué combien nous sommes susceptibles, pointilleux et même vindicatifs lorsque nous envisageons notre amour-propre personnel et enclins au contraire au sans-gène frisant l'inconvenance du moment qu'il s'agit de ménager autrui.

Cette réflexion me vient à l'esprit en pensant... vous ne devineriez jamais à quoi : aux chiens.

L'été dernier, je me trouvais dans une grande ville d'eaux assez cosmopolite : Vichy. Il y avait là des étrangers accourus de tons les points du globe. Autour du parc, la foule circulait, nombreuse, bruyante : Anglais, Ottomans, Marocains, Grecs, etc. (je ne cite pas au hasard, comme on va voir). Les chiens-chiens chéris à leurs maîtres et à leurs maîtresses échangeaient des politesses.

 

- Miss, appelait sévèrement une jeune fille du meilleur monde en s'adressant à une levrette en paletot, viens ici !


- Ce Turc est insupportable, gémissait à côté une douairière étendue dans un rocking, il a encore fait sur ma robe !

 

SAGERS 1910

 
 
 
 

Plus loin, deux jeunes gens lançaient des cailloux à un énorme danois :

- Sultan, ksss ! ksss ! apporte !

 

Je ne sais quelle était la couleur des idées des demoiselles anglaises, des sujets turcs et des compatriotes de Moulay-Hafid qui entendaient ces appellations incongrues. Mais je m'imaginais assez facilement quelle serait la nôtre si, voyageant en Angleterre, nous entendions appeler les chiennes « Mademoiselle », si voyageant en Turquie nous entendions appeler les chiens « Français » si, voyageant au Maroc, nous subissions qu'on leur applique le surnom de « Poincaré ».

 

Et ce n'est pas tout. Combien rencontrez-vous de gens qui, à haute voix, raconteront qu'ils ont été décavés la veille au soir par une espèce de « Grec » ! Combien d'autres ne manqueront jamais de comparer un homme trop chargé de bijoux à un « rasta péruvien » ! Combien qui, pour dépeindre un rustaud malpropre, le traiteront de « sale moujik »

Toute l'ethnographie y passe, et elle y passe comme elle peut, jusque sur le dos des bêtes.

En vérité, pour un peuple qui se pique de raffinement dans l'éducation, nous coinmettons là du matin au soir des grossièretés impardonnables. Oh, d'ailleurs, nous n'y mettons pas de malice, et n'importe qui d'entre nous, qui ne se retiendrait guère de souffleteruni Teuton appelant son bulldog « Napoléon », n'éprouverait aucune gène à baptiser son caniche « Bismarck ».

Ces réflexions se passent de commentaires ; elles n'entrainent que la réforme de déplorables abus.