CES BATEAUX DISPARUS
   
  NAUFFRAGE DE L'ALABAMA
         
 
 
     
 

Par Bertrand SCIBOZ © 2005 CERES

 

               Nous allons découvrir, aujourd'hui l'aventure d'une épave les plus emblématique de Normandie si ce n'est la plus emblématique. Nous allons plonger et faire connaissance avec le raider sudiste ALABAMA, coulé entre Cherbourg et la Hague à une dizaine de mille dans le large, le.19 juin 1864.

 

               La corvette Alabama est un Trois mâts barque Américain, avec coque en bois doublée en cuivre, il est construit en 1862 à Laird's yard à Bir-kenhead en Angleterre sous le nom de "290" qui était son numéro de stock. Sa longueur est de 64 mètres et son déplacement de 1023 tonneaux. Et c'est en Novembre 1984 que le chasseur de mines CIRCE sous les ordres du Capitaine de Corvette DUCLOS découvre l’épave, par soixante mètres de fond au large des cotes du Cotentin.

 
     
 

Matin du 6 août 1863 la frégate nordiste Kearsarge rencontre l'Alabama

 
     
 

             Mais revenons à une partie de son histoire. Lors de sa construction, on ne mentionna pas aux autorités britanniques que ce serait un navire de guerre sudiste, aucune arme ne fut donc installée à bord afin d'éviter au gouvernement Anglais d'en prendre possession. Néanmoins l'ambassadeur des Etats Unis, ayant eu vent des intentions des sudistes s'opposa à l'appareillage du navire, mais les procédures furent si longues que le 28 Juillet 1862, le "290" rejoint la haute mer sans obstacles, commandé par le capitaine Bulloch , avec à son bord bon nombre d'hôtes afin d'éviter toute suspicion.

 

            Cependant quelques heures après son départ, le Captain Bullock fait la surprise à ses hôtes. Après un bon repas, il les transfère sur un remorqueur puis reprend la mer. Avant de quitter les eaux anglaises il embarque 30 hommes d'un autre remorqueur dans la Baie de Moelfre, d'où il se dirige vers les Açores toujours sous pavillon Anglais. Là il rejoint deux autres navires qui lui apportaient des armes, munitions, provisions de charbon et nourriture ainsi qu'un groupe complet d'officiers et leur commandant de légende le capitaine Raphael Semmes. Le 24 août, Semmes affale le pavillon Anglais et hisse celui des Confédérés, il annonce alors à la compagnie que le nouveau nom du bateau serait "ALABAMA", et qu'il seraient corsaires de hautes mer, pilleraient et couleraient les navires marchands appartenant à l'Union. Le 24 août 1862, le capitaine Raphael Semmes, au départ des îles britanniques, annonce à son équipage que le navire qu'il commande sous le nom de "290", s'appelle dorénavant l'ALABAMA, et attaquerait pillerait et coulerait les navires de l'Union. Sur leur trajet vers les Etats Unis, ils s'emparent donc de 20 navires marchands, arrivés dans les eaux américaines ils affrontent l'Aviso-torpilleur Us "HATTERAS", un vieux navire envoyé par le fond par quelques coups de canon. Pendant presque 2 ans il garde la mer, pille et coule 68 navires marchands. La stratégie du Capitaine Semmes est de changer la position du navire tous les deux mois, effectivement ayant coulé de nombreux navires, il doit quitter les lieux avant que les croiseurs de la Navy ne le stoppent. Le problème est qu'il ne peut donc s'approvisionner en charbon que dans les ports auxquels il n'avait fait subir aucun précédent. Le 11 juin 1864, il se dirige donc vers Cherbourg pour quelques réparations, Mais peu de temps après la goélette américaine "KEARSAGE" entre dans le port mais continue son chemin et jette l'ancre au-delà de la limite des 3 milles.

 
     
 

Matin du 6 août 1863 la frégate nordiste Kearsarge rencontre l'Alabama

Peinture de 1865, auteur inconnu

 
     
 

             L'ALABAMA, à moitié réparé sort du port pour rencontrer son antagoniste le dimanche, et mouille l'ancre vers 10h30, sous la surveillance du cuirassé Français "COURONNE" qui surveille la zone. Au même moment le vapeur Anglais " DEERHOUND" se pose comme témoin des événements pour éventuellement intervenir en cas de nécessité.

