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Le Normand 1842
par
Les noces sont célébrées par des excès dont un Gargantua serait fier à juste titre, principalement dans la partie située à gauche de la Seine. Là, c’est une vieille et pauvre veuve, nommée, suivant les lieux, Badochet, Diolevert, Hardouin ou Hardouine, qui se charge des premières ouvertures. Cet agent matrimonial ménage entre les parents de la jeune fille et ceux de l’aspirant une entrevue à l’auberge où celui-ci obtient, le verre en main, la faveur de l’entrée de la maison.
La jeune personne qui, dans un repas, se trouvant sous la poutre, boit le premier et le dernier verre d’une bouteille de cidre, est certaine de se marier dans l’année, si, en outre, la nappe est à l’envers et le chat de la maison sous la table. |
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Celle qui reçoit sa part de sept gâteaux de noces doit bientôt célébrer la sienne ; mais l’infortunée qui marche par mégarde sur la patte d’un chat, est condamnée à ne pas trouver d’époux avant trois ans, et ce délai est prolongé de quatre ans, si son pied malencontreux a foulé la queue du même animal. Quant à l’imprudente qui laisse bouillir l’eau de vaisselle, et place les tisons debout dans le foyer, elle court risque de vivre et de mourir dans le célibat.
Le jour où le futur se présente s’appelle bienvenue ou venantise. On évite avec soin de choisir un mercredi ou un vendredi, d’avancer le pied droit en franchissant le seuil de la maison, de tenir son chapeau de la main gauche. Dans la discussion des clauses du contrat, le père et le fiancé se disputent pied à pied le terrain.
« J’y donnons point beaucoup, dit le premier, mais chongez ein brin que ch’est eine femme qu’étiont aussi prope qu’il n’y en a point de pu prope, qui racommodera vot’ linge, qui sera comme ein vrai trésor de properté. Crayez-vous qu’ cha n’valont point de l’ergent ? – Je ne le crais point ; et pis, alle n’est guaires avenante, vout’ fille ; alle n’est guaires ed’débit. M’est avis qui faut que vous mettiez vingt pistoles ed’plus ; sans cha, y aura rien de fait. »
La dot réglée, on se donne les bonnes paroles, et l’on fête les escards par un banquet-monstre, où sont prodigués le boeuf, le mouton, le porc, la volaille, le beurre, le pain, le cidre, le vin blanc et l’eau-de-vie, avec une générosité homérique. Dans les campagnes, c’est la femme qui sert à table. |
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CPA collection LPM 1900 | ||||||||||
On prend soin de ne se marier ni dans le mois de mai, qui prédispose à la jalousie, ni dans le mois d’août, dont l’influence rend les enfants insensés. Assez fréquemment la noce va à cheval à l’église, les femmes assises à gauche. Les deux époux se placent au milieu de l’église, sous un crucifix pendu à la voûte, y reçoivent la bénédiction nuptiale, entendent l’évangile au maître-autel, et font une station à l’autel de la Vierge pour y déposer leurs cierges. On sort de l’église au bruit des coups de fusil et des pétards ; le convié le plus alerte présente la main à la mariée, la fait danser un moment et en reçoit un ruban ; un second ruban est la récompense de celui qui la remet en selle.
Le dîner commence, ou plutôt le repas du matin continue à cinq heures du soir. Le cuisinier, véritable héros de la fête, ouvre, avec la mariée, le bal qui succède au dessert : le bruman n’a droit qu’à la seconde contredanse. Vers les neuf heures, on entend frapper à la porte, et des voix du dehors répètent en choeur : Sur le pont d’Avignon, etc. |
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Ce sont les réveilleurs, les jeunes gens du voisinage qui demandent à entrer ; on leur ouvre, après leur avoir riposté par le second couplet de la ronde, et on leur verse du cidre ; mais la coutume leur défend d’accepter des aliments solides, et de s’asseoir au souper qui a lieu à dix heures. On quitte encore la table pour la danse, et après minuit la danse pour une copieuse collation. A neuf heures du matin, un déjeuner, composé de beurre et de fromage, répare les forces des danseurs. Le bruman en congédie la plupart, ne garde auprès de lui que ses amis intimes, se divertit ou s’ennuie avec eux jusqu’à minuit, et, pour terminer convenablement quarante heures de séance gastronomique, se soumet de bonne grâce aux plaisanteries de ceux qu’il a traités. On l’oblige à faire sa prière à genoux sur un manche à balai, ou sur une paire de sabots des plus anguleux ; on lui grimpe sur les épaules ; on enseigne à l’épousée une oraison égrillarde qui commence par : « Benedicite, je me couche, je ne sais pas ce qui va me venir ; je m’en doute, etc. » On apporte des rôties au vin, et la mariée boit et mange pendant qu’on passe sur la bouche de l’infortuné bruman le torchon qui a essuyé la vaisselle. La lassitude générale met fin à ces rudes épreuves, à ces farces grossières inspirées par les fumées du cidre et de l’alcool. Heureux encore le bruman s’il n’est pas veuf, si sa femme jouit d’une réputation intacte, car autrement, des charivariseurs déguisés en loups, en ours, portant des chemises par-dessus leurs habits, affublés de cornes monstrueuses, feraient bruire à ses oreilles les colliers et les casseroles.