 

             Les deux navires de guerre KEARSARGE & DEERHOUND sont en bois et le capitaine Winslow du KEARSARGE a la bonne idée d'enrouler autour de sa coque ses cordages supplémentaires pour se protéger des impacts. Les deux camps se battent vigoureusement mais Semmes s'aperçoit rapidement que sa poudre a perdu en efficacité et donc que ses tirs ne transpercent pas l’adversaire, 15 minutes après pourtant une charge atteint le KEARSARGE sur la hanche prés de l'hélice mais n'explose pas. C'est le seul tir qui aurait pu marquer l'avantage de l'ALABAMA et modifier le cours de l'histoire.

 

             70 minutes plus tard l'ALABAMA commence à sombrer, le capitaine affale ses couleurs et donne ordre d'évacuer, la corvette sudiste coule par l'arrière.

 
     
 

Matin du 6 août 1863 la frégate nordiste Kearsarge rencontre l'Alabama

Vu par Louis Le Breton

 
     
 

           L'ALABAMA est au large, en face de Fermanville exactement, et dé-rit durant la bataille avec le KEARSARGE des cercles, qui le poussent vers l'ouest avec le vent et le courant.

 

Mais en fin de matinée, il coule par l'arrière, touché à mort par son adversaire. Il y aura 9 morts, 12 noyés, 20 blessés alors que le KEARSARGE déplore 3 blessés et un mort. Sur les survivants, 42 sont récupérés par le DE-ERHOUND, parmi eux le capitaine Semmes blessé, les autres sont récupérés

par le KEARSARGE. Dans l'excellent ouvrage de Paul Ingouf, on notera cette anecdote surprenante, un homme, est sur le haut de la falaise à Fermanville, et regarde le combat naval mais il ne sait pas, que ses enfants sont là, tout proche, l'un embarqué sur le KEARSARGE et l'autre sur l'ALABAMA.....

 

            Nous sommes maintenant, un peu plus d'un siècle plus tard, et beaucoup de gens s'intéressent à l'épave de l'ALABAMA, qui n'est pas encore découverte. En effet, un des premiers est Robert Stenuit, chasseur d'épaves et de trésors mondialement connu, mais aussi un de mes amis. Il s'intéresse depuis longtemps à l'ALABAMA, et a compulsé nombre d'ouvrages sur le sujet, notamment les témoignages des spectateurs, qui de Cherbourg à Fermanville étaient sur les côtes.

 

            Les navires ont commencé à combattre en suivant des cercles, qui les emmenaient vers l'ouest, les fameux 7 ronds de combat, aussi l'épave doit se trouver plus près du Nord de Cherbourg. Mais la zone est soumise aux forts courants et la profondeur est importante dès que l'on s'éloigne un peu.

 

            Stenuit abandonne. Vient ensuite un autre chasseur d'épave, plus connu aux Etats-Unis pour ses romans de fiction sous-marine, Clive Clusser.

 

            Je connais bien Clive et il m'a raconté que lorsque qu'il est venu à Cherbourg c'était bien dans la ferme intention de trouver deux des navires dont l'histoire le passionnait, le LEOPOLDVILLE, et bien entendu l'ALABAMA. Il a trouvé le premier, déjà repéré par la Royale, mais pas l'autre. Puis enfin c'est la pugnacité de quelques militaires de Cherbourg, officiers et sous-officiers, qui un matin, à bord du chasseur de mine CIRCE, a permis d'identifier formellement l'ALABAMA, Nous savons déjà que plusieurs chasseur d'épaves, très connus se sont intéressés à l'ALABAMA, mais aucun d'entre eux n'a connu de succès ni découvert l'épave. C'est donc là à la marine nationale que revient l'honneur de se lancer dans cette quête. A l'époque, à Cherbourg, de nombreux dragueurs de mines sont présents et les plongeurs du bord, issus du premier groupement de plongeurs démineurs, sont tous des passionnés d'épaves, ainsi c'est Paul Henri Nargeolet, commandant le premier GPD, qui plus tard collaborera avec Robert Ballard sur l'expédition TITANIC, qui le premier s'intéresse à l'ALABAMA. Il reconstitue l'histoire de la bataille contre le KEARSARGE et les fameux 7 ronds de combat, retrace la scène, va sur zone et recherche les traces de l'épave mythique. La seule technologie en sa possession est un sondeur graphique. Il écume la zone, et avant d'avoir abouti, il se trouve muté, et quitte le Cotentin. Nous sommes au début des années 80.

 

           Puis c'est au tour du Commandant Leroux, lui aussi, plongeur démineur, dernier patron du Centre d'Instruction Navale de Querqueville, de s'intéresser à la recherche de l'épave. Et puis enfin, le Préfet Maritime, laisse à un de ses navires, le chasseur de mines CIRCE, la possibilité d'effectuer des recherches dans la zone où le raider sudiste a pu couler. C'est le capitaine de Corvette Duclos qui le commande et Pascal Palmer est alors sous-officier plongeur démineur à bord. Passionné d'histoire il s'intéresse depuis longtemps à l'ALABAMA, et c'est avec la même volonté que ses prédécesseurs qu'il se captive pour cette histoire.

 

           Quatre épaves se trouvent dans le coin et le chasseur de mine, comme à son habitude quadrille la zone, pendant plusieurs journées, quand, un matin, une nouvelle épave est déclarée par les hommes de quart.

 

           Pascal s'y intéresse immédiatement, et ne reconnaît en rien les gros morceaux de ferrailles habituelles dans cette zone. Avec l'accord de son commandant il décide donc d'aller investiguer l'épave, ils attendent l'étale de marée et plongent dessus. 

 

          C'est une épave en bois, une vieille épave en bois, et une assiette est remontée Sur une face est inscrit Davenport, et sur l'autre une ancre de marine. C'est bien l'ALABAMA, nous sommes en Novembre 1984

 
     
     
     
 

          A bord du chasseur de mine CIRCE, c'est l'allégresse, grâce aux travaux conjoints de Pascal Palmer, des plongeurs démineurs et du commandant Duclos, une assiette est remontée du fond et grâce à cette assiette, l'épave est identifiée. C'est bien l'ALABAMA.

 

          D'autres plongées, nombreuses, très nombreuses, s'en suivront.

 

          C'est une dizaine d'année plus tard que j'ai moi-même eu l'occasion de découvrir cette épave, ou tout du moins, ce qu'il en reste.

 

Assiette du Davenport

 
         
 

Ce n'est pas une plongée facile, à plus de soixante mètres de fond, on est moins cartésien, su-jet à la terrible ivresse des profondeurs, la narcose. D'autant que la zone est sujette aux forts courants et la visibilité est souvent mauvaise.

 

          Par chance, cette fois, on y voyait à un peu plus de 5 mètres, et l'arrivée au fond s'est faite dans une lumière verte. Tout de suite je suis tombé sur la cheminée, pièce maîtresse de l'épave, puis en la contournant, je suis passé près d'un gros canon en fonte. Le fond est ce que l'on appelle du fond dur, c'est à dire du gros sable clair avec de nombreux cailloux autour de l'épave, ce qui me fait perdre l'épave et à soixante mètres, ce n'est pas une bonne idée.

 

Enfin, je la retrouve et en fouinant un peu je aperçois une pile d'assiette, certainement les mêmes que je verrai quelques années plus tard lors de ma visite à L'US Navy et au musée consacré à l'ALABAMA. Mais déjà le temps de plongée s'amenuise, et je dois retrouver le mouillage rapidement si je ne veux pas faire d'interminables paliers de décompression.

 
         
 

        Je suis revenu plusieurs fois après sur l'épave de l'ALABAMA, mais malheureusement je n'ai jamais eu l'occasion de retrouver la même visibilité.

 

        Les plongeurs démineurs, conjointement avec l'US Navy ont réalisé de nombreuses plongées par la suite sur la célèbre épave, ils ont prélevé bon nombre d'objets, un canon, beaucoup de vaisselle, des assiettes à liseré bleu, des vertes et des roses, les toilettes en porcelaine ornementées de scènes de chasse, ainsi que plusieurs pièces de bois. J'ai eu le plaisir de travailler avec mes amis du Naval Historical Center, branche archéologique de L'Us Navy, et c'est avec grand bonheur que j'ai pu admirer toutes ces pièces au dock yard, arsenal de la marine, à Washington, au printemps dernier.

 

        Mais la pièce la plus emblématique a été retrouvée il y a un peu plus d'un an par un de mes camarades, également plongeur démineur. Il s'a-git bien entendu de la cloche que le major Emmanuel Jean a remonté de l'épave du corsaire sudiste, le CSS ALABAMA.

 

 

 

Bertrand SCIBOZ

Section Manche

 

Canon de l’Alabama

 
       
   

La cloche  de l’Alabama

 
         
 

Le Combat du Kearsarge et de l'Alabama, Édouard Manet, 1865