Comme le cidre n’est pas moins perfide que la liqueur spécialement consacrée à Bacchus, les querelles dont l’ivresse est mère sont d’autant plus funestes en Normandie que la savate y est en honneur, et qu’on y manie avec un talent déplorable la canne, le bâton et le flé (5). Les professeurs de ces diverses armes n’y manquent pas de clientèle, ni leurs élèves d’occasions d’employer leur formidable savoir. Le Normand, dont tous les historiens s’accordent à célébrer les exploits, est terrible dans une querelle de cabaret comme sur un champ de bataille. Il est habituellement pacifique, il a recours aux messes, aux signes de croix et à l’eau bénite pour avoir bonne chance au tirage, il invente mille ruses pour s’exempter de la conscription ; mais que son sang soit fouetté par les vapeurs alcooliques, ou que sa bravoure soit éperonnée par le bruit du canon, dans une lutte corps à corps comme dans une mêlée, pour sa défense personnelle comme pour celle de la patrie, il est d’une intrépidité tenace et ne recule jamais.
(1) Fiancé ; de bru, mot qui s’est conservé en langue française, et de man, homme. |
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Le Normand 1842
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Les noces sont célébrées par des excès dont un Gargantua serait fier à juste titre, principalement dans la partie située à gauche de la Seine. Là, c’est une vieille et pauvre veuve, nommée, suivant les lieux, Badochet, Diolevert, Hardouin ou Hardouine, qui se charge des premières ouvertures. Cet agent matrimonial ménage entre les parents de la jeune fille et ceux de l’aspirant une entrevue à l’auberge où celui-ci obtient, le verre en main, la faveur de l’entrée de la maison.
La jeune personne qui, dans un repas, se trouvant sous la poutre, boit le premier et le dernier verre d’une bouteille de cidre, est certaine de se marier dans l’année, si, en outre, la nappe est à l’envers et le chat de la maison sous la table. |
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Celle qui reçoit sa part de sept gâteaux de noces doit bientôt célébrer la sienne ; mais l’infortunée qui marche par mégarde sur la patte d’un chat, est condamnée à ne pas trouver d’époux avant trois ans, et ce délai est prolongé de quatre ans, si son pied malencontreux a foulé la queue du même animal. Quant à l’imprudente qui laisse bouillir l’eau de vaisselle, et place les tisons debout dans le foyer, elle court risque de vivre et de mourir dans le célibat.
Le jour où le futur se présente s’appelle bienvenue ou venantise. On évite avec soin de choisir un mercredi ou un vendredi, d’avancer le pied droit en franchissant le seuil de la maison, de tenir son chapeau de la main gauche. Dans la discussion des clauses du contrat, le père et le fiancé se disputent pied à pied le terrain.
« J’y donnons point beaucoup, dit le premier, mais chongez ein brin que ch’est eine femme qu’étiont aussi prope qu’il n’y en a point de pu prope, qui racommodera vot’ linge, qui sera comme ein vrai trésor de properté. Crayez-vous qu’ cha n’valont point de l’ergent ? – Je ne le crais point ; et pis, alle n’est guaires avenante, vout’ fille ; alle n’est guaires ed’débit. M’est avis qui faut que vous mettiez vingt pistoles ed’plus ; sans cha, y aura rien de fait. »
La dot réglée, on se donne les bonnes paroles, et l’on fête les escards par un banquet-monstre, où sont prodigués le boeuf, le mouton, le porc, la volaille, le beurre, le pain, le cidre, le vin blanc et l’eau-de-vie, avec une générosité homérique. Dans les campagnes, c’est la femme qui sert à table. |
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On prend soin de ne se marier ni dans le mois de mai, qui prédispose à la jalousie, ni dans le mois d’août, dont l’influence rend les enfants insensés. Assez fréquemment la noce va à cheval à l’église, les femmes assises à gauche. Les deux époux se placent au milieu de l’église, sous un crucifix pendu à la voûte, y reçoivent la bénédiction nuptiale, entendent l’évangile au maître-autel, et font une station à l’autel de la Vierge pour y déposer leurs cierges. On sort de l’église au bruit des coups de fusil et des pétards ; le convié le plus alerte présente la main à la mariée, la fait danser un moment et en reçoit un ruban ; un second ruban est la récompense de celui qui la remet en selle.
Le dîner commence, ou plutôt le repas du matin continue à cinq heures du soir. Le cuisinier, véritable héros de la fête, ouvre, avec la mariée, le bal qui succède au dessert : le bruman n’a droit qu’à la seconde contredanse. Vers les neuf heures, on entend frapper à la porte, et des voix du dehors répètent en choeur : Sur le pont d’Avignon, etc. |
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Ce sont les réveilleurs, les jeunes gens du voisinage qui demandent à entrer ; on leur ouvre, après leur avoir riposté par le second couplet de la ronde, et on leur verse du cidre ; mais la coutume leur défend d’accepter des aliments solides, et de s’asseoir au souper qui a lieu à dix heures. On quitte encore la table pour la danse, et après minuit la danse pour une copieuse collation. A neuf heures du matin, un déjeuner, composé de beurre et de fromage, répare les forces des danseurs. Le bruman en congédie la plupart, ne garde auprès de lui que ses amis intimes, se divertit ou s’ennuie avec eux jusqu’à minuit, et, pour terminer convenablement quarante heures de séance gastronomique, se soumet de bonne grâce aux plaisanteries de ceux qu’il a traités. On l’oblige à faire sa prière à genoux sur un manche à balai, ou sur une paire de sabots des plus anguleux ; on lui grimpe sur les épaules ; on enseigne à l’épousée une oraison égrillarde qui commence par : « Benedicite, je me couche, je ne sais pas ce qui va me venir ; je m’en doute, etc. » On apporte des rôties au vin, et la mariée boit et mange pendant qu’on passe sur la bouche de l’infortuné bruman le torchon qui a essuyé la vaisselle. La lassitude générale met fin à ces rudes épreuves, à ces farces grossières inspirées par les fumées du cidre et de l’alcool. Heureux encore le bruman s’il n’est pas veuf, si sa femme jouit d’une réputation intacte, car autrement, des charivariseurs déguisés en loups, en ours, portant des chemises par-dessus leurs habits, affublés de cornes monstrueuses, feraient bruire à ses oreilles les colliers et les casseroles.
Comme le cidre n’est pas moins perfide que la liqueur spécialement consacrée à Bacchus, les querelles dont l’ivresse est mère sont d’autant plus funestes en Normandie que la savate y est en honneur, et qu’on y manie avec un talent déplorable la canne, le bâton et le flé (5). Les professeurs de ces diverses armes n’y manquent pas de clientèle, ni leurs élèves d’occasions d’employer leur formidable savoir. Le Normand, dont tous les historiens s’accordent à célébrer les exploits, est terrible dans une querelle de cabaret comme sur un champ de bataille. Il est habituellement pacifique, il a recours aux messes, aux signes de croix et à l’eau bénite pour avoir bonne chance au tirage, il invente mille ruses pour s’exempter de la conscription ; mais que son sang soit fouetté par les vapeurs alcooliques, ou que sa bravoure soit éperonnée par le bruit du canon, dans une lutte corps à corps comme dans une mêlée, pour sa défense personnelle comme pour celle de la patrie, il est d’une intrépidité tenace et ne recule jamais.
(1) Fiancé ; de bru, mot qui s’est conservé en langue française, et de man, homme. |
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